Your browser does not support JavaScript!

Conception de nouveaux contacteurs biologiques à charbon actif en grains

28 avril 1989 Paru dans le N°127 à la page 33 ( mots)
Rédigé par : B. POIREL, M. MERCIER et D. LULIC

Face aux pollutions multiples et variées qui agressent l'environnement, le traiteur d’eau doit développer des armes de plus en plus efficaces pour continuer à atteindre les objectifs qui lui sont fixés et, notamment, celui de produire et de distribuer en quantité suffisante de l'eau de bonne qualité. C’est le défi quotidien lancé par le Syndicat des Eaux d'Île-de-France et par son régisseur, la Compagnie Générale des Eaux, pour donner satisfaction aux quatre millions d'habitants desservis à raison d'un million de mètres cubes par jour en moyenne.

Pour obtenir une eau aussi pure que possible, on utilise généralement en traitement d'affinage une ozonation suivie d'une filtration sur charbon actif en grains. Ce procédé permet ainsi d’éliminer les substances susceptibles de provoquer des saveurs en réseau.

À l'usine de Choisy-le-Roi, sur la Seine (la plus importante des unités de production du Syndicat des Eaux d'Île-de-France (800 000 m³/j de capacité), la recherche a porté sur la possibilité d’assurer une dégradation biologique des matières qui subsistent dans l'eau, même après percolation sur filtres biologiques à sable, et après ozonation. Il s'agit de prolonger l'action bactérienne en milieu aérobie dans un lit de charbon actif granulaire. On cherche ainsi à aller au-delà de la propriété bien connue d’adsorption du charbon actif ; d’où l'idée d’appeler « contacteurs biologiques » ces types de filtre.

[Photo : Les nouveaux contacteurs à C.A.G. de l'usine de Choisy-le-Roi.]

LE CONTACTEUR BIOLOGIQUE À C.A.G.

Cette utilisation biologique du charbon actif est une « première » et, comme toute opération qui en est à ses débuts, on a tendance à définir les conditions opératoires pour un tel lit biologique par analogie, lorsque cela est possible, avec celles utilisées pour les lits filtrants classiques (par exemple à sable). Il en est ainsi notamment des modalités de lavage.

Or, l'application d'une telle procédure de lavage à un lit comportant des grains de charbon actif, impliquant une injection simultanée d’air et d'eau, est en général considérée comme nocive en raison de l’attrition (usure) des grains à laquelle elle conduit, qui se traduit par des pertes substantielles de ceux-ci entraînés en surverse. Il est généralement admis, en conséquence, que le charbon actif ne se prête pas à un lavage incluant une phase d'injection mixte et que, dans ce cas, on exclut nécessairement cette phase mixte pour ne retenir qu'une injection d’air seul et/ou une injection d'eau.

On a donc cherché à optimiser ces conditions opératoires afin de définir des paramètres auxquels doivent satisfaire :

  • — le matériau granulaire constitutif du lit à base de charbon actif, pour constituer un « bon » support biologique apte à favoriser un développement approprié de populations bactériennes ;
  • — la fréquence de lavage du lit biologique ;
  • — les étapes de la séquence de lavage à contre-courant.

Le lit biologique ainsi défini a pour but principal de mettre en contact, comme son nom l'indique, une population bactérienne avec le substrat organique contenu dans l’eau ; de plus, le lavage d'un lit biologique n’a pas le même objet que celui d’un lit filtrant classique.

Il est ainsi possible d'imaginer qu'un matériau granulaire actif, tel que du charbon actif ou un matériau à base de charbon actif, établisse un compromis entre des exigences a priori incompatibles : être adapté à servir de support biologique pour une population bactérienne, tout en étant susceptible d’être lavé afin de le débarrasser des matières et organismes indésirables, sous une faible vitesse linéaire d’air et/ou d'eau.

* Compagnie Générale des Eaux ** SEDIF

(ce qui est intéressant du point de vue de l'énergie dépensée et de l'attrition).

Parallèlement à la détermination d'un tel matériau, une procédure de lavage efficace n'induisant pas d'usure notable du matériau granulaire a été mise au point. Elle prend en compte également un paramètre propre au contacteur biologique de façon à commander judicieusement le déclenchement des cycles de lavage, malgré les fluctuations de l'environnement (notamment de la température ambiante).

LES CONTACTEURS BIOLOGIQUES DE CHOISY-LE-ROI

Après essais préliminaires sur installation pilote, il a été décidé de construire une batterie de douze nouveaux contacteurs à l'usine de production d'eau potable « Edmond Pépin » de Choisy-le-Roi (figure 1).

Ces contacteurs biologiques, dont la mise en service est prévue pour le début 1989, constituent des filtres à flux descendant, définis pour assurer, avec le charbon actif en grains, un temps de contact minimal de 10 minutes, pour une vitesse maximale de filtration de l'ordre de 15 m/h, ce qui correspond à 2,5 m de hauteur de charbon actif. La capacité de production des douze contacteurs rectangulaires, de surface unitaire de 117 m² (18 m × 6,5 m), sera alors de l'ordre de 500 000 m³/jour.

Leur constitution

Les caractéristiques dimensionnelles principales des bassins contacteurs permettent de disposer, sous le plancher filtrant, support de la masse de charbon actif, d'un espace visitable pour réaliser d'éventuelles opérations de contrôle et d'entretien (figure 2). Toutes les parties hydrauliques des ouvrages sont construites en béton armé coulé en place. Par contre, les superstructures et les composants, pour lesquels de strictes exigences de précision étaient requises, ont été réalisés en éléments préfabriqués sur le site. Quelque 200 poutres, supports des planchers filtrants, ont ainsi été fabriquées sur ce principe. Il en est de même pour les déversoirs de lavage, situés de part et d'autre de chaque bassin ; cette démarche a permis d'obtenir une précision d'implantation de l'ordre du millimètre.

Ainsi, le contacteur biologique se compose d’un bassin comportant un radier communiquant par des orifices avec un canal sous-jacent de départ d'eau traitée et des parois surmontées de rebords de surverse le long desquels sont prévues des goulottes d’évacuation des eaux de lavage. En pratique, on construit une batterie filtrante de plusieurs bassins contigus séparés l'un de l'autre par ces goulottes.

Au-dessus du radier du bassin est installé un fond filtrant sur lequel se trouve une couche uniforme de C.A.G. qualifiant le contacteur de « monocouche », propre à constituer un support biologique pour des populations bactériennes.

L’admission de l'eau à filtrer s'effectue par l'intermédiaire de siphons placés sur le rebord des parois du bassin ; ils sont alimentés par une centrale de production d'air déprimé. Juste sous le fond filtrant, les parois du bassin sont munies d'orifices d'injection d'air surpressé alimentés par un surpresseur via des gaines d’air situées sous la goulotte d’évacuation d'eau de lavage.

Le canal d'eau traitée est raccordé à une canalisation qui communique avec :

  • — une centrale d’eau de lavage,
  • — la suite de l'installation de traitement de l'eau,
  • — une canalisation de mise à l’égout.
[Photo : Schéma d'un contacteur à C.A.G.]
[Photo : Coupe schématique d'un plancher crépiné.]

Un jeu de vannes télécommandées et automatisées permet à l'eau de suivre les trajets voulus.

L’eau traitée quittant le canal traverse un régulateur de débit de nouvelle conception à hotte déprimée de type Polyhydra à pilotage électronique, à la base duquel est prévue une galerie menant cette eau à l'étape de chloration finale avant élévation dans le réseau.

Le plancher filtrant est constitué (figure 3) de dalles en béton armé préfabriquées (3,25 × 1 m), d'une technologie nouvelle : les dalles (36 par contacteur) disposent de crépines d'injection de densité importante (64 au m²) uniformément réparties. Ce type de plancher a été optimisé vis-à-vis des conditions de lavage et de la réduction des fuites éventuelles en micro-organismes susceptibles de se développer dans le média filtrant. Il permet aussi la mise en place éventuelle d'une couche de matériau « anti-transit » à la base des contacteurs.

Les crépines, de forme tubulaire, comportent des têtes munies de fentes longitudinales verticales très étroites (0,3 mm compte tenu du matériau granulaire choisi). Elles sont ouvertes à leur base pour permettre une montée d'eau, tandis que leur paroi comporte un orifice latéral destiné à la pénétration de l'air injecté par les gaines d'air surpressé. Dans la configuration représentée ici il peut donc y avoir injection simultanée d'air et d'eau.

Le charbon actif en grains

Le matériau granulaire actif constitutif du lit contacteur monocouche est un charbon actif en grains Picabiol de la société PICA, répondant aux caractéristiques suivantes :

  • — densité : 0,30 g/cm³ environ ; elle doit être suffisamment faible pour permettre un bon lavage à contre-courant en utilisant le minimum d’énergie,
  • — pouvoir absorbant au tétrachlorure de carbone (CCl₄) (représentatif de la totalité de la porosité du matériau) : 60 % en poids,
  • — rétention au tétrachlorure de carbone (représentatif de la fraction des pores les plus fins) : moins de 25 % en poids de la masse absorbée en CCl₄, c’est-à-dire que la part représentée par les pores est plus importante que celle des micropores dont on peut penser qu’ils ne participent pas ou peu à la fixation bactérienne,
  • — bleu de méthylène : 15 à 30 ml ; les charbons actifs utilisés couramment en traitement classique des eaux potables ont des indices qui se situent aux alentours de 10,
  • — granulométrie : taille effective : 0,6 à 0,8 mm ; coefficient d'uniformité : moins de 2.

Il est à noter que les matériaux granulaires actifs satisfaisant aux conditions précitées, notamment lorsqu’il s'agit de charbons actifs en grains, présentent la propriété de pouvoir être lavés avec une faible attrition (les cycles de lavage, malgré les phénomènes de brassage importants qu'ils impliquent, ne conduisent qu’à une lente diminution de la granulométrie avec une faible apparition de fines particules susceptibles de colmater le fond filtrant et/ou d’être entraînées avec les eaux filtrées) : cela est favorable à une durée de vie importante en service.

[Photo : Schéma de la séquence de lavage d’un contacteur à C.A.G.]

La séquence de lavage appliquée au contacteur biologique monocouche comporte les étapes suivantes :

  • — désamorçage des siphons d’alimentation en eau ;
  • — abaissement du plan d’eau au plus près du niveau supérieur du lit de matériau granulaire actif, afin de minimiser les pertes par expansion pendant les phases suivantes ;
  • — phase d’aération ou, plus précisément, de bullage en flux ascendant par injection d’air surpressé provenant d’un surpresseur volumétrique à vitesse variable ;
  • — phase d’injection mixte (air + eau) de bas en haut ;
  • — remontée du plan d’eau jusqu’à surverse ;
  • — phase de rinçage complémentaire d'eau entretenant la surverse.

Malgré le préjugé évoqué ci-avant, qui tendrait à éviter l’injection simultanée d’air et d'eau, il est apparu que la phase mixte permet, par rapport à une injection d’air ou d'eau seule, une meilleure mise en expansion du lit filtrant ainsi qu'une meilleure qualité finale de l'eau. Dans cette phase, la vitesse d’injection d’air en flux ascendant est choisie entre 10 et 40 Nm³/h·m². Une vitesse inférieure n’assure pas toujours une expansion suffisante, tandis que des vitesses supérieures peuvent conduire dans certains cas à une attrition du matériau granulaire, à une forte turbidité

Au redémarrage de la filtration après lavage et à une dégradation durable du fonctionnement des contacteurs. La vitesse d'injection d'eau, en même temps que l'air, est voisine de 8 m/h.

L'injection préalable d'air seul, d'une durée au moins suffisante pour l’apparition de bulles en surface, favorise l’action précédente sans pour autant accroître les pertes de matériau granulaire. Cette injection se fait, pour des raisons pratiques, à la même vitesse que lors de la phase d'injection mixte. Sa durée totale dépend du temps de montée en débit du surpresseur et est de préférence inférieure à cette dernière en régime constant (entre 30 s et 90 s).

La phase résiduelle de remontée du plan d'eau jusqu'au régime de surverse s'effectue avec la même vitesse que lors de l'injection mixte ; sa durée dépend de la hauteur dont le plan d'eau doit remonter après arrêt de l’injection d’air jusqu’au niveau des rebords de surverse du bassin filtrant.

Le rinçage en régime de surverse est effectué à une vitesse supérieure à celle de la phase d'injection mixte ; elle est comprise entre 15 et 25 m/h. Des vitesses inférieures peuvent parfois être insuffisantes pour éliminer la totalité des matières indésirables dans le matériau granulaire constitutif du lit biologique, tandis que des vitesses supérieures peuvent parfois induire des pertes de ce matériau. La durée du rinçage est comprise entre 10 mn et 20 mn ; des durées supérieures se traduisent inutilement par un supplément d'eau déjà filtrée consommée pour le lavage.

Plus précisément, le régime de lavage d'un nouveau contacteur de Choisy-le-Roi est défini comme suit :

— 2 mn 30 s de montée en charge de surpresseur ;

— 60 s d’air seul à 30 Nm³/h·m² (ce qui correspond donc à une durée totale d'injection d'air de 3 mn 30 s) ;

— 1 mn 30 s à 2 mn d'air à 30 Nm³/h·m² et d'eau à 8 m/h ;

— rinçage en surverse pendant 20 mn à une vitesse de 24 m/h.

En fait, chaque lavage induit, lors du redémarrage de la filtration, une dégradation temporaire de l'eau produite provoquée par un volume d’eau de lavage restant dans le bassin en fin de rinçage qui va venir en tête des eaux filtrées. Pour pallier cet inconvénient, il est prévu (figure 4E) de mettre directement à l'égout (par ouverture de la vanne réservée à cet effet) l'eau sortant du contacteur pendant la première demi-heure, après le retour en régime de filtration.

Le problème soulevé par le colmatage algal et la perte de charge associée

Plutôt que de déclencher des cycles de lavage à intervalles fixes, on peut suivre une grandeur intrinsèque au contacteur biologique de manière à commander les cycles de lavage au moment voulu en dépit des fluctuations dans le débit d'eau à traiter et dans l’environnement (température de l'eau notamment). Il a ainsi été montré qu'on pouvait commander les cycles de lavage à partir de la perte de charge enregistrée sous la surface supérieure du lit granulaire actif. Il faut en effet noter que le lavage d'un contacteur biologique ne vise pas tant à éliminer des matières en suspension qui en assurent un colmatage physique, comme cela est recherché dans un lit filtrant, qu’à contrôler la vie bactérienne au sein du lit biologique : il faut éviter l'apparition d'une population de forme de vie supérieure visible à l'œil nu.

Dans un contacteur biologique, le changement de forme de vie est précédé par l'apparition d’algues ayant la forme de longs filaments qui se déposent à la partie supérieure du lit biologique et qui, s’opposant au passage de l'eau, sont responsables d'un colmatage localisé et temporaire de celui-ci. Il est donc intéressant de surveiller l’apparition de ce phénomène pour décider à bon escient du déclenchement d'un cycle de lavage.

Il suffit de suivre la population d’algues, et de commander un lavage lorsque cette population franchit un seuil prédéterminé. La meilleure méthode est de mesurer la perte de charge associée (figure 5).

Cette perte de charge est mesurée sous la surface libre du matériau granulaire actif, entre 0 et 10 cm de profondeur, grâce à deux capteurs de pression (assurant un suivi en continu de la population algale) qui émettent des signaux de mesure agissant selon la séquence voulue sur les machines de lavage.

Compte tenu des caractéristiques imposées au C.A.G. retenu, le seuil de perte de charge devant déclencher le lavage est fixé à 5 cm par tranche de 10 cm de hauteur, le capteur se trouvant dans l’eau juste au-dessus du lit.

[Photo : Fig. 5 : Valeurs de seuils de perte de charge après lavage préalable, en régime permanent en l’absence d’algues (matériau propre), en fonction de la vitesse moyenne de filtration.]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements