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Comparaison de l'efficacité de la coagulation sur filtre et de la décantation vis à vis de l'élimination des virus

30 septembre 1986 Paru dans le N°103 à la page 37 ( mots)
Rédigé par : Y RICHARD, J-c JORET, A HASSEN et 2 autres personnes

En raison de la contamination importante des eaux brutes en matières organiques et en micro-organismes, et principalement celle des eaux superficielles, les filières de traitement ont beaucoup évolué. Si l’on prend en compte les données sur les maladies infectieuses d’origine hydrique (dont la quasi-totalité est liée à des déficiences dans le traitement ou à l’absence de tout traitement [1-2]), on peut penser que les filières ainsi mises en place ont fait la preuve de leur efficacité.

La question de l’élimination des virus a été clairement posée depuis quelques dizaines d’années, et il est bien établi que la désinfection présente une efficacité garantissant la bonne qualité de l’eau au consommateur, pour autant que les étapes préalables du traitement d’une eau ne la perturbent pas. C’est la raison pour laquelle nous avons étudié l’efficacité de la coagulation sur deux types de filtres (un filtre à sable et un filtre bicouche [anthracite + sable]) et de la coagulation-floculation-décantation-filtration du point de vue de l’élimination des virus indigènes, avec ou sans préchloration des eaux de rivière. Divers paramètres physico-chimiques (pH, turbidité, absorption UV, matières organiques oxydables au KMnO₄, carbone organique total, perte de charge des filtres) ont été ainsi mesurés parallèlement lors de deux campagnes d’analyses effectuées en 1982. Les résultats rapportés ci-après nous apparaissent devoir être présentés car ils éclairent d’un jour nouveau les choix technologiques qui se présentent pour l’élimination des entérovirus dans les filières de traitement des eaux.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Station pilote semi-industrielle

L’eau brute issue de la Seine a été traitée sur installation pilote selon les quatre lignes représentées sur la figure 1, avec et sans préchloration, en comparant l’efficacité d’une coagulation-floculation-sédimentation suivie d’une filtration sur sable à celle d’une coagulation réalisée directement sur filtre, soit sur filtre à sable, soit sur filtre double couche sable + anthracite. Les conditions opératoires sont résumées dans le tableau 1.

Analyses physico-chimiques

Cinq paramètres ont été étudiés sur les échantillons, collectés du 13 au 26 avril 1982 :

  • — pH ;
  • — turbidité (mesure par méthode néphélométrique) ;
  • — absorption en ultraviolet (à 254 nm).
[Photo : Schéma des différentes chaînes de traitement étudiées pour le pilote de traitement d’eau de Seine. WAC — Water Aluminium chloride. COA — Coagulation sur filtre. FLO — Floculation. SED — Sédimentation.]
Ligne A Ligne B Ligne C Ligne D
Taille effective du matériau filtrant (mm) s = 0,95 s = 1,35 s = 0,9 s = 0,9
Épaisseur de couche (m) 0,8 1 s = 1 s = 0,6
Vitesse de sédimentation (m/h) 3 6 6 6
Vitesse de filtration (m/h) 6 6 6 6
Dose de chlore (g/m³) 0 4 à 5 5 à 6 3 à 4
Dose de coagulant WAC (g/m³) 50 à 60 50 à 60 15 15
Temps de rétention (mn)  
- par étape  sédiment. : 65                   sédiment. : 35  
             filtration : 25                 filtration : 25   15   15   15   15  
- total      90                              60              40   40   40  

Tableau 1 : Conditions de fonctionnement des différentes lignes de traitement

– oxydabilité au permanganate de potassium (méthode par ébullition en milieu acide) ; – carbone organique total.

Analyses virologiques

La recherche des virus a été effectuée par une méthode d’adsorption-élution sur filtres électronégatifs type Balston C 100 12 de 0,8 μm de porosité. La technique utilisée, inspirée de la 15ᵉ édition des U.S. Standard Methods for Water and Wastewater Examination, a été décrite par ailleurs (3).

L’étape d’adsorption à pH 3,5 en présence d’AlCl₃ 5·10⁻⁴ M a été effectuée directement sur le terrain. Les filtres ont ensuite été stockés à +4 °C dans 100 ml d’une solution d’extrait de bœuf 3 % à pH 7,5 contenant des antibiotiques, puis acheminés au laboratoire dans une glacière à +4 °C. Les volumes d’eau analysés ont été de 9 à 14,4 litres pour les eaux de rivière brutes, 34 à 37,5 litres pour les eaux décantées et 60 à 100 litres pour les eaux filtrées.

L’élution des virus adsorbés a été réalisée immédiatement après réception par broyage des filtres dans le liquide de transport ramené à pH 9,5. Après clarification du broyat au travers d’une gaze stérile, puis centrifugation à 20 000 g pendant 15 mn, les concentrats ramenés à pH 7,2 ont été décontaminés par la technique au chloroforme, puis soumis à titrage virologique sur cellules BGM (Buffalo Green Monkey Kidney) cultivées en MEM-Eagle avec sels de Earle additionné de sérum de veau nouveau-né (10 %). Les effets cytopathiques ont été étudiés par la méthode des plages et, après incubation et dénombrement, les résultats ont été exprimés en Unités Formant Plage (UFP par litre).

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Niveau de contamination de l’eau brute

Les résultats obtenus sur l’eau brute pendant la période d’essai sont présentés sur le tableau 2. Ils ne montrent pas de variations très importantes et les valeurs limites des paramètres physico-chimiques : pH compris entre 7,37 et 8,5 ; turbidité : 10 à 15 NTU ; absorption U.V. à 254 nm : 0,472 à 0,560 ; matières oxydables au KMnO₄ : 5,2 à 8,1 mg/l O₂ et COT : 2,3 à 3,6 mg/l sont caractéristiques d’eaux de rivières moyennement polluées.

La comparaison des densités virales retrouvées dans 10 litres d’eau (0 à 73 UFP/10 l) avec quelques valeurs retrouvées dans la bibliographie montre que la contamination par des entérovirus était relativement faible au cours de ces essais (Grimstein et coll. (5), Slade (6), Marzouk et coll. (7), Lucena-Gutierrez (8)). Les valeurs retrouvées ici sont légèrement inférieures à celles rapportées antérieurement par Block et coll. (9) et Vilaginés et coll. (10) après analyse de volumes d’eau de Seine de 100 à 500 l, mais plus fortes que celles enregistrées sur la même rivière par Sarrette et coll. (11) après analyse de 10 à 20 litres d’eau. Ces différences peuvent être expliquées par les différentes méthodes de concentration utilisées, la méthode de détection des effets cytopathiques (N.P.P. ou U.F.P.), le type de cellules ou par des variations saisonnières. Elles ont déjà été décrites par de nombreux auteurs pour d’autres rivières.

Efficacité des lignes de traitement sans préchloration (lignes A et C)

Au niveau des paramètres physico-chimiques, le pourcentage d’élimination à chaque étape de traitement est présenté sur les tableaux 3 et 4. La comparaison des deux filières de traitement coagulation-floculation-sédimentation-filtration (CFSF) ou coagulation directe sur filtre (CDF) montre des résultats identiques pour la ligne complète. Pour tous les paramètres physico-chimiques, la plus grande part de l’efficacité d’élimination est obtenue lors de l’étape de coagulation et de floculation. La filtration agit comme un traitement de polissage dans la filière.

Les performances des deux types de filtres (sable ou double couche) apparaissent similaires : il n’y a pas de rela-

Tableau 2 :

Variation des paramètres physico-chimiques et de numération des entérovirus

Date pH Turbidité NTU Absorption U.V. 254 nm Oxydabilité au KMnO₄ mg/l O₂ Carbone organique mg/l Entérovirus UFP/10 l
13.05.82 8,5 12 0,560 8,1 2,0
14.05.82 8,3 11 0,472 5,7 1,43
17.05.82 8,1 15 0,560 7,2 2,99
18.05.82 7,45 10 0,502 4,8 3,15
24.05.82 7,0 13 0,542 5,4 3,75
25.05.82 7,50 11 0,497 5,2 2,51
26.05.82 7,37 10 0,521 5,7 3,6

Lorsque l'on étudie l'élimination des virus, on est gêné par un résultat négatif trouvé dans l'eau décantée ou filtrée des échantillons analysés le 13 ou 14 mai 1982. Ceci peut s'expliquer par l'inactivation qui peut se produire au cours d'un stockage prolongé à 4 °C, comme l'ont décrit Liew et Gerba (12).

Relation entre la perte de charge et l'efficacité par rapport à l'élimination des différents paramètres physico-chimiques mesurés.

Tableaux 3 : Élimination de la turbidité et des substances organiques exprimées en pourcentage par rapport à l'eau brute pour les lignes de traitement A et C sans préchloration

Tableau 3 A : Ligne A : coagulation - floculation - sédimentation - filtration

Date Eau décantée / Eau brute % Eau filtrée / Eau décantée % Eau décant. + Filtr. / Eau brute %
Turbid. Absorpt. UV Oxyda. KMnO₄ Turbid. Adsorpt. UV Oxyda. KMnO₄ Perte de charge Adsorpt. UV Oxyda. KMnO₄
13.5.80 93 76 82 72 23 7 22 98 81 83
14.5.80 97 78 74 73 18 10 30 98 82 76
17.5.82 94 77 77 71 15 20 16 98 80 81
18.5.82 90 72 64 65 20 14 25 97 70 69
25.5.86 90 73 66 68 32 9 17 97 82 69
26.5.86 90 74 66 62 25 12 65 96 80 72

Tableau 3 B : Ligne C - coagulation directe sur filtre

Date Eau filtrée sur sable / Eau brute % Eau filtrée double couche / Eau brute %
Turbidité Absorption UV Oxyda. KMnO₄ Perte de charge Turbidité Adsorption UV Oxyda. KMnO₄ Perte de charge
13.5.86 97 73 76 78 97 74 78 61
14.5.86 97 73 64 50 98 72 67 74
18.5.86 94 68 54 57 95 70 57 83
24.5.86 96 66 66 97 68 67 69
25.5.86 96 65 62 36 96 62 61 70
26.5.86 95 68 63 102 96 69 63 139

Tableaux 4 : Abattement viral par les deux filières de traitement sans préchloration (lignes A et C) exprimé en pourcentage

Tableau 4 A : Ligne coagulation - floculation - sédimentation - filtration

Date Eau brute (Entérovirus UFP/10 l) Coag. flocul. sedi. (Entérovirus UFP/10 l) Éliminat. eau brute % Filtration (Entérovirus UFP/10 l) Éliminat. eau décant. % Perte de charge cm Coag. floc. sedi. filt. Éliminat. eau brute %
17.5.82 29,8 0 100 16 100
18.5.82 31,5 1,34 95,7 0 25 100
25.5.82 25,7 3,9 84,8 0,29 92,6 17 98,8
26.5.82 11,15 0,57 94,8 0,30 47,4 65 97,3

Tableau 4 B : Ligne C - coagulation directe sur filtre

Date Eau brute (Entérovirus UFP/10 l) Eau filtrée sur sable (Entérovirus UFP/10 l) Éliminat. eau brute % Perte de charge cm Eau filtrée sur double couche (Entérovirus UFP/10 l) Éliminat. eau brute % Perte de charge cm
18.5.86 31,5 4 87,3 57 3,24 89,7 83
24.5.86 73,5 10,1 86,2 1,1 85
25.5.86 25,7 7,80 69,6 36 7,50 70,8 70
26.5.86 11,15 9,64 13,5 102 9,40 15,7 139

Tableau 5 : Abattement viral par les deux filières de traitement avec préchloration (lignes B et D) exprimé en pourcentage

Date Eau brute Entérovirus UFP/10 l Ligne B Coagul. flocul. Sédimentation Entérovirus UFP/10 l Ligne B Élimination eau décantée % Ligne B Filtration Entérovirus UFP/10 l Ligne B Élimination eau filtrée % Ligne D Filtration sur sable Entérovirus UFP/10 l Ligne D Élimination eau brute % Ligne D Filtration sur double couche Entérovirus UFP/10 l Ligne D Eau filtrée %
15.5.86 29,8 0 100 0
18.5.86 31,5 0 100 0
24.5.86 73,5 0 100 0
25.5.86 25,7 0 100 0
28.5.86 11,85 0,34 96,9 0

Un travail précédent avait montré que l’inactivation survenant pendant une période de 72 heures était acceptable (3) et pour la suite du travail, nous ne prendrons en considération que les résultats obtenus avec des analyses réalisées dans ce délai qui est apparu une fois incompatible avec la vitesse d’acheminement postal.

Les tableaux 4 A et B présentent les concentrations virales et le rendement d’élimination exprimé en pourcentage par rapport à l'eau brute et à l'eau décantée. Les résultats montrent que la ligne de traitement A complète (CFSF) donne un rendement d’élimination compris entre 97,3 % et 100 % pour les entérovirus. De même que pour les paramètres physico-chimiques, l’étape de coagulation-floculation-sédimentation semble jouer le rôle primordial dans l’élimination des virus (84,8 – 100 %). Les résultats sont conformes à ceux rapportés dans la littérature au cours d’essais de laboratoire, réalisés en dopant des eaux usées ou des eaux de surface artificiellement avec des virus par Chang et coll. (13), Foliguet et Doncoeur (14), Kool et Van Kranen (15).

En revanche, la coagulation directe sur filtre produit de plus faibles pourcentages de rendement, compris entre 13 et 87 % pour le filtre à sable et 15,7 – 89 pour le filtre double couche. On peut aussi remarquer que sur les deux types de filtre, l'efficacité est mauvaise lorsque la perte de charge est importante (essai du 26 mai 1982).

Efficacité des lignes de traitement comprenant une préchloration (lignes B et D).

Sur les 16 points échantillonnés avec préchloration, seulement un échantillon a permis l'isolement d’entérovirus (eau décantée du 26 mai 1985) avec un pourcentage d’élimination de 96,9 % (tableau 5).

Durant ces essais, l’efficacité de la préchloration est très importante, que ce soit sur la ligne de traitement complète (ligne B) ou après coagulation sur filtre (ligne D). Des résultats antérieurs obtenus par chloration de l'eau brute sans filtration ni coagulation par Block et coll. (16) avaient montré sur l’usine de Morsang que l’inactivation virale était alors très faible : abaissement de 0 à 26 % du titre viral après préchloration au break-point avec un chlore résiduel total de 0,4 à 0,8 mg/l après 30 mn de contact. L’effet de protection par les matières en suspension des virus contenus en grande quantité dans l’eau brute, et en beaucoup plus faible importance après coagulation floculation et sédimentation peut très probablement expliquer cette importante différence entre ces deux séries de résultats.

Puisque toute l’efficacité est obtenue par la préchloration, il n’y a bien sûr pas de différence entre les deux lignes CFSF et CDF.

CONCLUSION

Malgré le faible niveau de contamination virale de l'eau brute, on peut cependant tirer de ces résultats quelques conclusions :

- la préchloration présente une importance fondamentale pour l’inactivation des entérovirus ;

- en l’absence de préchloration, c’est l’étape de coagulation-floculation-décantation qui a le meilleur effet sur l’élimination des entérovirus ;

- la coagulation directe sur filtre en l’absence de préchloration a un effet très limité sur l’élimination virale, en particulier lorsque la perte de charge augmente sur le filtre.

Ces informations sont utiles pour optimiser les filières de traitement, puisque l’élimination du risque est l’une des priorités dans le domaine du traitement des eaux de distribution publique.

BIBLIOGRAPHIE

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(14) J.M. Foliguet and F. Doncoeur, Wat. Res., 9, 953-961 (1975).

(15) H.J. Kool and H.J. Van Kranen, Monogr. Virol., 15, 134-135 (1984).

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