La méthanisation des boues de stations d'épuration est appliquée depuis de très nombreuses années pour diminuer leurs volumes et produire un biogaz qui est utilisé comme source d'énergie. Certaines stations d'épuration qui traitent des effluents issus de zones touristiques, doivent faire face à des fluctuations saisonnières importantes et donc les digesteurs sont souvent sous-alimentés une grande partie de l'année. Pendant ces périodes, il est donc particulièrement intéressant de chercher à compléter les alimentations du digesteur par d'autres substrats présents sur le territoire. Cet article rapporte un exemple de digestion de boues (au stade laboratoire) de stations d'épuration avec des graisses issues de flottation d'industries agroalimentaires. Il est intéressant de noter que les auteurs obtiennent des performances très intéressantes lors de la présence de 40 % des graisses (exprimée en DCO) sans observer d'inhibition notable lors de la mise en oeuvre de la méthanisation en fermentation continue, et ceci avec des temps de résidence > 20 jours et sans hydrolyse préalable. Cette stratégie qui incorpore des co-substrats issus d'un gisement territorial permet une meilleure rentabilisation des investissements liés à la méthanisation des boues non seulement dans des zones touristiques mais aussi pour les petites stations d'épuration (René Moletta, Moletta Méthanisation).
Certaines stations d’épuration qui traitent des effluents issus de zones touristiques doivent faire face à des fluctuations saisonnières importantes et donc les digesteurs sont souvent sous-alimentés une grande partie de l’année. Pendant ces périodes, il est donc particulièrement intéressant de chercher à compléter les alimentations du digesteur par d’autres substrats présents sur le territoire.
Cet article rapporte un exemple de digestion de boues (au stade laboratoire) de stations d’épuration avec des graisses issues de flottation d’industries agroalimentaires. Il est intéressant de noter que les auteurs obtiennent des performances très intéressantes lors de la présence de 40 % de graisses (exprimée en DCO) sans observer d’inhibition notable lors de la mise en œuvre de la méthanisation en fermentation continue, et ceci avec des temps de résidence > 20 jours et sans hydrolyse préalable.
Cette stratégie qui incorpore des co-substrats issus d’un gisement territorial permet une meilleure rentabilisation des investissements liés à la méthanisation des boues non seulement dans des zones touristiques, mais aussi pour les petites stations d’épuration (René Moletta, Moletta Méthanisation).
Dans un contexte où le développement durable est de plus en plus présent dans les politiques publiques, notamment au niveau des collectivités territoriales, la digestion anaérobie (ou méthanisation) des boues de stations d’épuration apparaît comme une solution intéressante et adaptée. En effet,
Ce procédé permet, d'une part, de produire de l’énergie renouvelable et locale à partir d'un déchet organique et, d’autre part, de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la gestion de ce déchet.
Au niveau de la filière, la digestion anaérobie des boues issues du traitement des eaux usées conduit également à une réduction des volumes et de la masse de boues et diminue les odeurs.
De plus, dans certains cas, la digestion anaérobie (en condition thermophile et/ou grâce à un traitement thermique utilisant la chaleur produite par le biogaz) améliore la qualité sanitaire du produit final (Moletta, 2008).
La digestion anaérobie des boues de station d’épuration est largement appliquée sur les stations de grandes capacités (> 50 000 EH) mais cette technique reste marginale pour les stations de plus faible capacité.
En effet, dans ce cas, la rentabilité économique du procédé de méthanisation est souvent insuffisante par rapport à d'autres techniques de traitement des boues.
Ce problème est accentué lorsque la station ne produit que des boues secondaires (issues d'aération prolongée) dont la biodégradabilité, et donc la production de méthane, est significativement plus faible que celle des boues primaires ou mixtes.
En effet, selon Couturier et al. (2001), la biodégradabilité de ces boues est d’environ 30 % au lieu de 55 % pour des boues mixtes.
Pour ces « petites » stations, une approche territoriale peut permettre de lever certains freins économiques et peut ainsi participer au développement et à la dynamique du territoire en matière de gestion des déchets organiques.
Il est ainsi possible de co-digérer différents déchets organiques.
Cette approche territoriale a été conduite à Mordelles (35, Ille-et-Vilaine), ville d’environ 7 000 habitants située à 15 km de Rennes et équipée d'une station d’épuration de type boues activées en aération prolongée d'environ 15 000 EH.
Cette réflexion nous a amenés à caractériser la boue de la station d’épuration ainsi que différents co-substrats disponibles autour de la commune, en vue d’un traitement par méthanisation.
Par la suite, des expérimentations de co-digestion en réacteur « batch » et « continu » ont été réalisées avec les boues de la station et une graisse d’industrie agro-alimentaire.
L'ensemble de ces travaux nous a amenés à nous interroger sur la transposition des résultats obtenus en réacteur « batch » pour la prédiction du fonctionnement des installations réelles de terrain qui utilisent, dans la grande majorité des cas, des réacteurs de type continu ou semi-continu.
Tableau 1 : Caractérisation des principaux déchets organiques disponibles pour la co-digestion sur la ville de Mordelles (MS : matières sèches, MV : matières volatiles, Bₒ : potentiel méthanogène, MB : matière brute)
Caractéristiques | Boues STEP | Graisses LAA | Tonte de pelouse | Déchets restauration | Algues de mer | Algues lacustres | Graisses STEP |
---|---|---|---|---|---|---|---|
MS – g/kg MB | 57.0 | 95.8 | 235.1 | 271.3 | 200.9 | 65.3 | 47.6 |
MV – % MS | 80.2 | 89.8 | 82.0 | 94.9 | 59.8 | 78.6 | 76.3 |
DCO – gO₂/kg MB | 75.2 | 195.7 | 307.4 | 416.3 | 158.0 | 78.6 | 96.9 |
DCO – gO₂/g MV | 1.6 | 2.2 | 1.6 | 1.6 | 1.3 | 1.5 | 2.7 |
Bₒ – Nm³ CH₄/tonne MB | 11.7 | 74.1 | 54.3 | 147.2 | 16.0 | 15.5 | 29.3 |
Biodégradabilité – % | 44 | 108 | 50 | 101 | 29 | 56 | 86 |
N – kg N/tonne MB | 4.6 | 1.9 | 8.5 | 10.7 | 4.7 | 3.9 | 1.3 |
N – kg N/Nm³ CH₄ produit | 0.39 | 0.03 | 0.15 | 0.07 | 0.29 | 0.25 | 0.04 |
¹ Biodégradabilité calculée en considérant que 350 NL de CH₄ sont produits à partir de la dégradation de 1 kg de DCO.
Caractérisation des substrats
En lien avec les acteurs du territoire (municipalité, exploitant de la station d’épuration, industriels, …), les principaux substrats de cette zone périurbaine ont été inventoriés et caractérisés en vue d'un traitement par digestion anaérobie. Il s’agit :
- des boues de la station d’épuration de Mordelles (Boues de STEP) issues de la filière de traitement (boues activées, faible charge) et épaissies sur une table d’égouttage. Environ 2 900 m³ de boues épaissies sont produites annuellement. Ces boues ont été caractérisées quatre fois sur une période de six mois.
- des graisses de flottation issues d’une industrie de transformation de la viande (Graisses LAA). Une quantité d'environ 300 m³ est collectée annuellement. Ces graisses ont également été caractérisées quatre fois sur une période de six mois.
- les déchets de restauration générés par les différents services de restauration collective (écoles, hôpitaux, …). La quantité produite annuellement sur la ville de Mordelles est estimée à 10-20 tonnes. Ce déchet a été caractérisé une seule fois en utilisant les déchets d'une cantine scolaire spécifiquement collectés pour cette étude.
- les tontes de pelouse générées et/ou gérées par la collectivité. Ce déchet a été caractérisé une seule fois.
- les graisses primaires issues du prétraitement des eaux usées (Graisses STEP). Ce déchet a été caractérisé une seule fois en utilisant un échantillon récolté sur une station d’épuration située à proximité de Mordelles (Chavagne, 35).
- les algues lacustres pouvant se développer sur les lagunes. Ce déchet a été caractérisé une seule fois.
Les principaux résultats de caractérisation de ces déchets organiques sont présentés dans le tableau 1.
La boue de STEP caractérisée a une siccité de l'ordre de 5-6 %, ce qui est classique pour des boues épaissies issues d'une table d'égouttage. Par contre, le taux de matières volatiles, de l'ordre de 80 % de la MS, est relativement élevé pour une boue issue d'un système de traitement faible charge. Le potentiel méthanogène de ces boues, estimé à 11,7 Nm³ CH₄ par tonne de matière brute, soit environ 256 Nm³ CH₄ par tonne de MV, traduit une biodégradabilité anaérobie, calculée par rapport à la DCO, de 44 %. La teneur en azote est de 8 % de la MS.
Les graisses de flottation issues d'une industrie de transformation de la viande (graisses IAA) ont une siccité proche de 10 %. À cela s'ajoute une teneur élevée en MV (environ 90 %) et en lipides (DCO = 2,2 g O₂/g MV), ce qui se traduit par un potentiel méthanogène élevé, de l’ordre de 74,1 Nm³ CH₄ par tonne de matière brute, soit 861 Nm³ CH₄ par tonne de MV. La valeur de la biodégradabilité estimée est supérieure à 100 %, probablement du fait d'une sous-estimation de la DCO du substrat. En effet, la mesure de la DCO des graisses est difficile. La teneur en N est relativement faible (2 % de la MS) par rapport à la production potentielle de méthane : les graisses apportent seulement 0,03 kg N pour une production potentielle de 1 Nm³ de CH₄, alors que les boues en apportent dix fois plus.
Les tontes de pelouse ont une siccité de l'ordre de 23,5 % et une teneur en MV supérieure à 80 % de la MS. Toutefois, leur biodégradabilité anaérobie n'est que de l'ordre de 50 % et le potentiel méthanogène qui en résulte ne s'élève donc qu'à 54,3 Nm³ CH₄ par tonne de matière brute (soit 282 Nm³ CH₄ par tonne de MV), malgré la teneur élevée en MS.
Les déchets de restauration ont une siccité de l'ordre de 27 % et une teneur en MV très élevée (95 % de la MS). Ainsi, leur taux de biodégradabilité important (de l’ordre de 100 %) conduit à un potentiel méthanogène élevé, de l’ordre de 147 Nm³ CH₄ par tonne de matière brute, soit 571 Nm³ CH₄ par tonne de MV. Leur teneur en N entraîne toutefois des apports supérieurs à ceux obtenus avec la graisse d’IAA pour une même production de CH₄.
Les algues de mer ont une siccité de l'ordre de 20 %, mais leur taux de MV est relativement faible (60 %) malgré une collecte manuelle. De plus, leur faible biodégradabilité, estimée à moins de 30 %, conduit à un potentiel méthanogène relativement faible, de l'ordre de 16 Nm³ CH₄ par tonne de matière brute, soit environ 133 Nm³ CH₄ par tonne de MV. La siccité des algues lacustres est plus faible (6,5 %), mais leur taux de MV et leur biodégradabilité sont plus élevés, ce qui conduit à un potentiel méthanogène du même ordre de grandeur. Les apports en nutriments, par rapport à leur production potentielle de CH₄, restent toutefois assez élevés et du même ordre de grandeur que ceux des boues de STEP.
La siccité des graisses de STEP est de l'ordre de 5 % avec une teneur en MV de 76 % de la MS. La teneur élevée en lipides (DCO = 2,7 g O₂/g MV) et la forte biodégradabilité (86 %) conduisent à un potentiel méthanogène de 29,3 Nm³ CH₄ par tonne de matière brute, soit 807 Nm³ CH₄ par tonne de MV. Les apports en nutriments, exprimés par rapport à la production potentielle de CH₄, sont relativement faibles et du même ordre de grandeur que ceux des graisses d’IAA.
L’objectif de l'ajout d’un co-substrat avec les boues de STEP pour la digestion anaérobie est d’augmenter significativement la production de CH₄ sans modifier la filière amont et aval de façon trop importante afin d’améliorer la rentabilité économique du système. Ainsi, l’ajout de co-substrat ne doit pas accroître le volume traité de manière excessive ; l’on recherchera donc des co-substrats à fort potentiel méthanogène par rapport à la matière brute (déchets de restauration, graisses d’IAA, tontes de pelouse). De même, il convient de réduire au minimum la quantité de digestat produite en utilisant des co-substrats très biodégradables (graisses d’IAA, déchets de restauration, graisses de STEP) et de minimiser les apports de nutriments en privilégiant les co-substrats à faibles teneurs en nutriments par rapport à leur production potentielle de CH₄ (graisses d’IAA, graisses de STEP, déchets de restauration). Cela évite d’importants retours en tête de station et/ou d’importantes modifications des plans d’épandage du digestat.
À partir de ces contraintes et des caractérisations effectuées, les graisses d’IAA apparaissent comme le co-substrat le plus intéressant. Les déchets de restauration et, dans une moindre mesure, les graisses de STEP semblent également des substrats à privilégier pour la co-digestion avec les boues de STEP sur des stations de faible capacité.
Co-digestion des boues de STEP et des graisses d’IAA
Selon leur provenance, leur mode de stockage et de traitement, les caractéristiques des déchets graisseux peuvent être très différentes. Cependant, une majorité des chercheurs s'accorde sur leur intérêt en termes de co-digestion anaérobie, tout en signalant les difficultés liées, d’une part, à leurs caractéristiques physiques entraînant des difficultés de manipulation et des problèmes d'agrégation et de flottation dans les digesteurs et, d’autre part, aux inhibitions de la digestion souvent observées avec ce type de substrats. Les graisses étudiées se présentent sous la forme d’une émulsion relativement homogène et aucune difficulté de manipulation n’a été observée.
Pour ces graisses, nous avons étudié plus particulièrement les problèmes d’inhibition de la digestion anaérobie. D’après la littérature, cette inhibition est principalement causée par les acides gras à longue chaîne (AGLC) résultant de l'hydrolyse des lipides. Ceux-ci viennent se fixer sur les membranes des bactéries, ce qui réduit la capacité des bactéries à échanger les nutriments et les substrats avec le milieu réactionnel.
tionnel et peut ainsi inhiber totalement les réactions (Peraira et al., 2005).
Expérimentations en réacteur « batch »
Pour l'étude spécifique de la co-digestion des boues de STEP et des graisses d’IAA, deux séries d’expérimentations ont été conduites en réacteur « batch » afin d’évaluer l’impact du taux d’incorporation de graisse sur la quantité et les cinétiques de production de méthane lors de la co-digestion.
Ces expérimentations sont basées sur la mesure de la production de méthane d'un substrat ou d’un mélange de substrats, placé dans un flacon fermé (batch), en anaérobiose et en présence d’inoculum. Les flacons utilisés ont un volume de 330 ml et une quantité d'inoculum d’environ 30 g est utilisée pour ces expérimentations. Une quantité de substrat (ou de mélange de substrats) est ajoutée afin d’obtenir un ratio substrat/inoculum de 2 à 5 g DCO·g⁻¹ MV et l'ajout d’une solution nutritive permet de compléter à 100 ml le volume total de liquide dans le flacon. Chaque mesure est réalisée en triplicats. Le flacon est fermé avec un septum en caoutchouc butyle et une bague à vis, puis un renouvellement de l’atmosphère de l’espace de tête est effectué au moyen d'une circulation d’azote moléculaire. La teneur en oxygène est ainsi inférieure à 0,1 % dès le début de l’incubation. Ensuite, les flacons sont mis à incuber à 38 °C pendant 30 à 40 jours. Durant l’incubation, les productions gazeuses sont suivies régulièrement en fonction de la production. Le suivi quantitatif est déterminé à partir des variations de pression dans le volume d’espace de tête mesurées au moyen d'un manomètre. Les analyses chromatographiques du biogaz permettent de connaître les productions spécifiques en méthane et dioxyde de carbone. Des expérimentations sont également effectuées sur l'inoculum seul (sans ajout de substrat) afin de prendre en compte la production endogène de l'inoculum.
Ainsi, différents taux d’incorporation de graisses ont été étudiés allant de 0 à 60 % de la DCO totale ajoutée. Pour chaque série, les charges organiques appliquées pour les différents taux d’incorporation de graisses étaient quasi-équivalentes afin de pouvoir comparer les cinétiques sur des bases identiques, notamment en considérant le temps nécessaire pour obtenir une proportion donnée du potentiel méthanogène total. Dans la première série d’expérimentations, l’inoculum utilisé provient d'un digesteur de lisier de porcs alors que dans la 2ᵉ série, l'inoculum provient d’un digesteur de boues de STEP. Les résultats obtenus pour ces deux expérimentations sont présentés sur les figures 1 et 2, concernant les aspects quantitatifs et cinétiques, respectivement.
Dans les deux cas, on observe une bonne adéquation entre le potentiel théorique calculé
[Photo : Figure 2 : Effet du taux d’incorporation des graisses lors de la co-digestion sur les cinétiques de production de méthane, exprimée par le T_50 % correspondant au temps nécessaire pour obtenir 50 % du potentiel méthanogène (le taux d'incorporation des graisses est exprimé en % de la DCO totale ajoutée [boues + graisses] ; à gauche : expérimentation effectuée en utilisant un inoculum issu d'un digesteur traitant du lisier de porcs ; à droite : expérimentation effectuée en utilisant un inoculum issu d'un digesteur traitant des boues de STEP).]à partir des potentiels méthanogènes de chacun des substrats en considérant la proportion ajoutée et celui obtenu expérimentalement après 35-40 jours d'incubation (figure 2).
Par contre, pour l'expérimentation effectuée avec un inoculum provenant d'un digesteur de lisier de porcs, on observe un ralentissement important des cinétiques de production à partir d'un taux d'incorporation de graisse de 20 % de la DCO totale ajoutée. Ce ralentissement cinétique se traduit par une augmentation du temps nécessaire pour atteindre une production égale à 50 % du potentiel méthanogène, passant de 4-5 jours pour un taux inférieur à 20 % à environ 12 jours pour un taux de graisse de l'ordre de 60 %. Pour l'expérimentation conduite avec un inoculum provenant d'un digesteur de boues de STEP, les résultats sont sensiblement moins marqués mais la tendance reste la même. Ces observations semblent indiquer une inhibition de la digestion anaérobie pour des taux d'incorporation de graisse supérieurs à 20 % de la DCO totale ajoutée. Cette inhibition entraîne un fort temps de latence qui pourrait se révéler préjudiciable dans un digesteur réel. Des résultats très similaires ont été obtenus en réacteur « batch » par Cirne et al. (2007) qui observent une inhibition pour des taux de graisse supérieurs à 18 % de la DCO totale ajoutée. Ces expérimentations « batch » nous amènent à nous interroger sur la transposition des résultats obtenus vers un réacteur continu/semi-continu. En effet, l'adaptation de la biomasse qui a lieu dans un réacteur continu n'est pas prise en compte lors d'un essai « batch » et il apparaît donc difficile de conclure à partir des expérimentations « batch » quant aux possibilités envisageables en réacteur continu.
Ainsi, afin d’aller plus loin dans ces expérimentations de co-digestion de boues de STEP et de graisses d'IAA, des expérimentations en réacteur continu (5 et 200 L) ont été réalisées pour évaluer l'impact du taux d'incorporation de graisses sur le rendement du réacteur. Ces tests ont également pour objet de mettre en évidence une éventuelle inhibition en conditions réelles du fait d'un taux de graisses trop élevé. Pour cela des expérimentations continues avec des taux de graisse allant de 0 à 42 % de la DCO totale ajoutée ont été effectuées. Les temps de séjour et les charges organiques appliquées pour ces expérimentations étaient de l'ordre de 25 jours et 3 kgDCO/m³ .j, respectivement.
Les résultats sont présentés sur la figure 3 et comparés avec des prévisions « sans inhibition » et « avec inhibition » obtenues à partir des expérimentations « batch » préalablement présentées. La prédiction « sans inhibition » est calculée en considérant que 80 % du potentiel méthanogène des substrats est produit dans le réacteur continu alors que pour le scénario « avec inhibition », une inhibition proportionnelle au ralentissement cinétique observé est appliquée à ce rendement. La prédiction « sans inhibition » indique, pour la charge considérée (3 kgDCO/m³ .j), une augmentation du rendement du réacteur de 0,37 à plus de 0,8 Nm³ CH₄/m³ .j en passant de 0 à 30 % de graisses. Cette augmentation est liée à la plus forte biodégradabilité des graisses par rapport aux boues de STEP. Au contraire, la prédiction « avec inhibition » indique une baisse significative du rendement pour des taux d'incorporation supérieurs à 20 % et ce rendement chute à moins de 0,2 Nm³ CH₄/m³ .j pour un taux de graisse de l'ordre de 90 %.
Au final, les résultats obtenus sur le réacteur continu sont conformes à la prédiction « sans inhibition », ce qui confirme clairement que la transposition des résultats « batch » est très difficile. En effet, des taux d’incorporation de graisse d'IAA allant jusqu’à 42 % de la DCO totale ajoutée ont été effectués sans qu’aucun problème ne soit observé sur le réacteur continu. L'inhibition attendue n’a pas été observée, sans doute du fait du temps de séjour dans les digesteurs supérieur à 20 jours.
Dans l'optique d’apprécier l’impact de la co-digestion sur la qualité des boues digérées, un suivi analytique de l'azote et du phosphore a été réalisé régulièrement au niveau des réacteurs en continu. Le tableau 2 montre que globalement si l'on considère les concentrations en azote total et en phosphore total, il y a peu de différences entre le digestat du réacteur digérant des boues seules et le digestat du réacteur digérant un mélange de boues et de graisses d'IAA. Dans ces conditions l’impact de la co-digestion sur la filière de traitement de la STEP est insignifiant. De plus, la filière d'évacuation des boues n’a pas besoin d'être modifiée.
Tableau 2 : Concentration en azote et phosphore des différents digestats (kg/m³)
N-NH₄⁺ | Nt | PO₄³⁻ | Pt | |
---|---|---|---|---|
Digestat de boues + graisses | 1,37 | 4,2 | 1,1 | 1,2 |
Digestat de boues | 1,35 | 4,4 | 1,05 | 1,3 |
Conclusions
La caractérisation de différents déchets organiques périurbains a mis en évidence l'intérêt des graisses d'IAA, des graisses de STEP et des déchets de restauration comme co-substrats pour la digestion anaérobie des boues de STEP. Les graisses d'IAA apparaissent d’autant plus intéressantes que leur apport en nutriments, susceptibles de retourner en tête de station et/ou d’être épandus, est très faible.
Suite à ces caractérisations, les travaux de co-digestion effectués lors de cette étude avec les boues de STEP et la graisse d'IAA montrent que les résultats obtenus en réacteur « batch » sont difficilement transférables pour prédire le fonctionnement d’un réacteur continu ou semi-continu, notamment du point de vue cinétique et inhibition. Pour autant, du fait de leur simplicité, ce type d’expérimentation « batch » est souvent utilisé pour l’étude de la co-digestion de différents substrats et les résultats obtenus remettent ainsi en cause différentes conclusions tirées à partir de celle-ci, notamment concernant le taux d’incorporation de graisse maximum qu’il est possible d’effectuer en co-digestion. Pour pallier ce problème de transposition et l’impossibilité d’effectuer le même nombre d’expérimentations en continu, la modélisation numérique des processus et procédés pourrait s’avérer, en complément des expérimentations « batch », intéressante et pertinente car elle permet de prendre en compte l’adaptation de la biomasse. Cela nécessite toutefois que la biomasse de l’inoculum utilisé pour les tests « batch » soit bien caractérisée.
À travers cette étude, d’autres substrats, notamment les refus de restauration et les graisses de STEP, apparaissent également intéressants pour la co-digestion avec les boues de STEP et devront donc être étudiés plus précisément.
Références bibliographiques
* Cirne D.G., Paloumet X., Björnsson L., Alves M.M., Mattiasson B. 2007. Anaerobic digestion of lipid waste – effects of lipid concentration. Renewable Energy, 32 : 965-975.
* Couturier C., Berger S. et Meiffren J. 2004. Digestion des boues urbaines. Agence de l'eau Adour Garonne et Solagro, 36 p.
* Moletta R. 2008. La méthanisation. Éditions TEC & DOC, Lavoisier, 532 p.
* Pereira M.A., Pires A.C., Mota M., Alves M.M. 2005. Anaerobic biodegradation of oleic and palmitic acids: evidence of mass transfer limitations caused by long chain fatty acid accumulation onto the anaerobic sludge. Biotechnol. Bioeng., 92(1): 15-23.