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Clarification de l'eau par membranes d'ultrafiltration : bilan d'une première année d'industrialisation

29 mai 1992 Paru dans le N°155 à la page 44 ( mots)
Rédigé par : Jean-jacques DOYEN, Céline DUMONT, Bernard CAPON et 1 autres personnes

En un an, la clarification-désinfection de l'eau par membranes telle qu'elle a été mise au point par les sociétés Lyonnaise des Eaux-Dumez et Degrémont a confirmé ses performances : leur filiale Aquasource fabrique maintenant des membranes de manière industrielle et réalise les installations qui les mettent en œuvre. Les trois éléments fondamentaux de la technologie sont désormais parfaitement maîtrisés : la fabrication d’une fibre creuse, résistante, parfaitement adaptée au traitement de l'eau, la réalisation d'un module de grande capacité et le procédé automatique de fonctionnement de l'installation. En 1991, cinq nouvelles stations ont été mises en service : Osselle (Doubs), Blomac (Aude), Sauve (Gard), Macao (Asie), Stonehaugh (Grande-Bretagne). L'année 1992 verra la mise en route d’au moins sept autres installations dont trois de grande capacité, réalisées en collaboration avec Degrémont, et une en milieu industriel.

* Aquasource.

** Degrémont.

[Photo : Une membrane]
[Photo : Un module]

Hier encore au stade de la prospective [1], le développement des installations de clarification-désinfection par membranes sur le marché français du traitement de l’eau est aujourd’hui devenu une réalité [2]. Deux raisons majeures, exposées ci-après, favorisent cette évolution.

La maturité technique

Deux installations ont servi de prototypes : Amoncourt (Haute-Saône, mise en service en 1988) [3], et Douchy (Loiret, mise en service en 1989) [4]. Elles ont fait l'objet d’un suivi régulier qui a confirmé les études faites en laboratoire. Par ailleurs, des essais-pilotes ont été menés en France et dans le monde sur des types d’eau très divers (d’autres sont en cours). En 1990, le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique délivre un agrément à Lyonnaise des Eaux-Dumez pour exploiter le procédé d’ultrafiltration par membranes organiques [5]. La phase industrielle est engagée. En 1991, la société Aquasource est créée par Lyonnaise des Eaux-Dumez et Degrémont qui lui confient un important portefeuille de brevets. Elle intègre les équipes qui ont développé la technologie et les produits de traitement,

recueillant ainsi le savoir-faire accumulé.

Consciente des besoins des collectivités, la nouvelle société développe deux gammes d’installations de traitement d’eau potable. La gamme des stations standardisées est destinée aux petites collectivités : elles sont équipées de 2, 4, 6 ou 8 modules d’ultrafiltration (chaque module produit entre 2 et 5 m³/h, selon les caractéristiques de l'eau brute). Cet effort de standardisation présente un certain nombre d’avantages : des automatismes communs à toutes les installations, une maintenance plus aisée, des délais de fabrication plus courts (cinq mois en général). Au-delà, la gamme des usines dites à « blocs » est destinée aux moyennes et grandes collectivités. Elle a été conçue en collaboration avec Degrémont, qui a développé une ingénierie spécifique à leurs besoins et qui prend en charge la réalisation de ces blocs de 10, 12 ou 14 modules. Mis en parallèle, ils permettent de produire 200 m³/h et plus.

Aujourd’hui, ces installations peuvent traiter trois catégories de ressources largement répandues sur notre territoire : les eaux souterraines, les eaux de rivière non contaminées par des pollutions chimiques d'origine industrielle ou agricole, les eaux de lacs et de barrages.

Les exigences nouvelles

L'application des nouvelles normes européennes est maintenant de rigueur en France. Les normes françaises sont parfois encore plus sévères sur certains paramètres. Si l'on dresse un rapide panorama de la qualité de l’eau potable, on peut dire qu’elle est bonne — en permanence — dans les grandes agglomérations. Les installations y sont sophistiquées, elles combinent de nombreux traitements, et un personnel compétent surveille les ressources, effectue les réglages de réactifs, etc. Par contre, les petites et moyennes collectivités doivent faire face à une situation différente. Elles appliquent souvent un traitement qui n’est pas suffisamment efficace pour respecter les normes. Lorsque les ressources sont soumises à des variations, l’eau n’est pas conforme. Les traitements classiques ne leur permettent pas d’assurer la permanence de la qualité même si elles mobilisent du personnel compétent. Une étude réalisée pour le compte du Ministère de l’Agriculture en 1988 appuie ce propos [6] : elle montre une forte corrélation entre le traitement appliqué à l'eau et la satisfaction des consommateurs. Interrogés sur la qualité de l'eau distribuée, ceux-ci émettent des opinions favorables dans deux cas de figure : lorsque l’eau ne subit aucun traitement ou lorsqu’elle subit un traitement complexe. Cela prouve bien que les traitements intermédiaires sont défaillants et que les consommateurs le perçoivent, notamment sur le plan du goût, des odeurs, et de la limpidité. Plus généralement, leur méfiance se traduit par une forte augmentation des ventes d’eau en bouteille, dont la consommation a augmenté de 11 % entre 1989 et 1990.

Rappels techniques

La membrane d'ultrafiltration d’Aquasource (fabriquée dans son centre de production de Toulouse) est un dérivé cellulosique relativement hydrophile. Son seuil de coupure est de 0,01 micron (soit 100 000 à 300 000 Daltons). Il s’agit d’une fibre creuse d’environ 1 mm de diamètre interne (figure 1). Elle est dite à « peau interne » parce que l'eau brute circule à l'intérieur de la fibre alors que l'eau traitée est recueillie à l'extérieur. Pour réaliser un « module », on assemble plusieurs milliers de fibres dans une grosse cartouche cylindrique de 1,30 m de long et 30 cm de diamètre (figure 2). Les principales caractéristiques de cette membrane résident dans sa très bonne résistance mécanique et chimique (notamment au chlore). Les essais de vieillissement accéléré ont permis d’estimer la durée de vie d’une fibre à plus de 5 ans (8 ans plus probablement).

Le procédé consiste en une simple filtration physique sans aucun ajout de réactif chimique. L’eau brute est envoyée dans le module sous une faible pression (0,5 à 1,5 bar). Elle traverse la paroi poreuse des fibres creuses. Les impuretés se concentrent à l'intérieur de la fibre : en fait, tous les éléments dont la taille dépasse le seuil de coupure de 0,01 micron sont retenus de façon systématique ; en d'autres termes, matières en suspension, bactéries, virus, parasites animaux (tels que les œufs d’helminthes ou les kystes de Giardia), algues, pollens, colloïdes, et une partie des macro-molécules organiques sont en permanence éliminés. Par rapport à la microfiltration, dont le pouvoir de coupure est de l’ordre de 0,2 micron, l'ultrafiltration offre une rétention complète de toutes les substances particulaires présentes dans l'eau ainsi qu’une moindre sensibilité au colmatage. Cependant, il faut noter que les composés dissous passent à travers les membranes : nitrates, pesticides, matières organiques de faible poids moléculaire, acides humiques ou fulviques, composés responsables de la couleur qui ne sont éliminables que par des membranes d’osmose inverse ou de nanofiltration [7]. Pour certains d’entre eux, des traitements combinés apportent une réponse adaptée : charbon actif en poudre ajouté à l'eau brute avant la filtration pour éliminer les pesticides et abaisser le taux de matières organiques par exemple [8]. Les impuretés accumulées sur la « peau », partie active de la membrane, constituent un « gâteau » qui s'oppose progressivement au flux traversier ; en outre, les molécules dont la taille est voisine de pores ont tendance à pénétrer et à s’arrêter à l'intérieur des pores de la membrane. Pour s’opposer à ces deux phénomènes, on met en œuvre les deux solutions ci-après.

La filtration avec recirculation :

si l’eau est peu chargée en colloïdes et/ou matières organiques, elle se présente devant la membrane sans mouvement latéral autre que celui nécessité par la répartition de l’eau brute le long de la fibre : c’est la filtration dite « frontale ». Dès que la charge de l’eau brute provoque la formation du gâteau, l'eau est recyclée dans une boucle de « recirculation ». Seule une fraction du débit alimentant le module est filtrée. Le reste assure une vitesse de balayage, le long de la membrane, inférieure ou égale à 1 m/s. Le gâteau est ainsi érodé en permanence et atteint rapidement un seuil d’équilibre alors qu’en mode frontal il s'épaissit sans cesse. Ce mode de fonctionnement avec recirculation est aussi appelé « filtration tangentielle ». Dans les faits, les installations fonctionnent sur le mode frontal et sur le mode tangentiel en fonction des caractéristiques de l’eau brute.

[Photo : Le procédé]

Le mode frontal permet de réaliser des économies d’énergie. C’est l’automate qui commande le changement de mode.

Le rétro-lavage : le gâteau et les molécules s’étant accumulés dans les pores doivent être éliminés périodiquement. De l’eau propre est envoyée à travers les membranes en sens inverse de la filtration. Pendant toute la durée de cette phase, une vanne de purge est ouverte. L’eau de rétrolavage est chlorée [2].

Enfin, il est parfois nécessaire d’avoir recours à un lavage plus poussé avec un produit lessiviel spécialement adapté à la membrane. Ce lavage exceptionnel, suivi d’un rinçage, dure environ quatre heures. Il doit être réalisé une fois par an sur des eaux souterraines et d’une à quatre fois par an sur les eaux superficielles.

Les installations sont gérées par pilotage automatique ; l’absence de coagulant ou d’un quelconque réglage en fonction des variations de la ressource réduit très fortement la maintenance : elle est réduite à une heure par semaine environ. La mise en marche et l’arrêt sont déclenchés par la demande en eau.

Études de cas concrets

Les quatre monographies qui figurent ci-après permettent d’apprécier la diversité des domaines d’application de ce nouveau procédé dans les stations de Blomac, Osselle, Stonehaugh et Sauve.

BLOMAC (Aude) 200 habitants

Station équipée de deux modules d’ultrafiltration, installée dans l’ancien château d’eau. La filtration s’effectue alternativement sur le mode frontal et sur le mode tangentiel. L’automate décide du mode de filtration en fonction de la charge de l’eau brute.

Débit : 8 m³/h.

La ressource : une eau de surface, l’Aude.

Ses caractéristiques : fortes variations de turbidité, pollution bactériologique, matières organiques.

Le traitement antérieur : l’eau était captée dans la nappe d’accompagnement de l’Aude. Elle subissait une simple chloration. Pendant l’été 1990, la nappe s’est épuisée.

Le traitement actuel : une clarification-désinfection par membranes d’ultrafiltration suivie d’une filtration sur charbon actif en grains pour l’élimination des composés organoleptiques responsables des mauvais goûts générés par la forte présence de matières organiques dans l’eau brute.

Performances : élimination totale de la turbidité, qui est en permanence inférieure à 0,2 NTU, et de la pollution bactériologique.

Remarque : la station fonctionne en moyenne 10 heures par jour. L’exploitant y consacre une heure par semaine.

Maître d’œuvre : Lyonnaise des Eaux-Dumez, Direction régionale Languedoc-Pyrénées.

Maître d’ouvrage : Commune de Blomac.

[Photo : Station équipée de deux modules d’ultrafiltration, installée dans l’ancien château d’eau. La filtration s’effectue alternativement sur le mode frontal et sur le mode tangentiel.]

OSSELLE (Doubs) 360 habitants

Station équipée de deux modules d’ultrafiltration. La filtration s’effectue alternativement sur le mode tangentiel et sur le mode frontal.

Débit : 8 m³/h.

La ressource : une source alimentée par les eaux d’un plateau karstique.

Ses caractéristiques : la source subit d’importantes variations sur le plan de la bactériologie et de la turbidité. En ce qui concerne la bactériologie, on y a récemment relevé les concentrations suivantes :

Coliformes thermotolérants : 1 000 pour 100 ml.

Streptocoques fécaux : 100 pour 100 ml.

La turbidité peut atteindre 270 NTU pendant deux jours consécutifs lors des périodes pluvieuses.

Le traitement antérieur : une simple désinfection au chlore.

Le traitement actuel : une clarification-désinfection par membranes d’ultrafiltration.

Performances : turbidité inférieure à 0,2 NTU en permanence et élimination totale de la pollution bactériologique.

Remarque : la surface du bâtiment qui abrite la station et sa cuve de rétrolavage est de 28 m² (7 m x 4 m).

Maître d’œuvre : Cabinet d’études André (Pontarlier).

Maître d’ouvrage : Commune d’Osselle.

[Photo : Station équipée de deux modules d’ultrafiltration.]

SAUVE (Gard) 1 600 habitants

L’installation : un bloc de dix modules d’ultrafiltration.

[Photo : L’installation : un bloc de dix modules d’ultrafiltration.]

La filtration s’effectue sur le mode frontal.

Débit : 80 m³/h.

La ressource : captage d’une résurgence alimentée par des pertes de rivières (Vidourle et Rieu Massec) et par des eaux de pluie qui tombent dans des calcaires fortement karstifiés.

Ses caractéristiques : qualité variable. La turbidité moyenne est de l’ordre de 5 NTU ; elle atteint 100 NTU en période pluvieuse. On remarque des concentrations en aluminium significatives et très supérieures à la norme.

Le traitement antérieur : une simple désinfection au chlore.

Le traitement actuel : une clarification-désinfection par membranes.

Performances : turbidité inférieure à 0,2 NTU en permanence.

Remarque : la consommation électrique s’élève à 0,295 kWh par m³ produit.

Maître d’œuvre : Lyonnaise des Eaux-Dumez, Direction régionale Languedoc-Pyrénées.

Maître d’ouvrage : Commune de Sauve.

STONEHAUGH (Grande-Bretagne) 50 habitants

[Photo : Station pilote équipée de trois modules de petit diamètre (10 cm).]

La filtration s’effectue sur le mode tangentielle.

Débit : 2,3 m³/h.

La ressource : un forage à 30 mètres de profondeur.

Ses caractéristiques : pollution bactériologique, fer = 3 mg/l, manganèse = 0,35 mg/l.

Le traitement antérieur : une simple désinfection au chlore.

Le traitement actuel :

  • - une préoxydation réalisée par aération à saturation d’oxygène suivie d’une injection de permanganate de potassium,
  • - une clarification-désinfection par membranes d’ultrafiltration.

Performances : bactériologie = 0, fer : < de 0,02 mg/l (norme = 0,2), manganèse : < de 0,02 mg/l (norme = 0,05).

Remarque : le premier lessivage des membranes a été effectué après dix mois de fonctionnement.

Conclusion

L’utilisation des membranes demande une très bonne connaissance de la ressource, et en particulier de sa variabilité. C’est ainsi que la technologie bien appliquée fait la preuve de son efficacité et de sa fiabilité : puisque les impuretés sont systématiquement arrêtées quelles que soient les variations de la ressource, l’eau traitée est en permanence conforme aux normes européennes. Une précédente communication [2] faisait état, il y a environ un an, de neuf installations équipées de ce procédé. Elles sont maintenant au nombre de 14 en fonctionnement, et plusieurs autres sont en cours de montage. Les exploitants, comme les consommateurs, ont remarqué les gains de qualité obtenus. Tous les résultats d’analyse bactériologique de l’eau ultrafiltrée sont entièrement satisfaisants. Au goût, l’eau est bien meilleure, comme en ont témoigné les habitants de Sauve au cours d’une enquête : ils déclarent ne plus acheter d’eau en bouteille.

La France fait désormais figure de pionnier mondial en matière d’application de ces nouvelles membranes d’ultrafiltration à la potabilisation des eaux douces continentales (le dessalement par membranes d’osmose inverse est une technique éprouvée depuis de nombreuses années). Les spécialistes nord-américains s’intéressent à leur tour à cette technique car ils doivent faire face à des normes d’une sévérité croissante [9].

C’est ainsi que la clarification-désinfection par membranes répond aux demandes du marché. Mais ce véritable tournant technologique implique un certain nombre d’évolutions dans les métiers de l’eau. Cela concerne tout d’abord les analyses qui doivent être développées de façon significative et pour deux raisons : le contrôle de la qualité de l’eau distribuée, alors que les consommateurs sont inquiets, une meilleure connaissance des ressources pour bien adapter le traitement et, le cas échéant, réaliser un dimensionnement optimal de l’installation à membranes. Les appels d’offres, quant à eux, doivent aussi être cohérents avec ces nouvelles exigences, en insistant sur les analyses, la permanence de la conformité de l’eau traitée avec les normes européennes et en tenant compte des nouvelles technologies mises à la disposition des collectivités.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Bersillon J.-L., Leprince A, et Klagba W. (1984), Membranes et traitement de l’eau potable : remarques prospectives. L’eau, l’industrie, les nuisances, n° 85, p. 43-45.

[2] Vial D. (1991), L’eau de source retrouvée. L’eau, l’industrie, les nuisances, n° 146, p. 34-36.

[3] Bersillon J.-L. et al. (1989), L’ultrafiltration appliquée au traitement de l’eau potable : le cas d’un petit système. L’eau, l’industrie, les nuisances, n° 130, p. 61-64.

[4] Thébault P., Bersillon J.-L. (1990), Les membranes de l’eau potable, l’eau claire pour l’an 2000 à Douchy. TSM L’eau, n° 85 (5), p. 253-260.

[5] Ministère de la Santé, de la Solidarité et de la Protection sociale, Direction Générale de la Santé (1990). Traitement des eaux destinées à la consommation humaine — procédé d’ultrafiltration sur membranes BCDA (Société Lyonnaise des Eaux). DGS/PGE/1-D, n° 356, 27 février.

[6] Boistard P., Balay D. (1991), Le service public de distribution d’eau, le point de vue des consommateurs. TSM L’eau, n° 86 (12), p. 569-577.

[7] Tan L. et Sudak R.-G. (1992), Removing color from a groundwater source. Jour. AWWA, n° 84 (1), p. 79-87.

[8] Laine J.-M., Clark M.-M., Mallevialle J. (1990), Ultrafiltration of a lake water: effect of pretreatment on the partitioning of organics, trihalomethane formation potential and flux. Jour. AWWA, n° 82 (12), p. 82-87.

[9] Wiesner M.-R. et al. (1992), Committee report: membrane processes in potable water treatment. Jour. AWWA, n° 84 (1), p. 59-67.

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