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Cinétique d'élimination du phénol et de l'orthochlorophénol

30 avril 1997 Paru dans le N°201 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : M.-malam ALMA, G. MATEJKA et P. CHAZAL

Les expériences ont consisté à prendre des solutions de concentrations variées de phénol et d'orthochlorophénol (O.C.P) avec lesquelles on remplit les filtres. Les expériences ont été effectuées en régime non dynamique après que la biodégradabilité du phénol et de l'OCP eût été auparavant vérifiée. Des prélèvements en entrée et en sortie des filtres sont effectués à différents temps (de 5 à 30 minutes), et les échantillons bruts sont dosés en spectrophotométrie à 270 nm pour le phénol et 273,6 nm pour l'OCP. Pour ce type d'expériences en régime non dynamique, la concentration du composé est la même à chaque point des filtres alors qu'en régime dynamique il y a variation de la concentration de la molécule biodégradée à chaque niveau des filtres. L'expérience aurait pu être réalisée en flacon avec les bactéries isolées des filtres après les cycles de bioélimination du phénol et de l'OCP sur sable et sur polstyrène, mais l'intérêt de travailler directement sur les filtres permet de faire participer toutes les bactéries présentes dans le processus de dégradation et de tirer des v aleurs de paramètres cinétiques plus conformes aux conditions expérimentales. Les prélèvements ont été effectués à des temps courts (de 5 à 30 minutes au lieu de 24 heures pendant les expériences de suivi continu) pour vérifier le mode d'utilisation des composés phénolés après une période d'accoutumance des bactéries aux composés phénolés. La constante cinétique d'élimination du phénol est d'ordre 0 par rapport à ce composé, en ce qui concerne l'orthochlorophénol la cinétique d'élimination est d'ordre 1 ou 2 en fonction des concentrations utilisées.

La pollution industrielle par les produits de type phénol du milieu naturel ou des eaux de consommation urbaine représente aujourd’hui un grand danger pour l’environnement. Ces produits sont en général très toxiques et peuvent générer à la suite des traitements physico-chimiques des sous-produits encore plus toxiques (Schmidt et al., 1976, 1975). De nombreux travaux ont été entrepris en vue d’éliminer ces polluants par voie microbienne. Pour des composés de type phénol chlorés, des études ont montré qu’ils sont éliminés par voie cométabolique après déshalogénation. Ainsi Markus et al. (1986) ont observé une déshalogénation du 2,4,5-trichlorophénol sans rupture du cycle. Les travaux de Schmidt et al. (1987) sur le 3,5-dichlorophénol ont montré que cette déshalogénation peut intervenir après l’ouverture du cycle benzénique. Des bactéries comme Rhodococcus chlorophénolicus ont été reconnues capables de dégrader le pentachlorophénol en menant une déshalogénation en aérobiose conduisant au 1,2,4-trihydrobenzène et dérivés qui peuvent être entièrement minéralisés au bout d’un temps assez long (Pelmont, 1993).

[Photo : Dispositif de filtration]

en flacons avec des sols contenant un mélange de souches bactériennes ont été réalisés. Smith et Novak (1987) ont mis en évidence la biodégradation de cinq composés en utilisant des sols provenant des sites de Pennsylvanie et Virginie prélevés à une profondeur de 31 m. Il ressort de cette étude que l’ordre de biodégradation est le suivant : phénol = orthochlorophénol > 2,4,6 trichlorophénol > 2,4 dichlorophénol. Quant au pentachlorophénol il présente une très faible vitesse de dégradation.

Dans des réacteurs discontinus aérés contenant des sols, des micro-organismes et du milieu nutritif, Alexander et Aleem (1961) ont pu éliminer des chlorophénols et phénol. Ils en ont déduit que les chlorophénols ayant un chlore en position méta par rapport au groupement hydroxyl ne sont pas attaqués, ceci a été confirmé par Alexander et Mac Rae (1965).

C’est en 1980 que Baker et Mayfield ont étudié plus en détail la biodégradabilité des chlorophénols et phénol dans des conditions aérobies et anaérobies. Ainsi ils ont montré qu’à une température de 23 °C le phénol, l’orthochlorophénol, le parachlorophénol, les 2,4 et 2,6 dichlorophénol et le 2,4,6 trichlorophénol utilisés tous à une concentration de 100 mg/ml sont rapidement éliminés en présence d’oxygène par les bactéries. Par ailleurs plusieurs souches bactériennes comme Pseudomonas putida (Hill et Robinson, 1975) sont capables d’éliminer le phénol.

On voit que les bactéries, après un temps d’adaptation, sont capables d’utiliser des polluants organiques comme source de carbone donc de les biodégrader. Ce travail se propose d’étudier les cinétiques d’élimination de certains composés de type phénol.

Matériels et méthodes

Les composés choisis dans cette étude sont le phénol et l’orthochlorophénol (OCP). L’élimination de ces deux produits a été d’abord établie sur les filtres biologiques à sable et à polystyrène. Puis des concentrations variées de ces polluants mélangés avec de la solution nutritive ont été testées. Pour chacune d’elles on remplit les filtres puis on effectue des prélèvements en sortie à différents temps (toutes les 5 minutes pour le phénol, toutes les 10 ou 30 minutes pour l’orthochlorophénol en fonction de la concentration utilisée).

On étudie la variation de la concentration des polluants en fonction du temps.

Le dispositif de filtration utilisé est représenté à la figure 1.

Deux colonnes de filtration de 120 cm de hauteur et de 5 cm de diamètre ont été utilisées. L’une contient comme matériau le sable ; l’autre contient du polystyrène. La hauteur des lits filtrants est de 70 cm ; les colonnes sont ensemencées à partir de l’eau de la station d’épuration de Limoges dans un premier temps. Après 48 heures, l’ensemencement a été arrêté et la multiplication de la biomasse fixée a été assurée à partir d’une préparation contenant du glucose et de la solution nutritive pendant un mois. Le glucose a été choisi parce qu’il fait partie des composés facilement assimilables par les bactéries. Des ajouts croissants des concentrations en glucose (de 0,5 à 4 mgC de glucose) mélangés avec la solution nutritive ont été effectués toutes les 24 heures pour permettre une bonne croissance de la microflore bactérienne dans les filtres. L’apport en oxygène est assuré par un bullage dans la solution d’alimentation des filtres.

Les caractéristiques des réacteurs sont données au tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques des filtres

Paramètres

Paramètres Valeurs
volume du réacteur (cm³) 1 113 (sable) ; 1 113 (polystyrène)
porosité ε 0,40 (sable) ; 0,25 (polystyrène)
volume de vide (cm³) 445 (sable) ; 278 (polystyrène)
diamètre du matériau dp (cm) 0,25 (sable) ; 0,04 (polystyrène)
débit de filtration Q (cm³/h) 230 (sable) ; 230 (polystyrène)
temps de rétention dans les pores Vw/Q (min) 116 (sable) ; 725 (polystyrène)
vitesse du fluide dans les pores v (cm/jour) 869 (sable) ; 1 390 (polystyrène)
densité du matériau 0,8 (sable) ; 2,5 (polystyrène)
surface spécifique du matériau (m²/m³) 2 400 (sable) ; 15 000 (polystyrène)
coefficient d’uniformité du matériau 2,3 (sable) ; 2,3 (polystyrène)
température (°C) 25 ± 2 (sable) ; 25 (polystyrène)

La composition de la solution nutritive est donnée dans le tableau 2.

Tableau 2 : Composition de la solution nutritive (g L⁻¹)

Composé Concentration
Na₂HPO₄·12 H₂O 17
KH₂PO₄ 2,8
MgSO₄·7 H₂O 2,5
CaCl₂·6 H₂O 0,25
NH₄Cl 0,2
FeCl₃ 0,15
Na₂CO₃ 1

La préparation de la solution nutritive respecte les conditions de la norme Afnor NF T 90-103, le pH est de 7 ± 0,2. Cette solution nutritive est utilisée dans le dosage relatif à la détermination de la demande biochimique en oxygène (DBO₅).

Les analyses effectuées sont :

– teneur en polluant : Les analyses sont réalisées au spectrophotomètre à détection UV (Shimadzu UV-160 A). Les longueurs d’onde sont les suivantes : 270 nm pour le phénol et 273,6 nm pour l’orthochlorophénol.

– teneur en biomasse

[Photo : Figure 2a - Cinétique de biodégradation du phénol sur sable]

Elle se fait directement à partir du biofilm sous forme de COT. À la fin de chaque cycle de biodégradation, 3 échantillons de 2 cm de biofilm prélevés en début, milieu et fin de biofilm sont ajoutés à 3 ml d’eau distillée. Après agitation pour remise en suspension des bactéries par sonication, les échantillons sont analysés au Dohrman analyzer DC 80 pour la détermination du carbone organique total.

Résultats

Le pH des solutions est de 7 ± 0,2 en entrée et de 6,5 ± 0,2 en sortie. L’oxygène dissous est de 9,8 ± 0,2 mg L⁻¹ à l’entrée et de 8,5 ± 0,2 mg L⁻¹ en sortie.

Phénol

Pour le filtre à sable, les concentrations testées sont : 1,5 ; 2,5 ; 3,5 ; 5,5 ; 7,5 ; 9 ; 10 mg L⁻¹. La variation de la concentration du phénol en fonction du temps est donnée à la figure 2a.

En ce qui concerne le filtre à polystyrène, les concentrations sont : 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 5 ; 6 mg L⁻¹. Les résultats sont donnés à la figure 2b. Pour des concentrations de phénol variant de 1,5 à 7,5 mg L⁻¹ sur filtre à sable et de 1 à 4 mg L⁻¹ sur filtre à polystyrène, on constate que la variation de la concentration de ce composé en fonction du temps est linéaire ; ce qui semble indiquer que la cinétique de bioélimination du phénol est d’ordre 0 par rapport à ce composé et pour ces concentrations, c’est-à-dire que les bactéries biodégradent le phénol indépendamment de sa concentration. À partir de 9 mg L⁻¹ de phénol pour le filtre à sable et 5 mg L⁻¹ pour celui à polystyrène, la variation de la concentration de phénol en fonction du temps n’est plus linéaire mais a une allure curviligne qui montre que la cinétique de bioélimination de ce composé n’est pas d’ordre 0.

Les constantes cinétiques obtenues à partir des pentes des droites sont données aux tableaux 3a et 3b respectivement pour le filtre à sable et à celui polystyrène.

Tableau 3a : Constantes cinétiques de bioélimination du phénol sur sable

phénol (mg L⁻¹) : 1,5 | 2,5 | 3,5 | 5,5 | 6,5 | 7,5
K : 0,062 | 0,065 | 0,083 | 0,087 | 0,087 | 0,085
R : 0,999 | 0,998 | 0,985 | 0,989 | 0,990 | 0,997

Tableau 3b : Constantes cinétiques de bioélimination du phénol sur polystyrène

phénol (mg L⁻¹) : 1 | 2 | 3 | 4
K : 0,074 | 0,083 | 0,084 | 0,089
R : 0,995 | 0,999 | 0,981 | 0,994

Lorsque la cinétique de bioélimination du phénol est 0 par rapport au phénol, la constante de vitesse est en moyenne de 0,08.

Ortho­chlorophénol

Pour des concentrations variant de 1,5 à 1 mg L⁻¹, aussi bien sur sable que sur polystyrène, le tracé de log [OCP] en fonction du temps est donné respectivement aux figures 3a et 3b.

Le tracé de log [OCP] en fonction du temps est linéaire aussi bien sur sable que sur polystyrène, ce qui semble indiquer que la cinétique de bioélimination de ce composé est d’ordre 1 par rapport à l’OCP, donc dépendante de sa concentration.

Les constantes cinétiques tirées de ces deux expériences à partir des pentes des droites sont données au tableau 4.

La constante cinétique de bioélimination de l’OCP, aussi bien sur sable que sur polystyrène, est en moyenne de 0,02 min⁻¹.

Pour les concentrations supérieures à 1 mg L⁻¹, le tracé de 1/[OCP] en fonction du temps est donné aux figures 4a et 4b respectivement pour le filtre à sable et à polystyrène. La variation de 1/[OCP] en fonction du temps est linéaire aussi bien sur sable que sur polystyrène, ce qui semble indiquer que, pour les gammes de concentrations utilisées, la cinétique d’élimination de l’OCP est d’ordre 2.

Les constantes de vitesse tirées des pentes des droites sont données aux tableaux 5a et 5b respectivement pour le filtre à sable et à polystyrène.

On constate que les valeurs des constantes

[Photo : Figure 3a : Cinétique de biodégradation de l’OCP sur sable (0,5 à 1 mg.L⁻¹)]
[Photo : Figure 3b : Cinétique de biodégradation de l’OCP sur polystyrène (0,5 à 4 mg.L⁻¹)]

cinétiques diminuent avec l’augmentation de la concentration en OCP.

Discussion générale

Phénol

Les travaux de Simkins et de Alexander (1984) ont montré que l’ordre des réactions de biodégradation dépend du rapport entre la concentration de la molécule à dégrader et la concentration de la biomasse dans le milieu (S₀/X₀). Lorsque ce rapport est faible (faible quantité de substrat, forte quantité de biomasse), la cinétique de réaction peut être d’ordre 0 à condition que l’affinité de l’enzyme soit grande pour le composé à éliminer. Dans le cadre de cette étude, les expériences des cinétiques de bioélimination se déroulent sur des biofilms (bactéries fixées sur sable ou sur polystyrène) accoutumées au phénol et dont les bactéries constituées se sont avérées efficaces dans son élimination en régime dynamique.

La détermination de la quantité de biomasse fixée sur les matériaux à la fin du cycle de bioélimination a donné les résultats suivants : 22,4 mgC.L⁻¹ pour le filtre à sable, et 14,3 mgC.L⁻¹ pour le filtre à polystyrène. Le rapport entre les quantités de phénol pour lesquelles la variation de la concentration en fonction du temps est linéaire (1,5 à 7,5 mg.L⁻¹ pour le filtre à sable, soit 1,15 à 5,74 mgC.L⁻¹ ; et 1 à 4 mg.L⁻¹ pour le filtre à polystyrène, soit 0,76 à 3,1 mgC.L⁻¹) et la quantité de la biomasse fixée sur les matériaux est au maximum égale à 2,5·10⁻¹ pour le filtre à sable et 2·10⁻¹ pour le filtre à polystyrène. Ce rapport est petit puisqu’il est considéré comme faible pour les valeurs inférieures à 2 (Simkins et Alexander, 1984). Ceci pourrait expliquer le fait que la cinétique de bioélimination de phénol soit d’ordre 0 pour les concentrations variant de 1,5 à 7,5 mg.L⁻¹ pour le filtre à sable et de 1 à 4 mg.L⁻¹ pour celui à polystyrène.

Cependant il est essentiel de s’assurer que la quantité de la biomasse (X₀) ne varie pas en fonction du temps pour les concentrations de phénol utilisées aussi bien sur sable que sur polystyrène. Les travaux de Chudoba (1992) ont montré que lorsque le rapport S₀/X₀ est faible, les bactéries ne peuvent se multiplier car elles ne disposent pas d’énergie suffisante pour la synthèse des enzymes spécifiques, toutes les activités bactériennes sont orientées vers les opérations de maintenance.

Du point de vue enzymatique, pour qu’une réaction soit d’ordre 0, il faut à chaque fois que l’enzyme est libre qu’elle soit complexée par le substrat pour permettre un renouvellement quasi-continu du complexe enzyme–substrat (ES) lequel donnera le produit (P). Au cours du cycle de bioélimination de phénol sur sable et sur polystyrène qui a duré plusieurs jours, des bactéries ont résisté à cette molécule et par la suite l’ont utilisée comme substrat pour la croissance et leur maintenance. L’adaptation bactérienne aux conditions extérieures se fait en général par mutation.

Cette dernière peut transformer les gènes des bactéries qui au départ étaient des gènes inductibles en gènes constitutifs, c’est-à-dire synthétisés d’une manière continue par les bactéries ; ce genre de mutation est appelé mutation constitutive (Pelmont, 1993). Pour expliquer le fait que la cinétique de bioélimination du phénol soit d’ordre 0, on peut émettre l’hypothèse de ce genre de mutation. Ainsi donc les bactéries synthétiseraient les enzymes responsables de la dégradation du phénol d’une manière continue et sans être soumises à la régulation.

Tableau 4 : Constantes cinétiques de bioélimination de l’OCP sur sable et sur polystyrène (0,5 à 1 mg.L⁻¹)

Filtre à sable
OCP (mg.L⁻¹)K₁ (min⁻¹)
Filtre à polystyrène
OCP (mg.L⁻¹)K₁ (min⁻¹)
R

Tableau 5a : Constantes cinétiques de bioélimination de l’OCP sur sable (2 à 14 mg.L⁻¹)

OCP (mg.L⁻¹)Constante 10⁻¹ l/mg/min
22,89
48,22
75,36
105,61
140,89
R≥ 0,50,4150,9860,9960,9980,999
[Photo : Figure 4a : Cinétique de biodégradation de l’OCP sur sable de 2 à 14 mg · L⁻¹]
[Photo : Figure 4b : Cinétique de biodégradation de l’OCP sur polystyrène de 2 à 9 mg · L⁻¹]

Le complexe enzyme-phénol se forme presque instantanément. Aux faibles concentrations de phénol, ce sont les bactéries proches de la surface qui interviennent ; lorsque la concentration augmente, les bactéries situées en profondeur entrent en action, de telle sorte que le complexe enzyme-substrat se forme et se renouvelle de manière continue jusqu’à une certaine concentration en phénol (5 mg · L⁻¹ pour le filtre à polystyrène, 9 mg · L⁻¹ pour celui à sable), à partir de laquelle un phénomène d’inhibition apparaît ; il est dû soit à un excès de substrat par rapport à la quantité d’enzyme disponible, soit aux sous-produits engendrés par le métabolisme du phénol, qui peuvent être toxiques pour les bactéries.

L’inhibition par excès de substrat peut s’expliquer par le fait que celui-ci se loge dans le site actif de l’enzyme avec une orientation anormale, empêchant la réaction de se poursuivre ; ou bien il réagit avec des zones de l’enzyme en dehors du site actif, provoquant des désordres réactionnels (Pelmont, 1993).

Orthochlorophénol

Pour des concentrations variant de 0,5 à 1 mg · L⁻¹, sur sable comme sur polystyrène, la cinétique de bioélimination est d’ordre 1 par rapport à l’OCP. Du point de vue enzymatique, lorsqu’une réaction est d’ordre 1, cela signifie que les enzymes impliquées sont des enzymes inductibles, synthétisées uniquement lorsque la concentration du composé à dégrader atteint un certain seuil. La cinétique de bioélimination de l’OCP étant d’ordre 1 dans cette gamme de concentrations, on peut supposer que les enzymes spécifiques de sa bioélimination sont inductibles. D’après Larson (1984), l’ordre 1 d’une réaction enzymatique apparaît lorsque le rapport entre la concentration de la molécule à dégrader et la concentration de biomasse dans le milieu est faible (So/Xo faible) et que l’affinité des enzymes spécifiques pour le composé est faible.

Dans notre cas, les concentrations utilisées (≈ 1 mg · L⁻¹) sont faibles par rapport à la biomasse présente (17 mgC · L⁻¹ pour le filtre à sable, 11 mgC · L⁻¹ pour celui à polystyrène, à la fin du cycle de bioélimination en régime dynamique). En outre, l’affinité des enzymes spécifiques de dégradation de l’OCP peut être faible ; en effet, pour qu’une enzyme ait une grande affinité pour son substrat, il faut qu’un maximum de liaisons se contracte entre eux (Pelmont, 1993).

La présence de chlore dans le noyau aromatique de l’OCP réduit la diffusion de ce composé vers les sites catalytiques de l’enzyme, comparativement au phénol (coefficients de diffusion : phénol = 0,28 cm·jour⁻¹ ; OCP = 0,25 cm·jour⁻¹). Par son caractère nucléophile, le chlore pourrait également empêcher l’établissement des liaisons enzyme–substrat, ce qui expliquerait la déchloration observée lors de l’élimination de l’OCP. Lorsque la concentration d’OCP augmente, la cinétique de bioélimination devient d’ordre 2 à partir de 2 mg · L⁻¹, tant sur sable que sur polystyrène.

Tableau 5b : Constantes cinétiques de bioélimination de l’OCP sur polystyrène (2 à 9 mg · L⁻¹)

OCP (mg · L⁻¹)2579
k (10⁻² min⁻¹)28,910,27,62,7
V (mg · min⁻¹)0,33 ± 0,020,30 ± 0,030,30 ± 0,050,50
R0,9680,9780,9870,997

Références Bibliographiques

Alexander M. and Aleem M.I.H., 1962. Introduction of soil microbiology, J. Agr. Food, 9, 44.

Alexander M. and Mac Rae, 1965. Microbial degradation of selected herbicides in soil, Appl. Environ. Microb., 18, 106.

Baker M. D. and Mayfield C.I., 1980. Microbial and nonbiological decomposition of chlorophenols and phenol in soil, Water Air Soil Pollut., 13, 411-424.

Chudoba P., Capdeville B. and Chudoba J., 1992. Explanation of biological meaning of the θo/Xo ratio in batch cultivation, Water Sci. Technol., 26, 743-752.

Hill G. A. et Robinson C.W., 1975. Substrate inhibition kinetics: phenol degradation by Pseudomonas putida, Biotechnol. and Bioeng., 17, 1599-1615.

Larson R. J., 1984. Kinetic and ecological approaches for predicting biodegradation rates of xenobiotic organic chemicals in natural ecosystems, Current perspectives in microbial ecology, 677-686, Klug M. J. and Reedy C. A., Edit. ASM, Washington.

Markus A., Krekel D., Lingens F., 1986. Purification and some properties of component A of the 4-chlorophenylacetate 3,4 dioxygenase from Pseudomonas species strain CBS, J. Biol. Chem., 261, 12883-12888.

Pelmont J., 1993. Bactéries et environnement, adaptations physiologiques, 719-722. Edit. Presses Universitaires de Grenoble.

Simkins S. and Alexander M., 1984. Models for mineralization kinetics with the variable of substrate concentration and population density, Appl. Environ. Microbiol., 47, 1299-1306.

Smith J. A. and Novak J. T., 1987. Biodegradation of chlorinated phenols in subsurface soil, Water Air Soil Pollut., 33, 29-42.

Smith J. G., Lee S. F. and Netzer A., 1975. Chlorination in dilute aqueous systems: 2,4,6-trichlorophenol, Environ. Lett., 10, 47-52.

Smith J. G., Lee S. F. and Netzer A., Model studies in aqueous chlorination – the chlorination of phenol in dilute aqueous solutions, Wat. Res., 10, 985-990.

Sulfita J. M., Robinson J. A. and Tiedje J. M., 1983. Kinetics of microbial deshalogenation of haloaromatic substrate in methanogenic environments, Appl. Environ. Microbiol., 45, 1466-1473.

Cependant on constate que les valeurs des constantes changent (elles diminuent) avec l’augmentation de la concentration. Des études ont montré que la biodégradation des molécules aromatiques chlorées passe par une déshalogénation (Schmidt et Novak, 1987 ; Markus et al., 1986 ; Sulfita et al., 1983). Dans l'hypothèse où les bactéries enlèvent l’atome de chlore, chaque molécule d’OCP donnerait une autre molécule aromatique non chlorée. Ainsi dans le milieu, il y aurait deux molécules, l’une chlorée, l’autre non chlorée, ce qui expliquerait que la cinétique de bioélimination devienne d’ordre 2. La diminution des valeurs des constantes cinétiques avec l’augmentation de la concentration de l’OCP pourrait s’expliquer d'abord par le fait que la concentration des sous-produits du métabolisme de l'OCP augmente avec la concentration de ce composé et qu’ils deviennent de plus en plus toxiques pour les bactéries, il pourrait y avoir ensuite un phénomène de compétition pour le même site catalytique des enzymes spécifiques de la biodégradation de l'OCP entre la molécule de l'OCP et la molécule issue de la déchloration de ce composé ; dans ce cas il y aurait une baisse progressive de l’activité catalytique de l’enzyme spécifique de l’OCP qui entraînerait une diminution des constantes cinétiques de bioélimination de l'OCP.

Conclusion

Les expériences de détermination des constantes cinétiques montrent que les modes d'utilisation du phénol et de l’ortho-chlorophénol par les bactéries ne sont pas les mêmes. Le phénol est éliminé avec une constante cinétique d’ordre 0, alors que l’ortho-chlorophénol est éliminé avec une constante cinétique d'ordre 1 ou 2 selon la concentration de composé dans le milieu. Ceci semble indiquer que moins la molécule est chlorée, plus sa bioélimination est facile. Cette étude montre que la présence ou non d'un atome de chlore dans un composé peut modifier considérablement son mode de biodégradation par les bactéries. Cette propriété bactérienne est d'une grande importance dans le processus de dépollution naturelle.

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