Notre santé est largement conditionnée par la disponibilité d'une eau exempte de pathogènes. Des événements sanitaires touchent encore accidentellement nos pays développés, sans parler de pays en développement dans lesquels sévissent des maladies liées à l'eau comme le choléra. Industrie, piscines, hôpitaux, établissements de soins ne sauraient se passer du chlore. Si le chlore et ses composés ne sont pas considérés comme une panacée en traitement et distribution d'eau, ils restent indispensables particulièrement en traitement final.
Que reproche-t-on au chlore ?
Son grand âge face à des avancées techniques réputées plus efficaces, son faible coût, ses effets dérivés : goûts, odeurs, apparition de composés dangereux comme les trihalométhanes (THM). On voit apparaître et se développer des procédés alternatifs de désinfection parés de multiples avantages, qui menaceraient l'utilisation du chlore et de ses composés. Ces derniers sont pourtant bien pratiques, efficaces, pas chers, faciles à mettre en œuvre et justement, pleins d’expériences.
La réalité est donc nuancée : certes de nouveaux moyens arrivent, mais ils sont bien souvent complémentaires de l’utilisation du chlore.
Comme souvent, un peu de bon sens réoriente les débats mal engagés. « Le chlore a une vertu que d'autres procédés ou produits n'ont pas : la rémanence, la persistance. Avoir une teneur résiduelle en chlore actif suffisante, de l’ordre de 0,1 mg/L est une garantie que l'eau présente dans un réseau de distribution est potable » affirme David Mariet de Cifec. « Le chlore est un bon traceur de l’état du réseau. Si l’on constate une disparition anormale en un point du réseau, c'est qu’il a été
« consommé ce qui est révélateur d'un dysfonctionnement », précise Jean Michel Lainé du Cirsee.
On parle bien là de santé publique, de la disparition de fléaux comme le choléra qui réapparaît chaque fois que les conditions d'hygiène et de distribution d'eau se dégradent, ce qui est encore vrai dans les pays émergents. Il y a des vies en jeu. Ceci est valable pour les réseaux publics de distribution d’eau potable, mais aussi les hôpitaux et centres de soins, les piscines et en industrie, sans oublier les tours aéro-réfrigérantes dans lesquelles la présence de légionelles est fréquente. Les problèmes d'odeurs, de goûts ne sont pas à mettre sur le même plan ; il ne faut pas non plus négliger les problèmes réels dus aux chloramines qui existent parfois dans les piscines publiques vis-à-vis du personnel. Chaque problème est soluble à condition de l'étudier objectivement et sereinement.
Le chlore : encore très présent en eau potable et en eau de process
L'usage du chlore en traitement de potabilisation de la ressource régresse ; on ne l'utilise plus directement sur l'eau brute car, du fait de son caractère oxydant, il génère des produits indésirables. « On préfère aujourd’hui les méthodes physiques par coagulation-floculation et filtrage, par membranes pour éliminer au maximum les particules et microorganismes. Pour lutter contre d’éventuels développements d’algues, on pratique aussi des préozonations et la couverture des ouvrages. Mais après ce traitement, en tête de distribution on introduit du chlore pour garantir la qualité de l'eau, éviter la reviviscence des microorganismes », explique Jean Michel Lainé.
« Plus le traitement amont est poussé, moins on a besoin de chlorer ensuite. En distribution, il faut tenir compte du paramètre carbone organique dissous biodégradable (CODB), qui peut servir de nourriture aux microorganismes. S’il y en a trop, il faut accroître la dose de chlore pour éviter tout risque de reviviscence », précise Gilles Boulanger de Lyonnaise des Eaux. Lorsque les réseaux sont longs ou très maillés, ce qui entraîne des allongements de temps de séjour, on procède à des rechlorations pour être sûr qu'au niveau du dernier robinet desservi, la teneur réglementaire de 0,1 mg/l soit tenue, tout en évitant de surchlorer en tête de réseau.
« Ce qu’il faut éviter, ce sont les variations dans le dosage : les clients sont très sensibles aux goûts et nous appellent lorsqu’ils perçoivent ces variations. Il vaut mieux avoir un dosage plus élevé, qui laissera peut-être un goût léger de chlore mais il sera constant », précise Jean Michel Lainé. « Des travaux sont en cours pour comprendre le développement de ces goûts et odeurs ; nous étudions si certaines compositions d’eaux font plus ressortir ces goûts », souligne pour sa part Gilles Boulanger.
Outre l'eau potable, le chlore ou ses compo-
sont aussi utilisés dans l'industrie, pour des eaux de procédés, de refroidissement, souvent issues de forages propres aux sites industriels. On recherche là encore à éviter la prolifération de microorganismes, d’algues responsables de dysfonctionnement des installations. « Le chlore n'est pas utilisé systématiquement mais lorsqu’on doit en utiliser, il faut faire une étude détaillée, chaque site a ses particularités, c'est toujours du coup par coup » déclare David Mariet. L'agroalimentaire, en utilise aussi pour l’élaboration des produits ou le rinçage. Là encore le caractère rémanent du chlore est indispensable à la sécurité de production.
Une palette de composés et de procédés
Lorsqu’on parle de chlore, on évoque en fait une famille de composés : le chlore gazeux liquéfié sous pression conditionné en bouteilles métalliques, l’eau de Javel (hypochlorite de sodium), l’hypochlorite de calcium (solide à dissoudre), le dioxyde de chlore. Ce dernier a un comportement différent des trois autres. Chacun a ses avantages.
Le chlore gazeux
Le chlore gazeux est facile d'utilisation car en bouteilles et avec un dispositif de dosage automatisé appelé chloromètre proposé par des fournisseurs comme Cifec, Eurochlore, Cir, ProMinent, Grundfos-Alldos ou Wallace et Tiernan. Il fonctionne par dépression. Ainsi, le chlore gazeux est soutiré de la bouteille à une pression inférieure à la pression atmosphérique, ce qui évite tout risque de fuites en cas de rupture de la tuyauterie de chlore. « L’aspiration a lieu par un système de trompe à vide qui assure le mélange à l'eau. Petit avantage, la dissolution provoque une petite baisse de pH ce qui est favorable à l'activité du chlore. Le chlore liquide ne se dégrade pas au stockage. Les bouteilles assurent une grande autonomie de fonctionnement et de fortes capacités de chloration ». Jean-Jacques Dewost, d’Eurochlore, résume ainsi les avantages de cette forme de chlore. Il précise également qu'il constate une légère baisse de consommation due à la réduction des consommations d’eau chez les clients traditionnels, compensée par l’arrivée de nouveaux clients qui viennent ou reviennent au chlore gazeux en abandonnant d'autres solutions. Le chlore gazeux est ainsi employé sur les réseaux d’eau potable, dans les piscines publiques. C’est un des moyens les plus sûrs, fiable et précis. Petite contrepartie, le personnel doit être formé spécifiquement pour l’échange de bouteilles et disposer d’un équipement de protection individuelle (appareil respiratoire, gants). « Mais au moins on ne risque pas de faire de mélange de produits vu qu'il est enfermé dans sa bouteille et en cas de fuite, il suffit de fermer le robinet de la bouteille. C'est bien différent d’un mélange accidentel entre eau de Javel et acide où la seule solution est l'évacuation, car dans ce cas on ne peut pas arrêter le dégagement de chlore » souligne David Mariet.
L’eau de Javel (hypochlorite de sodium)
L’eau de Javel est le moyen historique utilisé pour la chloration mais toujours actuel. Son usage semble plus aisé mais il faut veiller à sa fraîcheur (elle se décompose
Lentement au stockage, cristallise par évaporation et forme du calcaire au contact du calcaire de l'eau, et faire attention lors des manipulations. Obtenir une concentration précise finale par dilution ne pourra se faire que si le titre initial en chlore est connu précisément : au fil du temps, si le titre initial baisse, le dosage dérive. Elle est disponible sous forme concentrée obtenue par les chimistes chloriers. Depuis quelques années des efforts ont été menés pour réduire les teneurs en impuretés diverses issues du procédé.
L’électrochloration
L'hypochlorite de sodium peut également être produit en temps réel par électrolyse de saumure ou directement d’eau de mer dans des cellules sans membranes à passage unique ou dans des cellules à membrane échangeuses d'ions qui produisent du chlore qu'il faut mélanger à de la soude pour obtenir la solution d’hypochlorite de sodium. Tout comme Cifec, Grundfos-Alldos ou ProMinent, Wallace & Tiernan propose différents types d’électroly-
seurs (gamme Osec). L'avantage d’un électrochlorateur est qu’il évite le stockage de produits dangereux, seulement du sel (chlorure de sodium). Par contre, chaque molécule d’hypochlorite fabriquée s’accompagne d’une molécule d’hydrogène : des précautions sont donc à prendre pour éviter sa concentration et son explosion ! On part d’une saumure à saturation (concentration stable sous condition de température) que l’on dilue avec précision avant électrolyse. Ainsi, on est sûr de la concentration en chlore. Plusieurs postes de rechloration de réseau en région parisienne ont été équipés de ces appareils en remplacement de chlore gazeux pour des raisons de sécurité en agglomération.
L'hypochlorite de calcium se manipule sous forme solide. Stocké convenablement, il n’est pas susceptible de se dégrader. Par contre, il faut procéder à sa dilution avant usage avec d’éventuelles difficultés liées à la précision du dosage.
Le dioxyde de chlore
Troisième type de composé chloré, le dioxyde de chlore. Des contaminations sérieuses par la légionelle dans les hôpitaux se sont produites depuis une dizaine d'années. La circulaire de la DGS d’avril 2002 cite ce produit comme solution efficace. Très instable à l'état pur, il n’est utilisable que s'il est produit sur place au moment de l'utilisation, sans stockage ou alors le moins possible car les solutions se dégradent. Ainsi les quantités en jeu à chaque instant sont faibles. Il est produit sous forme de solution aqueuse par réaction de chlorite de sodium et acide chlorhydrique, comme le font les appareils Securox de Thétis Environnement, fabricant français de dispositif de production de dioxyde de chlore ; il s’agit d’appareils complets qui s'intègrent facilement dans les installations. La société insiste sur l'originalité de son appareil qui travaille en production sécurisée par lot PSL. Dans une première phase, le dioxyde de chlore est produit en quantité déterminée à concentration élevée dans un réacteur ; une fois ce volume obtenu, il est immédiatement dilué pour obtenir une solution concentrée à 2 g/L utilisée pour traiter l’eau à des concentrations de l'ordre de 0,2 à 0,3 mg/L en Cl₂. L’appareil est ainsi plus facile à exploiter car sans solution concentrée. De plus il dispose de ses propres analyseurs en dioxyde de chlore et chlorite, valeurs qui sont enregistrées dans un historique du traitement. Il existe d'autres fournisseurs de générateurs de dioxyde de chlore comme Cifec (Bioxy), Permo (Permobiox), Cillit (Reaxan), Cir (Dioxir), Grundfos-Alldos (Oxiperm) Wallace et Tiernan (Siemens), ou Lenntech. Aquasan 03 propose quant à elle DK-DOX, un procédé de production de dioxyde de chlore par simple mélange de deux réactifs, sans nécessiter de générateur. Il est breveté et homologué par l’AFSSA et le Ministère de la Santé. Le dioxyde de chlore est directement produit à faible concentration (inférieure ou égale à 3 g/L), à un pH adéquat qui permet d’obtenir un rendement de l’ordre de 95 % et de stabiliser dans
Dioxyde de chlore « DK-DOX »
Le dioxyde de chlore produit selon le procédé DK-DOX peut être conservé pendant plusieurs semaines et est utilisable selon des modalités très proches de l’hypochlorite de sodium : un simple fût ou bidon relié à une pompe doseuse asservie à un compteur d’eau et/ou à un analyseur-régulateur. La solution ainsi produite est stable, directement utilisable et injectable dans l’installation ou le réseau à traiter, selon des modalités d’emploi similaires à l’hypochlorite de sodium (Javel).
Eurochlore propose également un procédé de production de dioxyde de chlore par simple mélange de deux réactifs en poudre, le Twinoxyde que l’entreprise représente en France.
La molécule de dioxyde de chlore ClO₂ n’a pas le même mode d’action que l’hypochlorite : elle s’apparente à ce que l’on nomme les radicaux libres du fait de son nombre impair d’électrons. Son effet ne dépend pas du pH dans la zone utile de 5,5 à 10. « Il est utilisé à très faible dose, 0,2 à 0,3 mg/l pour 10 litres. À ces doses, la teneur de l’eau en chlorite ne risque pas d’être supérieure à la limite tolérée en eau potable », précise Deborah Gellé de Thétis Environnement.
Plusieurs hôpitaux qui avaient des problèmes de légionelles l’ont résolu avec ce produit, indique Thétis. « Le traitement des réseaux par choc chloré ou thermique n’est pas satisfaisant. Que se passe-t-il entre les chocs, on ne sait pas très bien. D’autre part, ces traitements discontinus perturbent le fonctionnement et endommagent à la longue les installations. Le dioxyde de chlore est utilisé en continu à dose constante. Il pénètre le biofilm dans lequel logent les amibes qui abritent les légionelles et les détruit ainsi que le biofilm entier. Le réseau est véritablement assaini en continu et le reste tant que la teneur en dioxyde de chlore est suffisante », souligne Deborah Gellé. Les discussions restent actives entre établissements hospitaliers, confrontés à la réalité de l’état de leurs réseaux d’eaux chaudes et froides.
En fait, tous les parasites – giardia, cryptosporidium, pseudomonas, etc. – sont détruits ; son activité s’exerce aussi contre certains acides aminés aromatiques essentiels, ce qui fait qu’il inhibe également l’activité enzymatique.
Stable dans l'eau, il ne réagit pas avec les ions ammonium, ni les amines sauf tertiaires, son efficacité n'est pas inhibée par la pollution spécifiquement azotée. Le risque de voir apparaître des composés irritants (chloramines) ou dangereux (THM trihalométhane) disparaît. Pour tous ces avantages, ce composé est utilisé dans l'industrie y compris l’agro-alimentaire, dans les eaux de rinçage de légumes par exemple. Thétis Environnement est chef de file dans le projet Legio-Secure du pôle de compétitivité Axelera. But du projet : développer des procédés de traitement de l'eau utilisée dans les tours aéro-réfrigérantes pour éliminer tout risque de développement de légionelles et autres micro-organismes (budget 1,8 M€ sur trois ans).
Un reproche fait au dioxyde de chlore est son action sur les canalisations des réseaux d'eau potable. Là encore, il faut bien définir le problème. Les dysfonctionnements observés il y a quelques années sont expliqués : les tuyaux en polyéthylène sont effectivement fragilisés, ce qui prouve aussi que les mécanismes d'action des différents composés chlorés sont différents. « Aujourd’hui nous recommandons de ne pas utiliser le dioxyde de chlore s'il y a des canalisations en polyéthylène sans une analyse préalable du réseau » indique Jean-Michel Lainé.
Le problème est plus complexe, remarque Gilles Boulanger : « Après des études poussées nous avons constaté l'impact du dioxyde de chlore, mais son impact est très dépendant de la température de l’eau. Si l'eau est froide, autour de 5 °C, il est moindre ; par contre, à plus haute température, l'effet est conséquent. Un effet qui s'ajoute à d'autres facteurs de vieillissement. » Il n’est donc pas question de bannir le dioxyde de chlore des réseaux mais de vérifier la nature des matériaux qui le composent.
Pour Deborah Gellé, « Si les tuyaux ont déjà été fragilisés par des chocs thermiques, chlorés, ou une ozonation, le dioxyde de chlore n’aura certes pas un effet protecteur, mais il n'est pas pour autant à incriminer. Certains de nos clients utilisent depuis longtemps le dioxyde de chlore sur des matériaux en PE ou PVC sans être inquiétés. Ce qui est important à regarder avant de traiter au dioxyde de chlore est la qualité de ces matériaux. »