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Cas d'application de l'outil Métatranscriptomique pour l'optimisation des procédés industriels de méthanisation

31 octobre 2014 Paru dans le N°375 à la page 79 ( mots)
Rédigé par : Thierry ARNAUD, Anne-sophie LEPEUPLE, Sébastien LACROIX et 2 autres personnes

L?analyse métatranscriptomique permet de fournir une quantité d'informations sur les communautés microbiennes complexes sans équivalent comparée aux autres techniques de biologie moléculaires. Si une grande partie de ces informations présente surtout un intérêt pour la compréhension et la connaissance plus fondamentales de l'écologie microbienne des procédés de digestion anaérobie, cette technique montre ici qu'elle peut déjà être utile pour l'optimisation des installations.

Dans l’optique de la compréhension et de l’optimisation des procédés biologiques, le suivi des paramètres physico-chimiques est essentiel mais pas suffisant, et doit être couplé à une caractérisation microbiologique. En effet, le pouvoir épuratoire de ces procédés repose sur les microorganismes présents, qui peuvent être fortement impactés par les conditions opératoires. Moins de 1 % de ces microorganismes sont cultivables à l'heure actuelle (Ward, 1990). Depuis un quart de siècle, des outils de biologie moléculaire, indépendants des techniques classiques de cultures microbiologiques, se développent pour caractériser ces populations microbiennes complexes. Ils permettent, par exemple, de suivre les dynamiques des populations grâce à des techniques d’empreintes moléculaires (ARISA, DGGE), ou de détecter et quantifier certains groupes bactériens grâce à la réaction de PCR.

Depuis 2006, de nouveaux outils moléculaires couplés à la bioinformatique émergent. Ils permettent d’obtenir, en une expérience, un niveau d'information incomparablement plus élevé qu’avec les méthodes habituelles. L'évolution rapide des technologies de séquençage d’ADN (Metzker, 2005 et 2010), associée à une miniaturisation et à une forte diminution des coûts, a permis une forte implantation de ce type de matériel dans les laboratoires. Parallèlement de nombreuses banques de données de séquences nucléotidiques et protéiques se sont constituées et rapidement enrichies. Ainsi, la manière d’aborder l’écologie microbienne fait actuellement face à une révolution, par la convergence de ces nouveaux moyens. Il est désormais possible de caractériser, de manière plus fine et plus complète, les communautés complexes de microorganismes (CCM) des bioprocédés.

La métatranscriptomique est l'analyse de l'ensemble ARN d’une communauté bactérienne complexe (Yu, 2012). Cette technique permet d’appréhender la communauté microbienne d'un échantillon ou d'un procédé dans son ensemble. Elle fournit une vision quasiment exhaustive de la composition de la flore microbienne, mais surtout des activités métaboliques qui y sont réellement exprimées.

Dans cet article, nous allons décrire deux cas d’application de la métatranscriptomique sur des procédés de méthanisation à l’échelle pilote et industrielle :

  • - Un digesteur de boue activée de type UASB psychrophile (17 °C) : avec pour objectif de mieux décrire les populations microbiennes impliquées, ainsi que les voies métaboliques exprimées dans la digestion anaérobie à basse température.

• Un digesteur de type EGSB traitant des effluents papetiers : l’objectif est ici d’estimer l’impact d’une technique de microaération (procédé Canoxis) comme moyen de lutte contre la production de H₂S, sur les populations microbiennes et les voies métaboliques exprimées.

Protocole expérimental

Principe général de la métatranscriptomique

La métatranscriptomique repose sur le séquençage et l’analyse de l'ensemble des molécules d’ARN présentes au sein d’un échantillon. L’ARN est une molécule centrale dans la cellule. Elle assure le lien entre l’ADN, qui est le support stable de l’information génétique qui définit l’ensemble des fonctions biologiques d'un organisme, et la protéine qui est la molécule assurant l’ensemble des fonctions cellulaires. L’ARN est donc une molécule transitoire, avec une durée de vie très courte dans la cellule, synthétisée en fonction des besoins de la cellule.

La première étape du workflow métatranscriptomique correspond à l'échantillonnage. Du fait de la durée de vie très courte de la molécule d’ARN, cette étape est très critique pour la suite des analyses. Les échantillons prélevés sur les différentes installations doivent donc être très rapidement plongés dans de l’azote liquide (-196 °C) puis conservés à -80 °C jusqu’à l’extraction des acides nucléiques. Ainsi fixée, la molécule d’ARN conservera son intégrité et pourra donc être analysée correctement. L’ARN est ensuite extrait puis converti en ADN complémentaire (ADNc) pour pouvoir être séquencé. L’ADNc est ensuite fragmenté en morceaux d’environ 300 paires de bases qui sont finalement séquencés. Lors d’une analyse secondaire, les séquences produites sont triées en fonction de différents filtres de qualité, nettoyées puis comparées à des bases de données pour être assignées à des espèces bactériennes et des fonctions métaboliques précises.

[Photo : Dogme Central de la Biologie Moléculaire]
[Photo : Workflow de l’analyse métatranscriptomique]

Cas d’application n° 1 : Caractérisation d’un digesteur UASB psychrophile

Dans cet exemple, l’objectif était de caractériser la flore microbienne d’un digesteur fonctionnant à basse température (17 °C) et d’estimer si cette communauté microbienne complexe était stable dans le temps. Le digesteur étudié est de type UASB, traitant boues biologiques issues d’une station d’épuration municipale. Le volume du réacteur est de 2,4 m³ pour une hauteur de 5 m. Le temps de séjour hydraulique appliqué est de 12 heures et le temps de séjour de la biomasse est de 20 jours. La moyenne de production de méthane du digesteur est de 0,21 m³/jour. Les principales caractéristiques des effluents entrants et sortants sont résumées dans le tableau 1.

Le pilote a été échantillonné 2 fois à deux mois d’intervalle lors d’une période de fonctionnement stable, sans dysfonctionnements notables. Dans ce cas précis, les analyses de séquençages ont été réalisées sur l’ADN et sur l’ARN extrait à partir de la biomasse. Ceci permet d’avoir une information sur les espèces microbiennes présentes (à partir de l’ADN) mais également sur les espèces actives (à partir de l’ARN).

Composition de la communauté microbienne de l’UASB

Les analyses bioinformatiques réalisées à partir du séquençage de l’ADN ont permis de mettre en évidence que la population méthanogène au sein du digesteur était composée principalement de Methanomicrobiales et de Methanosarcinales. L’analyse des données de séquençage de l’ARN montre que la fraction méthanogène active est très majoritairement composée des Methanomicrobiales qui sont des microorganismes méthanogènes hydrogénotrophes exclusifs. Les Methanosarcinales, sont bien présents mais moins actifs que les Methanomicrobiales. Ces observations permettent de formuler l’hypothèse que dans le cas de ce digesteur anaérobie fonctionnant à basse température, la voie hydrogénotrophe de la méthanogenèse est privilégiée.

À côté des microorganismes méthano-

[Photo : Figure 3 - A) Profils et classification hiérarchiques des deux prélèvements effectués à un mois d’intervalle sur le digesteur UASB. B) Répartition des populations méthanogènes et estimation de leur niveau d’activité (ratio ARN/ADN).]
[Photo : Figure 4 - Reconstruction de la carte métabolique de la méthanogenèse avec le positionnement des enzymes exprimées lors des prélèvements 1 (vert) et 2 (rouge).]

gènes, les populations bactériennes les plus actives présentes dans le digesteur appartiennent majoritairement aux classes des Betaprotéobactéries et des Deltaprotéobactéries et au phylum des Bacteroidetes et des Firmicutes. Ces taxons représentent à eux seuls 90 % de la population bactérienne retrouvée dans le digesteur.

Il est également très important de noter que la composition de la communauté bactérienne est extrêmement stable au cours du temps. En effet, les profils de population observés pour les deux prélèvements effectués à deux mois d’intervalle sont très similaires (Figure 3A).

Activités métaboliques exprimées au sein de l’UASB

Sur l’ensemble des séquences obtenues à partir de l’ARN extrait des échantillons de l’UASB (respectivement 3 et 5 millions pour les deux dates), il ressort que presque 36 % de ces séquences correspondent à des gènes impliqués dans la voie de méthanogenèse. Ces observations peuvent permettre de fournir des informations détaillées sur les voies métaboliques, ainsi que sur les

principales sources de carbone utilisées.

Une carte métabolique de la méthanogenèse a ainsi pu être reconstruite (figure 4). Ces résultats montrent une forte implication de la voie hydrogénotrophe dans le processus global de la méthanogenèse. Des marqueurs de la voie acétoclastique sont également présents mais en moindre proportion (figure 4).

Les métabolismes du soufre et de l'azote ont également été analysés en détail mais ils ne représentent qu'une fraction mineure des activités métaboliques exprimées au sein du digesteur (respectivement 0,55 % et 0,65 % des séquences identifiées).

Les activités métaboliques les plus représentées en dehors de la méthanogenèse correspondent à des activités de base de la cellule (biosynthèse des protéines, repliement des protéines, réactions de transfert d’électrons, ATP-synthase, …).

Ces premières approches métatranscriptomiques appliquées à un méthaniseur de type UASB ont permis de mieux caractériser la communauté microbienne complexe impliquée dans un processus de digestion anaérobie à basse température et ainsi de voir qu'elle était très proche de celle souvent observée dans un méthaniseur fonctionnant en conditions mésophiles. Les analyses fonctionnelles sur l’ARN ont permis de mettre en évidence que la voie hydrogénotrophe de la méthanogenèse était dominante dans ces conditions de fonctionnement.

Cas d’application n° 2 : Digesteur de type EGSB traitant des effluents papetiers

Ces analyses s'inscrivent dans le cadre d'une étude d’évaluation de la technique de microaération (procédé Canoxis) pour diminuer la concentration en H₂S dans un méthaniseur.

L'air est injecté en faible concentration directement au niveau du ciel gazeux. En présence de biogaz et d’air, des bactéries autochtones de type Thiobacillus oxydent H₂S et forment des précipités de soufre élémentaire. Cette solution permet de diminuer à moindre coût la concentration en H₂S avec des limites techniques liées à l’encrassement du ciel gazeux et de la ligne biogaz par accumulation des précipités minéraux sur les parois internes des ouvrages.

L’objectif de l’analyse métatranscriptomique, dans ce cas-là, est donc de mesurer l’impact sur la communauté microbienne de la microaération, aussi bien en termes de composition de la population que d’activité métabolique exprimée.

[Photo : A) Schéma du système de microaération connecté à un méthaniseur EGSB (crédit Veolia), B) Pilote EGSB et module de microaération sur le site industriel]

Table 1 : Caractéristiques des effluents entrant et sortant

TSS (mg · l⁻¹) : 456 (entrant) – 141 (sortant)
DCO totale (mg · l⁻¹) : 845 (entrant) – 342 (sortant)
DCO soluble (mg · l⁻¹) : 137 (entrant) – 65 (sortant)
Sulfates (mg · l⁻¹) : 84 (entrant) – 36 (sortant)

Description des essais

Les essais ont eu lieu sur un site industriel où Veolia a construit et exploite un méthaniseur UASB traitant des effluents papetiers depuis plus de dix ans. Le pilote étudié est un EGSB de 5 m³ utiles, alimenté en continu à une charge volumique de 5 kg DCO/m³/j. Un système d’injection d’air était connecté à la boucle de recirculation du pilote avec possibilité de réglage du débit d’injection.

Un suivi analytique complet en entrée/sortie du pilote EGSB était effectué journalièrement, y compris le débit de biogaz et les concentrations en méthane, sulfure d’hydrogène et oxygène. Au niveau de l’unité de microaération, le débit d’air du surpresseur et le potentiel redox en sortie ont été mesurés.

Les différentes périodes d’essais sont résumées dans le tableau 1.

Deux principales séries d’essais ont été réalisées :

  • — Une série avec adjonction complémentaire d’acide sulfurique dans les effluents en entrée de pilote (périodes 2 et 3).
  • — Une série sans adjonction d’H₂SO₄ (périodes 4 à 7), en ne comptant que sur les concentrations originelles de sulfates dans les effluents en entrée de pilote.

Des prélèvements ont été effectués pour réaliser des analyses métatranscriptomiques tout au long des essais.

Résultats des analyses métatranscriptomiques

Analyse taxonomique

Il ressort de ces analyses que la communauté microbienne présente au sein du digesteur est restée très stable au cours de l’étude. Ni l’injection de H₂SO₄, ni la mise en place de la microaération n’ont entraîné de variation significative de la composition de la population microbienne active (figure 6). Les microorganismes méthanogènes sont très abondants et représentent près de 70 % des microorganismes actifs présents dans le digesteur. Le genre Methanosaeta est

Table 2: principales périodes et conditions des essais pilotes

PériodesDébutFinDébit d’air (m³/jour)H₂SO₄ addition
Contrôle #118-oct-20125-nov-20120non
Contrôle #26-nov-201221-jan-20130oui
Aération #122-jan-201329-jan-20131,37oui
Contrôle #32-fév-201325-fév-20130non
Aération #226-fév-201319-mar-20130,72non
Aération #322-avr-201314-mai-20132,04non
Aération #415-mai-201323-mai-20133,40non
[Photo : Figure 6 : Proportion des 20 genres actifs les plus représentés au sein du digesteur au cours de l'étude (Chronologie d’échantillonnage : R0, S0, S1, A0, A1, E0, E1).]
[Photo : Figure 7 : Analyse du métabolisme du soufre avant (t0) injection de H₂SO₄, après injection de H₂SO₄, et après mise en place de la microaération avec injection de H₂SO₄.]

L’espèce méthanogène majoritaire dans le digesteur (figure 6). Cette information permet de dire que la voie acétoclastique est privilégiée lors de la méthanogenèse.

Analyse fonctionnelle

Les voies métaboliques de la méthanogenèse, de l’azote et du soufre sont toutes exprimées dans le digesteur tout au long de l’étude. Aucune variation significative du niveau d’expression de ces différentes voies métaboliques ne semble être provoquée par les changements de conditions opératoires (injection de H₂SO₄ et microaération).

Cependant, une différence notable a pu être mise en évidence. Après injection de H₂SO₄, une enzyme (1.8.99.1) induisant la production d’H₂S par réduction des ions sulfites est exprimée fortement alors qu’elle n’était pas détectée lors de la phase initiale (t0). Lors de la mise en place de la microaération dans le système, l’expression de cette enzyme est à nouveau inhibée (figure 7).

Il apparaît donc que la microaération induit une inhibition de la voie de synthèse de H₂S. Cette observation est en corrélation avec les données du suivi physico-chimique qui montrent une diminution de la concentration en H₂S dans le biogaz lors de la mise en place de la microaération sur le digesteur.

Dans le cadre de cette étude, la métatranscriptomique a donc permis de mettre en évidence l’impact d’un système d’élimination du H₂S sur l’activité métabolique des microorganismes directement dans le digesteur. Cet outil innovant a donc permis, dans ce cas, d’apporter une aide à la décision pertinente pour l’évaluation du système testé.

Conclusion générale

L’analyse métatranscriptomique permet de fournir une quantité d’informations sur les communautés microbiennes complexes sans équivalent comparée aux autres techniques de biologie moléculaire. Si une grande partie de ces informations présente surtout un intérêt pour la compréhension et la connaissance plus fondamentales de l’écologie microbienne des procédés de digestion anaérobie, cette technique montre ici qu’elle peut déjà être utile pour l’optimisation des installations.

Les objectifs de l’application de cet outil sont multiples :

  • - à court terme, d’explorer, caractériser et mieux comprendre les dynamiques des communautés microbiennes complexes, aujourd’hui partiellement connues, et identifier des profils taxonomiques et fonctionnels caractéristiques, lors de régimes perturbés et productifs des bioprocédés ;
  • — à moyen terme de faire le lien entre le

design des procédés, les paramètres opératoires, les performances mesurées et la biomasse active, afin de lever les verrous actuels. La métatranscriptomique fournirait un outil d'aide à la décision pour

  • la conduite et le design des procédés,
  • - à long terme, de repousser les limites de fonctionnement des installations, même dans des conditions défavorables (ex : faible température), générer de nouvelles hypothèses fondamentales et potentiellement identifier de nouveaux biocatalyseurs environnementaux ou nouvelles voies métaboliques, industriellement utilisables.

Références bibliographiques

  • • Falkowski, P. G. (2008). The microbial engines that drive Earth's biogeochemical cycles. Science 320(5879), 1034-1039.
  • • Metzker, M. L. (2005). Emerging technologies in DNA sequencing. Cold Spring Harbor Laboratory Press, 15:1767-1776.
  • • Metzker, M. L. (2010). Sequencing technologies – the next generation. Nature Reviews Genetics 11, 31-46.
  • • Ward, D. M. (1990). 16S rRNA sequences reveal numerous uncultured microorganisms in a natural community. Nature 345(6270), 63-65.
  • • Yu, K., Z. T. (2012). Metagenomic and metatranscriptomic analysis of microbial community structure and gene expression of activated sludge. PLoS One 7(5):e38183.
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