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Caractéristiques des eaux brutes utilisées dans la conception des séquences de clarification

30 septembre 1988 Paru dans le N°121 à la page 42 ( mots)
Rédigé par : E. BRODARD, M.r. WIESNER et P. MAZOUNIE

La conception d'une filière de traitement d’eau brute nécessite la meilleure adéquation possible entre l'eau à traiter, les technologies applicables, leur coût et la qualité de l'eau potable demandée.

Wiesner, O’Melia et Cohon (1) ont proposé une modélisation pour l’optimisation de cette conception en tenant compte des caractéristiques de l'eau brute. Ils utilisent des modèles physico-chimiques de floculation, de décantation et de filtration dans différentes conditions de concentration et de taille des particules présentes dans l'eau, pour définir la configuration de traitement la moins coûteuse. Les résultats sont présentés sous la forme d'un diagramme de configuration optimale.

La description de quelques usines de traitement des eaux, avec notamment l'analyse des eaux les alimentant, permet la confrontation entre le modèle et la pratique.

Paramètres caractérisant les particules en suspension dans l'eau

Lors d'un traitement, la concentration totale des particules en volume (Φtot), après un mélange rapide, résulte de cinq facteurs :

  • — les particules de l'eau brute (Φp)
  • — le carbone organique dissous dans l'eau brute associé à la phase solide (Φorg)
  • — les précipités dus à l’addition du coagulant (Φcoag)
  • — la concentration en volume des particules provenant du recyclage des particules (Φrecy)
  • — un terme additionnel qui représente la contribution des autres produits chimiques inclus (adjuvant de floculation par exemple) (Φchim) :
Φtot = Φp + Φorg + Φcoag + Φrecy + Φchim

En floculation et sédimentation où le volume utile dans le procédé (Vproc) est une fonction de la concentration du volume des particules, l'efficacité du procédé est améliorée quand cette concentration augmente. En filtration cette règle est toujours valable car les particules piégées par le filtre augmentent la surface de filtration ; cependant le volume du milieu filtrant (Vmilieu) joue le rôle le plus important car il est toujours très supérieur au volume total des particules (Φtot).

Optimisation d’une filière d’eau potable

La conception d'une usine de traitement des eaux doit prendre en compte tous ces critères dans un processus itératif pour déterminer les combinaisons de ces variables les plus efficaces. Pour sélectionner la combinaison la moins onéreuse, un modèle de simulation/optimisation a été formulé comme une minimisation non linéaire des coûts sous les contraintes de simulation des différents procédés (floculation, floculation/décantation et filtration).

Trois configurations sont sélectionnées pour permettre la présentation du modèle dans un diagramme d’optimisation (figures 1 et 2) en fonction de la concentration des particules (en masse ou en volume) et de leur diamètre moyen :

  • — la filtration directe, où un séjour dans un bassin de floculation permet l'augmentation de la taille moyenne des particules avant filtration ;
  • — la coagulation sur filtre (ou filtration de contact), où l'eau passe directement sur le filtre après l'ajout du coagulant ;
  • — le traitement « conventionnel », dans
[Photo : Diagramme d’optimisation et localisation des sites d’exploitation]
[Photo : Fig. 2 – Optimisation du choix des traitements en fonction de la concentration et du diamètre moyen des particules dans l’eau brute. Les pointillés indiquent les zones d’isoconcentration en volumes de particules.]

lequel une floculation permet la formation de flocs qui sont éliminés par décantation ; l’eau est ensuite filtrée.

En général, la coagulation sur filtre est la configuration optimale quand le volume total des particules est inférieur à 2 ppm, tandis que pour des valeurs supérieures à 10 ppm c’est le traitement conventionnel de floculation/décantation qui est préférable. Pour une concentration de 2 à 10 ppm, la filtration directe doit être optimale ; c’est dans cette gamme de concentration que le choix est le plus dépendant de la taille des particules, et que les autres caractéristiques de l’eau et les conditions de traitement ont le plus d’influence.

Étude de quelques cas concrets de différentes exploitations

Les hypothèses de modélisation parmi les plus importantes pour la réalisation du diagramme d’optimisation (figure 1) sont les suivantes :

— l’ingénieur qui a conçu l’installation a réellement considéré le coût du traitement… — Φ₀ = Φp, — la qualité de l’eau brute est constante.

Une évaluation du modèle est possible en vérifiant la validité de ces hypothèses par des cas concrets.

L’analyse des particules des eaux brutes faite sur des sites d’exploitation a permis leur localisation sur le diagramme (figure 1) ; d’autres exemples provenant de la bibliographie (2 – 3 – 4 – 5 – 6) ont aussi été ajoutés.

Les caractéristiques représentatives des eaux brutes sont données dans le tableau 1 et les conditions d’exploitation des installations le sont dans le tableau 2.

Cannes

De l’eau de source est dirigée par un canal vers Nartassier qui est l’une des usines de traitement desservant la ville de Cannes.

La concentration de carbone organique dissous est faible et le coagulant utilisé engendre un faible volume de particules, donc Φ₀ = Φp.

Cette exploitation se situe sur le diagramme dans la zone la plus basse de coagulation sur filtre et c’est effectivement le traitement choisi.

Maromme

En 1984, une installation de coagulation sur filtre est mise en service dans la ville de Maromme pour traiter l’eau en provenance de plusieurs puits profonds et de surface.

De même, une faible concentration en carbone organique et la nature du coagulant utilisé ne provoquent pas d’augmentation du volume des particules, donc Φ₀ = Φp.

Les analyses de l’eau positionnent l’usine de Maromme dans une zone où la filtration directe et la coagulation sur filtre sont toutes deux proposées ; c’est cette dernière qui a été choisie.

Vigneux

Cette exploitation traite l’eau de la Seine en amont de Paris. Le coagulant est ajouté dans les canalisations avant le passage dans un décanteur à flux ascendant ; l’eau est ensuite filtrée sur charbon actif granulaire. Ce traitement présente donc une configuration conventionnelle.

En considérant la forte concentration de particules en volume, cette exploitation se situe bien dans la zone de traitement conventionnel du diagramme.

Baltimore, Maryland

Cette station de traitement comprend actuellement deux installations voisines ; la plus récente date de 1928 et constitue une extension de la précédente construite dix ans auparavant. Elles traitent l’eau d’un réservoir selon une configuration de traitement conventionnel.

Tableau 1 : Caractéristiques des eaux brutes et configuration des filières correspondantes

Localisation Nature du traitement Nombre de particules n₀ (ml⁻¹) Concent. en volumes Φ₀ (ppm) Diamètre moyen (µm) Turbidité (NTU) Carbone organique dissous (COD) Réf.
Asuncion conventionnelle 5 × 10³ 764,7 71,4 6,9 83 5,2 3
Antwerp filtr. contact. (4 × 10³) (1,7) 2,7 0,4 3,3 0,4 4
Aubergenville conventionnelle 1 × 10⁴ 20,0 3,3 5 15 3,5 3
Baltimore conventionnelle 3 × 10⁴ 1,2 (1,5) 3 2,5 4,5 5
Cannes filtr. contact. 5 × 10³ 0,2 (0,8) 0,65 < 1 1 3
Carcassonne filtr. contact. 4 × 10³ 3,5 2,8 2,6 6 < 1 3
Chapel Hill conventionnelle > 10⁴ 10,0 (12) 2,7 8 2,7 2
Dunkerque conventionnelle 6 × 10⁴ 24 10 1,9 6 9 3
Las Vegas filtr. directe 10³ 0,01 (< 1) (2,7) 0,44 3 6
Maromme filtr. contact. 5 × 10³ 2,0 3,0 2,0 5 < 1 3
Quintin conventionnelle 7 × 10³ 6,0 (7) 2,5 5 5,0 3
Vigneux conventionnelle 2 × 10³ 27,0 25 3,0 10 3,0 3
Zurich conventionnelle 10³ 1,0 (1,2) (2,7) 1,0 2,0 2

En se basant sur le diagramme d’optimisation, et même en considérant la contribution du carbone organique dissous dans le volume des particules, le traitement le moins coûteux serait une coagulation sur filtre ou, peut-être, une filtration directe.

Le traitement conventionnel a été choisi sans doute en fonction des contraintes de construction de l’époque et peut-être dans l’incertitude de la qualité future de l’eau du réservoir.

Carcassonne

Une usine de traitement par coagulation sur filtre a été construite pour traiter l’eau de l’Aude afin d’alimenter la ville de Carcassonne. Il a été récemment décidé de la modifier pour réaliser une configuration de traitement conventionnel en installant des bassins de décantation avant les filtres.

La localisation sur le diagramme de cette exploitation propose cette configuration comme optimale. De plus, la turbidité de l’eau de l’Aude est supérieure à 10 NTU pendant 1/5 du temps ; les concentrations de particules doivent alors être supérieures à la moyenne, ce qui conforte le traitement conventionnel dans sa position optimale pour traiter cette eau.

Quintin

Sur ce site, l’eau de rivière est traitée de façon conventionnelle. Les données relatives aux particules en suspension sont assez similaires à celles observées sur le site de Carcassonne ; cependant, ici, il faut considérer la concentration importante de carbone organique dissous. Celui-ci, associé au coagulant, induit une forte augmentation du volume des particules :

\[ D_{\text{tot}} = D_{\text{org}} + D_{\text{inorg}} + D_{\text{coag}} \]

Par calcul, une approximation grossière évalue une augmentation de 1 ppm du volume des particules pour chaque mg/l de carbone organique dissous dans l’eau brute.

Dunkerque

Une exploitation située près de Dunkerque traite l’eau de la Houlle pour réalimenter la nappe aquifère. L’eau souterraine est ensuite extraite, désinfectée et refoulée vers le réseau de distribution.

L’eau séjourne avant filtration dans des décanteurs ou dans des unités de flottation par air. Cette usine de traitement est considérée comme de configuration conventionnelle.

Tableau 2 : Conditions de fonctionnement des filières étudiées

Localisation Coagulant Dose de coagulant log (m³⁻¹) Temps de floculation (h) Vitesse de filtration (m/h) Durée du cycle (h)
Baltimore Al₂(SO₄)₃·18H₂O 4,5 Al 5 8 24
Cannes WAC 5,3 Al 6 7 70
Carcassonne Al₂(SO₄)₃·18H₂O 4,1 Al 1,5 6,5 4-12
Dunkerque FeClSO₄ 3,3-2,8 Fe 1,5 6,5 20
Maromme FeCl₃ 4,1 Al 1,5 6,5 6
Quintin Al₂(SO₄)₃·18H₂O 3,9 Al 1,5 6 36
Vigneux AlCl₃ 4,1 Al 1,5 7 36

La dose de coagulant requise pour une clarification efficace varie de 100 à 300 mg/l, en raison principalement de la variation saisonnière de la concentration en carbone organique dissous (3 à 15 mg/l). De plus, dans ce cas, la rivière est fréquemment chargée d’algues. Pendant la période d’essai, le dénombrement des algues s’est révélé être à son minimum. Ainsi, les données obtenues constituent la ligne de base de la concentration des particules. Même dans ces conditions le traitement conventionnel est désigné comme optimal.

Comme dans la station de Quintin, la forte concentration de matière organique et la contribution des algues ont une grande importance dans l’évaluation de la concentration des particules en volume.

Ce cas souligne aussi l’importance de l’observation au microscope dans l’interprétation des données provenant des compteurs électroniques de particules qui ne peuvent traduire la « forme » des algues filamenteuses.

Discussion et conclusion

Les filières de traitement choisies dans la pratique pour une eau brute donnée correspondent bien à celles proposées par le modèle d’optimisation. Cela amène quelques remarques :

— lors de la conception de ces stations, le coût minimal de traitement a été considéré (à l’exception de celle de Zurich où l’objectif semble être d’atteindre une qualité maximale sans considération impérative de coût) ;

— ce type de modèle peut présenter un intérêt pratique afin de définir le traitement de clarification à étudier à l’échelle d’un pilote pour la conception d’une station de traitement d’eau.

Il a été démontré que dans l’eau brute la concentration des particules en volume, ainsi que leur taille, sont des paramètres importants pour le choix de la filière de traitement.

Pour l’estimation de cette concentration, il est parfois nécessaire de considérer le volume des particules générées ou ajoutées en cours de traitement, en fonction notamment du carbone organique dissous et du coagulant ajouté.

Dans cette étude, la qualité de l’eau brute est considérée comme constante ; lorsque des fluctuations se produisent (augmentation des algues…), il est préférable d’utiliser une concentration moyenne de particules plus élevée. Une analyse plus approfondie serait nécessaire pour évaluer le meilleur fonctionnement et le moindre coût du traitement pendant ces périodes de fluctuation.

BIBLIOGRAPHIE

1 – Wiesner M.R., O’Melia C.R. et Cohon J.L. — Optimal Water Treatment Plant Design. Journal of the Environmental Engineering Division, American Society of Civil Engineers, 113 ; FE3 ; 567-584, (juin 1987).

2 – O’Melia C.R. — Particles, Pretreatment and Performance in Water Filtration. Journal of the Environmental Engineering Division, American Society of Civil Engineers, 111 ; 6 ; 874-890 (déc. 1985).

3 – Wiesner M.R. — Previously unpublished data. Lyonnaise des Eaux, Centre de Recherche, Le Pecq, France (1987).

4 – Janssens J.G. — De Danske Sukkerfabrikker (DDS), Danemark ; communication personnelle (1986).

5 – Yen Chen-Yu — Unpublished data; The Johns Hopkins University, Baltimore, MD (1985).

6 – Monsevitz J.T. et Rexing D.J. — Direct Filtration Control by Particle Counting. Proceedings of the Annual Conference of the American Water Works Association, Las Vegas, Nevada, p. 1169-1184 (juin 1983).

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