En raison de la multiplicité des déchets valorisables en agriculture, il est nécessaire de disposer d'outils analytiques pour préciser leur utilisation agronomique . Les teneurs en matière organique, carbone et azote total sont les critères les plus utilisés dans la pratique pour spécifier l'usage agricole. Cependant, ces outils apparaissent insuffisants dans un certain nombre de situations. Une technique de caractérisation biochimique de la matière organique et une technique d'incubation en conditions contrôlées sont présentées. Ces mesures permettent de spécifier la nature de la matière organique et de quantifier l'azote minéral libéré au cours de la décomposition du produit dans un sol. En complément des analyses chimiques, ces caractérisations permettent de définir les propriétés agronomiques des déchets.
L’utilisation en agriculture des produits organiques pour améliorer le rendement et la qualité des productions agricoles existe depuis toujours. Les produits organiques mélangés au sol reconstituent le stock d’humus qui se détruit naturellement dans tous les sols cultivés. Une diminution de ce stock d’humus peut avoir une grande incidence sur la fertilité et la structure du sol et peut entraîner un ralentissement important du développement et de la croissance des plantes cultivées sur ce sol. De plus, les produits organiques sont susceptibles d’apporter au sol des éléments minéraux tels que l’azote et le phosphore qui sont essentiels pour le développement et la croissance des plantes.
Le contexte agricole actuel (gel des terres, réduction des intrants, problèmes environnementaux) et la nécessité collective de gérer les déchets de l’activité humaine et industrielle entraînent une utilisation croissante des déchets en agriculture. La plupart de ces déchets sont composés d’une fraction organique a priori intéressante pour leur valorisation. Cependant, devant la multiplicité des déchets, il est délicat de préciser l’usage agricole d’un sous-produit organique. En effet, ces déchets, de compositions très différentes, entraînent des effets sur la fertilité et la structure du sol très variables suivant la nature et l’origine des produits. Il est donc essentiel de posséder des outils de caractérisation de la partie organique des déchets pour préciser au mieux leur emploi en agriculture. Des analyses de laboratoire : détermination du carbone organique, de la matière organique et du rapport carbone/azote sont les outils utilisés dans la
Pratique pour spécifier l'usage de ces produits. Cependant, ces outils apparaissent insuffisants dans un certain nombre de situations. Dans le but d’une meilleure connaissance agronomique, une méthode de caractérisation biochimique de la matière organique (développée par l’Institut National de Recherche Agronomique de Bordeaux) est présentée ici ainsi qu’une technique d'incubation en conditions contrôlées. En complément des analyses chimiques, ces nouvelles méthodes permettent de mieux connaître la composition de la partie organique d’un produit et son comportement dans le sol au cours de son utilisation.
Mesures au laboratoire de la quantité de matière organique, de carbone et d’azote organique d’un déchet et utilisation de ces données en agriculture
Pour les produits utilisés en agriculture, la détermination de la quantité de matière organique est réalisée par la méthode dite de perte au feu (Norme NFU 44-160) où l'échantillon séché est calciné à environ 500 °C. La perte de poids est mesurée après calcination. On mesure en fait la proportion de matières minérales et on en déduit, par différence, la proportion de matière organique. La mesure directe du carbone organique peut être réalisée par une méthode d’oxydation du carbone à l’aide d'un acide, l’acide sulfurique, mélangé à un oxydant puissant, l’anhydride chromique (Norme NFU 44-161). L'excès du mélange oxydant est alors mesuré et on peut ainsi déterminer la quantité de carbone organique d'un produit. Cette méthode par oxydation peut cependant induire des résultats erronés dans le cas de présence de substances minérales réductrices dans le produit. Dans la pratique, des méthodes par oxydation thermique à haute température et mesure du dégagement de CO₂ formé sont préférées à la méthode d’oxydation chimique pour éviter les biais méthodologiques signalés précédemment.
Suivant la mesure réalisée : matière organique ou carbone organique, il est possible de déduire la teneur en matière organique d’un produit de la teneur en carbone organique ou vice versa. La figure 1 montre la relation entre la teneur en carbone déterminée par oxydation thermique et la teneur en matières organiques mesurée par perte au feu pour 56 produits organiques. La relation entre ces deux paramètres est la suivante :
% Matière organique = 1,89 × % Carbone (r = 0,97)
La mesure de l’azote total des produits organiques ne fait l'objet d’aucune norme spécifique dans le domaine agricole. Cette mesure peut être réalisée par deux méthodes : la méthode Kjeldahl qui transforme l’azote organique en azote ammoniacal par oxydation chimique et une méthode d’oxydation thermique à haute température où l’azote est oxydé en azote gazeux N₂ qui est dosé. Le dosage de l’azote par oxydation thermique présente l’avantage d’être réalisé simultanément avec celui du carbone à l’aide d‘analyseurs automatiques.
Dans la pratique, le rapport carbone/azote est fréquemment utilisé pour spécifier l’usage des produits organiques. Il est couramment admis que les composés possédant un rapport C/N inférieur à un C/N critique de l’ordre de 10 se décomposent rapidement dans le sol en libérant rapidement des éléments nutritifs dont l’azote minéral. Ces produits sont appelés engrais organiques. Au contraire, les composés ayant un rapport C/N supérieur à ce C/N critique se décomposent lentement et apportent après décomposition des quantités importantes de matière organique stable dans le sol. On parle alors d’amendements organiques. Cependant, cette classification basée sur le rapport C/N peut s’avérer fausse ou approximative. D’une part, le C/N critique varie de façon importante suivant les différents travaux disponibles sur ce sujet. D’autre part, il existe des produits qui possèdent un comportement opposé à cette règle. Un exemple classique est le cas des composts de déchets verts qui possèdent un rapport C/N faible de l’ordre de 10 à 15. Incorporés au sol, ces composts se décomposent lentement et apportent des quantités importantes de matière organique stable. Leur incorporation dans le sol n’entraîne pas d’augmentation de l’azote minéral mais, dans la plupart des cas, provoque un blocage temporaire de l’azote minéral sous forme organique. Cet exemple montre que le rapport C/N, bien qu’il soit couramment utilisé en agriculture, est un indicateur à manier avec précaution et doit être complété par d’autres caractérisations.
Caractérisation biochimique des matières organiques (c.b.m.) et utilisation agricole des produits
La caractérisation biochimique des matières organiques (c.b.m.) permet de connaître la proportion de différents constituants de la matière organique
du produit étudié. Cette méthode, mise au point par l’I.N.R.A. de Bordeaux (Djakovitch, 1988 – Lineres et Djakovitch, 1993) détermine la proportion relative de quatre classes de molécules organiques : la partie soluble, les hémicelluloses, la cellulose et la lignine.
Cette « carte biochimique » simplifiée de la matière organique permet d’estimer le potentiel humique du produit, c’est-à-dire son potentiel à fournir de l’humus stable dans un sol et à dynamiser la vie microbienne. En effet, la cellulose et la lignine sont des composés stables dans les sols et générateurs d’humus.
Au contraire, la fraction soluble et les hémicelluloses sont dégradées rapidement par la microflore du sol. La connaissance de la proportion de produits stables (cellulose et lignine) et instables (partie soluble et hémicelluloses) définit la propriété d’un produit à fournir l’humus à un sol. Cette analyse permet de spécifier l’usage comme amendement (cas des composts d’écorces, figure 2) ou comme engrais (cas de certaines boues ou déjections animales).
L’analyse d’un panel de produits ou déchets organiques connus (Robin, à paraître) permet le classement des produits en quatre groupes (figure 3) :
- - Groupe I : produits riches en fraction soluble, utilisables comme engrais organiques, dont la teneur en fraction soluble est supérieure ou égale à 30 % de la matière sèche.
- - Groupe II : produits riches en cellulose et en lignine, utilisables comme amendements organiques, dont la somme des teneurs en cellulose et lignine est supérieure à 39 % de la matière sèche.
- - Groupe III : ce groupe comprend les matières premières utilisées pour fabriquer les amendements ainsi que quelques amendements commerciaux ou végétaux ayant le même type de profil biochimique que ces matières premières.
- - Groupe IV : produits dont la teneur en matières minérales est supérieure à 40 % de la matière sèche. Ces produits, en raison de leur pauvreté en carbone, ne peuvent être utilisés comme des amendements de qualité mais, a priori, comme des engrais organiques dont la fourniture en éléments minéraux reste à définir.
La figure 4 présente la composition biochimique de trois produits possédant un rapport C/N proche (de l’ordre de 10). Les produits A et B, ayant une teneur en matière organique semblable (80 % de la matière sèche), possèdent des compositions biochimiques très différentes. Le composé A est riche en cellulose et en lignine et son incorporation dans le sol permet un apport important de matière organique stable. Au contraire, le composé B est riche en hémicelluloses et en fraction soluble et est susceptible de libérer des quantités importantes d’éléments minéraux au cours de sa décomposition. Le composé C possède une fraction organique plus faible (75 %) mais des teneurs en cellulose et en lignine comparables au composé A. Si l’on recherche un bon amendement organique, le produit C, même s’il possède une fraction organique plus faible, apparaît aussi efficace que le produit A. Au travers de cet exemple, il apparaît que les seules mesures de la matière organique et du rapport C/N de ces produits peuvent fausser l’utilisation agricole de ces trois produits. La caractérisation biochimique de la matière organique constitue dans ce cas l’outil précisant l’usage agronomique des produits étudiés.
La figure 5 présente la composition biochimique de différentes boues de station d’épuration. Ces résultats montrent la diversité de la composition des boues de station, bien qu’elles soient toutes riches en fraction soluble. D’après ces résultats, il apparaît que ces différents produits se comporteront de manières différentes dans le sol. Il est donc nécessaire de bien les étudier individuellement pour mieux préciser leur potentiel agronomique avant utilisation.
Étude de la minéralisation de l’azote par incubation en conditions contrôlées
Pour une bonne utilisation du produit et pour éviter la migration des nitrates vers les nappes phréatiques, il est important de connaître la dynamique de libération de l’azote d’un sous-produit après incorporation dans un sol. Après l’apport d’un produit, l’azote contenu dans la fraction organique du produit est minéralisé par les microorganismes du sol en azote minéral. Cette minéralisation de l’azote organique aboutit à la formation d’ions ammonium (NH4+) qui sont très rapidement transformés sous forme nitrate (NO3-). Dans certains cas, il peut exister des phases transitoires de blocage de l’azote minéral (ou organisation) au début de la décomposition d’un pro-
Produit organique. Pour le bon usage d’un produit, il faut connaître les phases de libération (ou minéralisation) et d’organisation de l’azote pour les faire coïncider au mieux avec les phases de prélèvement par les plantes.
Cette dynamique peut être suivie au cours d’incubations en conditions contrôlées. Le produit étudié est mélangé à un sol remanié, où les conditions de décomposition du produit sont optimisées (Robin, 1994 - Recous et al., 1995). Par comparaison à un sol témoin, on peut estimer la dynamique de la libération de l’azote organique du produit et localiser dans le temps les éventuelles phases d’organisation et de minéralisation.
La figure 6 montre la cinétique de minéralisation de deux boues, semblables du point de vue analytique, dont la minéralisation de l’azote est différente. La boue n° 2 libère de l’azote dans le sol dès les premiers jours d’incubation. Au contraire, pour la boue n° 1, la libération de l’azote commence après 7 jours. Suivant l’effet qui est recherché : libération d’azote immédiate ou retardée dans le temps, il est possible, sur la base de ces résultats, de choisir l’une ou l’autre de ces boues pour fertiliser un sol. Il apparaît que la boue n° 2 ne doit pas être employée pendant l’hiver. En effet, le stock d’azote minéral libéré au cours de la décomposition de ce produit a toutes les chances d’être entraîné en profondeur par les pluies hivernales. Par contre, ce produit peut être apporté au cours d’une culture et pourra libérer très rapidement l’azote nécessaire à une plante pour son développement. Au contraire, pour la boue n° 1, il faudra tenir compte de la phase de latence qui apparaît entre 0 et 10 jours pour utiliser ce produit comme « fertilisant » azoté.
Conclusion
Les deux techniques présentées : caractérisation biochimique et incubation en conditions contrôlées, représentent un complément d’information important de l’analyse chimique. En effet, les déchets sont utilisés en agriculture pour la matière organique qu’ils sont susceptibles d’apporter et/ou l’azote minéral qu’ils libèrent au cours de leur décomposition dans le sol. L’ensemble de ces déterminations permet donc de mieux connaître un déchet organique, en précisant son usage agronomique en termes de matière organique et d’azote ainsi que les doses d’apport envisageables. La libération d’autres éléments nutritifs tels que le phosphore, le potassium ainsi que l’impact de ces déchets sur la structure et l’activité biologique du sol sont les autres données qu’il est nécessaire d’acquérir pour connaître l’intérêt et l’impact d’un déchet utilisé en agriculture. Ces déterminations se doivent d’être accompagnées par des tests qui garantissent l’innocuité du déchet vis-à-vis du sol et de la plante. L’ensemble de ces connaissances sur l’innocuité et les propriétés agronomiques des déchets permet une utilisation rationnelle des déchets en accord avec les objectifs économiques de l’agriculture actuelle tout en respectant l’environnement.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Djakovitch J.L. (1988) Mise au point d’une méthode de détermination rapide du coefficient isohumique de matériaux utilisables pour l’amendement des sols. Diplôme d’Ingénieur du C.N.A.M. de Bordeaux.
Djakovitch J.L., Lineres M. (1993) Caractérisation de la stabilité biologique des apports organiques par l’analyse biochimique. In : Matières organiques et agriculture. Quatrièmes journées de l’analyse de terre (GEMAS). Cinquième forum de la fertilisation raisonnée (COMIFER). 16-18 novembre 1993, Decroux et Igazi Éditeurs, 159-168.
Robin D. (1994) Effet de la disponibilité de l’azote sur les flux bruts de carbone et d’azote au cours de la décomposition des résidus végétaux dans les sols. Doctorat I.N.A. Paris-Grignon.
Robin D. Intérêt de la caractérisation biochimique pour l’évaluation des propriétés amendantes des produits organo-minéraux II. Classification des produits organo-minéraux (publication soumise à Agronomie).
Recous S., Robin D., Darwis D., Mary B. (1995) Soil inorganic N availability: effect on maize residue decomposition. Soil Biology and Biochemistry, 27 (12), 1529-1538.