Les statistiques nationales prévoient une augmentation de 50 % des volumes de boues d'ici à 2005. La valorisation agricole, destinataire de 60 % des boues de Step, est fragilisée tout comme l'exutoire des CET. Les exploitants de stations d'épuration s'inquiètent donc sur la pérennité des traitements et de l'élimination. Comment choisir?
Alors que les statistiques nationales prévoient une augmentation de 50 % des volumes de boues d'ici à 2005, soit un passage de 9 MT à 14 MT, les exploitants de stations d'épuration s'inquiètent sur la pérennité des choix de traitement et d'élimination. Jusqu'ici la moins chère, et la plus conforme aux volontés politiques de recyclage et de retour au sol, la valorisation agricole, destinataire de 60 % des boues de Step, est fragilisée. Le problème est connu : les utilisateurs directs et indirects de cette filière ont émis des doutes sur les risques sanitaires et environnementaux liés à ces résidus d'épuration.
Les autres filières ? « Parallèlement, rappelle Patrice Coconnier, chef de produits à la direction marketing de Degrémont, à l'échéance 2002 de la loi de 1992 sur l'élimination des déchets, personne ne sait encore si les CET de classe II seront maintenus ». Donc pas de pérennité assurée. L'incinération (spécifique, co-incinération avec ordures ménagères, inci-
(1) CET classe II : Centres d'enfouissement technique pour les ordures ménagères et déchets industriels banals, CET de classe II réservé aux déchets inertes.
…nération en cimenterie)? « Impossible de s'y limiter », assurent en chœur et très logiquement exploitants, opérateurs, acteurs institutionnels. Trop onéreux dans la majorité des cas, peu en phase avec les politiques de recyclage, résidus d'incinération à enfouir, réglementation sur les fumées, capacités insuffisantes, etc. Voilà pour les grandes lignes. Mais « il n'y a pas une solution, souligne Patrice Coconnier, il y a des solutions, locales, au cas par cas ».
La pérennité à 10 ou 20 ans d'une filière dépendra de deux choses : d'une très bonne analyse des paramètres qui président à la vie de la step et le choix d'une solution aussi flexible que possible. « L'analyse doit prendre en compte les aspects techniques, économiques, mais aussi sociologiques, politiques, environnementaux propres à chaque station d'épuration », explique Jean-Baptiste Devalland, consultant « boues » chez Arthur Andersen.
Choisir sa filière
Elle commence par un diagnostic local, qui met en regard la situation de la step (sa taille, la quantité de boues produites, les types d'effluents reçus et qualité des boues) et le panel des filières possibles (disponibilité) au regard du contexte géographique (proximité), économique, social. Ainsi la proximité de l'exutoire, par exemple, peut faire pencher la balance : moins de transports, meilleure acceptabilité, regroupements intercommunaux. « Si la qualité de boues produites n'est pas certaine, si une UIOM doit se créer, on peut envisager la co-incinération », note Laurent Fleury, chef de marché déchets organiques chez Sita.
Ce diagnostic fait, place à l'analyse. Celle des coûts d'abord. Ce calcul intègre aussi bien le transport, les financements, que le renouvellement des équipements et des données propres à la step (mise en conformité, création d'une aire de stockage, par exemple). « Pour refléter la réalité, précise Patrice Coconnier, l'évaluation doit également prendre en compte l'amont, le traitement de l'eau ». Jusque-là, même si c'est compliqué, rien que de très classique. « Le véritable problème est le contexte sociologique et politique », affirme Patrice Coconnier. Cet aspect occupe une place importante dans les audits d'Arthur Andersen : « Identifier les acteurs nationaux et locaux, leur position vis-à-vis de filières bien définies et localisées révèle les blocages éventuels », complète Jean-Baptiste Devalland. « Il faut aller voir sur le terrain, rencontrer tout le monde ». D'autant que c'est sur ces acteurs-là que repose la pérennité du choix.
Une filière flexible
Ayant procédé ainsi à l'élimination des filières impossibles, reste à détailler les paramètres technologiques requis. Une technologie spécifique est-elle nécessaire ? L'exploitation en est-elle complexe ou chère ? Et surtout la solution est-elle flexible ? La flexibilité est la véritable garantie de la pérennité d'une filière. Une notion que les acteurs de l'élimination des boues désignent sous le
Les filières
Station : 3 000 EqH
Filières : boues liquides
Coûts de l’épandage comparé aux autres filières : boues liquides : rapport 2,5 avec l’incinération (co-incinération) et CET
Avantages/Inconvénients : transport, nuisances
Station : 50 000 EqH
Filières : boues pâteuses chaulées ou non, co-incinération CET
Coûts de l’épandage comparé aux autres filières : boues pâteuses : 30 % moins cher que co-incinération
Avantages/Inconvénients : pas d’alternative, sauf surcoût CET classe II avec déshydratation 30 %; nuisances sol, mauvaise maniabilité ; alternative : co-incinération si UIOM à proximité
Station : 300 000 EqH
Filières : boues solides, boues compostées, boues sèches, co-incinération, incinération spécifique
Coûts de l’épandage comparé aux autres filières : boues solides : 1,5 fois moins cher que les autres solutions
Avantages/Inconvénients : alternatives : co-incinération, incinération spécifique
D’après tableau, regroupement intercommunal (économie d’échelle).
Le nom de « multifilières » : « La solution multifilières garantit l'autonomie », estime Christophe Chassande, chef du bureau Lutte contre la pollution, direction de l'eau au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement. Notamment vis-à-vis de la filière agricole : « Même si le ministère prône le retour au sol, il faut pouvoir moins dépendre des utilisateurs ».
La plupart des bureaux d'études, les professionnels du traitement de l'eau et des boues multiplient les offres multifilières. Selon le contexte local, il s'agit au minimum de préparer une solution de repli et, dans les cas les plus ambitieux, de ménager des filières parallèles. Valbé, société de valorisation et d'élimination des boues, a ainsi proposé une ouverture multifilières au District de Caen. Le projet primitif du maître d'œuvre était monofilière : élimination sur site des boues de STEP (400 000 EqH) par incinération spécifique sur lit fluidisé. La nouvelle proposition s'appuie sur la diversité des exutoires disponibles et l'accord des acteurs : « En investissant dans le séchage thermique, la collectivité ouvrait à ses boues la valorisation agricole, l'incinération en cimenterie – Calcia est proche –, ou la co-incinération dans l'UIOM proche. Nous avons pour cela ».
obtenu des engagements de chacun”, raconte Robert Giron, directeur général de la filiale de la Saur.
Le District d'Hénin Carvin, lui, gère trois STEP. Un audit, conduit par Arthur Andersen, en 2000, sur la base d'un cahier des charges multifilières, a conduit à choisir trois voies d'élimination : l'oxydation par voie humide, le compostage et la co-incinération. Le procédé OVH d'OTV répondra aux besoins des deux STEP de Hénin-Beaumont (100 000 EqH) et Courcelles-lès-Lens (20 000 EqH) qui reçoivent des effluents industriels. La co-incinération étant l'alternative pour Courcelles.
La solution compostage a été choisie pour Carvin (50 000 hab) qui épandait ses boues liquides. “L'OVH est moins chère que l’incinération spécifique et moins complexe en exploitation, commente Bernard Czerwinski, maire de Drocourt, vice-président de la commission de l'eau et de l'assainissement pour le District. Mais le choix définitif ne sera fait que si nous avons de solides garanties sur les solutions de rechange”. En l'occurrence, si la Drire accepte que les sables de l'OVH servent au remblai routier, et l'enfouissement de repli en CET de classe III.
Quel traitement
pour quelles filières
Se ménager une flexibilité implique en amont un conditionnement des boues qui permette ou anticipe sur ces basculements. Le coût d'un reconditionnement peut s'avérer très lourd. C'est le “mix traitement”, autre néologisme. Définition de Robert Giron : “Un niveau minimum de prétraitement qui permette d'utiliser la boue indifféremment dans les trois filières classiques”.
Ce prétraitement consiste à généraliser la déshydratation. Une siccité minimum à 20 % obtenue par déshydratation mécanique ouvre, par exemple, sur l'épandage, le compostage, la co-incinération, voire sur le repli en CET. “À 20 % de siccité, développe Laurent Fleury, nous proposons par exemple : filière 1, boues conditionnées pour l'épandage (150 F/t M brute) avec possibilité de repli vers la filière 2, le compostage (300 F/t de matière sèche) ; ou le compostage en filière principale avec repli en CET qui…”
chaleur pour atteindre les 30 % réglementaires. La déshydratation offre aussi l’avantage de réduire les volumes de stockage. « Entre une boue à 30 ou 35 % de siccité et une boue liquide, stockée en silos, le rapport de volume est de 1 à 10 », note Robert Giron. Faut-il aller jusqu’au séchage thermique ? Avec une siccité de 60 % à 90 %, le séchage est à la fois un bon conditionnement dans l’optique multifilières, et une technologie qui hygiénise, réduit considérablement les volumes, facilite la manutention. Les exutoires : épandage, cimenterie, ou mise en décharge. Jusqu’ici réservé aux grosses Step, il est à la portée des stations de 20 000 EqH grâce à l’apparition de procédés mieux adaptés. De son côté, la déshydratation mobile monte en puissance pour les petites collectivités. Elle épargne un investissement de 1,20 MF. Le surcoût de la déshydratation mobile fait passer de 60 F/t matière brute pour la filière liquide à 125 F. Toutefois, comme partout, il faut être pragmatique : examiner le rapport coût/efficacité et tenir compte des besoins spécifiques du (des) destinataires.