Cet article, résultat d'une étude confiée à EME par l'Ademe, est consacré à l'étude des boues d'épuration et les voies de traitement. Le volume des boues croit avec l'efficacité de notre assainissement. D?ici à 2005, si le taux de dépollution des six bassins atteint 80 %, il devrait augmenter de 54 %. Dans ce contexte, le devenir des boues devient un sujet de préoccupation grandissant. Après avoir passé en revue leurs caractéristiques principales nous examinerons dans cet article les filières thermiques et leurs aspects socio-économiques, les filières de valorisation matière avant d'aborder la problématique des réductions à la source.
Le volume des boues croit avec l’efficacité de notre assainissement. D’ici à 2005, si le taux de dépollution des six bassins atteint 80 %, il devrait augmenter de 54 %. Dans ce contexte, le devenir des boues devient un sujet de préoccupation grandissant. Après avoir passé en revue leurs caractéristiques principales, nous examinerons dans cet article les filières thermiques et leurs aspects socio-économiques, les filières de valorisation matière avant d’aborder la problématique des réductions à la source.
Une boue est un déchet de production industrielle (papeterie, extraction) ou de curage (sédiments, vases, boues de réseaux européens) ou bien encore un résidu de traitement d’effluent ; on appellera boue « une terre détrempée ; dépôt pâteux ; liquide chargé » [Larousse], caractérisée par deux aspects :
- déchet ou résidu pâteux (ou liquide chargé),
- faible aptitude à la déshydratation.
Établir une classification des boues en fonction...
Tableau 1.1 : Caractéristiques des boues
Primaire en forte charge : | déshydrabilité Bonne | fermentescibilité +++ | PCI 4200 | C/N 11 | % MS 60 % |
Moyenne charge : | déshydrabilité Moyenne | fermentescibilité +++ | PCI 4800 | C/N 9 | % MS 80 % |
Mixte : | déshydrabilité Moyenne | fermentescibilité ++ | PCI 4600 | C/N 7 | % MS 70 % |
Aération prolongée : | déshydrabilité Faible | fermentescibilité + | PCI 4100 | C/N 7 | % MS 70 % |
Stabilisée biologiquement : | déshydrabilité Moyenne | fermentescibilité + | PCI 3000 | C/N 8 | % MS 50 % |
Une boue biologique se situe entre faible et médiocre aptitude à la déshydratation. Une boue physico-chimique peut atteindre 50 % MS. Par comparaison, des ordures pressées à quelques bars contiennent 30 % d’humidité et du film plastique broyé, comprimé par vis, descend à 20 % d’humidité.
L’origine des boues permet de prévoir, a priori, leur aptitude à être déshydratées, valorisées ou éliminées.
La stabilité d’une boue
Il n’existe pas encore de critère établi de mesure de la fermentescibilité. On considère souvent C/N < 7 ou MVS = 70 % comme un indice de fermentescibilité marquée. Pourtant, la composition moyenne des boues classées selon le tableau 1.1 montre qu’une boue primaire, très fermentescible, ne répond pas à ces critères. Des travaux en cours s’orientent plutôt vers des tests respirométriques. Parmi ceux-ci (CO₂, CH₄, O₂, NH₃, H₂S), l’indice H₂S semble prometteur, mais pose encore des difficultés matérielles de mise en œuvre.
Le calcul intègre également le faible apport futur des matières de vidanges (1,2 % des tonnages) et les déphosphatations sur stations d’épuration > 2000 EH. Il aboutit à une augmentation potentielle de 54 % d’ici 2005 si le taux de dépollution des six bassins atteint 80 % et si les traitements de déphosphatation se généralisent, ce qui sera probablement plus long.
Un vingtième des stations d’épuration pèse 80 % du tonnage de boues
Ainsi, sur le bassin Loire-Bretagne, 195 stations d’épuration de plus de 15 000 EH (sur 4 180 stations) produisent 80 % des boues. En France, en ne considérant que les stations d’épuration > 5 000 EH, on réunit 84 % du gisement de boues.
Un gisement hétérogène (KTonnes/an)
Adour-Garonne : 69 (dont industrielles 23) – taux de dépollution 46 % – projection 2005 : + 66 % |
Artois-Picardie : 23 (3) – 45 % – + 60 % |
Loire-Bretagne : 160 (25) – 51 % – + 46 % |
Rhin-Meuse : 83 (8) – 56 % – + 36 % |
RMC : 220 (90) – 25 % – + 73 % |
Seine-Normandie : 190 (63) – 43 % – + 72 % |
Total 1997 : 805 KT MS Projection 2005 : 1 244 KT/an (moyenne : + 54 %) |
Le gisement des boues : en forte croissance
810 KT de boues (MS) furent collectées en 1997. Les nombreux articles consacrés au sujet tablent sur une forte progression du tonnage de boues d’épuration à éliminer. Au niveau de l’unité d’épuration ou à l’échelle d’un territoire se pose la question du choix d’une filière pérenne d’élimination des boues. Cette synthèse, réalisée en 1999 pour l’ADEME, dégage des critères d’aide à la décision pour comparer les alternatives et envisager leur évolution.
Projection 2005 : plus de 50 % d’augmentation
Le calcul considère le taux de dépollution effectif 1997 par rapport à l’objectif européen de 80 % en 2005.
Aspects technico-économiques des filières thermiques
Les boues déshydratées peuvent être admises à 25 – 35 % MS, sous forme pelletisée. Selon la taille de la station d’épuration, le four fonctionne en flux tendu ou avec stockage le week-end. La vingtaine d’unités en France varie entre 65 000 t MS/an et 730 t MS/an : technologie souple et sûre.
Les résidus ne comportent pas de mâchefers ; les cendres sont éliminées en CET ou en cimenterie (essais en cours pour valorisation routière). Il est possible de co-incinérer boues + graisses, atout significatif.
Avec des investissements de 12 à 15 MF, cette filière reste le privilège des grosses stations d’épuration, entraînant un coût de 500 F à 600 F/m³ de boue admise (soit 2 000 F à 2 400 F/T MS).
Considérées maintenant comme des unités d’incinération assimilables aux UIOM, les fours doivent se conformer aux normes de rejets en vigueur (arrêté du 25 janvier 1991). La mise aux normes renchérit le coût : équipement et surcoût d’élimination des résidus de traitement de fumées (assimilables à des REFIOM).
On remarquera toutefois que la boue déshydratée à 30 % n’est pas autocombustible dans ce type de four ; il ne s’agit donc pas d’une valorisation énergétique.
La co-incinération
Deux technologies s’opposent actuellement :
- l’introduction de boue séchée (60 % à 90 %), mais l’UIOM ou la station d’épuration doit alors s’équiper d’un sécheur, ce qui alourdit la facture ;
- l’injection de boues pâteuses (20 % à 25 %).
L’incinération spécifique
Les divers procédés (Andritz, Degrémont, FM Industrie, OTV, Seghers, Lurgi...) optent majoritairement pour un four à lit fluidisé de sable. L’injection séquentielle de la boue déshydratée entraîne des variations des conditions thermiques (température, oxygène) compensées par le réglage de la boîte à vent.
Concernant le tonnage de boues à éliminer, on traite plus de 80 % du problème avec moins de 15 % des stations d’épuration.
Ce deuxième procédé (Degrémont) dispose en France d’une douzaine d’unités en place. Elles se démarquent par deux avantages et trois inconvénients cités ci-dessous :
La co-incinération en UIOM de boues pâteuses a des incidences sur la conduite du four et est limitée techniquement à 15 m³ de boues par tonne d’ordures ménagères. Ceci conduit à pouvoir co-incinérer les boues d’une population légèrement supérieure à celle de collecte des ordures.
S’agissant des coûts, les prix constatés en co-incinération diffèrent selon ces deux procédés :
- – séchage + co-incinération : 250 à 450 F/m³ ;
- – co-incinération pâteuse : 150 à 250 F/m³ (selon les analyses des unités en fonctionnement).
Intéressante sur le plan économique, la co-incinération de boues pâteuses stagnait pourtant en France depuis dix ans. Un regain d’intérêt est constaté sur les appels d’offres d’UIOM en 1999, incluant souvent un volet co-incinération des boues.
Pour le gestionnaire de station d’épuration, il n’y a pas d’investissement lourd à prévoir sur l’UIOM. Mais l’absence d’autonomie sur la filière boue et la mauvaise lisibilité des coûts, parfois, sont des éléments à prendre en compte. La quantité de boues sera importante.
L’incinération en cimenterie : premiers essais en 1999
Sur le parc des cimenteries en France, 22 admettent des déchets soit pour une valorisation matière (déchets minéraux ou ferreux), soit énergétique. L’apport énergétique de boues déshydratées à 30 % MS est faible (le PCI est d’environ 600 kcal/kg) ; elles doivent donc être préalablement séchées. Les boues apportent des minéraux (sables et limons d’environ 30 % de la MS) qui sont intégrés dans le clinker.
Le groupement SCORI mène deux expérimentations en France. Les boues sont livrées séchées à 90 % (pelletisées ou pulvérulentes). Certaines boues industrielles pourraient être traitées liquides.
Un prix de l’ordre de 400 F/tonne est envisagé, auquel s’ajoutera le coût de séchage et de transport. Extension prévue à plusieurs cimenteries.
Cette filière pourrait être intéressante derrière une plate-forme départementale de regroupement de boues.
L’oxydation par voie humide : un procédé bien intégré à la filière EAU
Oxydation sous flamme à 230 °C sous pression de 30 à 40 bars, l’OVH s’applique sur…
boues épaissies et vise à oxyder le plus complètement la matière organique de la boue.
En France, seuls des équipements pilotes sont en fonctionnement (OTV, Degrémont). Une grosse unité industrielle (Vertech) est opérationnelle en Hollande. Comme pour l'incinération, l'intérêt du process réside dans la faible production de résidus.
Il s'agit d'un déchet minéral solide :
- - d'un rejet liquide à DCO facilement dégradable (acétate), qui retourne en tête,
- - de gaz épurés.
En 2000, on ne dispose pas de retour d’expérience suffisant pour dresser un bilan économique. Technologie novatrice, l'OVH ne convainc pas encore en France, malgré l'atout d’autonomie. Plus encore que pour l'incinération, la conduite d'un tel process chimique sous pression, très différent du métier de l’épuration d'eaux, peut être un frein à son extension.
La pyrolyse : premiers appels d’offres en 1999 en France
La pyrolyse est un procédé de dégradation thermique en atmosphère réductrice. La matière organique est transformée en trois fractions : liquide, solide, gazeuse, dont la proportion dépend des paramètres de réaction (température, pression, durée).
Sept constructeurs sont présents sur le futur marché français de la pyrolyse des déchets. Les procédés proposés concernent les ordures ménagères ou les DIB ; un projet de thermolyse de déchets spécifiques agricoles est également envisagé, en Bretagne. Le co-traitement de boues impliquera de préférence un séchage préalable (sur site de production ou de traitement).
Le coût de la pyrolyse d'une tonne de déchet serait voisin à celui des UIOM (500 F à 600 F/T) selon la destination du résidu solide. Les débats administratifs autour du statut de ce résidu organo-métallique (“coke”) n'est pas achevé en France. Selon que le coke sera considéré DIS, mâchefer classe S ou bien combustible, le coût différera (de 15 à 25 %).
Marquée par l'arrêt définitif du projet SIEMENS en Allemagne, la filière reste embryonnaire (en France une usine à Digny en 1999) mais une dizaine d'appels d’offres, le traitement des déchets incluant les boues, se sont ouverts à “tous procédés thermiques” depuis 1998.
Si une station d’épuration peut disposer dans un périmètre de 10 à 20 km à l'avenir, d'une unité de pyrolyse conçue pour co-traiter ordures et boues, les critères de choix de filière seront ceux applicables à la co-incinération en UIOM.
Filières valorisation matière : priorité à l’épandage agricole
La valorisation agricole
On distinguera la valorisation agricole, l’épuration par le sol et la reconstitution des sols dégradés. L'épuration par le sol concerne des effluents chargés et ne produit pas de boues : assainissement autonome ; filtre-sol à lisier ou effluents industriels. Il ne s'agit donc pas d’une filière de traitement de boues de station d’épuration. La valorisation agricole doit respecter le principe d’équilibre des apports des boues et des exportations par les cultures. La reconstitution d’un sol non cultivé est admise par la réglementation française à condition d'un intérêt pour ce sol (Art. 6 Décret 8 décembre 1997).
La réhabilitation des décharges a pu servir d'exutoire à divers déchets organiques, parfois compostés (divers, boues, bases...). Mais les programmes départementaux arrivent à terme prochainement.
Des niches sont à considérer, localement.
Le débouché national que représenterait les briqueteries est estimable à 280 kt de matières sèches potentiel. Mais les contraintes logistiques (séchage préalable et proximité d’une usine), commerciales (acceptation des clients) et réglementaires en font une alternative encore hypothétique.
(pistes de ski, friches urbaines, talus routiers,…) ; mais restent peu significatives pour la filière. Ainsi on peut estimer à 1500 ha épandables sur talus autoroutiers, soit une capacité maximum de 4500 t MS/an, c’est-à-dire 0,5 % du gisement national. Éprouvée par les scandales de la vache folle et du “poulet à la dioxine”, l’agriculture freine cette filière depuis 1996. Les travaux de normalisations en cours sur les Matières Issues du Traitement des Eaux (MITE) et sur le compostage, ainsi qu’un projet de certification des chantiers d’épandage relanceront probablement une filière de valorisation préconisée par la loi déchets et dont les coûts (50 F à 120 F/m² épandu) sont les plus compétitifs. La question des garanties financières à l’agriculture, pour assurer le risque sanitaire devra également être résolue.
Certaines grosses agglomérations gèrent de grands plans d’épandage (Nantes, Toulouse, région parisienne). Mais c’est au prix d’une relative insécurité sur la pérennité de l’exutoire. L’arrêté du 8 janvier 1997 demande à ce titre une filière de secours, si l’épandage est pratiqué.
Pour des plans d’épandage limités à quelques centaines d’hectares, gérables dans un rayon de 10 à 20 km autour de la station d’épuration, le producteur de boues aura intérêt à rechercher la faisabilité locale de cette filière, dont les nuisances liées à la logistique (stockage, transport, manutention) seront mieux acceptées en milieu rural, et pour des quantités modestes.
Le recyclage des matériaux
Le principe des divers procédés expérimentaux repose sur la valorisation de la part minérale des boues, contrairement aux valorisations énergétique et agricole.
On distinguera les procédés céramiques (briques, tuiles…) qui cuisent à plus de 800 °C (et assurent donc stérilisation et inertage du déchet) et les procédés à froid qui assurent un “encapsulage” dans une matrice plus ou moins étanche.
Quelques procédés céramiques en Grande-Bretagne [Tay] ou aux USA [Bryan] annoncent des résultats partiels : des briques incluant 10 % à 20 % de boues garderaient des caractéristiques physiques conformes à la norme US-ASTM. Nos propres essais, à la briqueterie de Saumur, confirment les avantages et les inconvénients pour une briquette de parement “vieilli” qui inclut 15 % de boue (séchée) dans sa fabrication.
L’inclusion à froid a fait l’objet de moins de recherches. Il est difficile de se prononcer sur l’intérêt de l’inclusion de boues dans des produits de jardin en pierre reconstituée. Cette filière peut proposer quelques débouchés locaux, à deux conditions :
- boues très minérales (plus de la moitié),
- site industriel de fabrication de matériaux.
Réduction à la source
Plus la charge d’une station d’épuration à boues activées est faible (âge de boue élevé), moins elle produit de boues. Sur ce principe, des recherches tentent d’orienter le métabolisme de la biomasse. Les boues sont en effet constituées à 60 % de biomasse de micro-organismes qui consomment la pollution entrante pour entretenir leur métabolisme.
On parvient à favoriser ce catabolisme soit dans des bioréacteurs à membranes (BRM), à alimentation discontinue et haute concentration en biomasse (10 g MVS/litre).
D’autres procédés également expérimentaux couplent une lyse des cellules (mécanique ou par oxydation) avec un traitement biologique aérobie ou anaérobie (CH₄). On parviendrait ainsi à diviser par deux la production de boues.