La déshydratation des boues, qu'elles soient de procédés ou d'épuration d'effluents industriels ou urbains et qu'elle s'opère sur un filtre à bandes, un filtre-presse ou une centrifugeuse, passe nécessairement par leur conditionnement chimique préalable. Les coûts d'exploitation élevés dus aux gros volumes de boues traitées par jour et à leur composition chimique et biologique variable poussent l'exploitant à vouloir optimiser la floculation des boues. Elle passe par l'expérimentation. Actuellement, ces essais sont réalisés manuellement, en bêcher ou en éprouvette, et sont très dépendants de l'opérateur, ce qui amène à des surdosages ou à des pertes significatives de performances des machines de déshydratation. Pour fiabiliser ce traitement, la SRC IFTS a développé une famille d'équipements innovants dénommés Bootest permettant de réaliser le conditionnement chimique sur les boues et est l'équivalent du Jar Test bien connu pour le traitement des eaux. La version de laboratoire, est mise en ?uvre dans une procédure, en cours d'adoption comme norme européenne (prEN 14742). Une version terrain, tout aussi fonctionnelle, compacte (format valise cabine avion) et légère (< 15 kg), utilisable sur site a été développée pour répondre aux besoins des exploitants soucieux d'optimiser la filière boues de leur station et de réduire ses coûts de fonctionnement.
La réduction du tonnage des boues, qu’elles soient urbaines ou industrielles, est une préoccupation majeure des collectivités et des industries. Des opérations de déshydratation mécanique sont indispensables pour réduire la quantité d’eau interstitielle de 90-99 % à 70-85 %. Sinon, les coûts de transport, de stockage et d’opérations ultérieures (concentration, séchage ou dans le cas des boues : valorisation matière, élimination) sont fortement augmentés. En outre, l’eau interstitielle pose de nombreux problèmes de stockage, de manipulation et de contamination sur sites. Les suspensions brutes (boues primaires, activées, digé-
rées ou de procédés) sont généralement épaissies dans des décanteurs ou des flottateurs ou sur des tables d’égouttage puis déshydratées dans des presses à bandes ou à vis, des filtres-presses à plateaux ou des décanteuses centrifuges. Par ailleurs, les prétraitements appliqués aux boues avant déshydratation, tel que le conditionnement chimique, ont un impact important sur leur teneur en eau. Le conditionnement chimique joue un rôle majeur dans la performance de la déshydratation et son optimisation est d’autant plus importante qu’il représente jusqu’à 15 % des coûts d’exploitation de la filière boue d’une station d’épuration.
Le conditionnement chimique consiste à ajouter des réactifs chimiques dans la boue afin d’assembler les particules colloïdales initialement très dispersées en flocs plus gros, ce qui facilite grandement la séparation solide-liquide pour avoir à la fois un bon taux de capture des solides dans les flocs, faciliter l’expulsion de l’eau et atteindre une siccité élevée de la boue finale. Chaque boue ayant une composition particulière et chaque appareil de déshydratation lui impose des contraintes spécifiques, il existe sur le marché une très grande diversité de produits chimiques de conditionnement des boues d’épuration. La complexité des processus de floculation, la diversité et la variabilité des boues à traiter expliquent qu’il n’existe pas de traitement, ni de produit de conditionnement miracle. Des essais de faisabilité et d’optimisation sont donc toujours nécessaires pour trouver la nature du ou des réactifs à utiliser parmi les nombreux produits disponibles sur le marché puis pour déterminer leur dose optimale en fonction de la technique d’épaississement et de déshydratation. La nature de la boue change fréquemment sur une station d’épuration, en particulier urbaine, d’où la nécessité d’adapter constamment la dose, voire la nature du réactif à la variabilité de la boue. Cela est rarement fait en pratique en raison de l’absence de méthodologie quantifiée et répétable d’optimisation de la floculation des boues à petite échelle. De ce fait, soit l’exploitant se satisfait d’un niveau de déshydratation dégradé qu’il pourrait améliorer pour diminuer les coûts d’exploitation, soit il surdose le produit de conditionnement pour obtenir un niveau de déshydratation acceptable pour la filière de valorisation. L’excès de réactif se retrouve dans les filtrats et les centrats et leur complexité moléculaire en fait des agents polluants particulièrement difficiles à dégrader lorsqu’ils sont retournés en tête de la station d’épuration, d’où une consommation supplémentaire d’énergie de dépollution.
État de l’art : comparaison des méthodes classiquement utilisées
Le choix du produit de conditionnement et de sa dose repose traditionnellement sur des essais à petite échelle sur quelques centaines de millilitres de boues. Contrairement à la floculation de l’eau où le Jar-Test est l’équipement de référence reconnu, il n’existe pas d’appareillage « standardisé » pour floculer les boues, celles-ci sont par ailleurs généralement trop visqueuses et trop concentrées en solides pour être « bien » floculées dans un Jar-Test. D’autre part, cet équipement et sa procédure standard (3 min d’agitation à 150 rpm suivies de 15 min d’agitation à 40 rpm) ne permettent pas d’assurer un mélange adapté aux cinétiques de formation des flocs dans les boues, plus rapides que dans les eaux. L’examen des pratiques des professionnels de l’eau met en évidence des méthodes manuelles et non quantifiées pour disperser le floculant dans l’échantillon de boues puis former des flocs : mélange à la spatule, par secouage, par transfert d’un bécher à l’autre. Ces pratiques sont donc très dépendantes du savoir-faire de l’opérateur. Parfois, un agitateur mécanique est utilisé mais les conditions de mélange ne sont pas reproduites à l’identique (vitesse, durée d’agitation, positionnement de l’agitateur dans le volume de boue, forme du mobile d’agitation…) et donc impactent fortement la distribution de taille de flocs, et ce malgré l’utilisation du même réactif et de la même dose. D’autre part, la quantification de l’efficacité de la floculation est souvent basée sur des paramètres qualitatifs (taille et aspect des flocs, homogénéité du mélange floculé, qualité de l’eau interstitielle…) ou quantitatifs mais non représentatifs d’un procédé industriel (exemple, le temps de succion capillaire (EN 14701-1), souvent utilisé pour comparer les produits et doses de traitement entre eux).
Pour évaluer et quantifier la floculation des boues, le test d’égouttage semble le plus approprié, d’une part parce qu’il est déjà normalisé (EN 14701-4) et d’autre part parce qu’il est représentatif d’une technologie d’épaississement (table d’égouttage) souvent utilisée en amont d’un équipement de déshydratation. Il consiste à déposer sur une toile de très grande perméabilité une boue floculée afin de séparer par gravité les flocs et l’eau contenue dans la boue. La norme préconise de mesurer les cinétiques d’égouttage des flocs, soit le débit de filtrat écoulé en fonction du temps, la siccité de la boue épaissie et la concentration en solides dans le filtrat, paramètres qui peuvent être regroupés dans un Indice d’Égouttage, paramètre proposé par la SRC IFTS pour faciliter les comparaisons de produits. Les performances de l’égouttage sont elles aussi très sensibles aux différents paramètres opératoires de la floculation (nature et dose des réactifs, conditions de mélange) et les résultats des essais d’égouttage des boues menés en laboratoire selon la méthode IFTS sont très reproductibles, facilement modélisables et donnent des résultats transposables aux performances des tables d’égouttage industrielles. Ils peuvent dès lors être utilisés comme un outil de caractérisation de la floculation.
La répétabilité des 4 méthodes a été évaluée :
– Méthode 1 : mélange boue/polymère à la spatule dans un bécher de 150 ml et transfert manuel dans une cellule d’égouttage ;
– Méthode 2 : mélange boue/polymère par transvasement d’un bécher à un autre et transfert manuel dans une cellule d’égouttage ;
– Méthode 3 : mélange boue/polymère par agitation mécanique dans un bécher et transfert manuel dans une cellule d’égouttage ;
– Méthode 4 : mélange boue/polymère par agitation automatique dans la cellule du Bootest et transfert automatique dans une cellule d’égouttage.
Les différents essais ont été réalisés le même jour et répétés 5 fois par le même opérateur (conditions favorables pour les méthodes manuelles) sur une boue activée floculée avec un polymère cationique à 60 % de cationicité, fortement réticulé et à une dose de 15 kg/T MS. Les résultats, basés sur les paramètres cinétiques d’égout-
Tableau 1 : Comparaison de 4 méthodes de floculation au laboratoire
Méthode | Valeur | M10 | M30 | M90 | t50 (s) | Si (%) | MES (mg/L) |
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Méthode 1 | |||||||
Moyenne | 0,277 | 0,420 | 0,510 | 10,7 | 6,13 | 1209 | |
Précision (%) | 27,1 | 20,3 | 13,7 | 28,6 | 2,95 | 28,4 | |
Méthode 2 | |||||||
Moyenne | 0,330 | 0,440 | 0,524 | 5,9 | 6,48 | 829 | |
Précision (%) | 16,2 | 10,5 | 5,93 | 17,0 | 2,95 | 12,7 | |
Méthode 3 | |||||||
Moyenne | 0,378 | 0,482 | 0,546 | 4,1 | 6,62 | 1370 | |
Précision (%) | 10,2 | 8,97 | 4,99 | 15,2 | 1,30 | 13,2 | |
Méthode 4 | |||||||
Moyenne | 0,430 | 0,523 | 0,556 | 4,6 | 7,43 | 520 | |
Précision (%) | 1,56 | 0,96 | 1,31 | 6,99 | 0,98 | 7,25 |
Les résultats sont exprimés selon les quatre paramètres retenus (M10, M30, M90 qui sont respectivement les rapports masse de filtrat récupérée/masse de boue initiale à 10 s, 30 s et 90 s, t50 : temps nécessaire pour récupérer 50 % du volume égoutté en 2 min), sur la concentration de la boue (Si : siccité de la boue épaissie) et sur la qualité du filtrat (MES). Ils sont regroupés dans le tableau 1 qui donne les valeurs moyennes des paramètres et la précision des mesures (rapport écart type/moyenne).
Les essais mettent en évidence une amélioration des valeurs moyennes des différents paramètres et des précisions des mesures associées quand l’intervention de l’opérateur diminue dans le processus de floculation et de transfert des flocs sur la toile d’égouttage.
Le Bootest laboratoire : un équipement nécessaire pour les laboratoires travaillant sur l’optimisation de la déshydratation
Pour répondre au besoin de la profession d’un appareillage et d’une procédure simples et fiables permettant de réaliser des essais de floculation de suspensions ou de boues dans des conditions contrôlées, quantifiées, traçables et répétables en vue de l’optimisation de leur déshydratation dans les procédés industriels, la SRC IFTS a développé un appareil spécifique : le Bootest.
Le Bootest comprend deux unités (mais il peut en être équipé de 1 à 6) fonctionnant ensemble ou de manière indépendante avec :
- - un floculateur en cellule agitée avec hélice à 4 pales et fond à ouverture automatique,
- - un transfert automatique et direct de la boue floculée dans la cellule d’égouttage,
- - une cellule d’égouttage,
- - une pesée de la masse de filtrat écoulée au cours du temps,
- - l’enregistrement des conditions d’essais et le relevé de production en continu.
Cet appareil permet :
- - la coagulation floculation des échantillons de boue biologique avec différents types de polymères sous conditions maîtrisées, quantifiées et répétables, indépendamment de l’opérateur,
- - la mesure de l’aptitude à l’égouttage des boues floculées, base du dimensionnement et de l’optimisation des tables d’égouttage (filtration-compression ou sur centrifugeuse à godets) ou pour fiabiliser les mesures de siccité limite (méthode en cours de révision à l’AFNOR).
L’étude de l’influence des paramètres
Tableau 2 : Résultats des essais inter-laboratoires sur les boues activées à l’aide du Bootest
Polymère : Faiblement réticulé – 13 kg / t MS
Moyenne : M10 0,237 ; M30 0,385 ; M90 0,481 ; t50 (s) 11,6 ; Si (%) 7,92 ; MES (mg/L) 910
Précision (%) : M10 12,0 ; M30 9,18 ; M90 5,04 ; t50 16,8 ; Si 1,40 ; MES 6,63
Polymère : Moyennement réticulé – 14 kg / t MS
Moyenne : M10 0,315 ; M30 0,459 ; M90 0,522 ; t50 7,9 ; Si 8,04 ; MES 610
Précision (%) : M10 5,67 ; M30 3,10 ; M90 1,38 ; t50 10,4 ; Si 2,75 ; MES 7,4
Polymère : Fortement réticulé – 15 kg / t MS
Moyenne : M10 0,343 ; M30 0,497 ; M90 0,540 ; t50 5,1 ; Si 8,00 ; MES 740
Précision (%) : M10 7,1 ; M30 2,23 ; M90 0,60 ; t50 16,3 ; Si 2,61 ; MES 10,5
Hydrodynamiques (temps de mélange, vitesse de rotation, volume de boue, forme et position du mobile d’agitation, vitesse d’injection du polymère) ont conduit au développement et à la validation d’une procédure de conditionnement chimique des boues au laboratoire pour former des flocs qui sont épaissis et déshydratés comme ceux d’une filière de traitement des boues industrielles.
La méthode d’essai est en cours d’adoption comme norme européenne (prEN 14742) par le CEN TC 308. Dans cette démarche, les essais inter-laboratoires ont été organisés à la SRC IFTS en avril 2013. Ils ont réuni 15 experts venant de six pays différents (France, Allemagne, Belgique, Italie, Norvège, Turquie). Au total, 270 essais ont été menés en un jour et demi sur trois types de boues (boues activées, boues digérées, boues d’eau potable) floculées chacune en duplicats avec trois polymères de nature différente, sur deux appareils de laboratoire Bootest de formation de flocs et d’égouttage fonctionnant en parallèle.
Le tableau 2 présente les résultats sur les boues activées, déjà testées lors des essais de comparaison des différentes méthodes. Les résultats mettent en évidence que la reproductibilité des mesures obtenues reste meilleure que celle des méthodes manuelles, même menées dans les conditions les plus favorables avec le même opérateur.
Le Bootest dans sa version actuelle a été conçu pour être un appareil de laboratoire très fonctionnel, permettant d’enchaîner des essais de floculation très rapidement en laissant à l’opérateur le choix des conditions de la floculation. Son automatisation pourra être complétée par une injection automatique du polymère avec réglage précis du volume à injecter pour tout type de polymère et un nettoyage facile.
Le Bootest terrain : un équipement nécessaire pour les exploitants de station dans une démarche quotidienne d’ajustement du conditionnement chimique à la variabilité de la boue et de diminution des coûts d’exploitation.
À la demande des professionnels, une version terrain du Bootest a été développée en 2013 pour en simplifier l’usage sur site dans les stations de traitement et d’épuration tout en appliquant la norme. Ainsi, la taille et le poids de la machine ont été réduits (l’appareil fait moins de 15 kg et peut rentrer dans une valise cabine d’avion) et sa maniabilité améliorée (fonctionnement uniquement à l’électricité avec programmation des vitesses et durées d’agitation et de la durée d’enregistrement du volume de filtrat écoulé).
La figure 3 illustre les travaux de conception de l’outil terrain. Cet outil est une réponse aux besoins des exploitants dans leur démarche d’ajustement de la floculation à la variabilité de la boue afin de maintenir la siccité des boues déshydratées et la productivité de la filière boues tout en réduisant la consommation de polymères et en évitant les surdosages.
Le tableau 3 présente les deux équipements proposés par la SRC IFTS.
Tableau 3 : Bootest laboratoire et Bootest terrain
Matériel | Bootest Laboratoire (L1 : 2 cellules) | Bootest Terrain (T1 : 1 cellule) |
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Poids total | < 40 kg | < 15 kg |
Dimensions (L × l × h) | 0,65 × 0,70 × 1 m | 0,35 × 0,40 × 0,35 m |
Affichage | Écran PC | Afficheur digital + écran PC |
Volume de boue | 350 × 2 mL | 350 mL |
Alimentation | 220 V – 16 A + air 6 bar | 220 V – 16 A, prise domestique |
Équipement de série | PC, logiciels d’acquisition et traitement des résultats | |
Option | 2 à 4 cellules supplémentaires |
Conclusions
Dans une démarche de réduction des coûts ou d’amélioration des performances de la filière boue, il est nécessaire d’optimiser le conditionnement chimique des boues. La recherche expérimentale menée par la SRC IFTS sur la floculation des boues depuis quelques années et son rôle actif dans le comité de normalisation européen CEN TC 308 a porté ses fruits puisque le Bootest et le protocole associé s’imposent comme l’outil et la méthode de référence européenne pour la floculation des boues, à l’instar de ce qu’est le Jar-Test pour la floculation des eaux et qui se trouve d’application limitée pour tester les boues trop chargées, trop visqueuses. Il permet de floculer à l’échelle du laboratoire des suspensions ou des boues urbaines et industrielles dans des conditions rigoureusement identiques, contrôlées, quantifiées et répétables, et de qualifier l’aptitude des flocs formés à être épaissis. Le projet de norme (prEN 14742) proposé à la commission de normalisation européenne est en phase de validation finale après la phase d’essais inter-laboratoires organisés en 2013.
Pour répondre aux besoins de la profession, la SRC IFTS propose deux équipements : un Bootest laboratoire pour optimiser les conditions de floculation (nature des réactifs, dose) lors de l’épaississement des boues et fiabiliser les tests de déshydratation ultérieurs, et un Bootest terrain pour contrôler la floculation et ajuster ses conditions à la variabilité de la boue en vue de réduire les coûts de la filière boue.