Your browser does not support JavaScript!

Bioréacteur à membranes : membranes immergées ou à l'extérieur du bassin biologique ?

30 mai 2003 Paru dans le N°262 à la page 41 ( mots)
Rédigé par : Emmanuel TROUVÉ et Sylvie FRAVAL

L?analyse des principales composantes du coût global d'un bioréacteur à membranes montre qu'il n?existe pas de configuration idéale (membranes immergées ou membranes en boucle externe), et qu'il faut valider l'adéquation entre le contexte et les objectifs du projet de traitement des eaux usées d'une part, et les caractéristiques propres à la configuration de bioréacteur à membranes retenue.

Existe-t-il une mise en œuvre unique et universelle du couplage entre traitement biologique et séparation liquide/solide sur membranes ? Dispose-t-on d’un type de bioréacteur à membranes nettement supérieur aux autres ? À ces deux questions, la réponse est « non », en témoignent la diversité des mises en œuvres réussies à l’échelle industrielle et le résultat des appels d’offres où plusieurs types de bioréacteur à membranes étaient en compétition.

Une des questions centrales de la technologie des bioréacteurs à membranes est le choix entre des membranes à peau interne placées en dehors du bassin de boues activées d’une part, et des membranes à peau externe immergées dans ce bassin.

[Photo : Une des questions centrales de la technologie des bioréacteurs à membranes est le choix entre des membranes à peau interne placées en dehors du bassin de boues activées d’une part, et des membranes à peau externe immergées dans ce bassin.]
[Photo : Membranes fibres creuses pour la configuration immergée.]

vues d'une part, et des membranes à peau externe immergées dans ce bassin (voir schéma).

Même si la composition du parc mondial de bioréacteurs à membranes n’a pas encore été étudiée de manière exhaustive et indépendante, il semble bien que l'une et l'autre de ces deux configurations rencontrent des applications et des contextes favorables à leur mise en œuvre. Il est proposé ici une revue des caractéristiques de ces deux choix structurées autour des principales composantes du coût global d'un bioréacteur à membranes.

Pour un projet, comment analyser les conséquences du choix de la configuration de bioréacteur à membranes ?

En matière de traitement d’eaux usées, les prescripteurs comme les décideurs adoptent de plus en plus une démarche leur permettant de maîtriser le coût global (investissement, exploitation) de la solution retenue et son caractère durable (maintenabilité, capacité d’évolution, déchets générés, nuisances, ...).

En conséquence, les questions qu’ils se posent pour arbitrer un choix de technologie et/ou de configuration pour une solution de traitement des eaux usées portent au minimum sur :

• Investissement   - Types de déchets issus de la station et pérennité de leur destination ?   - Possibilité de récupération d’ouvrages existants ?   - Impact sur les investissements pour le réseau de collecte des eaux usées ?   - Intégration au site et gestion des nuisances ?   - Durée de vie des ouvrages et équipements achetés ?   - Coût de l'ensemble de la filière eau (y compris tertiaire si requis) ?   - Coût de l'ensemble de la filière boues requise ?   - Financement ?

• Exploitation   - Fiabilité ?   - Main-d’œuvre requise pour le suivi régulier ?   - Énergie ?   - Renouvellement des membranes et des équipements ?   - Maintenance ?   - Réactifs ?   - Économies d'eau potable (si recyclage en place) ?   - Coût d’enlèvement et de traitement des boues et déchets ?

Pour mieux former son choix entre bioréacteur à membranes immergées et bioréacteur à membranes en boucle externe, il est utile de s'interroger sur l’impact de ce choix sur l'ensemble de ces composantes de l'investissement et du compte d’exploitation.

Conséquences du choix de la configuration de bioréacteur à membranes

A – Impact sur l'investissement

• Types de déchets issus de la station et pérennité de leur destination ?

Les deux configurations de bioréacteur à membranes permettent de jouer sur les paramètres biologiques (temps de séjour biomasse, charge massique) pour réduire la production de boues biologiques, mais il existe deux différences significatives :

- le cassage mécanique des flocs observé dans le cas des configurations membranes en boucle externe conduit à un rapport surface/volume dix fois meilleur, très favorable à la diminution de la production de boues biologiques en excès ; - la taille des bassins biologiques plus réduite dans les configurations membranes en boucle externe, combinée à la présence d'un circuit de recirculation des boues, conduit à une température plus importante dans le bassin biologique, également très favorable à la diminution de la production de boues biologiques en excès.

Les boues biologiques en excès des bioréacteurs à membranes immergées peuvent se traiter (égouttage, déshydratation) de façon très proche du mode de traitement des boues biologiques issues des stations conventionnelles en aération prolongée. En revanche, les boues biologiques en excès des bioréacteurs à membranes en boucle externe demandent un traitement particulier du fait de la spécificité de leurs flocs.

Les deux configurations requièrent des pré-traitements adaptés pour éviter d’endommager les membranes avec des éléments solides (sables, copeaux), pour éviter de boucher les espaces inter-membranaires (flottants, fibres) et, le cas échéant, en fonction du matériau membranaire choisi, pour éviter toute attaque chimique des membranes (solvants, ...). Les sous-produits issus de ces pré-traitements sont généralement produits en faible quantité et suivent les filières d’élimination existantes.

On peut noter que l’élimination des graisses non figées n’est pas nécessaire pour peu que leur biodégradation ait bien été prévue dans le bassin biologique.

• Possibilité de récupération d’ouvrages existants ?

Les deux configurations de bioréacteur à membranes sont appropriées pour la mise à niveau et/ou l’augmentation de capacité de stations boues activées conventionnelles. Le local technique requis pour la configuration immergée peut être de taille plus réduite. La limite de récupération des ouvrages dans le cas des membranes immergées est une taille suffisante et une géométrie appropriée pour permettre l’introduction des quantités de membranes requises.

• Impact sur les investissements pour les réseaux d'eaux usées ?

Les deux configurations de bioréacteur à membranes conduisent à des réductions significatives du foncier requis pour implanter la STEP (suppression du clarificateur, remplacé par un petit local technique, et

bassin biologique 2 à 4 fois plus petit), et à une meilleure gestion des nuisances : les bioréacteurs à membranes peuvent donc être implantés beaucoup plus près des habitations sur des terrains de superficie réduite, ce qui génère des économies significatives sur le poste canalisations (à l’intérieur de la STEP et surtout sur le réseau de collecte).

• Intégration au site et gestion des nuisances ?

La compacité des deux configurations facilite le traitement architectural, mais la configuration en boucle externe, avec les bassins biologiques les plus petits, conduit plus facilement à une couverture de toute la STEP, ce qui permet une gestion appropriée des bruits, des odeurs et surtout de l’aspect visuel.

• Durée de vie des ouvrages et équipements achetés ?

Les deux configurations de bioréacteur à membranes répondent à deux logiques très différentes concernant les membranes :

- Dans le cas d'une configuration en membranes immergées, la membrane est un consommable mis en œuvre de façon extensive (faible pression transmembranaire, faible débit de perméation), ce qui conduit à des durées de vie observées comprises entre 9 et 24 mois selon le contexte et l’usage de l’installation. - Dans le cas d'une configuration en boucle de filtration externe, le module de membranes est conçu comme un équipement qui se nettoie et se régénère car il est mis en œuvre de façon intensive (forte pression transmembranaire, régime turbulent, fort débit de perméat), et cela conduit à des durées de vie de 30 à 84 mois selon les types de membranes, le contexte et l’usage de l’installation.

• Coût de l’ensemble de la filière eau (y compris tertiaire si requis) ?

Du fait des deux logiques évoquées ci-dessus, les bioréacteurs à membranes à boucle externe conduisent souvent à des filières eau de coût global moins élevé que celui des bioréacteurs à membranes immergées. En particulier pour une même capacité de filtration, le coût des membranes à acheter en première monte est souvent moins cher en cas de boucle externe (moins 10 % à moins 30 %).

Lorsqu’un traitement tertiaire est requis, les deux configurations de bioréacteur à membranes minimisent ou suppriment la nécessité d'une étape supplémentaire de traitement.

• Coût de l’ensemble de la filière boues requise ?

Compte tenu des éléments cités plus haut, la filière boues des bioréacteurs à membranes à boucle externe peut être de plus faible capacité que celle des bioréacteurs à membranes immergés. Les équipements d'égouttage et d’épaississement sont choisis parmi les équipements conventionnels, mais les produits de traitement et leur mode d'emploi sont différents.

Les bioréacteurs à membranes céramiques en boucle externe permettent la mise en œuvre du procédé de digestion aérobie thermophile des boues combinée à une lyse, ce qui conduit à réduire aux seules matières inorganiques les boues extraites de la station d’épuration.

• Financement ?

Les deux configurations de bioréacteurs à membranes sont encore peu connues des organismes d'aide au financement des installations de traitement des eaux usées : de nombreux repères habituels sont remis en cause (part du génie civil, instrumentation, ...), ce qui nécessite une attention particulière pour monter les dossiers de financement.

Un cas particulier est à signaler : la configuration de bioréacteur à membranes en boucle externe étant dotée de blocs membranes très compacts, leur location est parfois envisagée (installés dans des conteneurs) pour des changements de capacité temporaires (pointes saisonnières, pics de production) d’une installation conventionnelle.

B - Impact sur l’exploitation

• Fiabilité ?

Le choix de configuration crée peu de différence sur la fiabilité future de l’installation qui est beaucoup plus impactée par le dimensionnement, les types d’équipements retenus pour chaque opération unitaire, en particulier les pré-traitements.

• Main d’œuvre requise pour le suivi régulier ?

Il est facile de télé-surveiller tous les types de bioréacteurs à membranes, et toutes les opérations de rétro-lavages et de lavages peuvent être aisément automatisées. Le suivi régulier conduit donc à un volume horaire de 3 h à 5 h hebdomadaires sur site qu’il est rarement raisonnable de compresser encore.

• Énergie ?

Dans le cas d'une configuration en membranes immergées, la membrane est un consommable mis en œuvre de façon extensive (faible pression transmembranaire, faible débit de perméation), ce qui conduit à une très faible consommation d’énergie sur le bloc membrane. Mais on doit ajouter les énergies de brassage et de bullage mises en œuvre au-delà des besoins du bassin biologique en vue d’améliorer le décrochage des boues activées qui colmatent sévèrement les membranes (fibres creuses ou planes) immergées utilisées en mode de filtration quasi frontal. Les dernières évolutions de cette configuration tendent donc vers un fonctionnement nouveau qui pourrait être qualifié de « filtration tangentielle immergée » et qui se traduit par une augmentation

[Photo : Membranes organiques céramiques multicanaux pour la configuration boucle externe.]

constante des énergies mises en œuvre au droit des membranes.

Dans le cas d’une configuration en boucle de filtration externe, le module de membranes est conçu comme un équipement qui se nettoie et se régénère car il est mis en œuvre de façon intensive (forte pression transmembranaire, régime turbulent, fort débit de perméat), ce qui n'est possible qu’au prix d'une plus grande énergie pour le maintien d’une certaine turbulence au niveau des membranes. Les dernières évolutions de cette configuration tendent toutes à minimiser l’énergie requise pour obtenir un même taux de cisaillement à la paroi des membranes, et dans certains cas pour mettre à profit le facteur température pour intensifier encore plus l’usage de chaque m² de membrane (65 °C pour les bioréacteurs aérobies thermophiles à membranes céramiques en boucle externe).

Dans tous les cas :

  • ✓ C’est la consommation d’énergie globale de la station qui doit être maîtrisée : par exemple, la taille et la structure des flocs plus favorables en boucle externe peuvent diminuer l’énergie requise pour le transfert d'un kg d’oxygène à la biomasse, ou encore il n'est pas nécessaire d’ajouter une énergie de brassage en boucle externe alors que c'est indispensable autrement.
  • ✓ L’énergie économisée dans le choix d'un usage extensif des membranes se paye en augmentation considérable de la surface de membranes installées : même avec un m² de membrane bien meilleur marché, le surcoût sur le poste “renouvellement membranes” en configuration immergée dépasse fortement le surcoût d’énergie en configuration en boucle externe.

* Renouvellement des membranes et des équipements ?

Les durées de vie garanties pour les membranes varient beaucoup d’un projet à l'autre, de 1 à 4 ans pour les membranes immergées, et de 4 à 15 ans pour les membranes en boucle externe, conformément aux logiques de consommables et d’équipement.

Les autres équipements sont traités comme sur les autres types de station d’épuration.

* Maintenance ?

L’accès aux membranes et autres équipements est extrêmement facile en boucle externe, alors qu'il nécessite de relever les blocs de membranes immergées puis de les nettoyer pour pouvoir opérer en dehors du bassin. L’identification des fuites est plus simple en boucle externe. En cas de membrane détériorée sur une installation de taille industrielle, la surface minimum à remplacer (du fait de la structure des blocs ou modules membranaires) est de 0,15 à 0,40 m² en configuration en boucle externe, contre plusieurs m² pour les blocs de membranes immergées.

* Réactifs ? Rétro lavages ou back flushes ?

La configuration en boucle externe conduit des lavages chimiques plus fréquents qu’en membranes immergées, mais ce poste reste marginal dans le compte d’exploitation (inférieur à 1 %). Les solutions de lavages représentent des très faibles volumes à faible dosage, et elles sont recyclées en tête de station.

La configuration en membranes immergées nécessite un dispositif de rétro lavage ou de back flush, mais de nombreux travaux se poursuivent pour diminuer son impact sur la production nette d'eau traitée.

* Économies d'eau potable (si recyclage en place) ?

Sur deux sites de bioréacteurs à membranes en boucle externe (traitement d’eaux usées industrielles), le recyclage d'eau vers les machines à laver (site produisant des durites) ou vers les chaudières et les lavages de sol (abattoir) conduit à une économie d'achat d'eau potable et de taxe de pollution qui finance 85 à 100 % de l’électricité consommée par la station bioréacteur à membranes externes.

Quelle que soit leur configuration, les bioréacteurs à membranes sont toujours un atout décisif pour la mise en place simple et économique de recyclages et/ou de réutilisation d’eau, ce qui va dans le sens de l’histoire, à savoir un usage plus intensif de l'eau.

* Coût d'enlèvement et de traitement des boues et déchets ?

Si la diminution de production de boues biologiques est très poussée, en particulier lors de l’utilisation de bioréacteur à membranes à boucle externe conçus et dimensionnés autour de cet objectif, alors ce poste est très nettement réduit, à performance de traitement d'eau égale, par rapport aux solutions conventionnelles.

En configuration en boucle externe, il n'est pas nécessaire d’ajouter et de gérer un dispositif séparé pour l’extraction des boues, car l'extraction est réalisée à partir du circuit de retour des boues vers le bioréacteur (déjà sous pression).

Conclusion

L’utilisation d'un bioréacteur à membranes est aujourd'hui bien maîtrisée, et pour peu que l'on ait choisi la configuration (membranes en boucle externe, membranes immergées) appropriée pour sa situation et son projet, il est possible de réaliser une opération optimisée techniquement et économiquement.

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements