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Biométhanation du gaz de synthèse par couplage avec la digestion anaérobie

31 octobre 2014 Paru dans le N°375 à la page 55 ( mots)
Rédigé par : Serge-r. GUIOT

Le digestat, constitué de matières organiques récalcitrantes qui ne sont pas dégradées par la digestion anaérobie (DA), de biomasse bactérienne et de matières inorganiques, est une source de matière humique et ligneuse, de nutriments et de minéraux qu'il est souhaitable de retourner au sol agricole, qu'il soit utilisé directement ou séparé en une partie liquide et solide. À certaines périodes de l'année, le digestat peut être utilisé directement dans l'agriculture ; dans la plupart des cas cependant, il doit être stabilisé, par exemple par traitement aérobie (compostage), avant d'être appliqué sur les champs. La valorisation des résidus de digestion anaérobie est parfois impossible pour diverses raisons (manque d'espace pour le compostage, difficulté d'écouler le compost pour cause de non-acceptabilité sociale ou de saturation du marché, réglementation inadéquate, incompatibilité avec les pratiques agricoles, horticoles ou sylvicoles, etc.). Ces excédents de digestat composté ou non, se retrouvent alors en site d'enfouissement sanitaire ou en incinérateurs.

[Encart : texte : Guiot Serge R., Groupe de Bio-ingénierie – Portefeuille Énergie, Mines & Environnement – Conseil national de recherches du Canada]

Le digestat, constitué de matières organiques récalcitrantes qui ne sont pas dégradées par la digestion anaérobie (DA), de biomasse bactérienne et de matières inorganiques, est une source de matière humique et ligneuse, de nutriments et de minéraux qu'il est souhaitable de retourner au sol agricole, qu'il soit utilisé directement ou séparé en une partie liquide et solide. À certaines périodes de l’année, le digestat peut être utilisé directement dans l’agriculture ; dans la plupart des cas cependant, il doit être stabilisé, par exemple par traitement aérobie (compostage), avant d’être appliqué sur les champs. La valorisation des résidus de digestion anaérobie est parfois impossible pour diverses raisons (manque d’espace pour le compostage, difficulté d’écouler le compost pour cause de non-acceptabilité sociale ou de saturation du marché, réglementation inadéquate, incompatibilité avec les pratiques agricoles, horticoles ou sylvicoles, etc.). Ces excédents de digestat, composté ou non, se retrouvent alors en site d’enfouissement sanitaire ou en incinérateurs.

Comme alternative, on pourrait envisager de traiter le digestat par une voie thermochimique, telle que la gazéification. Le pouvoir calorifique inférieur (PCI) du digestat anaérobie peut représenter jusqu’à 14 MJ/kg de solide sec. Le digestat produit à partir de matières premières avec une teneur plus élevée en fibres a tendance à avoir un PCI plus élevé. Ce contenu énergétique peut être extrait par la gazéification du digestat déshydraté mécaniquement pour produire un gaz de synthèse. Dépendamment du contenu calorifique des solides du digestat, un séchage thermique supplémentaire peut être nécessaire pour soutenir une gazéification auto-thermique du digestat. La teneur en matière sèche nécessaire pour soutenir une gazéification auto-thermique peut aller de 40 à 70 % ou plus. Les procédés thermiques sont plus coûteux que le compostage en raison de la demande en énergie élevée, notamment pour le séchage, et de la complexité du procédé. Par ailleurs, le produit principal de la gazéification, le gaz de synthèse ou syngaz, est valorisable énergétiquement ou chimiquement, et son sous-produit, les cendres (charbonneuses ou totalement minérales), sont recyclables comme amendements pour réduire l’acidité des sols, leurs besoins en engrais et potasse et leurs émissions à effet de serre (oxyde nitreux, méthane).

La gazéification est une dégradation thermochimique sous haute température (généralement au-delà de 500 °C) dans un environnement limité en oxygène (le ratio stœchiométrique de combustion — comburant/carburant — est situé entre 0 et 1). La présence d’oxygène est contrôlée afin de maintenir le processus de gazéification énergétiquement autosuffisant. Le gaz de synthèse produit dans ces conditions est composé de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène (jusqu’à 85 % pour le total des deux) ; les autres composés du syngaz, mineurs, sont la vapeur d’eau, le méthane, des hydrocarbures légers, des impuretés volatiles et particulaires. Le gaz de synthèse, sans azote, a un PCI qui se situe entre 8 et 16 MJ/Nm³. Après un nettoyage adéquat le gaz de synthèse peut être utilisé pour produire de la chaleur et de l’électricité, avec des chaudières, des moteurs à combustion interne adaptés, des turbines à gaz, ou des piles à combustible. Mais il peut aussi être utilisé comme substrat chimique de base dans divers procédés catalytiques de transformation. Par exemple la méthanation du syngaz est utilisée pour enrichir le syngaz en méthane, et ainsi le transformer en gaz naturel renouvelable, ré-injectable dans le réseau après élimination du CO et des impuretés.

La méthanation est un procédé chimique fortement exothermique permettant la

conversion sur des catalyseurs (en général à base de nickel) de l'hydrogène et du monoxyde de carbone en méthane. On obtient en sortie de méthanation un gaz riche en méthane, mais contenant encore de l'eau et du CO₂. Ces procédés de catalyse chimique sont bien établis. Mais ils sont coûteux et impliquent habituellement des pressions et températures élevées, peuvent être problématiques lorsque des impuretés sont présentes et ont tendance à avoir une faible sélectivité par rapport au produit (Gallei & Schwab 1999). Ces inconvénients pourraient néanmoins être évités en utilisant des voies microbiennes pour transformer les composés du syngaz en méthane, à température et pression normales. Comme on l'a démontré précédemment (Guiot et al. 2011), les boues de digesteur anaérobie ont un potentiel carboxydotrophique (de consommation du CO) méthanogène significatif, sans qu'une acclimatation particulière ne soit requise. Le CO du syngaz est utilisé comme source de carbone et d'énergie par certaines souches méthanogènes dans des réactions directes pour produire du méthane. D’autres réactions indirectes se produisent également, dans lesquelles le CO et H₂ sont convertis en acetate par des bactéries homoacétogènes et finalement en méthane (Sancho-Navarro et al. 2014). Quelles que soient les voies utilisées, le rendement est de 0,25 mole de CH₄ par mole de CO, plus 0,25 mole de CH₄ par mole d’H₂. Selon les teneurs du syngaz en CO et H₂, cela équivaut à environ 0,2 à 0,4 Nm³ de CH₄ par kg de solide volatile (organique) (SV) gazéifié lorsque le syngaz est injecté efficacement et dissous dans la liqueur mixte anaérobie. Par analogie à la nomenclature utilisée en catalyse chimique, on parlera de biométhanation pour spécifiquement nommer cette transformation biochimique du syngaz en méthane, et ainsi la différencier du terme de biométhanisation, synonyme de digestion anaérobie de matière organique.

Dans ce projet, le potentiel de biométhanation de gaz de synthèse (ou syngaz) reconstitué (CO 40 %, H₂ 40 %, CO₂ 20 %) a été étudié en mode de co-digestion avec des déchets alimentaires ou diverses sources de carbone (cellulose, glucose, acétate, propionate, H₂/CO₂) individuellement. De la nourriture pour chiens commerciale (89 g solide sec (SS)/kg) mélangée avec des carottes (11 g SS/kg) a été utilisée comme simulation de déchets alimentaires (FW). Le rapport carbone/azote/phosphore des déchets alimentaires ainsi reconstitués était d’environ 100/6/0,7. L'inoculum (boue anaérobie granulaire) était issu d’un digesteur industriel (Lassonde, Rougemont, Québec). L'activité spécifique méthanogénique [mmol CH₄/g sec de biomasse bactérienne·jour] sur les substrats ci-dessus, ajoutés individuellement, se classait comme suit : CO [0,6] < FW [1,1 – 1,3] < cellulose [1,4] < glucose [1,5] < propionate [1,9] < acétate [4,3] < H₂ [54]. Le potentiel biochimique en méthane (BMP) des substrats ci-dessus a ensuite été évalué, en batch et en triplicate, en présence ou non de CO pour différents rapports CO/co-substrat et charges organiques. Bien que le méthane soit le principal produit, en général on détectait aussi de l’acétate, du propionate, et des traces d’acétone, de propanol, d’éthanol et de méthanol dans le processus de co-digestion. L'accumulation d’ammonium (NH₄⁺) a également été observée en présence de déchets alimentaires. En mode de co-digestion avec les déchets alimentaires on observait une diminution (d’environ un tiers) de l'activité carboxydotrophique des populations microbiennes, en raison de l’accumulation d’ammonium produit à partir des déchets ainsi que de la concurrence entre le FW et le CO comme sources de carbone pour les populations. Le CO a eu un impact plus faible sur les activités d’hydrolyse et d’acidogénèse que sur les activités acétogène et méthanogène. Le BMP des substrats en co-digestion n'a pas été significativement affecté par le CO à une pression partielle de 0,2 atm. Cependant, à des concentrations en CO supérieures, la production de méthane a été retardée et relativement diminuée.

Ensuite, la co-digestion du monoxyde de carbone avec les déchets alimentaires a été étudiée dans des réacteurs complètement mélangés (CSTR) à l’échelle du laboratoire. Un réacteur de 2 L a été utilisé en conditions mésophiles et en mode semi-continu avec un temps de rétention hydraulique (TRH) moyen de 28 jours, un taux de charge organique (OLR) de 1 g de SV par litre de réacteur (Lᵣₑ) et par jour, puis en mode continu, avec un TRH de 21 jours et un OLR de 2 g SV/Lᵣₑ·jour, sur une période de plus de 300 jours. Quand le CSTR était opéré en présence de FW et de CO (donc en mode de co-digestion), le taux de conversion du CO était maximal (12 mmol CO/g SV·jour) sous une charge en CO de 4 mol/Lᵣₑ·jour, avec un rapport CO/FW de 0,18 mol CO/g SV (4 NL CO/g SV), une pression partielle en CO de 0,2 atm et un TRH gazeux de 0,04 jour. Cependant, durant le régime de co-digestion (FW + CO) l'efficacité de destruction des solides organiques était de 71 %, tandis que l’efficacité de dégradation de la demande chimique en O₂ (DCO) combinée (FW + CO) pouvait à peine atteindre 39 %, avec au mieux un rendement en méthane de 0,135 NL CH₄/g DCO ajoutée, en raison notamment du pauvre transfert de CO dans la phase liquide et du potentiel d’inhibition du CO sur les populations microbiennes, en particulier des bactéries méthanogènes. Cependant le rendement en méthane relatif à la dégradation des matières solides pouvait monter à 0,7 NL/g SV dégradé, en raison de la contribution du CO à la production de méthane. À titre de comparaison, pendant la digestion des déchets sans CO, l'efficacité de destruction des solides pouvait atteindre 84 % avec des rendements en méthane variant entre 0,215 et 0,28 NL CH₄/g DCO ajoutée, c’est-à-dire entre 0,30 et 0,40 NL CH₄/g SV ajouté, soit entre 0,30 et 0,39 NL CH₄/g DCO consommée. Au-delà d'un rapport CO/FW de 0,18 mol CO/g SV, le rendement en CH₄ par unité de solide organique ajouté a diminué d’au moins 40 %, en dépit de la présence de CO comme source supplémentaire de carbone.

Le transfert de masse gaz-liquide et le régime d'alimentation du réacteur (rapport CO/FW) seraient les principales limites du procédé. Il est nécessaire de tester le régime de co-digestion avec le mélange complet (p. ex. CO 40 %, H₂ 40 %, CO₂ 20 %), et d’évaluer jusqu’à quelle valeur du rapport CO/FW (en dessous du rapport actuel de 0,18 mol CO/g SV) l’efficacité de dégradation des déchets organiques ne serait pas entravée de manière significative (limite de la technologie). En dessous de ce seuil, on peut s’attendre à un rendement en méthane haussé d’environ 20 % par l'ajout de syngaz.

Les procédés thermiques sont plus coûteux

que le compostage en raison de la demande d’énergie élevée, notamment pour le séchage, et de la complexité du procédé entraînant plus de frais d’investissement, d’exploitation, de maintenance et de surveillance.

Par contre, dès l'instant où l'on adopterait l'option de traiter thermiquement le digestat pour en extraire l'énergie résiduelle (figure 1), il ne serait plus impératif de maximiser l'efficacité de dégradation des solides et le rendement en biogaz de la DA, qu'on réalise habituellement en recourant à une étape de prétraitement chimique ou thermique avant le digesteur. En éliminant ainsi l'investissement dans une étape de prétraitement, on peut espérer compenser (en partie ou en totalité) le surcoût associé au séchage et à la gazéification du digestat.

[Photo : Concept de couplage de la digestion anaérobie (DA) et de la gazéification (B) comparé à la digestion anaérobie conventionnelle avec prétraitement (A).]

Références bibliographiques

Gallei E., Schwab E. 1999. Development of technical catalysts. Catalysis Today 54 (3-4): 535-546. DOI : 10.1016/S0920-5861(99)00039-5.

Guiot S.R., Cimpoia R., Carayon G. 2011. Potential of wastewater-treating anaerobic granules for biomethanation of synthesis gas. Environ. Sci. Technol. 45 (5): 2006-2012. DOI : 10.1021/es102728m.

Sancho-Navarro S., Cimpoia R., Bruant G., Guiot S.R. 2014. Specific inhibitors for identifying pathways for methane production from carbon monoxide by a non-adapted anaerobic mixed culture. Can. J. Microbiol. 60 (6): 407-415. DOI : 10.1139/cjm-2013-0843.

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