Une directive européenne concernant l'utilisation des biocides est en projet. Il est intéressant de faire un état de lieux concernant les biocides utilisés pour la prévention des dépôts de slime. Les applications des biocides dans les eaux industrielles révèlent une grande disparité, montrant que cette technologie n'est pas maîtrisée. Les données toxicologiques sont diverses, insuffisantes, et ne sont pas toujours comparables. Les biocides sont utilisés depuis longtemps sans générer pour autant de graves problèmes. A ce jour, il n'existe pas de technologie capable de remplacer complètement les biocides. La meilleure voie est de mettre en ?uvre des solutions complémentaires telles un biodispersant, un anti-tartre, et un biocide. La prévention de la formation des dépôts de slime ne peut se faire que par l'application de produit chimique ; il est essentiel donc d'associer un service adapté. Cette technologie doit être améliorée et bénéficier d'une législation crédible.
Le point sur les applications des biocides
Depuis de nombreuses années, les industriels utilisent des biocides afin de lutter contre les encrassements biologiques (algues, moisissures, bactéries, crustacés), afin d’optimiser le fonctionnement de leurs installations. À ce jour, il existe environ 85 actifs qui peuvent donner de multiples formulations. Les domaines d’application sont les eaux de refroidissement et de réfrigération, les eaux de procédés (papeterie, sucrerie...).
Sur la base de plus d’une centaine de cas concrets (divers par le problème posé, le type d’installation, le type d’eau...), on s’aperçoit qu’il n’existe pas de règle bien définie pour l’utilisation des biocides. En effet, on constate une logique variable pour ce qui est des points d’injection, des doses appliquées, du suivi effectué, des réactifs utilisés, sans observer pour autant une quelconque corrélation avec la qualité des résultats. Voici quelques exemples des cas rencontrés :
- - utilisation d’un actif lent sur un circuit offrant un temps de contact court,
- - utilisation de bactéricide (non fongicide) pour des dépôts causés par des moisissures,
- - utilisation de bactéricides, malgré la présence dans l’eau de molécules connues pour inhiber l’actif mis en œuvre,
- - utilisation en doses « choc » de biocides oxydants tels que l’hypochlorite de sodium.
Ces nombreux cas nous révèlent que l’utilisation des biocides n’est pas encore maîtrisée. Ces produits très techniques, qui nécessitent un suivi et un service associé adapté, sont trop souvent appliqués de façon simpliste et sans les moyens nécessaires. Par exemple, il est fréquent de constater que les biocides sont injectés manuellement avec un seau, ce qui est dangereux en raison de la nature des molécules utilisées. Il serait souhaitable d’utiliser dans tous les cas un matériel d’injection approprié : pompe doseuse, hydro-injecteur, armoire étanche, tuyau double paroi... Efficacité rime souvent avec qualité et sécurité ! Lorsque la qualité des résultats chute, on entend souvent parler d’accoutumance, et l’on change alors le produit. Mais si l’on observe attentivement ce qui se passe, on constate qu’un paramètre a sensiblement changé : source d’infection différente, temps de séjour plus long, pH plus favorable, etc... Dans ces cas, il n’y a pas accoutumance mais inadaptation temporaire du programme en place.
Les biocides sont un remède à un « mal », mais, on ne le dit pas assez, ce remède n’est pas unique, et il est surtout complémentaire d’autres. Les meilleurs résultats seront obtenus si l’ensemble de ces remèdes est judicieusement utilisé, car leurs effets sont très souvent complémentaires. Ainsi, il sera préférable de traiter le problème à sa source, de diminuer le temps de séjour, de ne pas polluer le circuit par de la matière nutritive (phosphates...); en résumé, rendre les conditions d’un circuit les moins favorables à la croissance microbienne. Dans ces conditions, l’application d’un biocide sera plus efficace et moins coûteuse.
Une étude en cours de réalisation dans notre laboratoire consiste à comparer les actifs les plus communément rencontrés dans les circuits industriels, cela dans des conditions précises contrôlées et comparables à celles rencontrées sur site. La raison qui a motivé cette étude est que l’on ne dispose pas de données sur des biocides comparables, relatives au pH, à la tempé-
rature, a une flore multi-souches, au temps de contact et à la concentration en actif. En effet, les informations disponibles à ce jour consistent à mettre en compétition un biocide lent avec un biocide rapide, un bactéricide avec un algicide. Ces tests sont effectués sur des inoculum mono-souches et à dose équivalente. La réalité est autre, puisque le prix des actifs peut varier du simple au décuple, et la flore rencontrée est multi-souches, ce qui implique des phénomènes de compétition, de symbiose et de syntrophie. Ces points ne sont pas pris en considération dans les tests précités. Il apparaît d'ores et déjà au travers de cette étude que certains actifs se distinguent par leur plus grande performance, ce qui signifierait que 85 actifs différents et l'ensemble des formulations qui peuvent en découler sont en nombre excessif.
Il est important de souligner que les modes d'action des biocides sont encore mal connus, ainsi que les produits de réaction pouvant être formés après l'action du biocide.
Toxicologie et environnement
Les biocides, comme toute préparation répertoriée dangereuse, sont l'objet d'une fiche de données de sécurité (F.D.S.). Afin de répondre à cette obligation, des tests ont été entrepris afin d'évaluer la toxicologie et l'écotoxicologie des produits concernés. Ainsi, peuvent figurer aux paragraphes 11 et 12 de ces F.D.S. les informations relatives à l'irritation, au pouvoir mutagène, au pouvoir carcinogène, à la Dose Létale 50, à la Concentration Létale 50 après 96 heures, du produit concerné. S'agissant d'informations complémentaires, il n'est pas obligatoire qu'elles y figurent. Il existe une très grande diversité à propos des données toxicologiques, y compris pour une même molécule. Cela rend l'information inutilisable et complique le choix, si la toxicité est un critère retenu...
En 1994 toutes les F.D.S ne respectaient pas le modèle officiel en 16 points.
Les informations sur la toxicologie et l'écotoxicologie ne sont pas toujours fournies.
• Les tests ne sont pas toujours réalisés sur les mêmes espèces animales. • Il n'est pas souvent précisé si les doses ou les concentrations mentionnées se reportent à l'actif pur ou à la formulation concernée.
Il existe des biocides pour lesquels les informations relatives à la toxicologie sont connues. Mais l'impact de la concentration n'est jamais évoqué. Par exemple, un actif qui aurait une C.L. 50 de 100 mg/l/96 heures sur la truite arc-en-ciel : quelle serait sa toxicité aux concentrations de 10 et 1 mg/l ? Par rapport à 100 mg/l, est-ce proportionnellement moins toxique ? L'actif n'est-il plus toxique en deçà d'un certain seuil de concentration ? La liste des questions n'est pas exhaustive, et les réponses permettraient de mieux évaluer les conséquences de l'utilisation des biocides.
Afin d'utiliser de la façon la plus rationnelle possible les données toxicologiques, il faut bien comprendre comment les biocides sont utilisés. En général, on injecte, en continu ou en discontinu, une quantité connue d'une formulation qui peut comprendre un ou plusieurs actifs. Le mode d'injection, la quantité injectée et la formulation seront choisis en fonction des caractéristiques du circuit (pH, température, temps de demi-séjour...), et du problème rencontré. On a alors une concentration [C0] en actif, dans l'eau du circuit, juste après l'injection. Après quelques heures, on aura une concentration [C1] en actif, inférieure à [C0], mais aussi une concentration [C2] en produits de réaction. La valeur de ces concentrations et leur évolution sera aussi fonction des caractéristiques du circuit, de l'eau à traiter, et de la flore en présence. La toxicité des biocides seule ne suffit donc pas. Il faut intégrer les composantes circuit, eau de circuit et micro-organismes, pour apprécier l'impact de l'utilisation des biocides sur l'environnement.
Il est utile de préciser la notion d'environnement. En effet la tendance actuelle semble restreindre son sens à la nature, l'écologie. Mais l'environnement d'un biocide commence dès sa fabrication et va au-delà de son utilisation, c'est-à-dire le rejet dans le milieu naturel, de l'actif résiduel et des produits de réaction. Cette précision permet d'insister sur le fait que biocide doit être synonyme de sécurité. C'est dans la mise en œuvre qu'il y a le plus de progrès à faire. Il n'y a que sur les
applications importantes, que les conditions de sécurité minimales sont réunies, souvent parce qu'elles font partie d'un cahier des charges, ou parce que des accidents se sont produits.
La complexité de la situation ne s’arrête pas aux points évoqués ci-dessus. En effet, par impact sur l’environnement il convient de comprendre modification des équilibres en place. Si dégrader ou « tuer » n'est pas souhaitable, favoriser de façon exagérée le développement d'une espèce n'est pas mieux. Les rejets de phosphates originaires des lessives, l’eutrophisation de nombreux lacs sont des exemples récents. Concernant les biocides, nous évoquerons deux exemples de techniques apparemment plus écologiques :
- • Il existe des actifs pour lesquels les produits de réaction sont biodégradables. Ils favoriseront donc la croissance de certains micro-organismes. Un tel apport nutritif en forte quantité pourrait déséquilibrer l’écosystème. Ce phénomène n'est actuellement pas pris en compte.
- • Des techniques de substitution aux biocides peuvent être envisagées. Par exemple, un cocktail d'enzymes dont la fonction serait de lyser les exopolysaccharides constituant le slime bactérien. On ne tue plus, mais on déstructure un dépôt « nuisible » pour les installations industrielles. Ce concept paraît plus attractif, mais il faut rappeler que les enzymes interviennent dans une réaction chimique sans être transformées. Ceci signifie que tant qu'il y aura du slime bactérien la réaction de déstructuration pourra se réaliser et pourra se poursuivre dans le milieu naturel. Or le slime bactérien contribue au pouvoir épuratoire des cours d'eau, des étangs et des lacs. La présence de telles enzymes dans le milieu naturel contribuerait à diminuer son pouvoir épuratoire et augmenterait la charge de matières biodégradables. On pourrait, au préalable, déséquilibrer la digestion biologique d'une station d'épuration et considérablement dégrader la qualité du rejet.
Quel avenir pour les biocides ?
Le tableau dressé dans les paragraphes précédents donne une image inquiétante des biocides et ne met pas en valeur cette technologie. En fait, il s'agit d'une prise de conscience permettant de progresser, afin d'intégrer comme il se doit la notion d'environnement à l'utilisation des biocides. Par ailleurs, depuis de nombreuses années la mise en œuvre de ce type de produits n'a pas généré d'accidents graves et n'a pas entraîné de catastrophe écologique, ni invalidité ou empoisonnement.
En supposant que l'on veuille proscrire l'usage de cette technologie, quelles seraient les substitutions possibles ?
- • L'arrêt régulier des installations pour un nettoyage chimique est plus coûteux, car c'est une période de non production, entraînant un coût supplémentaire dû à l'achat de réactifs, à l'intervention d'une société spécialisée. Sur le plan de la sécurité et de la pollution, le risque est tout aussi présent car on utilise généralement des formulations concentrées basiques et acides, en quantités ponctuellement très importantes (comparativement aux doses de biocides utilisées). Cela nécessite le recours à des bacs de neutralisation et un équipement de protection individuelle adapté. On a généralement recours au nettoyage chimique lorsqu'un incident sur le circuit a provoqué un encrassement anormal perturbant subitement et de façon sensible la marche des installations concernées. Dans ce cas, l'utilisation de biocides serait beaucoup plus coûteuse, le résultat serait plus long à obtenir et la prise de risque plus grande.
- • L'ozonisation, et l'application de rayons ultraviolets sont très efficaces. Ces techniques n'ajoutent pas de composés chimiques à l'eau traitée et ne
Dégradent pas la qualité des rejets. Malheureusement elles représentent un coût d'investissement, auquel s'associe un coût d'exploitation. D'autre part, ces deux techniques permettent d'avoir d'excellents résultats en permanence à leur point d'application, mais pas en tout point du circuit. Mis à part l'eau d'appoint, l'air est aussi une source de contamination, à laquelle ces techniques ne peuvent s'appliquer. Cela signifie que l'on aura toujours une source d'infection et la possibilité d'avoir des dépôts en des sites favorables, où l'ozone et les rayons U.V. ne pourront pas être appliqués.
Les biodispersants sont eux aussi attrayants sur le principe mis en œuvre. On rend la formation d'un dépôt plus difficile par l'addition en continu d'un réactif. Ces produits moussent, ce qui pose des problèmes de sécurité et de bon fonctionnement des installations. Cet inconvénient impose d'utiliser de faibles doses, qui sont insuffisantes. La charge électrochimique des micro-organismes et des dépôts générés est négative, si bien que les produits les plus efficaces seront cationiques. Or d'autres produits de traitement d'eau, anioniques, seront utilisés en même temps (polyacrylates, polyphosphates...), ce qui induit un risque évident d'inactivation.
Les techniques qui viennent d'être évoquées ne suffisent pas à elles seules pour remplacer les biocides. Elles peuvent avoir un rôle complémentaire qui permettra de rendre l'action des biocides plus performante et moins coûteuse, si elles sont appliquées dans des conditions précises.
La prévention de la formation des dépôts générés par des micro-organismes se faisant par plusieurs moyens complémentaires, dont les biocides, il convient de suivre une démarche efficace et adaptée. Tout d'abord, avant de résoudre un problème, il faut éviter que la cause entre dans le système, dont les caractéristiques doivent être le moins favorables possible au développement du problème. Ensuite il faut appliquer un ensemble de solutions compatibles entre elles, avec le système considéré (pH, températures, temps de demi-séjour, additifs), et efficaces contre le problème qui se pose. Ainsi tout programme de traitement doit être mis en œuvre sur un circuit propre. Les sources de contamination telles que l'eau d'appoint, les additifs, doivent être traitées en continu par des formulations adaptées. La flore issue des sources incontrôlables est prise en charge par un programme qui comprend un ou plusieurs biocides. Il est indispensable de mettre en œuvre en parallèle un traitement de stabilisation des phénomènes d'entartrage et/ou de corrosion. Ces phénomènes mal maîtrisés permettent d'accroître la rugosité de surface, et rendent plus aisée la formation de dépôts d'origine microbiologique. L'ensemble cohérent du programme de traitement est mis en œuvre par les moyens nécessaires pour assurer la fiabilité des injections, et les conditions de sécurité requises (pompes doseuses, armoires étanches, double tuyautage, affichage, programmateur, analyseur en continu).
Enfin, il faut bien comprendre que tout cela ne peut fonctionner sans la principale composante, fondamentale pour toute application biocide : le service. Celui-ci se concrétise par des visites régulières, et assure que tout fonctionne bien selon les exigences du système. Le service consiste à réaliser :
- - un bilan analytique,
- - le contrôle des paramètres pouvant influencer ou révéler la formation d'un dépôt,
- - le suivi et l'ajustement des doses des formulations utilisées,
- - le suivi du fonctionnement du système utilisant l'eau traitée,
- - l'analyse et l'interprétation des résultats.
C'est le service qui démontre l'utilité et la performance du programme en place, et qui permet de l'adapter à la situation du moment, car les biocides touchent à la vie, qui est un domaine multi-paramétré en constante évolution. Et pour être complètement efficace, il est nécessaire de bien former et informer toutes les personnes concernées.
Conclusion
Les biocides sont encore une vaste nébuleuse, ce qui n'est en aucun cas négatif, mais signifie qu'il faut aller dans le sens d'une plus grande maîtrise de l'utilisation de ces produits. Cela se concrétise par une plus grande harmonisation des données toxicologiques qui seraient rendues obligatoires. Ces données doivent intégrer le mode et le cadre d'utilisation des biocides. Il est nécessaire de remplacer la notion de toxicité par celle d'impact sur l'environnement, pris au sens large du terme. L'utilisation des biocides doit être rationalisée, et pour cela il faut étudier les points suivants :
- - les modes d'action des actifs produits,
- - les produits de réaction formés et leur impact sur l'environnement,
- - le dosage in situ de l'actif résiduel, par analyse ponctuelle ou par un analyseur en continu,
- - l'évaluation du pouvoir biocide en cohésion avec les conditions d'utilisation.
Les biocides sont nécessaires à l'optimisation du fonctionnement des installations industrielles. Pour espérer avoir l'impact sur l'environnement le moins défavorable possible, il faut pouvoir l'évaluer, et donc obligatoirement disposer de toutes les informations utiles. Enfin, pour réduire au minimum les risques liés à l'usage de biocides, il faut impérativement suivre une démarche cohérente, efficace et adaptée afin d'assurer au programme en place la meilleure performance. Une fois ces conditions réunies, les textes législatifs visant à régulariser l'utilisation des biocides seront plus efficaces et plus crédibles.