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Biocapteurs utilisant une électrode à oxygène : application à l'analyse en ligne du méthanol dans les eaux résiduaires

30 septembre 1999 Paru dans le N°224 à la page 83 ( mots)
Rédigé par : Philippe SERIZOT et Ahmed HAOUZ

La science des biotechnologies a fortement évolué depuis 20 ans. De nouvelles techniques sont désormais applicables dans le domaine de l'environnement, plus particulièrement pour le traitement des eaux. Les biocapteurs à enzyme immobilisés sur une électrode à oxygène sont une nouvelle réponse pour l'analyse en ligne de composés spécifiques avec des avantages inégalés à ce jour : spécificité, rapidité, faible coût d'analyse. Une application intéressante est la mesure de méthanol dans les eaux usées pour laquelle aucun analyseur en ligne n?existe aujourd'hui. Un analyseur à biocapteur méthanol vient d'être développé, il permet une mesure de méthanol dans la gamme 0,5 - 20 mg/l avec une stabilité du capteur de un mois.

À l'heure actuelle, le monde est sans cesse confronté à des besoins d’évaluation et dans n'importe quel domaine, la mesure représente le moyen d'accès privilégié à l'information indispensable au progrès scientifique. Nous connaissons tous l’apport que représentent les capteurs physico-chimiques dans les besoins de santé et le développement des activités industrielles, l'automatisme et la régulation, le contrôle de la qualité et les économies d'énergie.

Détecter une substance de façon spécifique dans un milieu hétérogène a toujours été un challenge pour la chimie analytique. L’une des méthodes de détection utilisée est la voie enzymatique. Ce choix est justifié car les enzymes sont hautement spécifiques vis à vis de leur substrat et la nature a mis à notre disposition plusieurs dizaines de milliers d’enzymes. Ces enzymes qui sont généralement de nature protéique, en catalysant leur réaction liée à la présence de leur substrat (substance recherchée) dans un milieu hétérogène sont capables d’induire une variation physico-chimique (pH, teneur en gaz, coloration, etc.) dans le milieu. Cette variation peut être alors convertie en un signal électrique par un transducteur (capteur). L’association directe d'un capteur avec un composé biologique aboutit à une nouvelle classe de capteurs appelée Biocapteurs.

Les biocapteurs

Les biocapteurs sont issus des combinaisons possibles entre tous les capteurs existants : ampérométrique, potentiométrique, ther-

[Photo : Figure 1 - Immobilisation covalente de l’enzyme sur le film]

…piézo-électrique, optique… et la plupart des composés biologiques tels que les enzymes, les anticorps, les chémorécepteurs, les cellules, les micro-organismes [1]. Le premier biocapteur a été décrit au début des années soixante par Clark et Lyons [2]. Ce biocapteur détecte le glucose grâce à l'association de la glucose oxydase comme enzyme avec une électrode à oxygène comme capteur. En effet, lors de l’oxydation du glucose par cette enzyme, on assiste à une baisse d’oxygène que l’on mesure à l’aide de l’électrode à oxygène. Dans certaines conditions, la baisse de la concentration d’oxygène est strictement proportionnelle à la concentration de glucose présente dans le milieu.

Pour rendre la détection d’une substance par les biocapteurs peu onéreuse, il a fallu réduire le coût du matériel biologique. La solution la plus adaptée est l’immobilisation du matériel biologique.

Cette immobilisation peut être de nature non covalente : adsorption assurée par des interactions faibles (liaisons hydrogène, électriques, hydrophobes) entre les molécules enzymatiques et le support d’immobilisation.

Ce type d'immobilisation a pour avantage de conserver l'intégrité du matériel biologique, mais on assiste avec le temps à son relargage, ce qui rend le biocapteur moins stable. L’autre type est l'immobilisation covalente sur un support pré-fonctionnalisé lié au capteur (figure 1) ; cette immobilisation, qui peut être dénaturante, rend le matériel biologique plus stable et réutilisable plusieurs centaines de fois.

Film enzymatique (composé biologique)

Le film hydrophobe qui couvre l’électrode à oxygène est associé avec une membrane enzymatique. Cette membrane est pré-fonctionnalisée avec des groupements aldéhydiques qui permettent de faire des liaisons covalentes avec les groupements NH2 des lysines – acide aminé des protéines – (exemple : l'alcool oxydase) (figure 1).

L’introduction de méthanol, par exemple, dans la cellule de mesure (figure 3b) provoque une consommation d’oxygène liée à son oxydation par l’alcool oxydase immobilisée ; on peut alors mesurer, en moins de dix secondes, la vitesse initiale de l'oxydation du méthanol (figure 3a). On a ainsi transformé le capteur à oxygène en biocapteur à méthanol. Il suffit de remplacer le film d’alcool oxydase par une autre oxydase immobilisée pour obtenir un autre biocapteur.

[Photo : Figure 2 - Électrode oxygène et film d’enzyme immobilisée]

Capteur à oxygène

Une électrode de Clark (figure 2) est un capteur capable de doser l’oxygène par une méthode ampérométrique à potentiel imposé (-0,7 V). Le capteur est une électrode combinée (cathode en or, anode en argent). La partie sensible de l'électrode est plane et laisse affleurer l'extrémité de la cathode en or. Cette extrémité est recouverte par un film hydrophobe (membrane oxygène, ppm).

[Photo : Figure 3 - Principe de fonctionnement du biocapteur]
[Photo : Figure 4 : addition de méthanol pour biofiltre dénitrifiant]

(exemple glucose oxydase pour un capteur à glucose).

Les différentes étapes mises en jeu au cours du fonctionnement du capteur enzymatique sont :

1. Transport du substrat du milieu hétérogène vers la couche enzymatique.

2. Diffusion du substrat dans cette couche accompagnée de la transformation enzymatique du substrat en produit de réaction.

3. Migration du produit vers le transducteur.

4. Conversion de la concentration du produit à cette interface, par le transducteur, en un signal électrique.

Les biocapteurs qui sont capables de détecter les substrats et les produits de réaction enzymatiques peuvent aussi détecter les inhibiteurs ou les inactivateurs de ces enzymes, comme par exemple les métaux lourds dans le cas des oxydases. Ceci augmente encore leur champ de détection.

Analyseur en continu de méthanol

Application pour biofiltres en station d’épuration

Dans le cadre des nouveaux traitements tertiaires de l’azote sur biofiltres (particulièrement les procédés de dénitrification), l’addition d'une source carbonée est nécessaire. Le méthanol est le réactif qui correspond le mieux au rapport qualité/prix et est donc utilisé dans la plupart des traitements de ce type. Néanmoins, le coût annuel total en méthanol reste conséquent et une maîtrise du procédé (régulation en fonction de la concentration en nitrates en entrée de traitement) est donc souhaitable afin d’éviter une consommation excessive et, de fait, un coût prohibitif.

Un des moyens pour y parvenir est de mesurer la concentration en méthanol en sortie de traitement pour réguler automatiquement son volume ajouté en entrée (figure 4).

Analyseurs de méthanol existants

Des analyseurs spécifiques, ou par corrélation, sont proposés par certains constructeurs avec les inconvénients suivants :

PRINCIPE : Colorimétrie enzymatique LIMITES : analyseur complexe, maintenance difficile, réactifs chers et instables, filtration d’échantillon obligatoire
PRINCIPE : Chromatographie liquide LIMITES : méthode de laboratoire, technologie non adaptée pour mesure en ligne
PRINCIPE : Mesure de COT – Mesure de DCO LIMITES : non spécifique du méthanol, limite de détection trop forte

Principe de fonctionnement de l’analyseur de méthanol à biocapteur

[Photo : Figure 5 : analyseur Polymetron 8810 méthanol]

Un analyseur spécifique à biocapteur de méthanol, Polymetron 8810 méthanol, a été développé par la société Zellweger Analytics. Cet analyseur effectue des mesures de méthanol de façon automatique à raison d'une mesure toutes les quinze minutes. L’enzyme utilisée est l'alcool oxydase immobilisée de façon covalente sur l’électrode à oxygène. Cette enzyme de type Michaëlien catalyse l’oxydation des alcools primaires selon la réaction suivante dans le cas du méthanol :

Alcool oxydase CH₃OH + O₂ → CH₂O + H₂O₂

L’évolution de cette réaction peut être suivie par la disparition de l’oxygène ou par l’apparition de l’eau oxygénée. En effet, la vitesse initiale (Vi) de consommation d’oxygène est proportionnelle à la concentration du substrat (S) :

Vi = Vmax · S / (Kₘ + S)

Vmax est la vitesse maximale de réaction. Kₘ est la constante de Michaëlis qui représente la concentration de substrat où la moitié des sites des molécules enzymatiques sont occupés par des molécules de substrat. La valeur de cette constante est propre à chaque substrat et dépend aussi de l’espèce d’où a été extraite cette enzyme.

La proportionnalité entre la vitesse initiale de la réaction (Vi) et la concentration de substrat est obtenue uniquement lorsque la concentration de substrat est inférieure ou égale à 1/3 Kₘ ; l’équation devient alors :

Vi = Vmax · S / Kₘ

Généralement, la proportionnalité entre la vitesse initiale et la concentration du substrat (la gamme de mesure) s'étale entre 1/100 et 1/3 Kₘ.

Dans le cadre du 8810 Méthanol, la gamme de mesure se situe entre 0,5 et 20 ppm de méthanol. Si la concentration de l’échantillon est supérieure à cette valeur, un système de dilution externe peut être fourni avec l’analyseur. La limite de détection est de 0,5 ppm.

Cycle de mesure de l’analyseur

Un cycle de mesure du 8810 Méthanol est composé de deux phases (schéma de principe en figure 6) :

• Phase de régénération : l’eau du réseau, tamponnée et saturée en air, est mise en contact avec le biocapteur. Cette phase sert à régénérer l’électrode et à obtenir le 100 % d’oxygène, correspondant à un courant d’électrode maximal appelé I₀.

• Phase de mesure : le biocapteur est mis en contact directement avec l’échantillon, sans aucune filtration préalable, tamponné et saturé en air comme l’eau de régénération. Si cet échantillon contient du méthanol, le courant fourni par l’électrode, appelé Iₘ, sera inférieur à I₀. La différence

V1 : Échantillon  
V2 : Eau de rinçage  
V3 : Vanne de vidange  
V4 : Vanne de mesure  

P1 : Pompe de conditionnement  
P2 : Étalonnage automatique  
P3 : Nettoyage chimique  

C1 : Réacteur de préparation  
C2 : Cellule de mesure  

E : Régulation en température  

O : Cellule d'oxygène avec enzyme immobilisée  
S : Siphon  
D : Vidange  
[Photo : Figure 6 : principe de fonctionnement]

Capteurs pour des mesures spécifiques dans le domaine de l'environnement.

Plusieurs centaines d'articles ont été publiés sur ce sujet depuis 10 ans, mais très peu d'analyseurs industriels ont vu leur commercialisation.

La recherche a permis de répondre avec succès au besoin d'analyse en continu du méthanol suivant les spécifications demandées et apportant de plus les avantages suivants :

[Photo : Figure 7 : Ajouts dosés de méthanol]
[Photo : Figure 8 : Comparaison HPLC/analyseur 8810 méthanol]

Entre I₀ et Iₘ est proportionnelle à la concentration de méthanol.

Validation des mesures

La validation de la mesure du méthanol par ce biocapteur a été contrôlée en faisant des mesures comparatives avec la méthode de chromatographie en phase liquide. Nos résultats montrent une parfaite corrélation entre les deux méthodes (figure 7 et 8). Comme le capteur utilisé est une électrode à oxygène, l'échantillon peut être coloré ou trouble. Cet analyseur industriel travaille de façon autonome, il nécessite peu d'entretien (une fois par mois). Cet entretien d'une heure environ consiste dans le changement de la partie biologique et la préparation de la solution tampon nécessaire à la stabilité du capteur enzymatique.

Comme le montre la figure 9, ce biocapteur est stable pendant un mois, le 8810 méthanol effectue lui-même des étalonnages automatiques qui peuvent être programmés selon le souhait de l'utilisateur.

[Photo : Figure 9 : stabilité du biocapteur dans le temps]

Conclusion

Cette mesure spécifique démontre toutes les possibilités encore non explorées des biocapteurs :

• Pas de filtration d'échantillon nécessaire.

• Aucune interférence de la couleur ou turbidité de l'échantillon.

• Rapidité de la mesure : entre 5 à 15 minutes.

• Simplicité de l'instrumentation : un seul réactif de conditionnement simple, une électrode à oxygène classique.

• Mesure spécifique du méthanol en faible gamme 0-20 mg/l.

• Limite de détection faible (0,5 mg/l).

• Maintenance réduite (1 fois par mois).

Il est clair que les biocapteurs sont peut-être la réponse pour d'autres analyses en continu spécifiques telles que les métaux lourds ou les pesticides avec des analyseurs simplifiés.

[Encart : Références Bibliographiques [1] Tranminh C. (1991) Les Biocapteurs. pp. 1-162. Collection Mesures Physiques. Masson [2] Clark L.C. et Lyons C. (1962) Electrode systems for continuous monitoring in cardiovascular surgery. Ann. N.Y. Acad. Sci. 102, 29-45. [3] Haouz A., Mastchenko A., et Qarbi R. (1998) Biocapteurs, leur procédé de réalisation et les méthodes d'analyse les mettant en œuvre. [4] Fersht A. (1985) Enzyme Structure and Mechanism. pp. 4-271. Second edition Freeman.]
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