Your browser does not support JavaScript!

Bilan d'une première campagne d'élimination des nitrates à l'usine d'eau potable de Pleven

30 juillet 1993 Paru dans le N°165 à la page 48 ( mots)
Rédigé par : Jean-claude DERNAUCOURT et J.-m. MONGIN

Avec un débit net traité de 24 000 m3/j et près de 52 m3 de résines mises en place, l'usine de traitement d'eau potable de Pleven (22) constitue la plus grande installation de dénitratation réalisée à ce jour. Mise en service au printemps de 1992, elle vient de terminer sa première campagne hivernale. Les résultats obtenus ont été en tous points conformes aux prévisions et l'eau distribuée a présenté, durant toute cette période, une teneur en nitrates inférieure au niveau-guide (25 mg/l), recommandé par la Directive Communautaire du 15 juillet 1980. Cet article rappelle les objectifs visés, les moyens mis en ?uvre pour les atteindre et la solution originale qui a été retenue pour évacuer les éluats de régénération, sans nuisance aucune pour le milieu.

Le Syndicat mixte Arguenon-Penthèvre alimente en eau potable une population permanente d’environ 145 000 personnes.

Il regroupe 109 communes de l’est du département des Côtes-d’Armor et compte près de 66 000 abonnés, soit environ 30 % des abonnés du département (figure 1).

L’eau brute — L’usine de Pleven

L'unique ressource du syndicat est une retenue sur l'Arguenon à Pleven, qui s’étend sur 200 hectares et présente une capacité de 11 500 000 m³. La station de traitement, d'une capacité de production nette de 48 400 m³/j, a été construite en trois tranches successives, de 1972 à 1986, en mettant en œuvre un traitement conventionnel complété par une pré- et une postozonation et par une minéralisation à la chaux et à l’anhydride carbonique. Le bassin versant de la rivière et du lac de retenue est situé en zone agricole, où la culture et l’élevage (du porc particulièrement) sont pratiqués de manière intensive.

L'utilisation d’engrais, de pesticides et les épandages de lisier ont fait apparaître diverses nuisances contenues dans l’eau alimentant l’usine :

  • apparition de pesticides de toute nature,
  • augmentation des teneurs en matières organiques dissoutes,
  • augmentation des teneurs en nitrates, dépassant largement, en période pluvieuse, la concentration maximale admissible.

La figure 2 illustre les variations de teneurs en nitrates observées pendant les quatre mois d’hiver.

Devant cette situation, le Syndicat a décidé d’y remédier, en lançant un programme de modernisation de la chaîne de traitement.

Les travaux de modernisation

Le concours, lancé en 1990 auprès des entreprises spécialisées, par le Syndicat (avec pour maître d’œuvre la DDAF), portait sur le traitement d’affinage par filtration sur charbon actif en grains du débit total de pointe (soit 2 200 m³/h) et sur un traitement de réduction des teneurs en nitrates du débit d’hiver (soit 1 100 m³/h). Ce dernier devait être dimensionné pour ramener au voisinage du niveau-guide des normes européennes (soit 25 mg/l ± 5 mg/l) une teneur initiale en nitrates de 100 mg/l. Le volume journalier, à garantir en eau dénitrée, était de 24 200 m³. Le programme du concours demandait de proposer une solution d’évacuation des rejets non polluants pour l’environnement.

L’étude du dossier a rapidement montré qu’une solution par voie biologique, qui aurait simplifié le problème des rejets, n’était pas applicable : en effet, les teneurs excessives en nitrates n’apparaissent qu’en hiver, à une époque où la température de l'eau du barrage peut descendre jusqu’à environ 2 °C. À cette température, les phénomènes biolo-

[Photo : Figure 1.]
[Photo : Figure 2.]
[Photo : Figure 3.]
[Photo : Figure 4.]

...iques sont inhibés presque totalement.

Le choix s’est donc porté sur la solution, désormais classique, de l’échange d'ions sur une résine, base forte, régénérée au chlorure de sodium.

L'originalité de la filière mise en place réside dans le fait qu’elle peut prendre deux configurations :

Le régime d'hiver

Période de traitement des nitrates, débit requis : 1 100 m³/h, soit 24 000 m³/j.

L'eau clarifiée subit successivement les traitements suivants :

  • - filtration sur charbon actif en grains sur la moitié des filtres installés (3 sur 6), pour la protection des résines échangeuses d’ions contre un empoisonnement par les matières organiques,
  • - dénitratation sur résine après pompage,
  • - filtration sur charbon actif sur l'autre moitié des filtres, pour assurer l'affinage.

Le régime d'été

Le traitement des nitrates n’est pas nécessaire, mais le débit requis est porté à 2 200 m³/h, soit 48 400 m³/j.

L'eau clarifiée est affinée par filtration sur la totalité des filtres fonctionnant en parallèle.

La figure 3 illustre le fonctionnement en configuration d’hiver.

Le procédé de dénitratation Ecodenit

Le procédé de dénitratation retenu a été choisi pour réduire autant que possible le volume des éluats de régénération, réduire au minimum la consommation de saumure régénérante et diminuer la concentration en chlorures et en sodium dans les rejets.

Ces objectifs sont atteints en procédant à une régénération ascendante, à contre-courant de la production. L’expansion du lit de résine pendant la régénération est évitée par un blocage à l'air surpressé.

Le niveau de régénération de la résine a été fixé à 90 g de NaCl par litre de résine mise en place et la concentration de la saumure injectée à 90 g/l NaCl. Ces valeurs ont été adoptées, après essais sur le site, pour atteindre les objectifs désignés plus haut.

L'installation comprend principalement quatre corps d’échange en acier revêtu d’époxy, d'un diamètre de 3,20 m. Trois corps sont en service, le quatrième étant en cours de régénération ou en attente de production. Les corps d’échange sont garnis d’environ 52 000 l de résine, base forte, Dowex SBRP, de qualité agréée par le Ministère de la Santé pour la production d’eau potable.

L’eau à traiter pouvant renfermer des quantités importantes de substances organiques dissoutes, en dépit du traitement préliminaire au charbon actif, l’installation comprend un poste de dépollution des résines par la soude utilisée en combinaison avec la saumure régénérante en tant que de besoin. Elle comporte également, et conformément à la réglementation, un poste destiné à la désinfection périodique des résines par l'acide péracétique.

Dans le cas particulier de cette usine, dont les installations demeurent à l’arrêt pendant six à huit mois par an, il est prévu un traitement systématique de désinfection à la fin et au début de chaque campagne. Pour limiter le développement de bactéries dans les lits de résines, ceux-ci demeurent immergés dans la saumure régénérante pendant toute la période de chômage.

Tableau I

Dénitratation – Évolution des titres

Taux des nitrates (mg/l) Débit des échangeurs (m³/h) Durée de la production (heures) TAC de l'eau (°F) Sulfate dans l'eau (mg/l) Chlorure dans l'eau (mg/l)
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
40 434 43,2 4,41 24,2 74,5
50 579 25,9 4,21 18,9 85,5
60 675 18,5 4,08 15,4 94,7
70 744 14,3 3,98 12,9 103
80 796 11,7 3,91 11,1 110,6
90 836 9,9 3,86 9,6 117,8
100 868 8,6 3,82 8,4 124,7
125 926 6,4 3,74 6,3 141,1
140 951 5,5 3,70 5,4 150,6

Tableau II

Influence des rejets sur la qualité de l'Arguenon – accroissement exprimé en mg/l

Élément Flux total (kg/j) Effluents concentrés : flux (kg/j) Effluents concentrés : conc. (g/l) Effluents dilués : flux (kg/j) Effluents dilués : conc. (g/l) Rejet de tous les éluats : débit moyen (3 m³/s) Rejet de tous les éluats : débit réservé (0,15 m³/s) Rejet des seuls éluats dilués : débit moyen (3 m³/s) Rejet des seuls éluats dilués : débit réservé (0,15 m³/s)
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
NO₃⁻ 1 800 1 727 11,5 73 0,15 6,9 mg/l 138 mg/l 0,28 mg/l 5,6 mg/l
SO₄²⁻ 1 150 1 100 7,3 50 0,10 4,37 mg/l 87,4 mg/l 0,19 mg/l 3,8 mg/l
HCO₃⁻ 108 103 0,7 5 0,01 0,43 mg/l 8,6 mg/l 0,02 mg/l 0,4 mg/l
Cl⁻ 3 892 3 736 25 156 0,30 14 mg/l 280 mg/l 0,56 mg/l 11,2 mg/l

Le dimensionnement de l'installation a été réalisé pour satisfaire les conditions suivantes à partir d'une eau renfermant 100 mg/l de NO₃⁻ :

- débit total produit : 1 100 m³/h

- débit traité sur trois échangeurs : 868 m³/h

- débit by-pass (21 %) : 232 m³/h

- durée d'un cycle : 8,6 h

- nombre de régénérations par jour : 7,7

- NaCl consommé :

- par cycle : 1 157 kg

- par jour : 8 900 kg

- par m³ d'eau produite : 0,37 kg

L'installation est capable de traiter une eau renfermant jusqu’à 140 mg/l de NO₃⁻ en procédant à une régénération en dehors de la période journalière de fonctionnement (22 heures).

Par ailleurs, la minéralisation due aux ions autres que les nitrates restant inchangée, il demeure possible de prendre en compte jusqu’à 185 mg/l de NO₃⁻, en portant le niveau de régénération à environ 120 g de NaCl par litre de résine. Dans ce cas, le facteur limitant est constitué par la teneur en chlorures de l'eau traitée qui atteint la limite des 200 mg/l imposée par la législation.

La fin du cycle d'échange a été fixée pour un niveau de fuite de 10 mg/l NO₃⁻, ce qui correspond à une fuite moyenne d’environ 5 mg/l.

L'eau dénitratée est ensuite mélangée en proportion variable, automatiquement, selon la teneur initiale en nitrates de l'eau filtrée, pour obtenir une concentration de 25 mg/l de NO₃⁻ dans l'eau traitée.

Le tableau I illustre la variation de minéralisation de l'eau traitée en fonction de la teneur en nitrates de l'eau brute.

À la sortie de la bâche de mélange, l'eau est encore reminéralisée par injection d’anhydride carbonique et de chaux pour obtenir un TAC d’environ 8 °F et un TH de 12 °F.

Les effluents de régénération

Le tableau II expose les flux salins journaliers résultant du traitement d’une eau renfermant 100 mg de NO₃⁻. Ces effluents peuvent être séparés en deux parties :

- une fraction concentrée, représentant environ 150 m³/j,

- une fraction diluée, représentant environ 480 m³/j.

Ce tableau montre que le rejet de la totalité des éluats dans l'Arguenon entraînait un impact déjà non négligeable à son débit moyen. Si le rejet devait avoir lieu au débit minimum de la rivière, son impact sur le milieu devenait inacceptable. En revanche, le rejet des seuls effluents dilués n'avait aucune influence au niveau du débit moyen et restait tout à fait tolérable au débit réservé (il faut faire observer que l'hypothèse de voir le débit de la rivière descendre au niveau de son débit réservé en hiver est hautement improbable). De ce fait, le problème se réduisait à l’évacuation d’environ 150 m³/j d’effluents concentrés.

À la suite d'une minutieuse enquête, une solution de recyclage des effluents dans une industrie de fabrication d'engrais a été trouvée : la société Timac de Saint-Malo a accepté de recevoir la totalité des effluents concentrés pour les intégrer dans ses fabrications sans aucun rejet. Pour ce faire, le Syndicat mixte Arguenon-Penthièvre a financé la pose d'une canalisation en polyéthylène d’un diamètre de 100 mm sur une longueur de 35 km pour relier l'usine de Pléven à Saint-Malo.

Les effluents stockés dans une bâche sont refoulés de façon continue par cette canalisation au débit de 8 m³/h. Lorsque la teneur en nitrates de l'eau brute descend au-dessous de 100 mg/l, le volume des éluats concentrés n'atteint pas 150 m³/j ; ce volume est alors complété par des effluents dilués, en diminuant encore le rejet dans l'Arguenon.

La première campagne de dénitratation

Les installations nouvelles de l'usine ont été mises en service dans le courant du printemps de 1992. Après mise au point définitive, la station de dénitratation a été arrêtée conformément aux prévisions, les concentrations en nitrates rencontrées dans l'eau de la retenue demeurant en deçà de la limite des 40 mg/l.

La première campagne de traitement s’est achevée en mars dernier. Au cours de celle-ci, les teneurs en nitrates rencontrées n’ont pas atteint le maximum pris en compte lors de la conception.

mais des concentrations de l’ordre de 85 mg/l ont été observées pendant plusieurs semaines consécutives. Le suivi des résultats a montré leur conformité absolue avec les prévisions. Nous avons noté une performance d’élimination des nitrates, supérieure à celle évaluée lors de l’élaboration du projet, puisque la fuite moyenne, au cours d’un cycle, s’est établie à moins de 2 mg/l.

Nous avons procédé par la suite aux opérations préparatoires à la mise en chômage du dispositif, qui portaient sur le nettoyage (et éventuellement le définage) de la résine, la désinfection à l’acide péracétique et la mise en saumure des lits de résine.

L’installation peut ainsi attendre sa remise en service à l’automne de 1993.

Conclusion

L’installation de Pleven a montré que la dénitratation par voie physico-chimique pouvait être appliquée au traitement de débits importants, ce qui a été rendu possible par l’expérience accumulée sur des réalisations plus modestes, déjà en service, et par la maîtrise de la technique mise en œuvre depuis de très longues années dans le domaine de la production d’eau de très haute pureté, destinée aux industries telles que la fabrication des composants électroniques ou les centrales nucléaires. Le problème demeure, bien sûr, le devenir des éluats, dont le volume croît proportionnellement au débit traité. Dans le cas particulier, une très heureuse solution a pu être trouvée. Elle n’est évidemment pas généralisable.

Cette réalisation montre qu’une concertation entre tous les intervenants, dès les prémices d’un projet, est hautement souhaitable pour rechercher avec les représentants de l’économie locale une solution permettant de le faire aboutir.

[Publicité : FONDERIES & ATELIERS L. CHOQUENET]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements