BOUES MARINES – PRÉLÈVEMENTS – MATURATION – CARACTÉRISTIQUES
Conférence du Professeur J.-J. DUBARRY de la Faculté de Médecine de Bordeaux, membre correspondant de l’Académie de Médecine ; avec la collaboration de M. BRUNET et M. D. MICHAUD.
Résumé
Le succès de la pélothérapie en rhumatologie, pour les séquelles de traumatismes et algies rebelles aux médications, impose l'étude des conditions et l'utilisation des péloïdes marins, cette étude étant elle-même dominée par le problème de la pollution marine auprès des côtes.
Rappelons la définition française du terme PÉLOÏDE :
(1) Voir L'EAU ET L'INDUSTRIE n° 24 – page 55 – 1re partie : La Fédération Thermale et Climatique de Bretagne. La Thalassothérapie – Les Marais Salants – et n° 25 – page 51 – 2e partie : Le Colloque de La Baule des 17-18 septembre 1977 (du même auteur).
Un péloïde est une mixture naturelle semi-solide, onctueuse et plastique, de couleur noirâtre, d’odeur particulière :
1° Résultant du contact prolongé entre : — un sédiment fluviatil, — une eau minérale hyperthermale, — un complexe organique provenant de la décomposition spontanée bactérienne des algues se développant en eau minérale courante. 2° Ne pouvant être l’objet de manipulations autres que : — le tamisage, — la culture des algues et des bactéries dans des bassins en eau minérale courante à l'exclusion de toute eau étrangère. — Utilisée thérapeutiquement sur le lieu de production.
Le premier problème est celui du choix du site de prélèvement de la vase marine. Il importe que ce site soit à l’abri de la pollution côtière chimique et bactériologique, tant en ce qui concerne l’eau de mer elle-même, que la vase qui s'y dépose.
Ce sont des études du même type que celles imposées récemment sur toutes les plages de France par le Ministère de la Santé.
Déjà on sait que la Méditerranée est fortement atteinte par la pollution. L'Océan et la Manche le sont beaucoup moins mais les travaux de BRISOU ont montré que le pouvoir antibactérien de l'eau de mer était très relatif.
Une fois assurée de la salubrité relative de l'eau de mer et de la vase de départ, cette dernière est mise en maturation en laboratoire. Les péloïdes ainsi obtenus expérimentalement ont tous montré une nette diminution du nombre de germes et surtout une absence régulière de germes pathogènes.
Il faut distinguer dans une vase marine :
— le substrat minéral — proportions variables de silice, d’argile, de calcaire,
— du substrat végétal, composé des algues unicellulaires qui végétaient en eau de mer. Celles-ci, dans l'eau de maturation réchauffée à 30 °C, se modifieront : certaines espèces disparaîtront, d'autres proliféreront. Au bout de 3 à 4 mois, le milieu sera devenu improductif.
En fin de maturation il a été obtenu chaque fois une substance homogène, onctueuse, visqueuse, plastique. À noter que l'acidité ionique et le potentiel d’oxydo-réduction des vases maturées diminuent, puis se stabilisent.
Les résultats de ces recherches permettent de prévoir :
1) l'innocuité du phyto-péloïde marin maturé dans les conditions précitées ;
2) une plus grande activité biologique :— onctuosité, viscosité accrues, — chaleur spécifique accrue.
Ces péloïdes marins nécessitent une préparation longue, des installations coûteuses, mais au moment où la thalassothérapie est reconnue valable dans l’arsenal thérapeutique moderne, la pélothérapie paraît une de ses pratiques essentielles. Cette pélothérapie implique l'implantation dans les futurs centres de thalassothérapie :
1) de bacs de maturation chauffés de façon continue, 2) de bacs de réchauffement avant emploi, 3) d'un service spécialisé d’application des boues.
Et cela sous réserve que des conditions strictes de préparation des péloïdes marins soient adoptées, voire légalement imposées — conditions peut-être sévères, mais indispensables si l'on veut éviter les abus : l'utilisation de vases marines polluées donc dangereuses, pratiques qui discréditeraient la méthode...
SUR UNE TECHNIQUE DE PÉLOTHÉRAPIE MARINE
Communication du Docteur BILLARD — Collioure.
Résumé
Cette communication concerne l'application thérapeutique de boues marines faite dans les centres de Collioure et de Granville.
— Choix du péloïde : il s’agit d'un complexe bio-végéto-minéral dont la base est constituée par un mélange d’argile, de silice, d’alumine, de chaux, d’iode, d’albumine, de lipides et de matières humiques. L’analyse bactériologique ne décèle aucun germe de contamination.
— Applications thérapeutiques : technique classique des applications, réchauffement jusqu’à une température voisine de 45 °C.
Les indications de ces applications étaient des atteintes articulaires de diverses origines. Dans certains cas (phénomènes inflammatoires subaigus) on a utilisé des applications de boues froides.
Une étude a été entreprise afin de démontrer cliniquement la possibilité d'action par pénétration ionique percutanée. On a utilisé comparativement des boues marines froides ou chaudes.
Le résultat final est déterminé par l'association des éléments douleurs et de l’état des téguments.
L’étude a porté sur 104 sujets dont 62 hommes. Les malades ont été choisis en fonction d’une étiologie purement rhumatismale et traumatique. La tranche d’âge était comprise entre 40 et 65 ans.
Le traitement et les soins classiques de rééducation fonctionnelle ont été poursuivis de la même façon pour tous les malades, la seule différence venant de l’application des boues, soit chaudes, soit froides.
Résultats :
Boues chaudesrésultats bons ou très bons : 32 casrésultats nuls : 21 cas53 malades
Boues froidesrésultats bons ou très bons : 40 casrésultats nuls : 11 cas51 malades
Cette étude comparative globale laisse apparaître les faits suivants :
— Il n'a pas été constaté de manifestations allergiques avec les boues froides. Quelques irritations ont été relevées avec les boues chaudes lorsqu’elles étaient appliquées directement sur la peau ; — On pose la question de savoir si la thermalité n’intervient pas comme un exaltant de l’allergène ; — Il semblerait qu’on aurait intérêt à utiliser, dans le cas des affections rhumatismales non inflammatoires, des boues chaudes. Les boues froides seraient par contre plus indiquées dans les séquelles de traumatismes.
LA MER, SOURCE DE VIE...
LA THALASSOTHÉRAPIE, CETTE INCONNUE...
Conférence du Médecin Général LE BRETON.
Résumé
La thalassothérapie peut se définir comme « l'utilisation rationnelle de l'eau de mer, du climat et de certains produits marins tels que les algues et les boues ».
— La mer a toujours guéri : l’utilisation de la mer à des fins thérapeutiques remonte à l’Antiquité — HIPPOCRATE recommandait l'eau de mer chaude.
Puis il faut arriver au XIXᵉ siècle pour voir les médecins se tourner à nouveau vers « la grande matrice originelle ». En 1899, le docteur Louis BAGOT ouvrit à Roscoff le premier institut de thalassothérapie.
Jusqu’à présent, la thalassothérapie était basée sur des données empiriques : « Comment cette mer chauffée, ses boues, ses algues pouvaient-elles agir sur le corps humain ? Quelles étaient les voies de pénétration des éléments thérapeutiques qui pouvaient améliorer l’état physique de l’homme et parfois même le guérir ? »
Ce n’est que depuis une décade à peine que l'on sait comment les choses se passent entre la mer et le corps humain.
Il a été exposé comment les ions — potassium, calcium, magnésium — pénètrent dans l'organisme à travers les alvéoles pulmonaires et à travers les téguments.
Suivant les travaux de DUBARRY et TAMAREL, travaillant avec des ions marqués, il est prouvé que, dans l'eau de mer comme dans l'eau thermale, la diffusion dans l'organisme des ions tracteurs est toujours supérieure à celle que l'on rencontre dans un bain artificiel de concentration équivalente.
Il existe donc des facteurs « favorisants » que l'on peut classer sous plusieurs rubriques :
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La poussée : la couche cornée superficielle de l’épiderme se comporte comme une éponge gorgée d’eau salée très conductrice et surtout comme une réserve ionique négative. Cette réserve augmente la différence de potentiel entre l’épiderme et le derme et favorise donc à ce niveau les échanges ioniques à travers la zone thiol.
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L’accélération : les ions sont aidés dans leur pénétration par la présence d’oligo-éléments dans l’eau de mer et surtout dans les algues et les boues marines.
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La température : on a constaté que la pénétration des ions traceurs était favorisée par l’élévation de la température, le maximum d’effet se situant aux alentours de 34 °C.
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La kinébalnéothérapie : les mouvements dans l’eau de mer chaude favorisent aussi la pénétration ionique.
Une fois « lancés » dans la circulation sanguine, les ions sont dirigés sélectivement vers les organes qui en ont le plus besoin :
- les ions calcium facilitent les réparations osseuses et articulaires,
- les ions potassium constituent une réserve de « décontracturant » pour le muscle,
- les ions magnésium sont indispensables aux plaques motrices,
- au niveau de la peau, tous les ions traceurs se fixent ; le coefficient de fixation est au moins doublé dans un bain de mer ou de boues marines par rapport à ce qu’il est dans un bain artificiel,
- la diffusion des ions traceurs se fait en fonction de la nature de l’ion,
- la nature du bain (pélöide marin — eau de mer ou algues) intervient quant à la diffusion de l’ion dans l’organisme.
Nous voilà bien loin de l’empirisme qui a trop longtemps régné sur le traitement en milieu marin. Grâce aux travaux cités, on sait pourquoi et comment l’animal humain peut retrouver la joie de vivre et la santé en s’adressant uniquement aux sources de la vie.
Ainsi la thalassothérapie a scientifiquement gagné ses lettres de noblesse.
SYNTHESE ET CONCLUSION DU COLLOQUE
Par le Professeur Denis LEROY, Doyen honoraire de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rennes, Membre correspondant de l’Académie de Médecine, Président de la Fédération Thermale et Climatique de Bretagne.
Résumé
Il y a plusieurs millénaires de cela, la mer arrivait jusqu’aux grèves de Guérande, qui fut dans le passé lointain un port véritable. Puis deux grandes languettes sableuses se sont peu à peu constituées au cours des siècles, enserrant une vaste lagune salée de plus de 4 000 hectares que les hommes ont intensément exploitée pour en récolter le sel, cette denrée si précieuse dans l’histoire de l’humanité.
La zone qui s’étend de La Baule au Croisic et de Batz à Guérande a connu de la sorte une longue période d’activité prospère, et en 1904 la saliculture y occupait encore 2 650 personnes, pour une production annuelle de 50 000 tonnes de sel ; mais en 1972, on ne comptait plus que 270 paludiers pour une production de 20 000 tonnes de sel gris, et la régression continue.
Si la salaison est toujours pratiquée pour empêcher le processus de fermentation et de développement microbien, la glace et les réfrigérateurs ont irréversiblement remplacé, on le sait, l’emploi du sel dans l’énorme débouché que constitue la conservation des denrées.
Sur les 4 000 hectares, il en reste moins d’un quart encore exploités. Certes l’aquaculture s’y développe, notamment la pisciculture avec des élevages de truites et d’anguilles, apportant une ressource nouvelle mais encore très insuffisante. Toute la contrée est menacée de devenir un terrain de prédilection pour l’exploitation immobilière et l’urbanisation, et tente bien des promoteurs conscients de l’afflux grandissant des touristes et des vacanciers attirés par ce site écologique exceptionnel.
L’algoculture serait à envisager dans une semblable « prairie de la mer » : on pourrait concevoir des cultures d’algues sélectionnées, cloisonnées comme d’immenses boîtes de Pétri à l’air libre. Des expériences remarquables de l’Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes de Nantes vont dans ce sens, prouvant la possibilité de cultures d’algues monocellulaires : chlorelles et spirulina, qui connaissent des débouchés dans l’alimentation humaine et animale ou dans l’épuration biologique des eaux comme créatrices d’oxygène favorisant le développement des aérobies.
L’intérêt médical, enfin, s’attache à cette zone soumise aux grands vents, à une bonne héliométrie, et qui, bénéficiant par évaporation permanente d’un air si riche en ions marins favorables à l’équilibre de la vie, constitue en elle-même une source de santé. La température des œillets atteint 35 °C, et contribue à former une réserve calorique qui engendre la stabilité thermique du climat local, un avantage exceptionnel pour La Baule et tout son arrière-pays.
Mais surtout, en créant et en façonnant par son travail et son opiniâtreté depuis plus de 20 siècles les marais salants de la presqu’île de Guérande, l’homme a domestiqué la mer et accumulé une réserve de « concentrés de la mer » qui sont un potentiel incomparable de richesses thérapeutiques, à la fois chimiques et organiques.
Le mérite du Colloque de La Baule aura été de présenter par un ensemble de travaux pluridisciplinaires les différents aspects physico-chimiques de ces concentrés de la mer, et de tendre à une prospective sur leur utilisation thérapeutique et médicale en thalassothérapie, balnéothérapie, kinébalnéothérapie, péloidothérapie et médecine de rééducation.
Il faut soutenir la saliculture qui ne doit pas disparaître, et d’autre part poursuivre et développer résolument des objectifs d’études mis en lumière par le Colloque de La Baule, tels que :
- — les nappes d’œillets : pour les cultures de Chlorelles et de Spirulina,
- — les bassins isolés de cultures de Macrocystis, dont on ne peut laisser le libre cours sur les rivages en raison de ses tendances envahissantes au détriment des autres algues,
- — les élevages d’Artémia augmentant la productivité des établissements de mariculture,
- — les extractions des boues à différents degrés de concentration depuis les vasières jusqu’aux œillets,
- — une meilleure connaissance de la valeur nutritive et sanitaire du sel gris, ce concentré naturel de la mer.
D’un point de vue des sciences humaines, on doit préserver la presqu’île Guérandaise comme on a su préserver la Brière, garder son micro-climat et sa valeur thérapeutique curative et préventive. Il faut protéger le site, maintenir ses vertus climatiques et exploiter toutes les richesses de la mer accumulées dans cette zone des marais salants depuis 2000 ans, et devenues disponibles pour la santé de l’homme du XXe siècle…
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Voici donc présenté l’essentiel des communications et des conférences de cette manifestation de La Baule, en se limitant obligatoirement à des résumés.
La cause des Marais Salants de la Presqu’île de Guérande mérite d’être défendue et la Thalassothérapie est une des voies par lesquelles on peut envisager leur survie.
Il était utile de faire connaître les sérieux travaux de ce Colloque de La Baule qui, organisé par la Fédération Thermale et Climatique de Bretagne, aura constitué à coup sûr un point de départ pour une nouvelle raison d’espérer en la sagesse de l’homme du XXe siècle, dépositaire et gérant de tant de richesses naturelles…
C. VALIN