La mise en place de l'autosurveillance s'étend progressivement à toutes les stations d'épuration de plus de 10 000 habitants dans le bassin Artois-Picardie. Installer des dispositifs convenables et obtenir des résultats fiables n?est pas toujours facile. Néanmoins, l'intercalibration et l'audit des laboratoires des stations ont déjà permis d'enregistrer des gros progrès dans la qualité des analyses. D?une manière générale, la démarche de type assurance qualité, qui encadre l'autosurveillance, améliore de manière spectaculaire la transparence et la qualité des relations entre les exploitants et les interlocuteurs extérieurs.
M. Laurent, Chef de Mission et M. Heraut, Ingénieur Agence de l’Eau Artois-Picardie
Le parc des stations d’épuration urbaines du bassin Artois-Picardie (figure 1 – 6,5 millions d’équivalents habitants) comporte 400 unités de tailles très diverses, comprises entre quelques centaines à 750 000 équivalents habitants (eh), avec une forte proportion de stations de grande taille compte tenu de la forte densité de population de la région Nord-Pas-de-Calais. Au vu de leur fonctionnement, l’Agence de l’Eau verse annuellement à ces stations une prime d’épuration pour un montant global de 15 millions d’€. Jusque récemment, l’assiette de la prime, correspondant à la pollution éliminée par la station, était essentiellement calculée à partir de 2 à 3 mesures-bilans de 24 heures, réalisées par les SATESE (Service d’Assistance Technique aux Exploitants de Stations d’Épuration). Cette situation était relativement favorable par rapport à d’autres régions françaises où certaines stations ne faisaient l’objet que d’une mesure tous les 3 ou 4 ans. On pouvait cependant raisonnablement s’inter-
Juger de la représentativité de ces deux ou trois jours de mesures par rapport au fonctionnement moyen annuel.
L’arrêté du 22 décembre 1994, relatif aux ouvrages de traitement des eaux usées, est venu modifier le paysage en imposant aux collectivités locales et à leur exploitant la mise en œuvre de l’autosurveillance. Pour toutes les stations d’épuration d’une capacité supérieure à 2 000 EH, et à l’échéance de février 1999, l’exploitant se doit de mesurer les effluents reçus et rejetés par la station d’épuration. Cette disposition n’était pas sans intéresser les Agences de l’Eau dont les textes réglementaires (arrêté du 25 octobre 1975 modifié) prévoyaient la prise en compte des résultats d’autosurveillance pour le calcul de leurs primes d’épuration. Les modalités pratiques de mise en œuvre de l’autosurveillance ont été décrites en 1996 dans l’étude Inter-Agences n° 50 « Guide de l’autosurveillance des systèmes d’assainissement ».
Depuis lors, l’Agence de l’Eau Artois-Picardie a fortement incité les exploitants à mettre en place l’autosurveillance dans la centaine de stations de plus de 10 000 EH.
La mise en place du dispositif d’autosurveillance
La procédure
En utilisant les compétences et le rôle de conseil du SATESE, la démarche qui s’est peu à peu établie en accord avec les services de Police de l’Eau figure dans l’encadré « procédure d’agrément du dispositif d’autosurveillance ».
Les points de mesure
Le dispositif d’autosurveillance comprend des points de prélèvement en entrée et en sortie de station et sur les by-pass, une mesure de débit en entrée pour les stations traitant plus de 600 kg par jour de DBO, et une mesure de la quantité de boues produites. Le point de mesure « sortie station » est celui qui pose le moins de difficultés : le prélèvement est en général situé en amont immédiat du canal de comptage.
En matière de débit, il faut s’assurer que les eaux de service dites « eaux industrielles » ne sont pas comptabilisées deux fois. Le niveau d’équipement nécessaire sur le point de mesure « by-pass » est souvent l’objet de longues discussions : faut-il équiper en débitmètre et surtout en préleveur un rejet qui, parfois, ne coule que de manière très exceptionnelle ?
La mesure « entrée station » est de loin la plus délicate. En effet, elle doit intégrer tous les entrants, de plus en plus nombreux sur une station moderne (eau brute, vidange de bassin tampon, matières de vidange, graisses, eaux de lavage des boues de curage), mais elle doit exclure impérativement les retours internes à la station appelés, de manière significative, « les retours en tête ».
Si l’on ne veut pas multiplier les points de prélèvement, et donc le nombre d’analyses, on aboutit en général à un point de prélèvement unique situé en amont du bassin biologique, avec des retours en tête envoyés directement dans le biologique. La production de boues peut être évaluée par mesure de débit ou par pesée associées à une mesure de leur siccité. Compte tenu des incertitudes sur la mesure de la matière sèche, on cherchera en général à effectuer l’analyse sur le produit le plus concentré possible. Ainsi, faut-il privilégier la mesure sur les boues déshydratées plutôt que sur les boues liquides.
Le manuel d’autosurveillance
Une fois le dispositif en place sur la station validé en accord avec la Police de l’Eau, l’exploitant rédige le manuel d’autosurveillance de la station d’épuration. Ce document, qui décrit les dispositions physiques et organisationnelles de l’autosurveillance, est largement inspiré de l’étude Inter-Agences n° 50. Y figurent obligatoirement :
- la description du système concerné ;
- la liste des communes raccordées ;
- la liste des industries raccordées ;
- les caractéristiques de l’installation ;
- la nature et le schéma du réseau d’assainissement ;
- l’organisation interne et la qualification des personnes œuvrant pour l’autosurveillance ;
- la description très précise des points de prélèvement et de mesures et des méthodes d’analyse ;
- la qualification des intervenants extérieurs ;
- la transmission des analyses : quoi, quand et à qui ;
- la description du laboratoire et des méthodes d’analyse ;
- la transmission immédiate en cas de non-conformité.
Par contre, au vu de l’expérience acquise en Artois-Picardie, nous avons apporté quelques précisions :
- la liste des industries raccordées figure dans une annexe réactualisable une fois par an si nécessaire. La présence d’une convention de raccordement ou son état d’avancement doit y figurer ;
- ce sont les valeurs de référence de l’installation et non pas le nominal de temps sec,
- qui sont prises en compte pour la capacité de la station ;
- dans tous les cas, à défaut d’arrêté préfectoral, et en accord avec la Police de l’Eau, les normes de rejet retenues sont les valeurs figurant dans l’arrêté du 22 décembre 1994 ;
- la mention du débit horaire maximum admissible qui est un facteur limitant de l'installation ;
- le code des marchés publics obligeant à une mise régulière en concurrence, nous ne demandons pas une liste des intervenants extérieurs, mais un engagement sur des critères de qualité ; exemples : laboratoire agréé pour les analyses, filières réglementaires pour le traitement des déchets de dégrillage, des sables, des graisses ;
- la description de l’organisation interne et de la qualification des personnes ne sont pas nominatives mais axées sur la fonction ;
- la photographie couleur des points de mesure et de prélèvement (et non pas du préleveur) figure dans le document ;
- en cas d'utilisation de microméthodes, la fréquence des analyses est doublée à la demande de l’Agence ;
- ce n’est pas l’exploitant qui gère l’intercalibration avec un laboratoire agréé par le ministère de l'Environnement, mais le SATESE sur les bases suivantes :
Le laboratoire qui effectue les analyses doit comparer X fois par an ses résultats avec ceux d'un laboratoire agréé par le Ministère de l’Environnement (X est fonction de la taille des stations et du laboratoire, il peut varier de 4 à 12). Les résultats SATESE, Police de l'Eau, contrôles inopinés Agence analysés en laboratoire agréé comptent dans l’intercalibration. En cas d’intercalibration faite par l’exploitant, la photocopie de la feuille d’analyse du laboratoire agréé devra être jointe à l'envoi mensuel.
Dans tous les cas, les résultats de l’exploitant doivent parvenir dans les 10 jours ouvrés au SATESE (ces intercalibrations servent à valider le laboratoire qui effectue les analyses) ;
- dans le cas particulier du lagunage, un débitmètre est obligatoirement installé en tête de l’installation.
Une fois que toutes les parties se sont mises d’accord sur les termes du manuel et après avis technique du SATESE, la Police de l’Eau et l’Agence signent le document proposé par le Maître d’ouvrage et son exploitant.
Une lettre est envoyée au Maître d’ouvrage et à l’exploitant pour les informer de la date de prise en compte de l’autosurveillance dans le calcul des primes d’épuration sous réserve de la validation annuelle des résultats.
Le bilan de la mise en place de l’autosurveillance
Les stations en autosurveillance
La prise en compte des nombreux résultats d’autosurveillance est un gage de meilleure représentativité du fonctionnement annuel et donc de qualité pour le calcul des primes d’épuration.
De ce fait, l’Agence de l'Eau Artois-Picardie a décidé de retenir, parmi les indicateurs de son système d’assurance qualité, le taux d’équipement des stations de plus de 10 000 eh. Après un démarrage laborieux avant 2000, ce taux s’accroît maintenant rapidement (cf. figures 2a et 2b).
Les freins à la mise en œuvre du dispositif
Critiquer et faire modifier les plans de projet d'une station neuve et s’assurer qu’il n’y a pas de “dérapage” lors du chantier d’exécution n’est pas toujours facile. Mais c’est une sinécure comparée à la mise en conformité d’ouvrages existants.
Le prélèvement en sortie pose rarement des problèmes.
Mais les exigences du prélèvement en entrée relèvent parfois du parcours du combattant :
- aménager un regard de prélèvement ;
- tirer les câbles nécessaires à l’asservissement du préleveur ;
- éliminer les retours émanant de la filière boues, de la récupération des flottants du clarificateur et des prétraitements (flux de pollution équivalents, voire supérieurs à l’entrée).
L’élimination des retours est l’opération la plus difficile. S'il suffit parfois de déplacer ou prolonger une canalisation, il faut souvent créer un poste toutes eaux, ce qui augmente fortement le montant des travaux à réaliser. Ces modifications et les coûts d’investissements associés constituent le principal frein à la mise en œuvre de l’autosurveillance, en particulier lorsque les stations concernées doivent faire l'objet, à court ou moyen terme, d’une remise à niveau complète. Dans ces cas, on peut, en accord avec le service chargé de la Police de l’Eau, mettre en place un dispositif allégé avec des contraintes particulières prévues dans le manuel.
La validation annuelle
Une fois le dispositif en place et agréé, encore faut-il s'assurer de la validité des résultats fournis par l'exploitant. Pour ce faire, l’Agence a demandé aux SATESE d’effectuer des visites audits visant à vérifier que le dispositif (prélèvement / débitmétrie) reste conforme.
L’intercalibration des laboratoires
Le point essentiel et le plus délicat est la validation des analyses du laboratoire de la station. Elle se fait par comparaison sur un même échantillon des résultats de ce laboratoire avec ceux d'un laboratoire agréé par le ministère de l’Environnement. La méthode de validation est celle utilisée dans l'étude Inter-Agences n° 50 à savoir que les résultats doivent se trouver dans une fourchette d'écart qui dépend du paramètre analysé. Les écarts proposés dans l’étude Inter-Agences n° 50 étaient les suivants :
- en entrée DCO, MES, NTK, NH₄⁺ : + 10 % ; DBO₅ et P : + 20 %
- en sortie MES, NTK, NH₄⁺ : + 10 % ; DCO et DBO₅ : + 30 %
Selon que les analyses étaient effectuées en méthodes normalisées ou en méthodes alternatives, 95 ou 90 % des résultats devaient respectivement se trouver dans la fourchette d'incertitude.
À l'examen des premiers résultats, nous nous sommes aperçus que les écarts enregistrés entre les laboratoires étaient largement supérieurs à ceux mentionnés dans l'étude n° 50 pour l'eau brute et pour l'eau : il valait mieux parler d’ordre de grandeur que d’écarts. Nous nous sommes spécialement intéressés aux écarts sur l’eau brute car ce sont ceux qui ont la plus grande incidence sur la prime d’épuration.
Afin de pouvoir valider quand même les résultats les moins imprécis, il a été décidé de créer, à partir de tous les résultats d’intercalibration du bassin, une fourchette « Agence » à l'intérieur de laquelle se situent 90 % des écarts. La fourchette « Agence » ainsi définie devient l’écart maximal toléré à l'intérieur duquel doivent se situer 90 % des résultats de chaque station.
Les écarts ainsi obtenus étaient importants : 40 % sur les MES, 30 % sur la DCO et le NTK, 70 % sur la DBO₅, et encore plus sur le phosphore. Le premier réflexe a été de mettre en cause le partage des échantillons entre le laboratoire station et le laboratoire de référence. En effet, peu d'installations possédaient des séparateurs dignes de ce nom. Toutefois, cette piste a dû être abandonnée car il était rare que les écarts aillent tous dans le même sens. Diverses explications peuvent être avancées à ce jour :
- la prise d’essai soumise à l'analyse est un sous-fractionnement qui n’est pas toujours réalisé dans les règles de l’art ;
- l'utilisation de méthodes alternatives introduit des variables aléatoires, en particulier sur la DCO ;
- les habitudes de laboratoire amènent à « adapter » les normes ;
Tableau 1 : valeur de l’écart non dépassée dans 10 % des cas
2000 | 2001 | 2002 | |
---|---|---|---|
MES | 37 % (89) | 33 % (212) | 30 % (245) |
DCO | 37 % (83) | 34 % (213) | 23 % (243) |
DBO₅ | 68 % (83) | 74 % (205) | 35 % (227) |
NTK | 34 % (87) | 26 % (216) | 19 % (240) |
PTOTAL | 62 % (81) | 45 % (213) | 39 % (240) |
certaines normes sont imprécises, en particulier les MES ;
- le personnel affecté aux analyses dans les stations n’est en général pas spécialiste dans ce domaine même s'il a reçu une formation. Cela est d’autant plus avéré pendant les périodes de congés ou de remplacement du personnel titulaire.
Une vigilance permanente !
Si l’intercalibration est un souci primordial, d’autres problèmes surviennent de façon récurrente.
- Plannings de prélèvement : plus de 50 % d’entre eux nous parviennent après leur date de mise en exécution (jusqu’à un mois et demi), ce qui est un comble pour un document soumis à validation.
- Transmission des résultats d’autosurveillance : des retards importants sont fréquemment constatés (jusqu’à six mois).
- Transmission immédiate des non-conformités : alors que l'information rapide des services administratifs est exigée, les procédures de validation interne à l’exploitant font que les délais d’envoi des anomalies sont d’autant plus importants que la structure d'exploitation est importante et qu'il est engagé dans un processus qualité.
- Le manque de critique des résultats : l'autosurveillance selon les recommandations pour l'application du décret 94-169 du 3 juin 1994 « doit permettre à l'exploitant d’assurer le bon fonctionnement du système ». Elle ne consiste donc pas à aligner des chiffres les uns derrière les autres. Il est néanmoins fréquent que des exploitants transmettent sans commentaires des résultats comprenant des écarts de plus de 20 % entre le débit d’entrée et le débit de sortie. Peu ou pas d’explications sont fournies pour expliciter les problèmes rencontrés.
Des progrès substantiels
Les écarts enregistrés en intercalibration peuvent paraître difficiles à combler. Toutefois, l’exemple du département du Pas-de-Calais où le SATESE et le Laboratoire Départemental d’Analyses se sont investis très tôt dans des missions d’audits montre que des améliorations sensibles sont possibles. Les figures 3, 4 et 5, sur l’évolution des écarts en DCO sur les années 2000 à 2002, en sont l’illustration.
On s’aperçoit que sur les trois années, la fourchette regroupant 90 % des valeurs diminue. Même si des écarts persistent, ils sont proportionnellement moins nombreux. Ils sont moins élevés en valeur absolue et surtout, ils se répartissent beaucoup mieux à l'intérieur de la fourchette de tolérance. En 2000, la plupart des écarts se situaient dans la partie supérieure du cône de tolérance, ce qui dénotait une surestimation permanente des valeurs. En 2002, toute la surface du cône est utilisée, démonstration d’une meilleure répartition des mesures. La valeur moyenne se rapproche de celle obtenue par le laboratoire agréé. On est donc en droit d’espérer que les audits engagés par l’Agence sur les autres départements entraînent une amélioration similaire et que l'on se rapproche, voire que l'on atteigne les prescriptions de l'étude Inter-Agences n° 50.
L’échange des données d’autosurveillance : vers un système unique
Avec, pour chaque station, une mesure de débit par jour et 12 à 365 séries d’analyses par an, le nombre de données transmises au service de Police de l’Eau et à l’Agence devient rapidement ingérable. C’est pourquoi, en étroite collaboration avec ses partenaires publics et privés, l’Agence de l’Eau Artois-Picardie a mis en place un système standardisé permettant le transfert automatique et sécurisé des données, depuis le producteur jusqu’au destinataire final. La saisie et l’échange des données au format national “SANDRE” se fait selon le schéma représenté dans l'encadré 2.
Conclusion : des dividendes pour chacun
La mise en œuvre de l'autosurveillance dans le Bassin Artois-Picardie est un processus long et qui présente de nombreux écueils. Cependant, elle s'inscrit dans une démarche d'assurance qualité qui ne porte pas son nom.
En ce sens, elle constitue une démarche de progrès, pour les exploitants, qui ont dû modifier profondément leurs pratiques, mais aussi pour les Agences, les services de police et les SATESE qui contrôlent le dispositif. Mais la révolution n’est pas uniquement technique, elle se situe aussi au niveau relationnel : désormais, les exploitants font preuve d'une plus grande transparence sur tous les plans, en informant par exemple Maître d’ouvrage, Agence et Service de Police des Eaux de tout incident grave. Ainsi, un climat de confiance s’établit entre tous les intervenants, climat qui, forcément, sera bénéfique à la lutte contre la pollution.