L'eau propre à la consommation doit remplir de nombreux critères (63 en France), qui reflètent deux préoccupations majeures :
- celle de la santé publique : fournir au consommateur une eau sûre, garantie contre tous les risques de pollution accidentelle ou chronique ;
- ensuite, celle du confort et du plaisir : offrir une eau agréable à boire, claire, inodore et
équilibrée en sels minéraux.
Le rôle de la filière de traitement est de rendre l'eau brute conforme aux normes de qualité par différents procédés physico-chimiques dont la coagulation des matières organiques qui constitue un point essentiel pour le traitement d’eau de rivière.
Ces traitements doivent être évolutifs pour suivre les changements des caractéristiques de l'eau brute qui peuvent être très rapides, par exemple à la suite d'un orage violent. L’eau brute doit donc être régulièrement analysée principalement sur sa teneur en matières organiques afin d’adapter le traitement adéquat. La méthode de mesure en laboratoire la plus utilisée est celle de la Demande Chimique en Oxygène (DCO), une méthode longue et chère en raison de l'utilisation de réactifs et de surcroît difficile voire impossible à automatiser de manière fiable. L’utilisation de la spectrophotométrie UV d’absorption à 254 nm en continu constitue une méthode alternative fiable pour mesurer la DCO et adapter automatiquement jour et nuit le dosage de coagulant destiné à l’abaissement des matières organiques. L’application présentée ici est en service depuis 1996 à l’usine des eaux de la Fauconnière de la Compagnie Générale des Eaux de Cherbourg. Des études de faisabilité ont été réalisées antérieurement sur d'autres sites de la Compagnie Générale des Eaux, notamment à Mézières sur Couesnon et Kerjan dont certaines figures sont présentées ici.
Filière type d’une station de traitement d’eau potable sur rivière
La plupart des stations de traitement d’eaux de rivière telle que celle de la Fauconnière suivent une filière physico-chimique comportant les principaux éléments suivants :
Dégrillage
Dès la prise d’eau, l'eau traverse des grilles verticales pour arrêter les corps flottants et les gros déchets.
Coagulation-floculation
L'eau reçoit un réactif destiné à provoquer l’agglomération des particules en suspension en gros flocons de boue, dont l’ensemble forme une masse qu’on appelle le “floc”. Les réactifs utilisés sont généralement des sels de fer ou d’aluminium. Chaque réactif coagulant n’étant actif que dans une certaine zone de pH, un ajustement de ce dernier peut s'avérer nécessaire.
Décantation
Elle consiste à laisser déposer les flocs plus lourds que l'eau (ou à provoquer leur dépôt) sous l'effet de la gravité.
Filtration
Elle est réalisée sur des matériaux classiques (sable) ou adsorbants (charbons actifs en grains) ou sur membranes. Elle consiste à retenir les plus petites particules qui subsistent après la décantation.
Désinfection, neutralisation et alcalinisation complémentaire
L’oxydation par des agents tels que le chlore et l’ozone agit sur les métaux (fer, manganèse), sur les matières organiques et détruit ou inactive totalement ou partiellement les germes vivants, les virus et les bactéries. Les procédés de neutralisation ou d'acidification agissent sur le pH de l’eau. Le traitement à appliquer en usine d'eau potable, c’est-à-dire la sélection et le réglage de ces différentes procédures, dépend essentiellement de la nature des eaux à traiter. Ainsi parmi les nombreux paramètres de potabilité régulièrement contrôlés, certains nécessitent une analyse quotidienne, tant au niveau de l'eau brute que de l'eau traitée. Parmi ces paramètres, nous mettrons l'accent tout au long de cet article sur un en particulier : la teneur en matières organiques.
Teneur en matières organiques
Les matières organiques présentes dans l’eau sont d’origines diverses, issues du fonctionnement de l’écosystème aquatique ou provenant des rejets de l’activité humaine. Elles peuvent apparaître sous forme particulaire (dans les matières en suspension) ou dissoute. Elles peuvent être divisées en six groupes principaux : les substances humiques, les acides hydrophiliques, les acides carboxyliques, les peptides et aminoacides, les hydrates de carbone et les hydrocarbures.
Elles sont principalement traitées lors de l’étape coagulation/décantation. Le taux de coagulant à injecter lors du traitement est proportionnel à la teneur en pollution organique de l'eau brute.
Dans l’application présentée ici, l’injection de coagulant est dosée automatiquement en mesurant de façon continue le taux de pollution organique avec un analyseur de matière organique CT100 de Datalink Instruments.
Étude de la corrélation UV254/DCO
Analyseur de matière organique en
[Photo]
[Photo : Comparaison DCO/UV absorption (CT100) sur eau brute]
Continu CT100
Le principe de mesure est basé sur l’absorption du rayonnement émis par une lampe UV au deutérium ou au xénon par les molécules organiques à 254 nm. Le signal obtenu, exprimé en absorbance par mètre (abs/m) est proportionnel à la concentration en matières organiques de l’eau analysée suivant la loi de Beer-Lambert. La turbidité, les solides en suspension et l’encrassement de la cellule de mesure sont automatiquement compensés par une mesure différentielle avec un deuxième détecteur à une longueur d’onde de référence. Le modèle CT100 est aujourd’hui remplacé par le modèle CT300 fonctionnant suivant le même principe mais disposant d’un écran graphique plus ergonomique et d’une lampe UV d’une durée de vie de 10 ans.
L’oxydabilité au permanganate de potassium
La demande chimique en oxygène (DCO) consiste à mesurer à chaud et en milieu acide la quantité d’oxygène, exprimée en milligramme par litre (mg/l), utilisée par les matières organiques (d’origine animale ou végétale) contenues dans un échantillon d’eau pour la réduction du permanganate de potassium (KMnO₄). Le schéma réactionnel est le suivant :
MnO₄ + 8 H⁺ + 5 e⁻ → Mn²⁺ + 4 H₂O
La teneur en matières organiques (MO), en milligramme par litre, de l’eau analysée est donnée par le volume de permanganate de potassium (KMnO₄) versé en millilitre :
V (ml de KMnO₄ versé) = Teneur en MO (mg/l)
[Photo : Corrélation DCO/Absorption UV (CT100) sur eau brute]
Les résultats présentés ici ont été établis lors d’une étude préliminaire d’un mois sur de nombreux prélèvements d’eau brute. Les mesures ont été réalisées parallèlement avec l’analyseur CT100 et la méthode de l’oxydabilité au permanganate. Les figures 1 et 2 illustrent les mesures comparatives et la corrélation entre l’oxydabilité à chaud en milieu acide déterminée par analyse chimique et la mesure d’absorbance relevée sur l’analyseur CT100. Les résultats obtenus se sont avérés très positifs, ils ont permis d’établir l’existence d’un rapport constant entre l’absorbance de l’eau à 254 nm (ABS) et sa teneur en matières organiques (MO), qui est :
ABS = K × MO
avec un facteur K proche de 2.
Automatisation de l’injection de coagulant
Mise en service des pompes doseuses et suivi de l’asservissement
Le réglage du taux de coagulant à injecter lors du traitement nécessite au préalable la détermination quotidienne, par analyse chimique, de la valeur de l’oxydabilité au permanganate de potassium.
Or cette valeur étant corrélée à l’absorbance
[Photo : Performance de la Régulation Automatique]
à 254 nm lu par l’analyseur CT100, il est donc possible d’asservir directement la distribution du coagulant à la mesure automatique de l’absorbance grâce à des pompes doseuses dont le débit est proportionnel à un courant d’entrée. Le signal de sortie 4-20 mA délivré par l’analyseur, en fonction de l’absorbance de l’eau brute à l’entrée de l’usine, pilote la distribution du coagulant en agissant proportionnellement sur la vitesse du moteur des pompes doseuses. L’analyseur CT100 effectue une mesure suivant la fréquence paramétrée par l’utilisateur et délivre un courant de sortie proportionnel, maintenu jusqu’à la mesure suivante, pilotant ainsi le fonctionnement des pompes qui débitent un taux de sulfate proportionnel à la charge en matières organiques.
Résultats
Afin de contrôler la fiabilité de cet automatisme et vérifier l’adéquation du taux de coagulant appliqué, des mesures de DCO, au permanganate de potassium (KMnO₄), ont été réalisées régulièrement sur eau brute et eau décantée.
Les résultats, représentés sur la figure 3, ont été très satisfaisants pendant toute la période d’asservissement. Le taux de matières organiques sur une eau décantée est resté faible (autour de 3 mg/l) malgré de fortes variations de matière organique sur l’eau brute.
L’eau traitée était de bonne qualité, elle est restée faiblement chargée, taux de matières organiques inférieur à 1,5 mg/l, ce qui signifie que le taux de sulfate d’aluminium injecté était suffisant.
Conclusion
Les résultats montrent que l’utilisation de l’absorption UV comme outil de régulation de l’injection du coagulant suivant le taux de matières organiques analysé s’avère très satisfaisante et présente les avantages spécifiques suivants :
- - maintien de la qualité de l’eau traitée par réaction immédiate 24 h/24 à toute variation de l’eau brute ;
- - élimination du risque de colmatage des filtres secondaires ;
- - économie de coagulant ;
- - abaissement du taux d’aluminium en eau traitée.
L’investissement de l’appareillage de mesure est rapidement rentabilisé par les économies de coagulant et le gain de temps en intervention et réglage sur la station.
Ce type de régulation de coagulant a déjà été étendu à une dizaine de stations de traitement d’eau de la Compagnie Générale des Eaux dans la région Bretagne-Normandie en raison des avantages cités plus haut.
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