Ces analyseurs, regroupés dans des stations installées en amont des prises d’eau (figure 1) effectuent en continu la mesure de paramètres tels que carbone organique total, métaux lourds, hydrocarbures aliphatiques, nitrates, ammoniaque, pH, oxygène dissous… Les informations en provenance de ces stations sont acheminées par télétransmission vers le poste de commande de l’usine, qui centralise les données collectées et les moyens de gestion afin de coordonner et d’optimiser les interventions, mais la mesure de ces paramètres physico-chimiques ne permet plus désormais d’assurer à elle seule la surveillance de la qualité de l’eau brute. Avec des normes de potabilisation de plus en plus strictes et un nombre sans cesse croissant de polluants potentiels, il devient difficile de faire face à cette situation. De plus, une recherche systématique de tous les composés susceptibles d’être déversés en rivière est inconcevable, tant d’un point de vue technique qu’économique ; par ailleurs, la gestion d’un tel système serait quasiment impossible.
* Compagnie Générale des Eaux.** SEIT Instrumentation.
[Photo : Station d’alerte et de surveillance de la qualité des eaux à Gournay-sur-Marne (93).]
C’est pourquoi il convient maintenant de rechercher des paramètres plus globaux, et le Groupe Générale des Eaux a décidé de compléter ce réseau d’alerte par la mise en place d’une mesure de la toxicité aiguë de l’eau.
Les tests de toxicité aiguë utilisés dans le domaine de l’eau
Les tests de toxicité sont aujourd’hui couramment utilisés en laboratoire pour le contrôle d’effluents et d’eaux de surface, et même dans le suivi des filières de traitement en stations d’épuration. Ces tests sont basés sur l’observation, dans des conditions bien définies, des comportements d’organismes vivants placés dans l’eau analysée. Les critères biologiques pris en compte sont généralement la mort, ou toute autre modification évidente du métabolisme, pour un temps de contact minimal de 24 heures.
Leur intérêt réside dans le fait que leur interprétation d’un point de vue sanitaire est immédiate, puisqu’il s’agit de la réponse d’un organisme vivant à la qualité de son environnement. Le résultat obtenu est donc global et représentatif de toutes les réactions complexes (tels que des effets de synergie ou d’antagonisme) qui ont lieu au sein de l’écosystème aquatique et qui ne peuvent pas être appréhendées par l’analyse physico-chimique.
D’autre part, en étant basés sur un critère non spécifique (qui est la toxicité au niveau d’un organisme), ces tests offrent à l’utilisateur la possibilité de dépister un plus grand nombre de pollutions. Ils apparaissent ainsi comme un complément indispensable aux paramètres déjà mesurés pour renforcer l’efficacité du suivi de la qualité de l’eau.
Choix d’un test de toxicité aiguë : le test de luminescence bactérienne
Il existe un grand nombre de tests de toxicité aiguë utilisables dans le domaine de l’eau, les plus fréquemment employés mettant en jeu des poissons (Brachydanio rerio), des crustacés (Daphnia magna), des protozoaires (Colpidium campylum) ou des bactéries (Photobacterium phosphoreum). Parmi tous ces tests, nous avons choisi le test bactérien parce qu’il est actuellement le seul test fiable
[Photo : Graphique de mesure représentant la diminution de l’émission lumineuse dans la solution toxique et dans le témoin et le pourcentage d’inhibition qui en résulte (abatement)*]
[Photo : Vue d’ensemble du premier prototype de l’automate de détection de la toxicité aiguë]
[Photo : Évolution du pourcentage d’inhibition de la luminescence et du délai de déclenchement de l’alerte, pour le lauryl sulfate de sodium en fonction de la durée d’utilisation du réactif (heures)]
[Photo : Exemple de détection d’un épisode de pollution lors de l’expérimentation de l’automate du laboratoire de la Société des Eaux de Marseille en 1990]
À répondre de manière satisfaisante aux contraintes liées à une automatisation et à une implantation dans un réseau d’alerte et de surveillance.
Commercialisé sous le nom de Microtox, ce test a été développé par le Dr A. Bulich aux États-Unis en 1979 [2]. Il utilise des bactéries marines dont la propriété est d’émettre naturellement des photons au cours de leur métabolisme. Lorsque ces organismes sont placés dans une eau toxique, la baisse de leur métabolisme se traduit par une diminution de leur émission lumineuse. Le test se déroule sur 30 minutes, pendant lesquelles on mesure l’émission lumineuse d’une suspension de ces bactéries dans l’eau analysée. L’inhibition de luminescence provoquée par la toxicité de l’eau est établie par comparaison avec un témoin réalisé dans les mêmes conditions, dans une eau de référence non toxique. La figure 2 présente un exemple de graphique donné par notre automate et qui illustre le principe de cette méthode.
Ce test a fait l’objet de nombreuses études et sa fiabilité a été clairement démontrée [3], [5], [6], [10]. Sa sensibilité est comparable à celle du test Daphnie, tout en présentant l’avantage d’être beaucoup plus rapide (préparation et mesure en une heure). Il est également beaucoup plus facile à mettre en œuvre puisqu’il ne nécessite pas de culture ni d’élevage permanent (et donc pas de suivi sur le terrain), car les bactéries sont présentées sous forme lyophilisée et régénérées par simple addition d’eau distillée. Ces deux caractéristiques sont essentielles dans l’optique d’une intégration au sein d’un système d’alerte.
L’automatisation du test Microtox
Les contraintes, liées essentiellement à la manipulation d’un réactif biologique et aux faibles volumes mis en jeu, nous ont amenés à concevoir un appareil basé sur l’emploi d’un bras manipulateur, piloté par un ordinateur (figure 3). Ce dispositif est muni d’un système de portoirs thermostatés, soit à 4 °C pour la conservation du réactif, soit à 15 °C pour la préparation des solutions.
L’unité de mesure, thermostatée et pourvue d’un photomultiplicateur, comprend deux cuves, une pour le témoin et la seconde pour l’échantillon. Le bras manipulateur assure seul le prélèvement de l’eau brute, la préparation des solutions et tous les nettoyages qui sont nécessaires. Le programme analytique a été décomposé suivant la logique de la manipulation de laboratoire.
Le micro-ordinateur contrôle en permanence le bon fonctionnement de l’automate et le déroulement du test dans de bonnes conditions. Il assure notamment la mise en température des solutions et le changement de
Tableau I
Comparaison des concentrations provoquant une inhibition de luminescence de 50 % (CI-50) pour différents toxiques, avec l’automate et par la méthode classique manuelle.
CI 50 — 15 °C (mg/l) |
Lauryl sulfate de sodium | 15 min | 2 | 1,5 |
Toluène | 15 min | 15,7 | 14,7 |
Chlorobenzène | 15 min | 15 | 7,16 |
Manèbe | 15 min | 0,023 | 0,039 |
Phénol | 15 min | 21,3 | 18,5 |
Cyanures | 5 min | 18 | 13 |
Zinc (Zn²⁺) | 15 min | 0,58 | 0,75 |
Cuivre (Cu²⁺) | 15 min | 0,73 | 0,57 |
Cadmium (Cd²⁺) | 15 min | 7,1 | 7,25 |
Chrome (Cr³⁺) | 30 min | 22,3 | 11,5 |
Plomb (Pb²⁺) | 15 min | 0,9 | 0,72 |
* Début de mesure : 15/05/89 16 h 45 min 54 s — Réactif X = 1 Y = 1Heure de prélèvement : 15/05/89 16 h 12 min 39 sHeure de reconstitution du réactif : 15/05/89 12 h 37 min 02 sMesure précédente : 15/05/89 16 h 07 min 19 s — Abat : 20,78 — Tps : 16
réactif lorsque celui-ci a été consommé ou qu'il est de mauvaise qualité.
Lors de la phase de mesure, l'ordinateur calcule toutes les minutes la valeur d’inhibition de luminescence. Si celle-ci dépasse la valeur fixée (15 à 20 % en général), l’ordinateur transmet l’alerte et poursuit le test. Chaque graphique est archivé et peut être facilement consulté par l'opérateur. La durée d’un test, en comprenant la préparation et la mesure sur une demi-heure, est actuellement de 50 minutes.
Une étroite collaboration avec la société Microbics (Carlsbad, USA), qui commercialise le test, nous a permis d’obtenir des réactifs spéciaux dont la durée d'utilisation est de 12 heures, offrant ainsi à notre automate une autonomie d'une semaine.
Les performances de l’automate
L'appareil que nous avons mis au point a été l’objet, dans un premier temps, d'une évaluation sur des eaux dopées. Les résultats, comparés à ceux donnés par la méthode manuelle de laboratoire, sont présentés dans le tableau. Aucune différence significative n’a pu être mise en évidence, montrant par la même la fiabilité de l'automatisation. Nous avons également testé la réponse du réactif dans le temps, pour une même concentration de toxique. La figure 4 présente les résultats obtenus dans le cas du lauryl sulfate de sodium, pour lequel le délai de déclenchement de l’alerte (> 20 %) et le pourcentage d'inhibition de luminescence sont très stables pendant près de 20 heures.
Dans un second temps, l’expérimentation s'est poursuivie sur la Seine à l'usine de Choisy-le-Roi et au Laboratoire Central de la Société des Eaux de Marseille. Durant cette période, plusieurs épisodes de pollution ont pu être mis en évidence avec l'aide exclusive de l’automate, en suivant l’évolution régulière de la toxicité de l’eau brute analysée, comme le souligne la figure 5.
Ces expérimentations ont ainsi confirmé la faisabilité et la fiabilité de l’automatisation du test Microtox. Nous disposons donc maintenant d’un capteur biologique capable de détecter la présence de polluants par leur effet sur le métabolisme d’organismes vivants. Ce test est sans doute le meilleur système de détection de la toxicité aiguë de l'eau dont nous disposons. Outre sa fiabilité, il présente l'avantage d’être rapide, simple et d'un coût relativement faible. Il est actuellement en cours de normalisation à l'AFNOR et à l'ISO.
La toxicité aiguë est un paramètre qui va prendre de plus en plus d’importance comme test complémentaire des analyses physico-chimiques dans le domaine de la surveillance de la qualité de l'eau et du dépistage des pollutions. Si l'intérêt de son implantation dans un système d’alerte en rivière a été démontré, un deuxième domaine d’application consiste en la surveillance des effets toxiques des effluents industriels ou urbains. Nous procédons dès maintenant à la fabrication d'une série d’appareils adaptés à ces deux usages.
REMERCIEMENTS
L’étude et le développement de cet analyseur ont été financés conjointement par :
- - le GIE Anjou-Recherche
- - le Secrétariat d’État chargé de l’Environnement
- - la Société des Eaux de Marseille
- - le Syndicat des Eaux d'Île-de-France
BIBLIOGRAPHIE
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- [2] MOUSTY P., DUTANG M., WEBER A. (1988), Un dispositif d’alerte à la pollution sur le Rhin. La station d'alerte des 3 Frontières et un modèle de propagation, le Disperso Rhin, opérationnels de Bâle à Strasbourg. Gas Wasser Abwasser, 68, n° 9, p. 503-510.
- [3] BAZIN C., CHAMBON P., BONNEFILLE M., LARBAIGT G. (1987), Comparaison des sensibilités du test de luminescence bactérienne (Photobacterium phosphoreum) et du test Daphnies (Daphnia magna) pour substances à risques toxiques élevés. Sciences de l'Eau, 6, n° 4, p. 403-43.
- [4] BULICH A.A. (1982), A practical and reliable method for monitoring the toxicity of aquatic samples. Process Biochemistry, March/April, p. 45-47.
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- [6] GREEN J.C. et coll. (1985), A comparison of three microbial assay procedures for measuring toxicity. Arch. Environm. Contam. Toxicol., 14, p. 659-667.
- [7] JORET J.C., LEVI Y., BERGER R., NAKACHE F., GIBERT M. (1986), Application du test Microtox à la surveillance de la qualité des eaux destinées à la production d'eau potable. Journal Français d'Hydrologie, 17, fasc. 2, p. 143-152.
- [8] LEVI Y., HENRIET C., COUTANT J.P., LEGER G. (1989), Monitoring acute toxicity in rivers with the help of the Microtox test. Water Supply, 7, n° 4, p. 25-31.
- [9] QURESHI A. et coll. (1982), Comparison of a luminescent bacterial system with other bioassays for determining toxicity in aquatic environments. Proc. of the 4th Annual Symposium on Aquatic Toxicology, ASTM Publ. n° 737, p. 348-356.
- [10] VASSEUR P., FERARD J.F., RAST C., WEINGERTNER P. (1986), Le test Microtox et le contrôle de la qualité de l'eau. Journal Français d’Hydrologie, 17, fasc. 2, p. 153-162.
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