Une modélisation précise du comportement hydraulique du réseau est une phase primordiale afin de faire une sélection optimale des points de prélèvements. Cette modélisation, réalisée à l’aide du logiciel PICCOLO, permet de déterminer une matrice de couverture définissant le lien entre chaque nœud du réseau. L’algorithme permet ensuite de sélectionner les nœuds les plus représentatifs (pour l’échantillonnage ou pour l’installation de capteurs en ligne) en termes de consommation et de dégradation de la qualité de l’eau (fonction du diamètre des canalisations et du temps de séjour). Afin de tester l’efficacité des points d’échantillonnage sélectionnés, l’intrusion de polluants a été simulée dans le réseau. Les pollutions ont été classées selon l’importance de la consommation touchée. La détection ou non de la pollution par le réseau de points de prélèvements, le niveau de détection (concentration du polluant qui atteint les sites d’échantillonnage) et le temps de détection sont ensuite déterminés. Les simulations montrent que les échantillons prélevés aux sites optimisés d’échantillonnage sont très représentatifs de l’indice global de qualité dans le réseau (niveau de détection proche de 90 %). Pour chaque classe de pollution, l’efficacité de la détection augmente asymptotiquement avec le nombre de prélèvements. Le nombre optimal d’échantillons (ou de capteurs) ainsi que leur emplacement sont déterminés et le risque de pollution associé est estimé. En cas de pollution dans le réseau, le nombre de capteurs mis en alerte (ou d’échantillons positifs) est directement proportionnel à la fraction de la consommation totale affectée par le polluant. L’opérateur peut donc directement estimer l’impact de la pollution. Grâce à cet algorithme, la localisation et le nombre optimal de points d’échantillonnage ou de sites d’implantation de capteurs peuvent être optimisés. Ce réseau de capteurs ou de points d’échantillonnage contrôle au mieux la qualité de l’eau distribuée et informe le distributeur d’eau de l’ampleur des éventuelles pollutions. Cet algorithme a été utilisé pour définir les campagnes d’auto-surveillance dans deux réseaux de distribution en France ainsi que pour sélectionner l’emplacement d’un réseau de capteurs à installer afin de surveiller la qualité de l’eau distribuée dans la banlieue de Paris.
Les distributeurs d’eau ont une double obligation vis-à-vis du consommateur. Ils doivent d’une part fournir une eau potable en tout point du réseau, et d’autre part satisfaire la demande de tous les usagers. La satisfaction de ces exigences qualitatives et quantitatives passe évidemment par la production d’une eau de parfaite qualité en sortie d’usines de traitement. Malgré tous les efforts portés au niveau de l’usine, pendant la phase de distribution, l’eau peut se dégrader au cours de son séjour de plusieurs heures, voire plusieurs jours, dans les canalisations.
Ce contact prolongé avec le système de distribution peut entraîner une altération de la qualité d’eau, en modifiant notamment sa
composition et sa charge chimique, particulaire ou bactérienne. Pour s'assurer de la qualité d’eau distribuée, les exploitants réalisent périodiquement des campagnes de prélèvements sur leur réseau. La fréquence minimale de ces prélèvements est définie dans le décret 89-3 par la réglementation française relative aux eaux destinées à la consommation humaine. L’objectif de ces campagnes de surveillance est de donner, à un instant t, une image la plus représentative possible de l'état qualitatif du système de distribution étudié et d’alerter l’exploitant avant des dérives trop importantes de qualité. Si la représentativité des résultats obtenus dépend fortement des critères de sélection des sites de prélèvements, la réglementation en vigueur ne précise cependant pas les critères qu'il convient d’utiliser. Dans la plupart des cas, le choix des sites de prélèvements est alors réalisé sur la base de l'expérience des exploitants et en fonction de l’accessibilité des points de prélèvements (lieux publics dans la majorité des cas). Considérant qu’une approche plus rationnelle permettrait d’améliorer l'efficacité du programme de prélèvement tant en termes de coût qu’en termes de signification et d’interprétation des résultats, le CIRSEE a décidé de développer, sous forme d'une application informatique, une nouvelle stratégie de sélection des points de prélèvement. Ce logiciel a pour objectif de proposer aux exploitants les meilleurs sites de prélèvements possibles compte tenu des critères de sélection utilisés. Pour avoir des résultats les plus représentatifs possibles de l’état réel du réseau, la stratégie de sélection développée se base sur des critères quantitatifs.
Le choix de sites de prélèvements sur un réseau passe par une connaissance minimale de son fonctionnement hydraulique. La stratégie de sélection que nous avons développée se base ainsi sur les résultats hydrauliques du logiciel PICCOLO. La modélisation du comportement hydraulique d’un réseau est une étape nécessaire pour pouvoir proposer des points de prélèvements représentatifs. L'algorithme d’optimisation calcule une matrice de couverture, matrice donnant la contribution de n’importe quel nœud j à l’apport en eau d’un autre nœud i. Les éléments de la matrice sont calculés comme le rapport entre le débit d'eau coulant de j à i par tous les chemins possibles et les débits d'eau arrivant en i. Au final, ces calculs permettent de connaître l'ensemble des points contrôlés par chaque nœud du réseau (contrôle amont). Cette procédure permettra de sélectionner des points surveillant en amont la consommation la plus importante possible.
Ce critère de couverture hydraulique ne peut cependant à lui seul optimiser la surveillance de la qualité en réseau. En effet, la plupart des réactions ayant lieu entre l'eau et les canalisations, ou dans l’eau elle-même, sont fonction du temps de séjour et du diamètre des canalisations. Pour être le plus représentatif de la qualité en réseau, la stratégie d’échantillonnage doit donc faire appel à ces paramètres essentiels de l’évolution de la qualité. Le choix des sites de prélèvements se fera donc par optimisation d'une fonction de trois paramètres potentiels, à savoir le temps de séjour, le diamètre et la consommation.
Le développement de ce logiciel a été testé sur le réseau de Cholet (France). Le principe de cette nouvelle stratégie de sélection des sites de prélèvement, les fonctionnalités actuelles et futures du logiciel ainsi que les résultats de simulation sont présentés ci-dessous.
Présentation de l’algorithme
L'objectif de l’approche Lee-Deininger (Lee et Deininger 1992, Lee 1990) est de trouver la meilleure couverture possible du réseau en termes de consommation, tout en utilisant un nombre limité de sites de prélèvement. Pour cela, leur méthode consiste à rechercher les points de prélèvements parmi les nœuds qui reçoivent (ou contrôlent) le plus d'eau des autres nœuds du réseau. Les termes de « couverture » ou de « nœud couvert » sont introduits afin de définir la possibilité d’estimer la qualité d’eau en un nœud à partir de mesures effectuées sur d’autres nœuds du réseau.
Si on sélectionne un nœud comme un site de prélèvement, alors la qualité de l'eau dans les nœuds en amont peut être évaluée à partir des analyses du point de prélèvement sous certaines hypothèses. On dit que « le nœud i couvre le nœud j si i reçoit suffisamment d’eau du nœud j ». Si le nœud i couvre le nœud j, on peut alors estimer que les qualités d’eaux aux nœuds i et j sont voisines…
Afin d’exploiter ces informations, une matrice donnant la contribution de n’importe quel nœud j à l’apport en eau d’un autre nœud i (par tous les chemins hydrauliques possibles) est introduite : Wc(i,j) avec (i, j) ∈ {1,…, n}².
Un critère de couverture C est ensuite utilisé pour simplifier la matrice de couverture :
Si W(i,j) < C : alors Wc(i,j) = 0 (pas de lien hydraulique entre i et j)
Si W(i,j) ≥ C : alors Wc(i,j) = 1 (i couvre j)
De cette façon, la matrice de couverture Wc(i,j) est construite et elle sera utilisée pour la résolution du problème de l’optimisation. Le problème de l’optimisation selon Lee-Deininger est formulé ci-dessous :
max. ∑ Ci yi
en respectant les conditions suivantes :
∑ xi ≤ NS (2)
La contrainte (2) impose le nombre maximal des points de prélèvements.
∑ Wc_{i,j} a_i − y_i ≥ 0 (3)
avec Ci la demande en eau du nœud i, n le nombre de nœuds, xi, yi = 0 ou 1. La contrainte (3) est imposée sur l'ensemble des nœuds du réseau. Selon cette contrainte, si le nœud j est couvert par au moins un point de prélèvement i, alors la demande en j est suffisamment couverte (ou contrôlée).
Cette optimisation assurerait une bonne représentativité des points de prélèvements si l'eau était un produit inerte. Or, les points de prélèvements obtenus par cette méthode sont souvent des bouts d’antennes ayant des temps de séjour assez élevés. Ces points ont évidemment une moins bonne représentativité de la qualité que la moyenne du réseau et, par conséquent, ils ne permettent ni de déduire correctement la qualité d’eau des nœuds en amont, ni de prévenir en temps les problèmes de qualité (pollution, etc.). L’algorithme développé par Lee et Deininger ne prend pas en compte la dégradation au cours de la distribution (recroissance bactérienne, disparition du chlore). La plupart des réactions ayant lieu au contact des canalisations, ou dans l’eau elle-même, sont fonction du temps de séjour et du diamètre des canalisations. Il y a donc, en fonction du temps de séjour et des diamètres des canalisations, des zones sujettes à plus de problèmes de
La stratégie d’échantillonnage doit donc faire appel à ces paramètres essentiels de l’évolution de la qualité.
Le choix des sites de prélèvements se fera par optimisation d’une fonction de trois paramètres potentiels : le temps de séjour, le diamètre et la consommation (Nace, 1997). En conservant les mêmes contraintes (2) et (3), l’objectif de l’optimisation devient alors :
max. ∑i (a Ci + b Di + r Ti) * yi (1)
avec Ti, le temps de séjour en nœud i, et Di, le diamètre moyen en nœud i.
Tableau 1 : Périodes de fonctionnement du réseau
Instant de fonctionnement | Fonctionnement des réservoirs | Consommation |
05 h 00 | Réservoirs pleins | Faible |
09 h 00 | En vidange | Forte |
16 h 00 | En vidange | Moyenne |
23 h 00 | En remplissage | Faible |
L’usine de Ribou est refoulée vers le réseau de distribution (250 km de canalisations pour 60 000 habitants). Elle peut être stockée dans deux réservoirs (Zone industrielle : 5 000 m³ et Les Landes : 1 600 m³). Le réseau modélisé par Piccolo prend en compte plus de 180 km de canalisations.
Pour les simulations, quatre périodes de fonctionnement d’une journée type ont été choisies.
[Photo : Figure 1 : Diagramme fonctionnel de l’algorithme]
Par rapport à la version de Lee-Deininger, les points choisis par cette optimisation donnent une image plus représentative de la qualité d’eau. En mettant en correspondance des priorités différentes aux fonctions exprimant le temps de séjour, la consommation ou le diamètre, on obtient des représentativités différentes du réseau (attachant plus d’attention aux problèmes de qualité ou de demande).
À partir de l’algorithme présenté ci-dessus, un logiciel optimisant le choix des sites de prélèvements ou d’implantation des capteurs a été développé.
Application à la campagne d’auto-surveillance du réseau de distribution de Cholet (France)
En l’absence de cours d’eau et de nappes aquifères importants, la ressource d’eau principale de la région de Cholet est constituée par les eaux des barrages du Moulin de Ribou et du Verdon. L’usine de Ribou produit 30 000 m³/jour, soit la majeure partie de l’eau potable consommée à Cholet. Le complément de production provient des forages de la Rucette (1 200 m³/jour). L’eau traitée.
Les caractéristiques principales de ces périodes sont décrites dans le tableau 1. Afin de juger de l’efficacité des points de prélèvements ou d’implantation de capteurs sélectionnés, des simulations d’intrusions conservatives de polluants (absence de cinétique de disparition) ont été réalisées sur le réseau de Cholet.
Les pollutions sont réparties par classes d’importance suivant la consommation touchée lors de l’événement. Ainsi, la classe 10-1 regroupe les pollutions touchant de 1 à 10 % de la consommation totale.
Par niveau de détection, on entend la concentration détectée par rapport à la concentration initiale du polluant au point d’intrusion. Pour un niveau de 90 %, la concentration de l’échantillon prélevé s’écarterait donc de 10 % des valeurs maximales de polluant présentes sur le réseau.
Le taux de détection des pollutions augmente logiquement avec l’importance de la pollution (figure 2). Plus le nombre de consommateurs touchés augmente, plus la probabilité que la pollution atteigne un des sites de prélèvements croît. Le niveau de détection des pollutions importantes est extrêmement élevé (> 85 %) au-dessus de 15 capteurs. Le taux de détection augmente avec le nombre de capteurs pour atteindre un optimum, différent selon l’importance de la pollution (15 capteurs pour la gamme > 10 %, 25 capteurs pour 10-1 % et au-delà pour les gammes plus faibles). Pour les pollutions les plus faibles (en général situées dans des bouts d’antennes très stagnants), le taux de détection augmente graduellement avec le nombre de capteurs. Pour détecter 100 % des pollutions de faible ampleur, il faudrait quasiment imposer un site de prélèvement par nœud du réseau dans les zones concernées.
Ce taux de détection permet de bien cerner le risque pris par l’exploitant lorsqu’il choisit le nombre de prélèvements à effectuer.
[Photo : Figure 2 : Taux de détection]
[Photo : Figure 3 : Niveau de détection des pollutions]
Son réseau. Ainsi dans le cas de pollutions importantes sur Cholet, l’exploitant en installant 20 capteurs prend le risque de ne pas détecter 35 % des pollutions de la gamme 1-10 % (soit un total de consommations touchées compris entre 13 et 130 m³/h). Plus de 90 % des pollutions importantes sont détectées par un réseau de 15 capteurs ou de 15 sites régulièrement échantillonnés.
Le niveau de détection augmente légèrement avec le nombre de capteurs implantés (figure 3). Quelle que soit l’importance de la pollution, la concentration mesurée du micropolluant est proche de la concentration injectée (plus de 90 %). Ceci signifie que l’échantillon prélevé est très représentatif de la qualité de l’eau en réseau. En outre, les simulations montrent que le nombre de capteurs mis en alerte lors d’une pollution est proportionnel à son ampleur en termes de nombre de consommateurs touchés (figure 4).
En fonction des moyens dont dispose l’exploitant, l’algorithme permet d’optimiser l’emplacement et le nombre de sites de prélèvements ou d’implantation de capteurs et de définir le niveau de risque (non détection de pollutions). Ce réseau de capteurs ou les prélèvements permet de surveiller au mieux la consommation la plus importante et, lors d’événements de pollution, renseigne l’exploitant sur l’ampleur de la pollution.
Cet utilitaire a permis d’optimiser les campagnes d’auto-surveillance du réseau de distribution de Cholet (6 sites). Les points initiaux ont été sélectionnés pour des raisons de commodité d’accès et ont été répartis sur la ville.
L’algorithme permet d’optimiser ces points de prélèvements afin d’améliorer la surveillance de la qualité de l’eau distribuée. Ainsi, par une sélection optimisée des points d’échantillonnage, la détection des pollutions affectant moins de 10 % de la consommation totale serait doublée (figure 5).
[Photo : Figure 4 : Mise en alerte d'un réseau de 20 capteurs]
Conclusion
Cet algorithme permet l’optimisation du choix des sites de prélèvements ou d’implantation de capteurs dans un réseau d’eau potable. Les stratégies de surveillance de réseau sont ainsi optimisées en termes de pourcentage de détection de pollutions et de représentativité des échantillons (ou des mesures issues de capteurs). Le choix des sites de prélèvements est fondé sur des critères quantitatifs tels que la consommation, les diamètres de canalisations et les temps de séjour.
En pratique, les jeux de points de prélèvements sélectionnés restent difficiles à évaluer. Afin de tester l’efficacité de l’algorithme, des intrusions de polluants ont été simulées dans le réseau. Les résultats montrent clairement la bonne représentativité (en termes de consommation et de qualité de l’eau) des points de prélèvements sélectionnés au moyen de l’algorithme par rapport à la qualité globale de l’eau distribuée dans le réseau.
En cas de pollution, le nombre de capteurs mis en alerte (ou d’échantillons positifs) est directement proportionnel à l’ampleur de la pollution, donnant ainsi une information cruciale à l’opérateur du réseau ou aux autorités sanitaires.
À l’heure actuelle, un tel outil informatique permet aux gestionnaires de réseau de surveiller au mieux la qualité de l’eau distribuée. Il autorise aussi une optimisation du nombre de sites d’échantillonnage et de définir un risque associé à ce jeu de sites (taux de pollutions non détectées). Cet outil a été utilisé pour optimiser des campagnes d’auto-surveillance dans des centres opérationnels de Lyonnaise des Eaux.
[Photo : Figure 5 : Détection de pollutions]
Références bibliographiques
Kiene L., W. Lu and Y. Levi, « Parameters governing the rate of chlorine decay throughout distribution system », in Proc. AWWA annual conference, San Antonio, 1993.
Lee B. H. and R. A. Deininger, « Optimal location of monitoring stations in water distribution system », Journal of Environmental Engineering, 118 (1), 1992.
Lee B. H., « Locating monitoring stations in water distribution network », thesis presented to Univ. of Michigan, in partial fulfilment of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy, 1990.
Nace A., F. Fotoohi, Y. Levi, P. Villon, « Optimizing the choice of sampling points in a drinking water supply network », in Proc. International Conference on “Computing and Control for the Water Industry”, Brunel University, 1997.