L'irrigation est une spécialité de la France et constitue un important marché d’exportation pour plusieurs entreprises françaises qui diffusent à travers le monde leurs connaissances, leur expérience et leurs matériels. L'effet conjugué de l’accroissement rapide de la population mondiale et de l'effort des gouvernements pour améliorer le niveau de vie a précisément pour résultat une augmentation des besoins en produits alimentaires?; il est donc nécessaire de mettre en culture de nouvelles terres ou d’améliorer les rendements de celles qui sont déjà cultivées.
Dans les régions semi-arides et arides, le problème des cultures est d’abord un problème d'eau, soit du fait de l'insuffisance des précipitations, soit du fait de la mauvaise coïncidence des périodes de pluies avec les besoins des végétaux. Il est donc nécessaire d'irriguer pour apporter à la terre l'eau que le ciel ne peut donner.
Tout naturellement, les premiers efforts se portent sur les terres les plus faciles à irriguer, c’est-à-dire les plaines. Dans les régions où l'irrigation moderne ne fait que commencer, de grandes surfaces peuvent être traitées selon des schémas relativement simples, mais nécessitant des unités de forte capacité et en particulier des installations de pompage de gros débits.
Tous les grands projets d’irrigation concernant des superficies importantes (plus de 10 000 hectares) sont, quelle que soit leur situation géographique, de conception assez semblable. En effet, les grandes plaines sont généralement éloignées des reliefs montagneux et l'acheminement des eaux par gravité ne peut pas, en principe, être utilisé compte tenu de l'éloignement des montagnes. Par ailleurs, les nappes phréatiques sont insuffisantes pour permettre le pompage de gros débits. Seul donc est possible le pompage en rivières. Celles-ci peuvent être barrées si cela s’avère nécessaire afin que des réserves d'eau puissent s’accumuler pendant les saisons où il n'est pas utile d’irriguer.
par , Ingénieur ENSAIS, ALSTHOM-ATLANTIQUE D.M.E. Etablissement de La Courneuve RATEAU
Pour permettre le prélèvement de gros débits dans un fleuve ou une retenue, il va tout d’abord falloir d'importantes stations de pompage qui, situées dans une zone agricole nouvelle, seront en général à grande distance de tout centre urbain important. Nous voyons donc apparaître dans de tels projets trois problèmes non négligeables qu'il faudra résoudre avant toute chose :
- — la création de voies de communications ;
- — la construction d’habitations provisoires et définitives, tant pour le personnel de l'entreprise que pour le personnel d’exploitation ;
- — la construction de lignes haute tension et d’ouvrages annexes permettant l’alimentation en énergie des stations de pompage.
Dans le présent article nous ne traiterons pas de ces points, mais ils prouvent l'importance de l'impact qu’aura sur le développement de la région la réalisation de tels ouvrages.
Dans la quasi-totalité des grands projets déjà réalisés ou en cours d’exécution, l'eau pompée est rejetée dans des canaux primaires de grande section et non dans des conduites sous pression, ceci ne préjugeant en rien d’ailleurs du mode d’irrigation final, qui peut être gravitaire, par aspersion, ou par goutte à goutte. Le niveau au refoulement est donc approximativement constant. Par contre à l’aspiration, le niveau étant celui du fleuve ou celui d'un lac ou d’une retenue sera en général variable et, en conséquence, le débit des pompes le sera également si des dispositifs particuliers ne sont pas adaptés. Il appartiendra donc au maître d’œuvre de définir clairement ses besoins afin que la meilleure solution technique et économique du point de vue du nombre de pompes, de la vitesse d’entraînement fixe ou variable, etc. puisse être retenue lors de la conception des stations de pompage.
En particulier la recherche d’une solution à la fois économique et fiable conduira à limiter le nombre de pompes et donc à en augmenter le débit unitaire. On envisagera le plus souvent 4 à 6 pompes, dont une de réserve.
LES POMPES ET LA CONCEPTION DES STATIONS DE POMPAGE
Le relief des berges du lac ou de la rivière et leur marnage plus ou moins important justifient un ouvrage de prise dessiné pour des pompes verticales. Le puits de pompage est construit à proximité immédiate du lit de la rivière et la mise en place de pompes verticales permet un fonctionnement continu sans aléas quel que soit le plan d’eau dans la rivière, la roue de la pompe étant toujours immergée. De plus l’installation d’un dégrillage grossier est facilitée par ce type de station.
Le NPSH (1) disponible important permet l’utilisation de pompes dont la vitesse de rotation est élevée ; leurs dimensions sont plus réduites, ce qui est favorable puisque les pompes sont capables de très gros débits.
L’entraînement de la pompe par le moteur est réalisé par une transmission à cardan qui permet de limiter les coûts de l’installation et facilite l’entretien ; dans cette solution les moteurs électriques d’entraînement sont installés au-dessus des plus hautes eaux et les risques d’une inondation éventuelle sont ainsi éliminés.
Les arbres des pompes sont en acier et la ligne d’arbre comporte un ou plusieurs paliers coussinet lisse, en principe en caoutchouc synthétique, lubrifié par l’eau pompée ou par une source extérieure d’eau claire si cette eau est trop chargée. D’autre part la nature des eaux pompées souvent chargées en sable et en limon impose pour les parties mobiles des pompes, en particulier les roues, des matériaux nobles (bronze d’aluminium ou aciers au chrome).
Une attention particulière doit être apportée à la forme des puits d’aspiration et à l’alimentation des pompes. En effet, l’importance des débits conduit à des vitesses d’écoulement importantes et il y a lieu de dessiner les chambres d’aspiration de manière à éviter que ces vitesses ne dépassent 0,50 m/s et que des vortex ne se produisent à l’aspiration (mise en place entre autres de murets anti-rotation).
L’un des autres problèmes importants posés par ces installations à gros débits est celui du clapet antiretour destiné à empêcher le dévirage des pompes lors de l’arrêt. Nous verrons ci-après comment cette question a pu être résolue.
(1) NPSH : Net pressure suction head (Hauteur de charge nette positive à l’aspiration)
Afin d’expliciter les quelques données de base exposées ci-dessus, nous présentons deux cas particulièrement typiques d’ouvrages réalisés ces dernières années au Moyen-Orient.
L’ENVIRONNEMENT
1. La station de pompage de Kudayran (Syrie)
Maître d’œuvre : General Administration for the Development of the Euphrate’s Basin (GADEB)
La réalisation de la station de pompage de Kudayran a été attribuée à Alsthom-Atlantique (RATEAU) à la suite d’un appel d’offre international auquel avaient participé, en outre, quatre groupements d’Allemagne de l’Ouest et des groupements d’Allemagne de l’Est, de Suisse, de Tchécoslovaquie et de Pologne. Elle est située sur les bords de l’Euphrate, dans le « Croissant Fertile ».
La région n’appartient pas à proprement parler à la Mésopotamie d’autrefois et son histoire reste encore pour une bonne part à écrire. Elle ne fut pas le foyer d’une des grandes civilisations antiques du Moyen-Orient, ayant toujours été une zone frontière entre les grands Empires et une zone de passage pour toutes les grandes migrations, conquêtes ou invasions, qu’elles fussent d’Est en Ouest telle que celle des Assyriens, d’Ouest en Est telle que celle d’Alexandre-le-Grand, du Sud au Nord telle que celle des Arabes, ou du Nord au Sud telle que celle des Turcs.
L’instabilité politique de la région explique probablement son manque de développement. Pourtant la terre est bonne et l’eau existe en grande quantité grâce à l’Euphrate. Le Gouvernement actuel a donc lancé, par Décret n° 14 du 29 janvier 1968, un vaste programme d’irrigation pour la mise en valeur de 1 040 000 ha de terre, dont la pièce centrale est le barrage de l’Euphrate à Saoura (anciennement Tabka). Ce barrage en terre dont la longueur est de 4 500 m, la hauteur de 60 m, la largeur à la base de 500 m, a un volume de 41 millions de mètres cubes de matériaux.
La station de Kudayran a pour but d’alimenter en eau le projet-pilote destiné à tester les différentes cultures possibles dans la région. Elle est située sur la rive gauche de l’Euphrate, à environ 30 km en amont de Raqqa. La pluviométrie annuelle moyenne de la région est faible (183 mm d’eau par an) et elle est quasiment nulle de la fin avril au début novembre, c’est-à-dire pendant la période de croissance des végétaux.
La moyenne des températures pendant cette même période est de 26 °C causant une évaporation intense. On voit donc combien l’irrigation est nécessaire aux cultures.
2. Les deux stations de pompage de Gorgan (Iran)
Maître d’œuvre : Office de l’Eau et de l’Électricité de la région Nord de l’Iran (OEERN)
Les deux stations de pompage de Gorgan, également réalisées par Alsthom-Atlantique (RATEAU), sont situées en bordure du
Contrat H° (2/3/4)
Pour l'exécution des
Vu le décret législatif n° 14 en date du 29 janvier 1968. Vu les décrets législatifs n° 197 en date du 27/8/1969 et n° 231 en date du 23/9/1959. Vu la décision de M. le Président du Conseil des Ministres, Président de l'Autorité Supérieure du Projet de l'Euphrate n° 2/4 en date du 19/10/1959. Vu l'appel d'offres n° 1073/21/4 en date du 27/4/1969. Vu la décision de la Commission Administrative de l'Administration Générale pour le Développement du Bassin de l'Euphrate prise à sa cinquième séance, en date du 27/11/1969. Vu la décision de l'Autorité Supérieure du Projet de l'Euphrate dans sa séance n° 47 en date du 4/12/1969. Vu l'approbation de monsieur le Président du Conseil des ministres, Président de l'Autorité Supérieure du Projet de l'Euphrate figurant sur le rapport du 4/1/1970 établi par la commission formée par l'Autorité Supérieure.
Il a été convenu et conclu
Kicp le 8 janvier
Première Ing. AL SADAOUI ABDUL GHANI Ing. MORIN HENRI
Le lac formé par le barrage de Vohsmghir, ce lac étant alimenté par le Gorgan Rud qui est un petit fleuve côtier. En période normale, il ne débite pas plus de quelques mètres cubes par seconde. Gorgan, la ville la plus proche et la plus importante de la région, est à 60 km du barrage.
La frontière soviétique est à une trentaine de kilomètres du site du barrage. Les terres à irriguer, d’origine sédimentaire, sont extrêmement riches et se trouvent à l'ancien emplacement de la mer Caspienne lors de son extension maximum. Elles sont en outre très plates, ce qui explique qu'il soit possible d’irriguer les 25 000 hectares du périmètre en ne remontant les eaux que d'une faible hauteur géométrique. En apportant l'eau nécessaire il est possible de faire sur ces terres deux récoltes dans la même année, par exemple l’une de céréales et l'autre de coton. Cette région est soumise à de fortes précipitations, mais mal réparties, et ne correspondant pas aux besoins de la végétation.
Il est intéressant d’ouvrir une parenthèse sur la région de la mer Caspienne qui est bordée au sud par une chaîne de montagnes culminant au mont Damavand à 5 654 m. Les vents du nord qui y sont dominants poussent donc les nuages gorgés des eaux d’évaporation de la Caspienne sur les montagnes où elles se précipitent et retournent à la mer par de petits fleuves côtiers permettant l’irrigation de la plaine large de quelques kilomètres, longue de 700 km et comprise entre les montagnes et la mer. Ces rivières sont à l'origine du caviar, tant iranien que russe, puisque les esturgeons de la Caspienne dont est tiré le meilleur caviar du monde vont y déposer leurs œufs.
Les vents chargés de pluie venant du nord-est de la région de Gorgan sont relativement peu humides comparativement aux terres situées plus à l'ouest qui, du fait d’une pluviosité abondante, sont entièrement consacrées à la culture du riz. Par contre plus à l'est commencent les grandes steppes asiatiques.
Cette plaine serrée entre la montagne et la mer fut le lieu de passage obligatoire de toutes les grandes invasions, ainsi que de la route de la soie, ce dont témoignent, par la richesse de leurs collections, les musées de Téhéran. Le style des objets trouvés dans la région peut être tout aussi bien perse que grec, arabe ou chinois, indien ou russe. Alexandre le Grand y passa après avoir conquis la Perse et recueillit non loin de là le dernier souffle de Darius III, trahi et assassiné par les siens et avec lequel s’achèvera la première dynastie impériale perse.
CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUESET HISTORIQUE DES TRAVAUX
1. La station de pompage de Kudayran est équipée de six pompes, dont une de secours, de type hélicocentrifuge, le débit unitaire de 5 m³/s à 22,50 m, la puissance absorbée étant de 1 255 kW. Les moteurs tournent à 495 tr/min et ont une puissance nominale de 1 400 kW.
Le Gouvernement syrien, comme nous l’avons dit, a confié à Alsthom-Atlantique (RATEAU) la réalisation de la station de pompage « clés en main », y compris le génie civil. Celui-ci fut sous-traité à une entreprise locale et les bâtiments furent construits en un temps record à l’abri de batardeaux provisoires, ceci malgré les difficultés locales dues notamment à l'isolement du chantier. Parallèlement à l’érection des bâtiments se poursuivaient les études des matériels, leur construction et le transport de plus de 3 000 m³ de matériel jusqu’au site par des pistes de terre. Après le montage du matériel, la mise en service eut lieu dans les délais du contrat, soit 16 mois pour la mise en marche des deux premiers groupes motopompes et 27 mois pour l’achèvement total des travaux. Depuis sa mise en service, la station de pompage de Kudayran fonctionne chaque année pendant toute la période d’irrigation au maximum de sa capacité.
2. Les stations de pompage de Gorgan sont au nombre de deux : une pour l’irrigation de chaque rive de la rivière.
La plus importante comporte sept pompes et est située sur la rive droite.
Chacune de ces pompes, de type hélicocentrifuge, a un débit de 2,2 m³/s à 16,80 m et est entraînée par des moteurs de 520 kW à 585 tr/mn.
L'autre station est située sur la rive gauche et ne comporte que quatre pompes, lesquelles ne diffèrent de celles de la rive droite que par la hauteur manométrique qui n’est que de 14,60 m.
Afin de limiter les coûts des fournitures, puis de l’exploitation, le matériel des deux stations est identique à tous points de vue, la seule différence concernant le diamètre de roue des pompes.
Pour ces stations le Génie Civil ne faisait pas partie de la fourniture d’Alsthom-Atlantique. Des difficultés dues à la nature du terrain ont retardé la construction des bâtiments et ont obligé l’Administration iranienne à stocker le matériel électromécanique jusqu’à son achèvement.
Les installations ont été mises en service en 1976 après un chantier rendu difficile par la situation géographique, et inaugurées officiellement en mai 1977.
QUELQUES ASPECTS TECHNIQUES
Conception des pompes et des bâtiments
Les stations de pompage de Kudayran et de Gorgan sont très proches du point de vue conception technique et ne diffèrent que par les puissances mises en jeu, le nombre de pompes ou des particularités secondaires.
Le groupe électropompe est de type vertical et sa conception conditionne celle du bâtiment.
Au-dessus du niveau des plus hautes eaux sont situées la salle des moteurs, les butées des pompes et les transmissions à cardan se trouvant dans une salle commune étanche sous la précédente, et les parties actives des pompes sont noyées dans des chambres d’aspiration séparées les unes des autres.
La pompe proprement dite comprend la roue, une courte transmission rigide et la butée située au plancher inférieur. Ce plancher est en charge pendant la majorité de l’année et il est donc nécessaire que l’étanchéité pompe-plancher soit parfaite. Cette étanchéité est obtenue à l’aide de mastics spéciaux. Chaque pompe est séparée de sa voisine et se trouve dans une chambre parallélépipédique fermée et étanche sur cinq faces. Si l’on veut démonter l’une des pompes pour en assurer la réparation, il faut, pour ne pas noyer la salle des transmissions à cardan et des butées pompes, vider la chambre d’aspiration après avoir mis en place un batardeau d’une vingtaine de mètres carrés sur l’ouverture. Les batardeaux sont stockés sur la partie haute de leurs glissières. Les moteurs des pompes refoulent l’air chaud à l’extérieur des bâtiments afin d’éviter un échauffement excessif de la salle des moteurs. L’entraînement entre une pompe et son moteur est assuré par une transmission à cardan de forte dimension équipée d’un palier intermédiaire à roulement destiné à en assurer le guidage. Cette transmission limite l’entretien et facilite beaucoup d’éventuelles opérations de démontage.
Compte tenu de la faible distance entre les pompes et le bassin de réception, il a été jugé préférable d’équiper chaque pompe de sa propre tuyauterie de refoulement sans tuyauterie collecteur, ni tuyauterie commune à deux ou plusieurs pompes, ceci à la fois pour simplifier l’installation, puisque chaque pompe avec ses installations annexes est ainsi séparée nettement de ses voisines, et pour faciliter le transport et la mise en place du matériel. Les tuyauteries sont équipées de joints d’articulation métalliques permettant des tassements différentiels des supports et notamment ceux existant entre le bâtiment des pompes et le bassin de réception des eaux refoulées, qui sont désolidarisés.
Les stations de pompage de Gorgan sont construites sur un terrain extrêmement meuble, sujet au ravinement et aux effondrements. N’ayant pu trouver de roche résistante pour y accrocher les stations, il a fallu outre les dispositions prises lors de la construction des fondations propres à ce genre de terrain, relier les bâtiments aux bassins de réception à l’aide de câbles de contrainte et protéger les berges au voisinage des stations, pour éviter qu’avec le temps et l’action de dégradation de l’eau sur les terres, la station ne se mette littéralement à flotter et à se déplacer par rapport au bassin de réception.
L. BRODIER