Your browser does not support JavaScript!

Au fil du temps : brève histoire de l'alimentation en eau potable de la Ville d'Arras

02 octobre 2017 Paru dans le N°404 à la page 92 ( mots)

Des porteurs d’eau à la distribution au robinet, des simples puits au robinet, la conquête de l’eau a été riche et complexe. L’eau fondatrice de l’Atrébatie et de son rayonnement économique autour de la Scarpe et du Crinchon a façonné la physionomie de l’Artois. Sans oublier l’eau et son rôle défensif pendant les grands épisodes de la longue histoire d’Arras située aux frontières des grands royaumes européens. Cette ville fut pionnière - comme Boulogne dans le département du Pas de Calais - en matière de distribution publique d’eau potable en se dotant d’une adduction dès les années 1860. Découvrons l’histoire et les arcanes d’une adduction particulièrement performante pour son temps.

 

Aux origines, Arras est consti­tué de deux entités ; la cité « Nemeta­cum » héritage du monde gallo-romain sur la colline, et la ville basse médiévale bâtie autour de l’Abbaye StVaast en rive droite du Crinchon. Elles seront réunies administrativement en 1749 et une même enceinte les englobera ! Jusqu’alors Arras était restée constituée de deux agglomé­rations distinctes.

La cité antique, sous le bas empire (1er au 3ème siècle), disposait déjà d’un réseau d’approvisionnement en eau ainsi que de thermes dans le quartier Baudimont au nord-ouest. La distribution était assurée par un grand nombre de puits situés dans les cours intérieures et sur les trottoirs. Vinrent les invasions barbares (à la chute de l’empire romain) puis la reconstruc­tion au 6è siècle. Suivit le passage sous l’autorité des comtes de Flandres au 10è siècle, puis l’intégration au domaine royale au 12ème siècle. 

Elle échoit aux ducs de Bourgogne au 14ème siècle et entre dans le giron espagnol jusqu’à la moitié du 17ème siècle. Ainsi, durant ces époques mouvementées traversant le Moyen Âge, l’approvisionnement est redevenu rudimentaire, en s’appuyant essentielle­ment sur le puisage dans la rivière « Le Crinchon ». Restaient, pour quelques pri­vilégiés, des puits divers locaux creusés dans les carrières de marne et craie (de 8 à 10 m), mailles superficielles du réseau aquifère captées par ces petits forages. 

Traité original de distribution des eaux 1859.

On en comptait une dizaine en 1709 ; rue de la Fourche, rue des Cailloux, des Trois Filloires, du Grand Jardin… D’ailleurs, quelques noms de rues « Puits St Josse et Puits Sulty » en témoignent encore. Ce fut l’époque des porteurs d’eau, qui apportaient à chacun l’eau nécessaire, moyennant une sorte d’abonnement auxdits puits. À noter encore la fontaine de St Thomas (dans laquelle St Thomas de Canterbury, évêque et martyr du 12ème siècle aurait étanché sa soif) sise dans la rue Putevin. Une fontaine aux eaux lim­pides « fons lympidus » qui passait pour avoir la propriété de guérir les fiévreux « aqua febricitantibus saepe contulit sanitem ». 

En 1749, les échevins d’Arras obtiennent du Roy une autorisation pour agrandir et assainir la ville ; dans la « basse ville » construite autour d’une place octogonale, ils firent forer une fontaine (tube de chêne de 160 pieds). Ce fut un échec car, par manque de pression, l’eau ne s’était élevée qu’au niveau du sol. L’ouvrage fut donc abandonné et comblé. Une nouvelle tentative fut réussie quelques années plus tard avec mise en place d’un tube en plomb intérieur de 72 pieds inséré dans le fût en bois, et plusieurs pompes aspirantes/foulantes vers un obélisque en marbre. Cet ouvrage réalisé en 1779 par Félix Fruit (sous couvert de l’archi­tecte Louis Posteau) portait une plaque vantant les vertus de cette eau ; « aqua saluberrima et purissima ». Dans la foulée, quelques pompes publiques furent installées dans divers quartiers d’Arras (notamment place du marché au poisson). 

À l’origine : l’eau pour tous ?

Toutefois, en 1856, suite à plusieurs années de sécheresse, les arrageois signèrent une pétition pour demander une distribution d’eau potable et jaillis­sante dans tous les quartiers. Commence alors un véritable programme d’adduc­tion, afin de supprimer les puits malcom­modes et à l’eau plus ou moins pure.

Une proposition de concession est alors faite par la Compagnie franco-anglaise de Mrs Sagey & Watson, qui comprenait alors ;

• Établissement d’un château d’eau,

• Amenée en ville haute des eaux néces­saires aux besoins publics, industriels et domestiques jusqu’à concurrence de 800 m3/j,

• Puisage au Vivier au point du bassin (un jaugeage fait alors état de 120 l/s) où surgissent les sources principales (ouest de la porte Méaulens),

• Élévation au moyen de pompes mùes par des machines à vapeur dans 2 réser­voirs en tôle établis sur la Grand-Place,

• Établissement aussi d’une fontaine monumentale et de 50 bouches de lavage et 20 bouches incendie.

La ville d’Arras comptait alors 27 000 habitants. Compte tenu de l’importance de la dérivation des eaux, cette opération fut autorisée par deux décrets impériaux. Le 17 avril 1858 - puis le 6 février 1861, Napoléon donne son accord pour l’éta­blissement au Vivier d’une prise d’eau pour 60 ans. Le traité initial est signé alors en 1859. Un bassin de réception fut créé, et les eaux conduites par aqueduc vers la résidence de Mr Kelday, 24 rue du Bloc, à proximité de la cathédrale. L’usine de reprise équipée de machines à vapeur y fut installée, qui refoulait l’eau dans un réseau constitué de conduites maîtresses mises en place dans les artères principales. Entre 1860 et 1870, un premier réservoir de 800 m3 fut construit à l’extrémité de la Grand-place, dans la maison dite « des Carmes » dénommée par la suite maison « du Château d’eau ». 

Annexe tarifaire, 1895.

Elle est alors construite en briques avec les décors en pierres blanches. Parcourons les notes de Mr Bourgois, son architecte et concepteur ; « la façade principale est semblable à celle des maisons voisines « espagnoles… Les 2 étages se terminent par un entablement sur lequel repose un pignon richement décoré sur deux niveaux… Des dau­phins adossés aux pilastres latéraux vomissent par leurs narines des eaux abondantes tombant en nappes… Sur le fronton en demi-cercle on trouve une grande coquille derrière laquelle poussent des roseaux. Enfin de chaque côté des grandes volutes une statue symbolisant les rivières du Crinchon et de la Scarpe déverse d’une conque des eaux limpides donnant à cette façade le caractère aquatique propre à sa destination. Derrière se trouve le réservoir d’eau de 500 m3 construit en forte tôle soutenu par des poutrelles métalliques et des renforts de maçonnerie. Si on ajoutait ces structures, le poids total s’élèverait à 179 tonnes ». 

En 1861, la concession pour la Cie des eaux d’Arras est finalement reprise par Mrs John Kelday (archi­tecte demeurant à Arras) &Jules Vrau (ancien négociant demeurant à Paris), et débutent alors les travaux d’adduction. La municipa­lité confia au concessionnaire le soin d’amener dans toutes les rues et places de la ville toutes les eaux nécessaires aux besoins publics, industriels et domestiques. Le contrat (et son règlement tarifaire) stipulait alors la fourniture de 1 500 m3/j, ainsi que la pose d’un compteur à chaque bouche de lavage et borne-fontaine. 

Pour cela, le concessionnaire fit installer des machines à vapeur, des réservoirs et un réseau de canalisations en fonte. L’administration municipale fit établir, au fur et à mesure des travaux de conduites d’eau, la pose de bornes-fontaines (quatre-vingt-sept bornes d’eau courante au début du 20ème siècle ; puis elles disparaî­tront aussi au fur et à mesure que l’eau arrivera dans les immeubles, la dernière opérationnelle jusqu’à 1978 fut celle de la rue Pignon Bigarré). La préoccupation évidente de quantité prédominait alors sur les soucis de qualité ; les soucis d’hygiène et la microbiologie des eaux n’appa­raissent vraiment qu’à partir de 1890 et l’influence pasteurienne. 

À noter que, contractuellement, les tuyaux d’eau furent posés à l’époque du côté opposé dans la rue aux tuyaux de gaz (et en cas de croisement alors toujours de manière à ce que les eaux ne puissent se charger des gaz qui pourraient s’échapper !). Effectivement, on réalise aussi à cette époque l’éclairage au gaz, et en 1900 les pourparlers sont engagés pour l’éclairage électrique. On profite alors des terrassements néces­saires pour construire des trottoirs, et régler l’écoulement des eaux pluviales. 

Initialement captée à la source Vauban - au pied des fortifications (près du jardin Minelle), le puisage finalement s’opèrera, non pas directement dans le Vivier, mais dans un puits d’aspiration garni en tous sens d’une maçonnerie étanche qui l’isole des nappes d’eau souterraines. 

En effet, le Conseil Départemental d’Hygiène Publique et de Salubrité (séance du 31/08/1863) présente un rapport général sur la situation liée à des plaintes sur la qualité de l’eau distribuée depuis l’été dernier. Mr Gossart - pharmacien - y disserte alors sur la qualité chimique des eaux, après des analyses comparatives sur les fontaines Beaudimont et de la Citadelle notamment ; « la composition de l’eau est la même. La cause des plaintes facile à expliquer. La prise d’eau au lieu d’aborder près de la source principale est située près des remparts dans un endroit où il y a beaucoup de vase et peu de profondeur. L’eau se trouve exposée pendant l’été aux ardeurs du soleil, elle se couvre de végétaux, les petits animaux y pullulent ; à l’automne, les végétaux meurent et pourrissent, et leur détritus se répand dans l’eau, en partie à l’état soluble et en partie à l’état insoluble - ce dernier venant augmenter la couche de vase qui y existe déjà ; l’eau prend un goût de marais… l’eau est souvent claire mais elle sent souvent la vase et sa température dans l’été est trop élevée ../.. Le seul moyen d’avoir la meilleure eau possible serait de la pui­ser directement à la fontaine maçonnée - ou quelques mètres avant - où il existe une source très abondante. On dit que l’administration du Génie s’y oppose. J’avoue que je ne devine pas le sujet qui a motivé cette décision, mais comme il importe beaucoup que les habitants d’Arras soient alimentés de la meilleure eau possible, je propose que Mr le Préfet use de son influence auprès des auto­rités compétentes pour faire cesser cet état de choses au nom de la salubrité publique ! ». 

En commémoration de l’accord initial, la fontaine de Neptune a été érigée à partir de 1862 place du pont de Cité. La statue en bronze du dieu latin des eaux est l’oeuvre d’Auguste Bourgois et du fondeur parisien Dugel. 

Laissons-le commenter son ouvrage ; « La fontaine est élevée à l’emplacement de l’ancienne porte de la cité adossée contre un vieux mur des fortifications, elle se compose de deux colonnes isolées accompagnées de pilastres d’angle dont les bases reposent sur un stylobate de pierre de grès. L’ordre dorique grec est celui adopté. Les fûts formés de pierres en bossages sont alternativement recouverts de sta­lactites, un entablement riche composé d’une architrave d’une frise ornée de coquilles marines et de congélations, enfin d’une corniche ornementée com­plète l’ordre architectural adopté pour l’exécution de celle-ci…/… une grille avec barreaux et piédestaux, en fer forgé, placée en avant du bassin protège la fontaine contre la malveillance. Les piédestaux placés sur le périmètre ont leur panneau orné d’un dauphin…/… enfin deux candélabres placés à droite et à gauche sur un des piédestaux de grille éclairent le monument dont les frais de construction supportés par la Cie des eaux a eu pour but de faire dis­paraître les ruines d’un ancien mur des anciennes fortifications dont l’aspect était on ne peut plus désagréable à la vue ». 

Projet de distribution d'eau. Plan et coupe de la prise d'eau, 1862.

Elle se situe donc sur l’emplace­ment de l’ancienne porte Notre-Dame, démolie en 1758 (elle fut appelée aussi « Térrée-de-Cité »). Elle fut installée par la compagnie des eaux d’alors pour offrir une eau potable, parce que la consommation de l’eau pol­luée du Crinchon était jusqu’ici la cause de nombreuses épidémies qui affectaient les populations urbaines. Aujourd’hui, cette fontaine monu­mentale est toujours en activité, et elle sert surtout de monument déco­ratif. 

En 1883, la Cie Gale des Eaux se substitue aux concessionnaires d’origine (devenus Cie Continentale des Eaux et du Gaz vers 1870, s/c Mr Hogdson J. et héritiers Lambert) pour la prise en charge du service de l’eau. 

En 1887, la distribution de pointe atteignait 3 000 m3/j, mais la popu­lation se plaignait de la déficience du service à savoir : 

• pression d’eau trop faible du fait de l’altitude insuffisante des réservoirs et des difficultés de remplissage en période de forte consommation ;

• bruits anormaux, reflets d’une vitesse d’écoulement excessive dans le réseau sous-dimensionné.

Un renforcement des installations fut donc réalisé. 

À compter de 1895, la convention (traité modifié le 15 mars) mentionne alors des besoins de 15 000 m3 par semaine et un réseau de canalisations de 7 500 mètres. 

Vieille place forte enserrée dans ses remparts, Arras ne posait jusqu’ici pas de souci particulier, étant généreusement pourvue en eau par les sources du Vivier naissant à ses portes - quartier Méaulens/ StGéry, et donnant une eau fraîche, somme toute de qualité. 

Mais, suite au décret de déclassement de la place d’Arras, le démantèlement des fortifications est réalisé avec l’appui du Génie militaire entre 1891 et 1896. La ville prend alors à sa charge les travaux de dérasement, mise en place d’égouts, constructions, raccordements de réseaux divers.

(fin de la première partie)

 

 





Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements