Les différents processus d’érosion d’un matériau métallique en contact avec un fluide en écoulement, aux propriétés corrosives, sont souvent analysés à travers l'action de facteurs envisagés de façon indépendante. Les uns, de nature électrochimique, font intervenir de façon schématique une réaction d’oxydation anodique, ayant pour résultat la dissolution du métal avec formation de cations, qui est équilibrée par une réaction de réduction cathodique, soit de l’oxygène dissous, soit des protons avec dégagement d’hydrogène [1]. Les seconds facteurs impliquent une action mécanique directe de l’écoulement sur la phase solide en contact avec le liquide.
Entre les deux cependant, il existe des situations où l’hydrodynamique exerce une influence sur la vitesse de corrosion en contrôlant le transport de matière des réactants impliqués dans les réactions électrochimiques élémentaires précédentes.
Parmi les actions de type mécanique, la cavitation, qui résulte de la formation de bulles de vapeur au sein du fluide, suivie de leur collapse brutal, présente un caractère dramatique en raison de la vitesse élevée de dégradation du matériau, notamment dans les systèmes tournants [2]. Ce phénomène comporte des aspects purement mécaniques car on observe des effets sur des matériaux non métalliques (de type martelage notamment) ; cependant, il peut exister une certaine synergie avec les processus électrochimiques dans la mesure où le matériau métallique utilisé présente des comportements spécifiques vis-à-vis de la corrosion, du fait, par exemple, de l’existence de couches passivantes (oxydes, produits de corrosion insolubles, inhibiteurs filmogènes...) qui peuvent être arrachées sous l’effet de la cavitation : on traduit alors cette synergie sous le double vocable d’érosion-cavitation ou de corrosion-cavitation.
La diversité des domaines impliqués (hydrodynamique ou hydraulique, corrosion électrochimique, traitement des eaux, physicochimie des interfaces, métallurgie) explique le nombre modeste d'études systématiques faisant ressortir la contribution respective de chaque discipline afin d’évaluer précisément le degré de synergie. Du point de vue de l'utilisateur, la recherche d’une protection optimale des différentes structures constituant une installation suppose donc la prise en compte de paramètres très divers : qualité de l'eau, corrosivité, nature des matériaux, conception hydraulique, entre autres.
Nous nous proposons de donner ici un inventaire non exhaustif des différents processus possibles et nous l’illustrerons succinctement par un cas pratique rencontré sur un circuit fermé comportant des pompes centrifuges.
CORROSION ÉLECTROCHIMIQUE
Facteurs cinétiques
Considérons un métal au contact d’un fluide pouvant contenir différents types d'ions ; la corrosion du métal traduit la réaction de dissolution anodique :
M —> Mn+ + ne- (1)
sur une fraction de la surface de contact.
La cinétique propre de la réaction (1) dépendra du pH du milieu, de la nature des anions en solution et de leur concentration, ainsi que de la force ionique globale. Dans des conditions de corrosion spontanée où la densité de courant associée à (1) est faible — excepté toutefois la corrosion par piqûres — la vitesse de dissolution n’est qu’exceptionnellement exaltée par la mise en circulation du fluide. On en rencontre cependant un exemple avec les milieux acides, concentrés et chauds, à l’origine du phénomène d’érosion-corrosion [3].
La réaction de réduction cathodique sur la fraction complémentaire de l’interface sera, suivant la valeur du pH, la force ionique du milieu, la nature du métal..., l'une et/ou l'autre des deux réactions suivantes.
O2 + 2 H2O + 4 e- → 4 OH- 2 H+ + 2 e- → H2 (2)
Ainsi, le courant total Im de dissolution du métal et celui de réduction Ic sont égaux en valeur absolue mais opposés en signe :
Im = —Ic
Le courant de corrosion fournit alors la vitesse de dissolution du métal.
Les deux réactions anodique et cathodique s’effectuent simultanément de telle sorte que le potentiel mixte global soit plus positif que le potentiel d’équilibre de la réaction d’oxydation (Red1 → Ox1 + ne) et plus négatif que le potentiel d’équilibre de la réaction de réduction (Ox2 + ne → Red2).
[Figure : Figure 1]* Conférence donnée aux « Journées Information-Eaux » de Poitiers — 1986
Des deux réactions cathodiques possibles, celle du dégagement d’hydrogène – dont la surtension dépend fortement du métal – n’est généralement pas influencée par l’écoulement du fluide car la décharge du proton proprement dite est précédée d’étapes d’adsorption lentes qui limitent la cinétique [4] ; en revanche, la réduction de l’oxygène dissous est une réaction rapide avec transfert de 2 ou 4 électrons et sera le plus souvent dépendante de l’agitation du fluide.
Facteurs hydrodynamiques
Réduction de O₂
Lorsque le potentiel de corrosion est tel que la réduction de O₂ est limitée par le transport de matière, la vitesse de corrosion est donnée par le courant limite de diffusion : dans le cas d’un disque tournant de rayon R par exemple, ce courant suit la relation de Levich [5] :
i_L = 1,95 n F c_∞ D^{2/3} ν^{-1/6} ω^{1/2} R²
n = 4 électrons, c_∞ est la solubilité de l’oxygène (2 × 10⁻⁷ moles/cm³ dans H₂O), F = 96 500 Coulombs, D le coefficient de diffusion moléculaire (2 × 10⁻⁵ cm²·s⁻¹), ν la viscosité cinématique du liquide (~ 10⁻² cm²·s⁻¹ pour H₂O) et ω la vitesse angulaire (rad·s⁻¹).
Dans le cas général où la cinétique est mixte (transfert de charge – transport de matière) on peut appliquer une correction de diffusion [6] pour atteindre la vitesse de corrosion.
Métaux passivables
Certains métaux se recouvrent d’une couche passive d’oxyde et/ou d’hydroxyde soit spontanément (Zn, Mg, acier inoxydable) soit sous polarisation anodique (passivité du fer en milieu sulfurique par exemple). La couche constitue alors une véritable barrière et la vitesse de diffusion de O₂ devient négligeable. L’hydrodynamique intervient indirectement car, même dans le cas d’une couche d’hydroxyde gélifiée, à la tenue mécanique médiocre, le cisaillement pariétal exercé par le fluide est de quelques dynes/cm² pour un écoulement turbulent en conduite, ce qui est insuffisant pour rompre la couche protectrice. L’hydrodynamique contribue par exemple à l’apport d’ions agressifs (chlorures) susceptibles de traverser la couche passive et d’amorcer une corrosion par piqûre. La couche peut être également détériorée par l’impact de particules solides en suspension, la propagation du processus étant gérée par la cinétique de repassivation des portions du métal périodiquement mises à nu [7]. Ce point est essentiel car le mode d’abrasion de la surface sera différent en cavitation mais l’aggravation ou l’inhibition de l’érosion reposeront sur le même principe.
À la même classe d’effets s’apparente la corrosion sous contrainte qui est un phénomène de dégradation du matériau par fissuration, lequel conduit à la rupture prématurée d’une pièce soumise à l’action conjuguée d’une contrainte mécanique (mettant le métal normalement protégé à nu) et d’un milieu corrosif.
CAVITATION
La cavitation est le plus souvent associée à de grandes vitesses d’écoulement du fluide : le phénomène se manifeste par la formation de bulles dans la masse du fluide puis de leur effondrement ou collapse. C’est cette dernière phase, caractérisée par des pressions locales de l’ordre de 10⁴ bars, qui est la cause de la détérioration du métal.
La phase initiale de formation de bulles implique que la pression statique « vue » par le fluide en écoulement tombe en dessous de la tension de vapeur saturante f_s à la température considérée. En effet, d’après le théorème de Bernoulli, il y a conservation de l’énergie suivant une même ligne de courant de l’écoulement :
P* + ρV²/2 = Cte (4)
(P* est la pression statique totale, V la vitesse du fluide locale et ρ sa densité).
En cas d’augmentation importante de la vitesse locale, la pression statique P* peut être telle que P* < f_s : le liquide se vaporise, la taille des bulles et leur vitesse d’apparition étant alors déterminées notamment par les propriétés thermodynamiques et la tension superficielle du fluide. Tel est le cas au niveau des pompes centrifuges où le fluide est soumis à de fortes accélérations au contact des aubes. Au cours de la décélération qui suit, la pression remonte et c’est le phénomène de collapse.
En prenant comme références, le fluide au repos (i.e. V = 0) et la pression atmosphérique Pₐ — ce sont par exemple les conditions d’un réservoir d’aspiration — on peut déduire de l’équation (4) le degré de cavitation d’un fluide en introduisant le nombre de cavitation τ :
τ = (Pₐ – f_s) / (ρV²/2)
Si τ < 1, il y a tendance à la cavitation.
Le phénomène de cavitation est donc en partie contrôlé par les propriétés intrinsèques du fluide (densité, tension superficielle) — qui jouent en fait un rôle secondaire — ou par des facteurs physicochimiques extrinsèques (température, gaz préexistant à l’état de microbulles, etc.) et en partie par la conception hydraulique de l’installation, c’est-à-dire la position des pompes, leur géométrie et les caractéristiques de fonctionnement, la pression statique à l’amont.
Compte tenu de l’équation (4) on introduit aussi une autre quantité appelée NPSH (« Net Positive Suction Head ») qui doit rester positive si l’on veut éviter la cavitation :
NPSH = H₀ + Hₐ – H_g – V²/(2g) – ε_s / (ρg) > 0 (6)
Tous les termes d’énergie ont été ramenés à des hauteurs équivalentes.
— H₀ correspond à la pression absolue sur la surface du liquide à l’aspiration.
— Hₐ est la hauteur géométrique de charge (figure 2). Le signe est positif dans le cas où la pompe est située sous le niveau d’aspiration : c’est une situation bénéfique car on augmente ainsi le NPSH.
— H_g est la perte de charge dans les tuyaux.
EXEMPLE D’UN CAS CONCRET
Nous présentons ici un cas concret qui illustre les effets conjugués de la cavitation et de la corrosion.
Les figures 3 et 4 montrent l’aspect de deux rouets de pompes de recirculation de l'eau d’un circuit de refroidissement après fonctionnement en continu : l’un durant 15 jours (figure 3) et l'autre durant 86 jours (figure 4). Deux types de figures d’érosion, visibles sur les deux photos, ont été schématisés sur la figure 5 par les zones A et B en grisé.
La zone A est manifestement liée à l'hydrodynamique par l’intermédiaire d’un problème de cavitation, les figures d’érosion étant d’autant plus proches du bord d’attaque de l’aube que la distance radiale r à l’axe du rouet augmente (les lignes d’écoulement du fluide sont schématisées sur la figure 5), ce qui est cohérent avec une augmentation de la vitesse quand r augmente, la distance à parcourir étant plus courte pour atteindre les conditions de cavitation puis de collapse.
La zone B correspond à des vitesses plus faibles et se situe dans la partie où l’aube se rattache à l’axe de rotation du rouet. L’hypothèse qui peut être émise dans ce second cas, serait l’existence d’une corrosion sous contrainte induite par les vibrations créées par la cavitation existant dans la zone A. Dans la région B, le matériau est alors soumis à un couple mécanique maximum lié aux surpressions et dépressions apparaissant alternativement à l’intrados de l’aube du fait des coups de bélier. L’existence de telles vibrations a été corroborée par la surconsommation d’énergie (plus de 20 %) nécessaire au maintien d’un débit identique annoncé par le constructeur dans des conditions de fonctionnement de la pompe hors cavitation (113,08 kW théorique — 136,7 kW mesuré).
Dans cet exemple, le premier rouet (figure 3) n’a fonctionné que 15 jours et l’eau du circuit était traitée à l'aide d'un inhibiteur d’entartrage et de corrosion à base de polyamines grasses ; les polyamines grasses ont pour propriété d’abaisser la tension superficielle de l’eau de 72 dynes/cm à l’origine aux environs de 30 à 40 dynes/cm. Dans un premier temps, il a donc été décidé d’interrompre ce traitement.
Le second rouet (figure 4) a donc fonctionné en eau non traitée et ce, pendant 86 jours ; le résultat a été identique à celui obtenu dans le premier cas. On constate une dégradation des aubes encore plus importante — celles-ci sont d’ailleurs percées — compte tenu du temps de fonctionnement beaucoup plus long.
Dans le premier cas, le circuit de refroidissement est protégé de la corrosion par formation sur les surfaces métalliques d’un film constitué par un inhibiteur protecteur. Cependant, dans des conditions de cavitation, le film d’inhibiteur est détruit par érosion et celui-ci ne protège pas le rouet de la pompe. En effet, l’inhibiteur filmogène agit notamment sur la réaction cathodique en limitant la diffusion de l’oxygène vers la surface et, à un degré moindre, sur la réaction anodique, ce qui explique sa faible résistance mécanique aux contraintes mises en jeu par la cavitation. Notons également que les rouets de la pompe sont en fonte grise et que d'autres matériaux (bronze, aciers inoxydables) peuvent mieux résister aux phénomènes précités.
Les causes de détérioration des rouets sont donc, à notre avis, plus d’origine physique et mécanique que chimique et électrochimique. Les conditions de montage et d’aspiration de la pompe ont été modifiées avec l’aide du constructeur ainsi que les matériaux utilisés.
BIBLIOGRAPHIE
[1] L. L. SHREIR : “Corrosion” — Newnes — Butterworths (1977)
[2] P. EISENBERG : David Taylor Model Basin Report, 712 (juillet 1950)
[3] HEITZ & LOSS : On the mechanism of erosion-corrosion in liquid media 5th Int. Congress on Metal Corrosion — Tokyo (1972)
[4] A. CAPRANI & Ph. MOREL : J. Appl. Electrochem (1977) 7, 65
[5] V. G. LEVICH : “Physicochemical Hydrodynamics” — Prentice Hall — Englewood Cliffs (1962)
[6] M. DUPRAT, N. BUI et F. DABOSI : J. Appl. Electrochem, 8, 455 (1978)
[7] M. KEDDAM, R. OLTRA, J.-C. COLSON, A. DESESTRET : Corrosion Science, 23, N° 4, 441-451 (1983)