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Aqueduc sous marin flexible pour l'approvisionnement en eau potable

30 mars 1982 Paru dans le N°63 à la page 61 ( mots)
Rédigé par : Mario PILIEGO

pour l’approvisionnement en eau potable des îles

Ingénieur responsable de la Région Méditerranée Société COFLEXIP

INTRODUCTION

Approvisionnement en eau des îles.

Le problème de l’approvisionnement en eau potable est aigu en de nombreuses parties du monde — non seulement dans de petites îles — où une surface restreinte et la qualité du sol ne donnent pas de suffisantes réserves souterraines et où les eaux de nappes sont souvent rendues saumâtres par les infiltrations d’eau de mer.

Le manque d’eau fraîche est synonyme de stagnation industrielle et limite l’installation de nouvelles industries. Les touristes boudent des régions attrayantes, les conditions de vie des habitants se détériorent et l’émigration commence. Très souvent de grandes réserves d’eau existent sur le continent proche de ces îles, mais la nature du fond marin, les marées, les courants et la navigation font que l’installation de conduites conventionnelles alimentant en eau potable les îles assoiffées est difficile, voire impossible.

En ce qui concerne l’approvisionnement en eau des îles (en dehors de la méthode traditionnelle et des bateaux-citernes) on peut employer deux systèmes récents : la dessalination d’eau et le transport d’eau par aqueduc sous-marin. Le système de dessalination convient particulièrement lorsque l’on ne trouve pas suffisamment d’eau potable sur le continent voisin ou lorsque l’île est très éloignée de la côte : le prix du mètre cube d’eau obtenu par dessalination est encore aujourd’hui très élevé.

C’est la raison pour laquelle le transport d’eau au moyen d’un aqueduc sous-marin offre une solution intéressante et avantageuse pour des îles peu éloignées de la côte.

L’aqueduc sous-marin peut être réalisé avec des conduites rigides en acier, ancrées au fond, ou bien, suivant une technique plus récente, avec des conduites flexibles spécialement étudiées pour résister à des pressions élevées et auxquelles nous nous référerons dans l’article qui suit.

DESCRIPTION GÉNÉRALE DES FLEXIBLES

Les tuyaux flexibles sont constitués essentiellement d’acier et de thermoplastiques.

Les composants en acier, qui assurent la résistance mécanique permettant de hautes performances, sont choisis pour conférer au flexible terminé des caractéristiques physiques répondant aux différentes applications.

Les armures métalliques ainsi formées n’étant pas étanches, cette fonction est assurée par des gaines en matière plastique extrudées en continu, qui apportent l’étanchéité tant intérieure qu’extérieure.

Chaque extrémité du flexible est équipée d’un embout métallique permettant d’accoupler deux flexibles ou de relier chacun d’eux aux autres équipements d’exploitation. Ces embouts préservent la continuité du diamètre intérieur et toutes les autres caractéristiques avec une substantielle marge de sécurité.

Les caractéristiques mécaniques de ce produit peuvent varier suivant le diamètre, la configuration et l’emploi requis. On peut atteindre les performances suivantes :

  • résistance à la pression intérieure : 2 700 bars,
  • résistance à la pression hydrostatique extérieure : 1 600 bars,
  • résistance à la traction : 500 T.

Nous disposons d’une vaste gamme de diamètres intérieurs. L’usine est actuellement capable de produire des conduites flexibles jusqu’à 609,6 mm (24") de diamètre.

STRUCTURES DES AQUEDUCS FLEXIBLES

Les structures des aqueducs flexibles sont définies en fonction :

  • — des applications : statiques ou dynamiques ;
  • — des pressions : interne et externe ;
  • — des efforts de traction, couple, etc.
[Photo : Structures types COFLEXIP, avec gaine intérieure en polyéthylène haute densité.]

— des conditions de transport, de pose et d'exploitation.

Elles comprennent, en général (Figure 1), en partant de l'intérieur :

  • a - un tube d’étanchéité thermo-plastique (polyéthylène h.d.) qui canalise l'eau,
  • b - une armure métallique agrafée dite de « pression » qui frette la gaine sous-jacente. Cette armure métallique peut être constituée :* soit d'un feuillard agrafé, lorsque les pressions internes de service ne sont pas élevées ;* soit d'un profilé spécial « Zeta » qui résiste aux très hautes pressions et qui peut, si nécessaire, être renforcé par des frettes métalliques en fils méplats par exemple.
  • c - une gaine intermédiaire thermo-plastique en polyéthylène h.d. est prévue lorsque les pressions externes de service risquent, par suite de la rupture accidentelle de la gaine externe, d'aplatir le tube intérieur,
  • d - une armure dite de « traction » qui supporte toutes les contraintes de traction sollicitant le flexible. Elle est constituée, en général, de deux nappes juxtaposées de fils méplats posées en hélice avec un angle déterminé en fonction des efforts auxquels le flexible est soumis.
  • e - une gaine externe thermo-plastique (polyéthylène h.d.) qui frette les couches sous-jacentes et en assure la protection contre la corrosion.

FONCTIONS DES PRINCIPAUX COMPOSANTS DES AQUEDUCS FLEXIBLES

Gaine d’étanchéité interne.

Les armures de pressions et de traction n’étant pas étanches, les gaines en polyéthylène h.d. extrudées en continu leur apportent cette propriété tout en leur conservant leur flexibilité et leur faible rayon de courbure.

L'épaisseur des gaines d'étanchéité internes est fonction :

  • — du diamètre sur lequel cette gaine est posée,
  • — de la valeur de la pression maximale de service,
  • — du diamètre d'enroulement minimum du flexible en exploitation et en essai,
  • — de la nature des fils constituant la première nappe d’armure de pression.

Les travaux expérimentaux permettent de définir l'épaisseur en fonction de toutes ces données. Par exemple, pour un flexible de 100 mm assurant une pression de service de l'ordre de 700 bars, l'épaisseur moyenne retenue pour la gaine d'étanchéité interne sera de 7 mm.

Armure de pression.

Le frettage de la gaine d'étanchéité interne est nécessaire dès que la pression interne est supérieure à quelques bars. Ce frettage est apporté par l'armure de pression qui, suivant le niveau des pressions nécessaires et le diamètre intérieur du flexible, sera constitué par une ou plusieurs nappes de un ou plusieurs fils d'acier, posés en hélice à pas court autour de la gaine.

Pour les moyennes et hautes pressions de service (200 à 700 bars), la première nappe directement posée sur la gaine est constituée de fils d'acier à profil spécial breveté ZETA dont les spires s'agrafent entre elles, empêchant ainsi l'extrusion et le fluage du thermoplastique sous-jacent sous l'action de la pression interne, tout en permettant les enroulements et déroulements nécessaires.

Lorsque la pression interne n'est pas très élevée et lorsque les efforts extérieurs de traction sont faibles (5 T), la séparation des fonctions de « résistance à la pression » et de « résistance à la traction » n'est plus indispensable ; la structure peut n'avoir alors qu'une seule armure constituée de deux nappes croisées de fils posés en hélice à pas relativement court.

Armure de traction.

Une armure de traction supporte tous les efforts axiaux auxquels est soumis le flexible, avant et pendant l'exploitation, aussi bien sous l'action des contraintes extérieures (manipulation, pose, courant, relevage, etc.) que de la pression intérieure.

Cette armure est toujours constituée d'au moins deux nappes croisées de fils posés en hélice à pas relativement long pour conférer au produit une résistance et un module élevés tout en permettant une souplesse qui autorise des flexions répétées sans danger.

Gaine externe.

Cette gaine apporte un emballage et une protection contre la corrosion des armures sous-jacentes.

Le matériau, extrudé en continu, est en général identique à celui utilisé pour les autres gaines d’étanchéité interne, le polyéthylène h.d. Son épaisseur résulte de la connaissance pratique :

  • — de la fabrication de flexibles,
  • — de la pose de flexibles en mer,
  • — de l’exploitation des flexibles posés,
  • — de la connaissance précise de l’environnement du flexible en exploitation.

Protection extérieure locale.

La protection extérieure locale, par exemple en acier inoxydable, protège la gaine d’étanchéité externe contre l’usure par frottement sur des surfaces rugueuses.

EMBOUTS

Les embouts d’extrémité sont le point faible de toute conduite et doivent être fiables en tous points. Les embouts sont des pièces très soigneusement conçues. Ils sont montés sur les conduites flexibles par des techniciens spécialisés et testés systématiquement.

Ils sont conçus pour reprendre toutes les caractéristiques mécaniques des conduites flexibles et ce, avec une marge de sécurité suffisante. Ils peuvent être montés avec n’importe quel type de raccord standard.

Les points susceptibles d’être touchés par la corrosion marine sont soumis à un traitement spécial qui augmente leur résistance à la corrosion. Si nécessaire, la protection cathodique peut être assurée par des anodes montées sur les embouts.

[Photo : Montage d’un embout COFLEXIP.]
[Photo : Transfert sur bateau de pose.]

TRANSPORT ET POSE DES AQUEDUCS FLEXIBLES

L’un des grands avantages de l’aqueduc flexible consiste dans la procédure de pose et de relevage, facilement réalisable même dans de mauvaises conditions marines. Différents types de supports navals peuvent être employés et ce, en fonction du site et de la durée des travaux.

Il peut aussi être posé par l’un des bateaux spécialisés dans la pose de conduites flexibles. Ces bateaux sont munis de systèmes à positionnement dynamique permettant la pose efficace et rapide des conduites flexibles et sont également équipés de paniers tournants, de bobines, de treuils, de goulottes, etc.

Ces bateaux ont posé plus de 700 km de lignes flexibles de par le monde. Étant donné la longueur relativement courte de chaque installation, ces 700 km correspondent à de très nombreuses opérations réalisées en mer du Nord, en Afrique, au Brésil, en Méditerranée et au Moyen-Orient.

Le M/V FLEXSERVICE I est un bateau de 10 000 tonnes, long de 130 m, large de 17,50 m et dont le tirant d’eau est de 7,80 m. La fonction première de FLEXSERVICE I est de poser et de connecter les conduites flexibles dans n’importe quelle profondeur d’eau. Nous pouvons poser simultanément jusqu’à 4 lignes de diamètre différent le long de tracés droits ou en S. De plus, la grande capacité de stockage du bateau (avec 4 paniers

[Photo : Fig. 4 — FLEXSERVICE I. Bateau de pose à positionnement dynamique.]

Tournants en parallèle (et 2 treuils) permet de rapides opérations de pose sans recharger de matériel à bord.

Le M/V FLEXSERVICE II est un bateau de 2 650 tonnes, long de 81 m, large de 18,30 m et dont le tirant d'eau est de 4,30 m. Un bateau du type « supply » équipé d'un système de positionnement dynamique et d'une installation acoustique spécialement conçus pour poser et connecter des conduites flexibles dans n'importe quelle profondeur d'eau. Son équipement depose consiste en bobines motorisées par un treuil et en goulottes.

Le M/V STADFLEX est un bateau de 2 500 tonnes, long de 81 m, large de 18 m et dont le tirant d'eau est de 4,30 m. Il est similaire à FLEXSERVICE II et est employé comme bateau de pose multi-usages employant des bobines motorisées.

ENSOUILLAGE ET TRANCHAGE

Un des principaux avantages de l’aqueduc flexible réside dans le fait qu'il peut être posé et ensouillé simultanément en une seule opération, en employant un seul bateau de pose (de préférence un bateau à positionnement dynamique). En tenant compte de cela, deux types de machines d’ensouillage opérant à partir de navires à positionnement dynamique ont été conçus :

La charrue d'ensouillage pour terrains tendres.

Elle consiste en une charrue tractée munie d'un soc relevable dans lequel s'insère la ligne flexible guidée au fond de la tranchée, cette dernière se refermant immédiatement sur elle-même. Un système de lavage (« jetting ») hydraulique facilite le travail de pénétration du soc, dont les lames d'attaque sont interchangeables (en fonction du terrain et des conditions de travail). Cette machine fonctionne avec succès depuis trois ans en mer du Nord, où elle a réalisé des avancements de l'ordre de 300 m/h en creusant une tranchée de 0,40 m à 0,80 m de large et de 1,20 m de profondeur.

La machine « trancheuse » pour terrains durs.

Elle consiste en un châssis monté sur chenilles, équipé d'une roue à fraise réglable verticalement, munie de dents interchangeables en acier spécial. Un dispositif guide, identique à celui de la charrue, permet l'introduction de la conduite ou du câble au fond de la tranchée ; celle-ci atteint une profondeur de 1,20 m avec une largeur de 0,40 m avec la machine actuelle, mais d'autres performances peuvent être réalisées en fonction du problème à résoudre. Cette machine est automatique, entièrement télécommandée depuis la surface au moyen d'une centrale d’énergie et de contrôle logée dans un module installé sur le pont du bateau de support qui déroule les flexibles et les câbles.

Les deux machines sont contrôlées depuis la surface au moyen d’ombilicaux de télécommande à partir de navires spécialisés à positionnement dynamique FLEXSERVICE I (pour la charrue) et FLEXSERVICE II (pour la trancheuse).

La pose et l'ensouillage réalisés simultanément en une seule opération présentent des avantages économiques non négligeables tels que temps d'installation réduit et utilisation d'un seul support naval (Figure 5).

AVANTAGES DES AQUEDUCS FLEXIBLES

Les principaux avantages de l’aqueduc flexible sont les suivants :

  1. 1. Les aqueducs flexibles sont conçus cas par cas, suivant les exigences techniques spécifiques et l'environnement particulier à chaque projet. C'est pourquoi les caractéristiques techniques de l'aqueduc flexible, comme par exemple le diamètre, le poids au mètre, la résistance à la pression hydrostatique et la pression interne, le nombre de conduites, etc., sont définis chaque fois en tenant compte de l’optimisation technico-économique.
  2. 2. Le poids au mètre de l’aqueduc sous-marin peut être défini exactement au moment de l’étude de projet et ce, en fonction des données de projet : profondeur d'eau, fond marin, courants, ensouillage nécessaire ou pas, etc. On peut ainsi obtenir la densité désirée et donc la stabilité sur le fond sans avoir à alourdir de façon coûteuse et parfois dangereuse, surtout aux atterrages.

Dans certains cas, le poids de l’aqueduc flexible permet de penser qu'il s'auto-ensouille en quelques années dans un fond sablonneux.

[Photo : Adduction pour l'approvisionnement en eau potable d'îles. Opération Maddalena (Sardaigne) — Conduite de 250 mm de diamètre intérieur et d’une longueur totale de 3 000 m.]

3. – La présence dans la structure des conduites flexibles d’un tube central et d’une gaine extérieure en polyéthylène h.d. constitue une excellente protection des parties métalliques internes. La résistance à la corrosion est un des avantages les plus importants des conduites flexibles : en effet, il n’est pas nécessaire de prévoir de protection cathodique. Toutefois, si l’utilisateur le désire, celle-ci est possible au même titre que sur une conduite conventionnelle en acier.

4. – Étant donné les caractéristiques de sa structure, l’aqueduc peut s’adapter, avec un très petit rayon de courbure, à toutes les configurations susceptibles de se présenter au cours de l’opération de pose et à celles du fond marin. Ceci peut être démontré théoriquement et en pratique au moment de l’enroulement du flexible sur sa bobine. Il est à noter que le test d’étanchéité est effectué au moment de l’enroulement du flexible sur sa bobine et se trouve tendu à son rayon de courbure minimum. Ceci est très important lorsque l’on pense à la nécessité de tester des aqueducs dans des zones sujettes à des tremblements de terre.

5. – En cas d’endommagement ou de rupture dus à un accident mécanique (ancre, chalutier, etc.), il est possible de réparer la conduite très rapidement. Ceci peut être fait en quelques heures en relevant la section endommagée avec un treuil normal, en la réparant en pleine mer et en la posant directement.

La réparation consiste à couper et à éloigner la section d’aqueduc endommagée, à monter deux embouts et à les connecter.

Il n’est donc pas nécessaire d’avoir un coûteux chantier à terre.

6. – Les opérations de pose se déroulent en quelques heures et commencent dès que le bateau arrive sur le site. L’aqueduc est ainsi posé en toute sécurité car il a été entièrement testé auparavant en usine. La rapidité et la relative simplicité des opérations de pose sont particulièrement importantes surtout lorsqu’il s’agit de ne pas troubler longtemps le trafic maritime sur le site.

C’est le cas par exemple de la desserte en eau potable de l’île de la Maddalena en Sardaigne par un aqueduc. Dans ce cas, il s’agissait de relier la ville de Palau à l’île de la Maddalena via l’île de Santo Stefano. Cette double traversée a été réalisée avec un aqueduc flexible de 250 mm de diamètre intérieur, constitué d’un tube interne en polyéthylène h.d., d’un feuillard agrafé et d’un revêtement externe en polyéthylène h.d., posé à une profondeur maximum de 50 mètres sur une longueur totale de 3 000 mètres.

L’opération de pose a été réalisée avec une barge sur laquelle on avait chargé les deux bobines ainsi que le treuil de manutention pour le déroulage de la conduite. L’ensemble de l’opération n’a duré que quelques heures sans perturber la navigation locale, particulièrement intense au mois d’août 1980.

CONCLUSION

Les caractéristiques techniques des aqueducs, les moyens navals de transport et de pose adaptés à toutes les conditions, les avantages techniques qu’ils offrent si on les compare aux solutions rigides traditionnelles et aux solutions flexibles adaptées, constituent le système techniquement et économiquement le plus valable aujourd’hui pour résoudre le problème d’adduction d’eau potable aux îles.

Et ce « système » sera encore plus valable dans l’avenir, lorsque le problème des grandes profondeurs (1 000 m et plus, c’est le cas de l’île de Lipari) devra être résolu.

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