La pollution mesurée par la DCO ou la DBO5 est essentiellement constituée par des composés du carbone organique.
Jusqu'à présent, la réduction de cette pollution s'est effectuée principalement en détruisant ce carbone par voie aérobie, opération qui consommait de l'énergie alors que le carbone peut constituer une source d'énergie.
La digestion anaérobie, appelée également méthanisation, apporte aujourd'hui une solution particulièrement intéressante à ce problème en permettant de dépolluer à des taux élevés tout en produisant de l'énergie sous forme de méthane. Cette solution a été appliquée avec succès depuis des décennies à la stabilisation des boues biologiques et plus récemment au traitement des déjections d’élevage. Cependant, le faible taux de croissance des micro-organismes anaérobies qui présente l’avantage d'une production de boue de quatre à cinq fois inférieure à celle de l'épuration aérobie, présente l'inconvénient de ne produire que lentement la biomasse nécessaire à la digestion, ce qui conduit, jusqu'ici, à des temps de séjour importants (plus de dix jours) et à des réacteurs de volume considérable.
De manière à réduire la taille de ces unités et par conséquent l'investissement, une importante concentration en biomasse doit être conservée dans le digesteur. Une certaine amélioration a été apportée par la décantation de l’effluent traité et le recyclage des boues dans le digesteur. Néanmoins, ces améliorations sont encore insuffisantes pour réduire de manière suffisante la taille des bio-réacteurs.
Un des plus importants progrès accomplis lors des dernières années dans le domaine de la digestion anaérobie a été l’introduction de nos systèmes à biomasse fixée que nous présentons ci-après.
LA TECHNOLOGIE DE LA DIGESTION ANAÉROBIE À BIOMASSE FIXÉE
Notre société, qui avait une expérience de plus de dix ans dans l'utilisation des films biologiques utilisant des supports plastiques, a été dès le départ intéressée par l'application de cette technologie dans la digestion anaérobie.
Notre procédé breveté utilise un média plastique en vrac, lequel se caractérise par une grande surface spécifique (250 m²/m³) et un grand volume de vide (plus de 95 %). Ces caractéristiques permettent la fixation d'une quantité importante de biomasse en minimisant les risques de bouchage.
En 1977, une expérimentation a été conduite en coopération avec l’Institut National de Recherche Agronomique.
Dans le traitement des vinasses de distillerie, ses résultats ont été particulièrement prometteurs, conduisant à une réduction de la DBO et de la DCO de plus de 90 % avec une productivité en biogaz de 6 Nm³/m³ de réacteur et par jour. Ces performances ont conduit à installer, en 1980, une unité de démonstration industrielle qui a confirmé les résultats obtenus en laboratoire et permis de définir les conditions opératoires optimales, la fiabilité du procédé ainsi que les coûts d’investissement et d’exploitation.
Après ce premier pilote industriel, d'autres unités de démonstration utilisant les effluents de différentes provenances (distilleries de mélasse de canne, lisier de porc) ont pu être expérimentées avec succès. Actuellement, plusieurs unités de taille industrielle ont été construites et sont opérationnelles alors que d'autres sont en construction. Les conditions opératoires de ces différentes installations sont présentées ci-après.
DESCRIPTION DU PROCÉDÉ
La description du procédé est présentée sur la figure 1.
Les effluents bruts à traiter alimentent un échangeur (30) de température de manière à obtenir une température voisine de 35 °C. Dans certains cas, un réservoir tampon (10) est nécessaire pour réguler le débit d’entrée. L'effluent brut est ensuite mélangé dans le circuit de recirculation et introduit dans le digesteur (40). La température est régulée entre 35 et 37 °C. Le système de distribution (40.2) assure une distribution uniforme sur toute la section droite. La pompe de circulation (40.1) permet d’obtenir une vitesse hydraulique adéquate dans le média plastique. L’effluent traité sort du digesteur au travers d'un déversoir (40.5) et un joint hydraulique (40.6). Si nécessaire, l'effluent est ensuite envoyé vers un traitement de finition pour répondre aux réglementations concernant la pollution.
Dans de nombreux cas, le biogaz produit est utilisé localement dans une chaudière ou pour cogénération d’électricité et de chaleur. La quantité de biomasse située dans le digesteur est contrôlée par le dispositif de recyclage de gaz (40.7). Un casse-vide (40.3) et une torchère (40.4) sont installés en cas de fonctionnement anormal.
Pour certaines applications, une neutralisation de l'effluent est nécessaire pour contrôler le pH, notamment pendant la phase de démarrage (20). Dans de nombreux cas, l’effet tampon du recyclage rend cette correction inutile en exploitation normale.
Notre procédé, caractérisé par un simple étage avec recyclage, présente de nombreux avantages :
- facilité d’exploitation ;
- distribution homogène permettant l'utilisation de tout le volume du réacteur ;
- agitation maximale due au contre-courant gaz/liquide dans le média plastique ;
- très faibles risques de bouchage et de moussage ;
- contrôle de l’activité biologique par maîtrise de la quantité de boue.
CONCEPTION ET EXPLOITATION DES UNITÉS INDUSTRIELLES
Préalablement à son démarrage à l'échelle industrielle, des unités de démonstration ont été installées pour tester le procédé dans trois secteurs : distilleries de vins, de mélasse de canne, et porcheries. Nous donnons ci-dessous le résultat de ces expérimentations, les caractéristiques de ces unités sont inscrites dans le tableau 1.
Distilleries de vin
La première unité de démonstration a été installée à la Société Interprofessionnelle de l'Armagnac à Condom (S.I.A.), en France (fig. 1). Après son démarrage en janvier 1982, cette unité a été en opération durant deux campagnes, ce qui a permis de vérifier les caractéristiques du redémarrage après une intercampagne de plusieurs mois. Elle comprend (fig. 2) :
Tableau 1 — Caractéristiques des unités de démonstration.
- un digesteur calorifugé (volume actif 16 m³) ;
- un réservoir de gaz de 5 m³ avec un groupe électrique pour la conversion du biogaz en électricité ;
- un décanteur.
L'utilisation d'un automate programmable a permis le contrôle de l’unité et l'enregistrement des données. Afin de vérifier l'efficacité des traitements secondaires, un traitement de gaz pour l’élimination de l'H₂S et un filtre bactérien anaérobie ont été installés.
L'unité a été continuellement alimentée avec des vinasses de vin (DCO moyenne : 25 g/l), seules ou en mélange avec des vinasses de lie (DCO moyenne : 50 g/l).
Les résultats moyens obtenus sont les suivants :
- — charge appliquée : 13 à 18 kg de DCO/m³ par réacteur et par jour ;
- — épuration : 90 % sur la DBO — 85 à 92 % sur la DCO soluble ;
- — production de gaz : 8 Nm³/m³ par réacteur et par jour de gaz contenant 60 à 70 % de CH₄ ;
- — teneur en H₂S après traitement : négligeable.
Le traitement aérobie secondaire a permis une dépollution de plus de 98 %.
Toutes les performances de l’unité sont représentées dans la figure 3.
Distillerie de mélasse de canne
Une deuxième unité de démonstration a été installée à la Société Industrielle de Sucrerie dans les Antilles Françaises à la Boncar (La Guadeloupe).
Elle a fonctionné de mai 1983 à janvier 1984. Son équipement était semblable à celui de Condom (comme indiqué dans la figure 2) :
- — réacteur (volume actif 10 m³) ;
- — réservoir de gaz : 5 m³.
L'unité a été alimentée constamment par les vinasses provenant de la distillerie de mélasse de canne, d'une concentration de DCO comprise entre 45 et 65 g/l.
Des résultats particulièrement intéressants ont été obtenus :
- — charge : plus de 20 kg de DCO/m³ par réacteur et par jour ;
- — épuration : DBO : 85 à 90 % — DCO : 65 à 75 % ;
- — production de gaz : 8 Nm³/m³ de réacteur et par jour contenant 55 à 65 % de méthane (20 à 22 Nm³/m³ de vinasses).
Les performances correspondantes sont présentées sur la figure 4.
Porcheries
L'avantage de la digestion anaérobie est de réduire de manière importante la pollution en DCO et les odeurs du lisier tout en laissant intactes les qualités fertilisantes. Les résultats obtenus dans l’unité de démonstration, la porcherie de Soria (Espagne), montrent les possibilités d’application de notre technologie dans ce domaine. Opérationnelle en janvier 1984, cette unité (2 500 porcs/an) comprend (fig. 3) :
- — un digesteur de 21 m³ ;
- — un système de tamisage destiné à éliminer les matières solides de taille supérieure à 350/400 microns ;
- — un stockage de gaz de 25 m³ avec une chaudière mixte fuel/gaz ;
- — un décanteur.
Cette unité a été étudiée par nos soins et construite par Proser S.A., sous licence. Les résultats obtenus ont été les suivants :
- — charge : 11,5 à 13,5 kg de DCO/m³ de réacteur par jour ;
- — épuration : DBO : 85 à 90 % — DCO : 55 à 60 % ;
- — production de biogaz : 3 à 5 Nm³/m³ de réacteur et par jour contenant 70 à 80 % de CH₄.
Trois unités industrielles dont les caractéristiques figurent dans le tableau 2 sont présentées ci-après :
Raffinerie de sucre de Beghin-Say à Thumeries (France).
La figure 5 montre le schéma de circulation des effluents avant 1983. Le traitement existant compre
Tableau 2. — Caractéristiques des unités industrielles.
Active volume (packed bed) (m³) | 1 100 – 4 100 – 480 |
---|---|
Loading rate (kg COD/m³ reactor/day) | 14,5 – 15 – 17 |
Specific productivity (kg COD/m³/day) | 6,6 – 7,9 – 9,3 |
Flow rate (m³/h) | 100 – 125 – 18 |
COD reduction (%) | 90-95 |
Biogas utilisation | natural gas boiler / biogas boiler / fuel gas |
… avait une lagune de 30 000 m³ et un bassin d’aération équipé de 6 turbines de 15 kW. En 1983, Beghin-Say (l’un des plus importants groupes sucriers d’Europe) a décidé de remplacer l’installation de traitement conventionnelle par notre digesteur à biomasse fixée (fig. 6).
La DCO totale à traiter était de 16 t/jour (correspondant au traitement de 5 000 à 8 000 tonnes de betteraves par jour).
L’unité a démarré en octobre 1983 ; elle comprend (fig. 4) : un échangeur de chaleur, un digesteur de 1 100 m³ de garnissage, une torchère et une chaudière à biogaz.
L’installation a été étudiée pour une réduction minimale de DCO de 90 % avec une charge de 14,5 kg de DCO par m³ de réacteur et par jour. L’effluent à traiter représentait 100 m³/h avec une concentration en DCO de 7 000 mg/l.
La campagne sucrière ne dure que cinq mois par an.
Le bilan énergétique est le suivant :
- pas d’autoconsommation (chauffage par des eaux chaudes brutes) ;
- production de méthane de 5 000 Nm³/jour (utilisé pour la production de vapeur) ;
- diminution de la consommation électrique (par l’arrêt des aérateurs).
L’investissement total (6 MFF en 1983) est prévu pour être remboursé en sept ans sur les seules bases de la récupération d’énergie, et ceci malgré une période de campagne très courte de 90 jours/an. Les caractéristiques d’exploitation sont présentées sur la figure 7.
Il est à noter que l'installation fonctionne, en ce qui concerne le débit, à une capacité de 125 % de celle qui avait servi de base à l’étude (ceci étant dû à une plus faible DCO de l'effluent) ; néanmoins la réduction de DCO est supérieure à celle qui avait été prévue.
Distilleries de vin : Revico, Groupe Martell à Cognac (France) et Tomelloso (Espagne)
Revico est un groupement de distillateurs de la région de Cognac rassemblant plus de 100 distilleries (fig. 3) pour le traitement de leurs effluents.
La première installation Revico avait été construite par nos soins en 1972, c'est-à-dire avant la crise du pétrole. Le procédé utilisé était une évaporation multi-effets.
Convaincu par les résultats de l’unité de démonstration de Condom et considérant le prix croissant de l'énergie, le groupe Martell a décidé de remplacer l'installation d'évaporation existante par notre procédé anaérobie.
L'unité, qui a démarré dans le courant du mois de novembre 1984, doit traiter les vinasses de vins et de lies représentant une DCO journalière de 80 tonnes, ceci en deux digesteurs :
- un digesteur à biomasse fixée de 4 300 m³ présenté sur la figure 6 ;
- un digesteur infiniment mélangé de 4 000 m³, destiné à traiter le concentrat de décantation.
La réduction de DCO totale, y compris les lagunes de finition, sera de 99 %. Cette opération est contrôlée et opérée par un ordinateur.
L'installation comprenant les deux groupes de 500 kVA de production d’électricité a représenté un investissement total de 18,5 MF en 1984.
Le temps de retour de l'investissement est de 2,6 ans, grâce à la production de 1 700 000 m³ de méthane et à l’arrêt de l'unité d’évaporation, et ceci malgré une campagne relativement courte de 180 jours/an. On a atteint en mars 1984 la demi-charge (fig. 8 et 9).
[Schéma : Figure 8] [Schéma : Figure 9]L'unité de Tomelloso, construite en Espagne sous licence SGN, actuellement en démarrage, doit traiter 1 400 m³/jour de vinasses de distillerie et de différents sous-produits de l'industrie du vin, ceci pour une DCO totale de 45 t/jour. Cette unité comprend deux réacteurs à biomasse fixée de 1 400 m³ chacun ; elle est prévue pour produire 1 200 Nm³/jour de CH₄ (10 TEP). L'investissement total est d’environ 10 MF (1984).
Distillerie de canne : Société Industrielle de Sucrerie (La Guadeloupe)
À la suite des résultats exceptionnels obtenus par l'unité de démonstration exploitée à la Guadeloupe, cette société a décidé la construction d'une installation industrielle.
Cette unité, qui devrait démarrer lors d’une prochaine campagne au début de l’été, comprend : un digesteur à biomasse fixée de 1 500 m³ devant produire 5 400 Nm³/jour de méthane (4,5 TEP/j) avec une capacité de traitement de 24 tonnes de DCO/jour.
Porcheries : Tolède (Espagne)
Les bons résultats obtenus à l'installation de démonstration de Soria ont permis une première application au traitement des lisiers de porcs de l'élevage de Tolède (12 000 porcs/an). L’unité de digestion anaérobie construite par Proser, sous licence S.G.N., a été étudiée avec des charges et des rendements identiques à ceux de Soria (photo ci-dessus).
Les schémas de l'installation traditionnelle existante et de notre réalisation sont présentés sur les figures 10 et 11. Mise en exploitation en octobre 1983, cette unité comprend un équipement similaire à celui utilisé à Soria (fig. 6), soit :
— un digesteur comprenant 100 m³ de média plastique ;
— un dégrillage ;
— un réservoir de gaz de 25 m³ avec une chaudière à biogaz ;
— une lagune.
Le total des investissements correspondait en 1983 à environ 1 M.F.
CONCLUSION
Bien que notre système de digestion anaérobie ressortisse à une technologie avancée, il a déjà acquis une solide expérience industrielle dans différents domaines.
La facilité d’exploitation et la conduite aisée du procédé en sont les avantages les plus remarquables dans les installations de taille industrielle ; de plus, les performances obtenues se classent parmi les meilleures enregistrées dans le domaine international.
De nombreux avantages caractérisent notre technologie, des points de vue technique et économique :
— forte charge appliquée et temps de rétention court ;
— 90 % et plus de réduction des pollutions ;
— souplesse de fonctionnement ;
— facilité d’exploitation ;
— conduite assurée par ordinateur ;
— fiabilité ;
— court temps de retour des investissements et balance d’exploitation positive.
BIBLIOGRAPHIE
— Camilleri C. (SGN) : Le carbone organique contenu dans les effluents, source de protéines et d’énergie. L'Eau, l'Industrie, les Nuisances - 74, 23-28, mai 1983.
— Camilleri C. (SGN) : La méthanisation à cellules fixées. L'Eau, l'Industrie, les Nuisances - 84, 35-38, juin-juillet 1984.
— Jover J.P., Arnoux M. (SGN) : La méthanisation des vinasses de mélasse de canne à sucre - Industries agricoles et agroalimentaires.