Parmi les différents types d'applications industrielles des cultures fixées en épuration, le procédé Biocarbone a déjà fait l'objet d'un certain nombre de communications à partir d'essais réalisés à l'échelle pilote ou semi-industrielle. L'installation du Havre peut épurer 1 500 m³ d'eau par jour, elle fonctionne depuis quatre ans, et a permis de tirer la plupart des informations utiles sur le procédé.
L'objet du présent article est de dresser le bilan des résultats obtenus dans les installations industrielles en fonctionnement à ce jour.
Nous rappellerons tout d'abord le principe de fonctionnement du procédé Biocarbone.
L'ouvrage est un filtre descendant garni en matériau de granulométrie suffisamment faible pour obtenir un effet de filtration efficace. Le matériau sert simultanément de support à la biomasse.
L'oxygène nécessaire à l'activité biologique aérobie est fourni en insufflant de l'air dans le matériau à l'aide de grilles situées à une distance de 20 à 30 cm de la base du filtre. Ce dispositif assure une bonne distribution de l'air dans le filtre, et, grâce au cheminement, aux chocs et au morcellement des bulles sur les grains de matériaux, il permet d'obtenir un rendement de transfert élevé.
Le fonctionnement en lit immergé est nécessaire pour assurer une charge hydrostatique permettant la filtration.
[Schéma : BIOCARBONE – Schéma de principe]L'aération, qui détasse en permanence la majeure partie du lit, permet une pénétration des matières en suspension contenues dans l'affluent, ce qui augmente la capacité de stockage entre deux lavages. Le procédé peut fonctionner sur eau simplement décantée, parfois même sur eau brute. La couche de matériaux située sous l'aération a un rôle d'affinage sur les MES.
Le filtre se colmatant progressivement, du fait du développement de la biomasse et de la rétention des MES, des lavages périodiques sont nécessaires ; la durée normale d'un cycle est de 24 à 48 heures. Le lavage est effectué à contre-courant par rapport au fonctionnement en épuration. La technique de lavage, comparable à celle appliquée en filtration sur sable, utilise l'air et l'eau. Un cycle de lavage complet dure 20 minutes. Après lavage, il reste une population bactérienne fixée sur la surface des grains suffisante pour obtenir immédiatement une qualité d'eau traitée correspondant au régime établi.
Ce procédé peut être appliqué au traitement secondaire d'effluents urbains, pour l'élimination des DBO-DCO et MES, et au traitement secondaire et tertiaire simultané en ajoutant aux objectifs précédemment cités, la nitrification avec ou sans dénitrification ; il peut également être appliqué après un traitement biologique classique pour faire une nitrification. Dans tous les cas, c'est le même filtre qui est utilisé ; seuls changent les paramètres de charge volumique.
BILAN DES INSTALLATIONS INDUSTRIELLES EN FONCTIONNEMENT
SOISSONS
L'usine a été mise en service en mai 1982 pour traiter les effluents de 40 000 éq./ha, après décantation primaire. L'étape biocarbone doit assurer simultanément l'abattement de la DBO et la nitrification.
Charge de la station
Le tableau 1 compare les charges polluantes nominales aux charges effectivement reçues en mai 1983, un an après la mise en service.
La station a donc reçu 40 à 50 % de sa charge nominale. L'étape biologique est constituée de dix filtres de
* Conférence donnée au cours des Vᵉᵉ Journées scientifiques et techniques sur : « L'Eau, la Recherche et l'Environnement », à Lille, du 25 au 27 octobre 1983.
40 m² chacun. Tous sont entièrement équipés, mais cinq filtres assurent actuellement le traitement de la population raccordée. Les résultats obtenus correspondent donc à un fonctionnement à la charge nominale. La pointe hydraulique, en période pluviale, correspond même au maximum prévu, donc à une charge deux fois plus importante sur chaque filtre.
Tableau 1. — Soissons : Conditions de charge de la station d’épuration
Mini | Maxi | Moy. | Prévu | Pourcentage de charge | moy. | maxi | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Débit m³/j | 3 200 | 7 140 | 4 362 | 8 200 | 53 | 87 | |
MEST mg/l | 133 | 340 | 235 | ||||
kg/j | 426 | 1 884 | 999 | 3 200 | 31 | 59 | |
DCO mg/l | 428 | 880 | 603 | ||||
kg/j | 1 655 | 4 488 | 2 510 | 6 000 | 42 | 75 | |
DBO₅ mg/l | 238 | 342 | 290 | ||||
kg/j | 762 | 1 734 | 1 161 | 2 400 | 48 | 72 | |
N-NH₄ mg/l | 18,7 | 46 | 29,5 | ||||
kg/j | 95 | 160 | 118 | 467 | 25 | 34 | |
P mg/l | 8,6 | ||||||
kg/j | 37,5 |
Paramètres du traitement
Le tableau 2 reprend les conditions de fonctionnement de l’étape biologique pour les mois de mars, avril et mai 1983.
Tableau 2. — Soissons : Paramètres de traitement du Biocarbone
Prévu | Mars | Avril | Mai | % du nominal en moyenne | |
---|---|---|---|---|---|
MEST kg/m³/j | – | 1,74 | – | 1,35 | – |
DBO₅ » | 2,57 | 2,71 | 2,90 | 2,31 | 103,0 |
DCO » | 6,19 | 4,95 | 5,56 | 3,56 | 76,3 |
N de NTK » | 0,56 | – | – | – | – |
N de NH₄ » | 0,49 | 0,48 | 0,46 | 0,37 | 89,0 |
Qualité de l’effluent traité
Les résultats obtenus pour cette période sont à comparer aux garanties avancées (tableau 3).
Tableau 3. — Soissons : Qualité de l’effluent
Moy. eau brute | Moy. eau décantée | Moy. eau épurée biolog. | Rend. global | |
---|---|---|---|---|
MEST mg/l | 235 | 98 | 7 | 97,0 % |
DBO₅ mg/l | 290 | 169 | 10 | 96,5 % |
DCO mg/l | 603 | 268 | 50 | 91,7 % |
N-NH₄ mg/l | 29,5 | 27,8 | 8,8 | 70,0 % |
La garantie en ce qui concerne la nitrification est donnée pour un ensemencement et une température de fonctionnement supérieure ou égale à 12 °C, ce qui est le cas depuis le 18 avril, à l’exception de la semaine du 23 au 29 mai où elle est tombée à 11 °C.
À l’occasion de la mise en route de deux filtres neufs, la nitrification s’est établie en dix-sept jours à la température de 13 à 14 °C, dans des conditions favorables où les filtres étaient lavés avec une eau nitrifiée par les autres cellules. En l’absence de cette circonstance favorable, la nitrification s’établit en trois semaines.
Cycles de filtration
Le lavage des filtres est commandé par une minuterie qui déclenche un cycle complet toutes les vingt-quatre heures durant la nuit, avant que la perte de charge maximale ne soit atteinte.
Traitement des boues
Les boues de lavage des filtres sont renvoyées dans le décanteur de tête d’où elles sont extraites avec les boues primaires. La production de boue en excès est de 0,7 kg par kg de DBO₅ éliminée. Les boues fraîches sont volontairement extraites à une concentration faible, de l’ordre de 2 g/l. Elles atteignent 7 % après épaississement pour une proportion de matières volatiles de 69 %. La presse à bande fournit un gâteau de 26,6 % de siccité avec une consommation de 3,5 kg de polymères par tonne de matières sèches, avec un taux de capture de 99 %. Les boues déshydratées sont ensuite acheminées vers le traitement de compostage par BAV.
VALBONNE
Cette usine a été mise en route en novembre 1982 pour traiter les effluents de 12 000 éq./ha, soit 5 200 m³/j et 640 kg/j de DBO. Dans une première étape, le génie civil est prévu pour 24 000 habitants.
L’objectif est de réaliser une nitrification-dénitrification par traitement sur filtres biocarbone et recyclage sur filtre anoxique. Dans la phase actuelle, deux filtres sur trois sont en fonctionnement, car la population raccordée correspond à 3 000 habitants environ. Compte tenu de cet état de fait provisoire, la dénitrification n’a pas été mise en service.
Charge de la station
Le tableau 4 compare la charge réelle à la charge prévue pour les filtres en fonctionnement.
Tableau 4. – Valbonne : Conditions de charge de la station
Mini | Maxi | Moy. | Prévu | % du nominal | ||
---|---|---|---|---|---|---|
moy. | maxi | |||||
Débit m³/j | 130 | 1 871 | 830 | 1 000 | 83 | 187 |
MEST mg/l | 50 | 368 | 186 | 290 | 64 | 127 |
kg/j | 12,7 | 369 | 154 | 200 | 77 | 184 |
DCO mg/l | 225 | 915 | 561 | 500 | 112 | 183 |
kg/j | 63 | 1 033 | 465 | 500 | 93 | 206 |
DBO₅ mg/l | 86 | 407 | 217 | 200 | 108 | 203 |
kg/j | 17 | 467 | 180 | 200 | 90 | 233 |
N-NH₄ mg/l | 26 | 64 | 35,8 | |||
kg/j | 6,8 | 61,6 | 32 | |||
N-NTK mg/l | 54 | 110 | 68 | 40 | 74 | 275 |
kg/j | 41 | 91,2 | 56 | 40 | 140 | 228 |
Paramètres du traitement
Les paramètres de fonctionnement de l’étape biologique pour le 1ᵉʳ semestre 1983 sont résumés dans le tableau 5.
Tableau 5. – Valbonne : Paramètres de fonctionnement du Biocarbone
Nominal | Moyenne observée | Maximal observé | Pourcentage du nominal | ||
---|---|---|---|---|---|
moy. | maxi | ||||
DBO₅ kg/m²/j | 1,20 | 1,15 | 2,31 | 88,4 | 178 |
DCO » | 3,25 | 2,72 | 6,14 | 84,0 | 189 |
N-NTK » | 0,36 | 0,40 | 0,71 | 111,0 | 197 |
Qualité de l’effluent traité
La qualité moyenne de l’effluent traité est relatée dans le tableau 6.
Tableau 6. – Valbonne : Qualité de l’effluent
Prévu | Observé | Rendement d’épuration | |
---|---|---|---|
MEST mg/l | 10 | 5,12 | 97,5 % |
DBO₅ » | 5 | 4,86 | 98,0 % |
DCO » | 40 | 44 | 92,0 % |
N-NTK » | 7 | 10 | 85,0 % |
Cycles de filtration
Là aussi le lavage est déclenché par horloge à raison d’un cycle complet par 24 heures.
Traitement des boues
Les boues fraîches sont épaissies jusqu’à 4,2 % avant d’être déshydratées sur presse à bande jusqu’à 21,5 %. La proportion de matières volatiles va jusqu’à 82 %. La déshydratation se fait avec addition de chaux (15 %) et de polymère (4,5 kg/t de M.S.).
HOCHFELDEN
Cette station a été mise en service en mars 1983. Elle doit traiter un effluent mixte provenant pour moitié d’une brasserie, et pour moitié d’une zone urbaine.
Le total correspond à 25 000 eq/ha. L’objectif est d’obtenir un effluent conforme à l’ancien niveau 4 : DBO₅ = 30 mg/l DCO = 90 mg/l MES = 30 mg/l
Ceci doit être obtenu au moyen d’une décantation primaire suivie de quatre filtres Biocarbone de 25 m² chacun.
Charge de la station
Le tableau 7 résume les conditions de fonctionnement actuelles :
Tableau 7. – Hochfelden : Conditions de charge de la station
Mini | Maxi | Moy. | Prévu | % du nominal | ||
---|---|---|---|---|---|---|
moy. | maxi | |||||
Débit m³/j | 1 084 | 3 341 | 1 835 | 2 190 | 84,0 | 152,0 |
MEST kg/j | 151 | 1 316 | 442 | 1 430 | 31,0 | 92,0 |
DCO mg/l | 328 | 900 | 633 | |||
kg/j | 373 | 1 550 | 1 039 | 2 698 | 38,5 | 57,5 |
DBO₅ mg/l | 114 | 429 | 294 | 615 | 48,0 | 70,0 |
kg/j | 130 | 636 | 495 | 1 349 | 36,7 | 47,0 |
N-NTK mg/l | 12,9 | 40,3 | 26,6 | |||
kg/j | 24 | 63 | 43,65 |
Paramètres du traitement
Les paramètres de fonctionnement de l’étape biologique sont résumés dans le tableau suivant (8).
Nominal | Moyenne observée | % du nominal | ||
---|---|---|---|---|
moy. | maxi | |||
DBO₅ | 3,72 kg/m³/j | 1,62 kg/m³/j | 36,0 | 75 |
DCO | 7,44 » | 2,70 » | 36,3 | 58 |
Qualité de l’effluent traité
L’analyse des résultats d’épuration pour cette station doit tenir compte des conditions particulières de qualité de l'eau brute entre la période de mise en service et la période de rédaction du présent compte rendu (juillet 1983). Durant cette période, trois types de problèmes se sont présentés du fait d'une alimentation quasi exclusive par les effluents de brasserie non prétraités.
1) Carence en azote assimilable
Dans un premier temps, la mesure de l’azote Kjeldahl avait révélé une quantité suffisante par rapport aux proportions classiques 100/5/1 ; en revanche, un rendement insuffisant de l’épuration biologique a montré que l’azote réellement assimilable était insuffisant, le rapport DBO/N-NH₄ étant en moyenne de 30. L’addition d’ammoniaque a permis d’améliorer nettement les résultats à partir du 16 mai.
Le tableau 9 compare la qualité de l'eau épurée avec et sans complément d’azote assimilable :
Avant addition d’ammoniaque | Après addition d’ammoniaque | Qualité requise | |
---|---|---|---|
DBO₅, mg/l | 27,3 | 9,80 | 30 |
DCO, » | 80,0 | 6,77 | 90 |
MES, » | 15,7 | 7,70 | 30 |
L'addition d'ammoniaque pourra cesser dès que le réseau domestique sera raccordé.
2) Eaux alcalines
En certaines périodes, le pH de l'eau, faute d'une correction au niveau de la brasserie, monte jusqu'à 10 pendant plusieurs heures d’affilée. Un tel incident s’est produit le 30 juin : pendant 10 heures, le pH de l’eau a été de 9,5. La qualité de l'eau épurée s’est dégradée comme suit :
DBO₅ = 55 mg/l DCO = 188 mg/l MES = 57 mg/l
L'épuration s'est rétablie à son niveau normal dès le lendemain, ce qui montre la supériorité des procédés par bactéries fixées par rapport aux boues activées classiques.
3) Présence de bactéricides
Du 18 au 20 juin, la station a reçu des effluents blanchâtres à forte odeur d’hydrocarbures. Toute activité biologique a été annulée. Un rendement d’épuration normal s'est rétabli en une semaine.
Le temps de fonctionnement de la station n’offre pas assez de recul pour permettre de faire un bilan sur le traitement des boues.
CONCLUSION
Il faut aussi mentionner les réalisations suivantes qui ont été conçues selon le même procédé, à savoir :
- - station du Havre qui fonctionne depuis 1979,
- - station expérimentale de la ville de Paris à Colombes qui comporte quatre filtres de 7,5 m²,
- - station de Grasse, mise en service au printemps 1983 pour traiter une pollution équivalant à 50 000 habitants (dont 50 % d'origine industrielle),
- - station du Touquet qui sera mise en route dans le courant du mois de juin pour une capacité de 53 000 éq./ha,
- - station de Decazeville, en cours de construction, pour une capacité de 25 000 éq./ha.
On peut donc en conclure que le traitement des eaux résiduaires par bactéries fixées est passé de l'ère des essais à celle de l'exploitation industrielle, et qu’il confirme ainsi les espoirs qu'il avait suscités.