L'usine de la Cellulose du Pin, située à Tartas (Landes), est spécialisée dans la fabrication de la pâte fluff (couches hygiéniques...). Sa production a progressé de plus de 20 % depuis 1981 pour dépasser actuellement les 120 000 t de pâte par an.
Les quatre principales sources polluantes de l’usine sont constituées par les effluents provenant des phases suivantes de la fabrication :
- — lavage de la pâte,
- — dérésinification,
- — blanchiment,
- — régénération.
Ces derniers sont principalement constitués par les condensats d’évaporation des liqueurs résiduaires de la cuisson du bois.
Tous ces rejets sont envoyés vers une lagune aérée après une filtration destinée à éliminer les éléments fibreux.
Afin de soulager les installations existantes, les responsables de l’usine ont cherché un nouveau mode de traitement. Le choix du procédé de digestion anaérobie fut dicté par le souci de rentabiliser l’opération (coût d’entretien peu élevé et production de biogaz) et par les caractéristiques de l’effluent : DCO moyenne (7 g/l), MES faibles (inférieures à 1 g/l). Toutefois, en contrepartie de ses avantages et de la diminution du volume des boues résiduaires qui résulte de son emploi, la mise en œuvre de la digestion anaérobie pour le traitement d’effluents tels que les condensats d’évaporation est délicate ; la présence de composés comme le SO₂, le phénol et le formaldéhyde alliée au peu de références industrielles imposait une étude pilote préalable. C’est ainsi que des essais initialement menés en laboratoire puis sur un pilote semi-industriel de 5 m³ ont débouché sur la construction, en 1985, par l’Air Liquide, sur le site de Tartas, d’une unité de méthanisation de 2 700 m³. Le procédé mis en jeu est un filtre anaérobie à flux ascendant : le procédé Anoxal (voir L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 93 — juin-juillet 1985). Nous examinerons ci-après les conditions dans lesquelles il a été adopté et réalisé.
ÉTUDES PRÉLIMINAIRES
La méthanisation des condensats d’évaporation de liqueurs noires à la Cellulose du Pin constitue en France une innovation dans le domaine du traitement des eaux usées industrielles. Il paraît évident que, selon la nature et la complexité des rejets, la mise en œuvre d’un tel traitement ne sera pas aussi aisée que sur des rejets de l’industrie agro-alimentaire.
Composition des condensats d’évaporation
La composition des condensats d’évaporation a été légèrement modifiée entre l’étude pilote et l’unité industrielle par la mise en service d’un évaporateur à recompression mécanique des buées. Le tableau 1 reprend les principales caractéristiques des effluents traités.
Tableau 1. — Caractéristiques des effluents traités à l’usine de la Cellulose du Pin
Étude pilote | Unité industrielle | |
---|---|---|
Caractéristiques | ||
DCO | 7,2 g/l | 6,5 g/l |
DBO₅ | 5 g/l | 4 g/l |
MES | 1–2 | < 1 |
pH | 1–2 | 2,5 |
Composition | ||
Acide acétique | 2,5 g/l | 4 g/l |
Méthanol | 2 g/l | 1,2 g/l |
Furfural | 1,2 g/l | 0,7 g/l |
SO₂ total | 1 g/l | 0,4 g/l |
Acide formique | 0,15 g/l | — |
Formaldéhyde | 0,01 g/l | = |
Acétaldéhydes | traces | — |
Problèmes posés par les condensats d’évaporation
Les conditions limites de la méthanisation des condensats d’évaporation sont les suivantes :
- de faibles rendements de croissance pour les bactéries responsables du processus biologique,
- des rendements de conversion du substrat en méthane non optimum, du fait de la compétition entre les réactions de réduction du soufre et la production de méthane,
- des problèmes de toxicité liés d'une part à la présence de composés inorganiques soufrés et d’autre part à la carence en azote et en phosphore qui impliquent la nécessité de procéder à une phase d’acclimatation des micro-organismes ainsi qu’à l’adjonction d’éléments nutritifs aux condensats.
Expérimentations sur pilotes
En laboratoire (pilote de 5 l)
Le but des essais effectués en laboratoire est de définir :
- la faisabilité d'un traitement des effluents considérés par voie anaérobie,
- les prétraitements nécessaires à la traitabilité de l’effluent,
- le protocole de démarrage d'un pilote semi-industriel.
Au début des essais, les problèmes d’inhibition posés, comme nous l’avons vu, par la carence des condensats en éléments nutritifs et la présence de composés inhibiteurs, ont empêché toute fermentation ; la poursuite des essais devait passer par la sélection d'une population anaérobie capable de dégrader un tel effluent.
Les résultats obtenus ont été les suivants :
- taux de charge : 6 g DCO/litre fermenteur/jour,
- dégradation DCO : 70 %,
- productivité en méthane : 1,4 l CH₄/litre fermenteur/jour,
- rendement : 33 l CH₄/g DCO éliminée.
Les essais en laboratoire ont par ailleurs montré la nécessité de réguler le pH des effluents à traiter entre 5,5 et 6,5 unités.
Sur site (pilote de 5 m³)
L'expérimentation menée à Tartas en collaboration avec la Cellulose du Pin a duré douze mois. Ces essais avaient plusieurs objectifs principaux :
- déterminer les paramètres optimum de fonctionnement de l'unité industrielle : taux de charge, temps de rétention hydraulique, débit de recirculation,
- confirmer les prétraitements de l’effluent et le protocole de démarrage d’une unité de méthanisation,
- évaluer tous les risques de pollution accidentelle (surtout liqueurs noires) pouvant arriver lors d'une marche en continu,
- familiariser l'industriel avec ce nouvel outil de traitement des eaux,
- et surtout apprécier les performances d’épuration envisageables sur une unité industrielle.
Les résultats obtenus ont été du même ordre que ceux enregistrés sur le pilote de laboratoire (tableau 2).
Tableau 2 – Résultats obtenus sur pilote
Éléments | En laboratoire | Sur site |
---|---|---|
Taux de charge (kg DCO/m³ dig./jour) | 4,5 | 9 |
Élimination DCO (%) | 80 | 70 |
Rendement production CH₄ (m³ CH₄/kg DCO dégradée) | 0,33 | 0,32 |
Teneur en méthane du biogaz | 75-80 % |
Outre la confirmation de l'étude en laboratoire, ces essais ont permis de dégager les enseignements suivants :
• l’acclimatation des souches (boues en provenance de la station urbaine de Bordeaux) est rapide ; elle correspond principalement à l’obtention dans le digesteur d’un potentiel d’oxydo-réduction voisin de – 400 mvolts ;
• un ajout d’éléments nutritifs est indispensable à la croissance bactérienne ;
• le taux de croissance de la biomasse et son activité sont très faibles sur ce type de substrat (principalement acide acétique) comparé à d’autres de type agro-alimentaire ;
• pour un pH de l’effluent à traiter compris entre 5,5 et 7 nous n’avons pas observé une diminution de l’activité de la biomasse.
Enfin et surtout, après quelques semaines d’expérimentation, un phénomène de floculation de la biomasse a eu pour principal effet de diminuer considérablement les quantités de matières en suspension contenues dans l’effluent traité.
Ce phénomène qui peut être lié, soit à la composition de celui-ci, soit au régime hydraulique du fermenteur (fonctionnement up-flow), a l’énorme avantage de parfaitement maintenir dans le réacteur une biomasse dont les taux de croissance sont faibles.
L’UNITÉ INDUSTRIELLE
Ces études ont débouché en 1985 sur la construction par l’Air Liquide d’une unité de méthanisation (figure 2), présentant les caractéristiques suivantes :
— volume du digesteur : 2 700 m³,
— taux de charge appliqué : 8 kg DCO/m³ digesteur/jour,
— temps de rétention hydraulique : 22 heures.
Cette unité, actuellement en cours de démarrage, devra traiter 120 m³/h de condensats d’évaporation représentant 21 000 kg de DCO par jour. Les performances attendues sont les suivantes :
— élimination de la DCO : 70 %,
— production de biogaz : 6 250 m³/j à 75 % en méthane.
Cette unité, construite en acier inoxydable (problèmes de corrosion liés à un environnement agressif) a été conçue et mise en œuvre en six mois. Son pilotage sera effectué grâce à un système de conduite centralisée (système Bailey).
Description
L’unité fonctionne suivant le schéma suivant (figure 3) :
— à la sortie des évaporateurs, les condensats sont dirigés vers un bac de réception (100 m³). Un poste de contrôle comprenant la mesure de la couleur, le pH et la température de l’effluent permet de dériver les effluents en cas de pollution accidentelle (liqueurs noires),
— la neutralisation des effluents s’effectue dans le bac tampon. Elle est réalisée grâce à un ajout d’ammoniaque qui permet d’introduire dans le digesteur la teneur en azote nécessaire à la croissance bactérienne. La quantité d’ammoniaque ajoutée doit être parfaitement contrôlée pour éviter de se placer à une concentration en azote supérieure à 1 g/l environ, ce qui inhiberait le processus biologique,
— après avoir été portés à température (37 °C), les effluents à traiter sont mélangés au flux recirculé et ainsi uniformément répartis en fond de digesteur, ce qui produit plusieurs effets :
• dilution de la charge entrante,
• maintien d'une vitesse optimum de passage du fluide dans le réacteur (env. 1 m/h) qui facilite le contact substrat-biomasse,
• tamponnage de l'effluent à traiter (une optimisation des conditions de fonctionnement pourrait permettre de diminuer les coûts de neutralisation).
L'effluent traverse ensuite le support, ce qui facilite la rétention de la biomasse et son dégazage.
Bien que la teneur en SO₂ ait été réduite, les responsables de l'usine ont préféré pallier tout problème de pollution olfactive. Si l'hydrogène sulfuré contenu dans le biogaz (env. 1 %) est oxydé au niveau de la torchère ou du four à soufre, en revanche l'H₂S solubilisé dans l'effluent traité peut être relargué. Pour éviter cet inconvénient, on a construit en sortie de digesteur une colonne de stripping à l’air des effluents. Ceux-ci seront ainsi libérés de leur H₂S qui est envoyé, très dilué, dans l'atmosphère ou vers le four à soufre voisin (figure 4).
Le biogaz produit à la pression de 20 mb est comprimé à 600 mb afin de faciliter son utilisation dans l'usine (énergie de substitution : gaz de Lacq dans la chaudière de récupération).
Cette unité qui a été ensemencée en juin 1985 est actuellement en période de démarrage.
Bilan d'exploitation
Coûts d'exploitation
Le traitement par voie anaérobie des condensats d'évaporation impose la mise en place, du fait de la nature des effluents à traiter, d'un système de prétraitement important.
Sur ce type d’installation, les coûts d’exploitation comprennent :
— la consommation électrique (pompes, agitateur, surpresseur) (env. 50 kW),
— la neutralisation,
— l'apport en oligo-éléments.
Recettes d'exploitation
Sur cette unité, les recettes, outre l’économie électrique réalisée au niveau de la lagune existante (difficilement quantifiable), seront assurées par la valorisation du biogaz. Il est raisonnable de penser qu’après une optimisation du fonctionnement de l’installation, le bilan d’exploitation sera équilibré.
CONCLUSION
L’implantation d'une unité de traitement par voie anaérobie des effluents à la Cellulose du Pin (Tartas) constitue une nouvelle étape dans le développement de cette technologie.
La parfaite collaboration des industriels concernés (Cellulose du Pin – l’Air Liquide) a permis, au cours d'une longue étude pilote, d’appréhender parfaitement le problème posé par l'application de cette technique aux condensats d’évaporation, mode de traitement qui permet, par une valorisation simple du biogaz produit, de dépolluer au moindre coût.
Il est bon de souligner que l’unité de méthanisation, entièrement automatisée, s’intègre parfaitement au sein de l'usine ; gérée par le personnel existant, le « digesteur » devient ainsi un outil de travail à part entière.
Après le développement du filtre anaérobie dans le traitement d’effluents provenant de l'industrie agro-alimentaire, l’exemple de la Cellulose du Pin tend à démontrer que bon nombre d’effluents industriels (papeterie, chimie, pharmacie) sont traitables par voie anaérobie, sous la condition de s’affranchir préalablement de tous les problèmes de toxicité liés à la nature des rejets à traiter.