L?objectif de ce travail est l'étude de la pertraction (récupération à l'aide d'une membrane liquide) des ions cuivriques (Cu2+) d'une solution aqueuse ammoniacale dans un contacteur à disques alternatifs tournants. La membrane liquide utilisée est LIX 54®. L?influence de la vitesse de rotation des disques, de la température du système, et du temps de séjour des phases aqueuses sur l'efficacité de la pertraction a été mise en évidence. L?efficacité de la pertraction a été évaluée pour deux modes de fonctionnement du pertracteur, fermé et ouvert. Un modèle de description de la cinétique de transfert a été élaboré. Les coefficients partiels de transfert de matière et les constantes cinétiques des réactions chimiques intervenant ont été estimés.
La pertraction est une des techniques de séparation les plus récentes. Son principe de fonctionnement est identique à celui des procédés membranaires classiques, dans lesquels la membrane solide est remplacée par une membrane liquide.
La pertraction implique un transfert de matière dans un système constitué de trois phases liquides (figure 1), deux phases W1 et W2 complètement miscibles entre elles, séparées par une membrane liquide O, immiscible avec W1 et W2. L’objectif est le transfert de solutés de l'alimentation (phase à raffiner) W1 vers la phase réceptrice W2, jouant le rôle d’extrait.
La pertraction peut être considérée comme une double extraction liquide-liquide (W1-O et O-W2), où la membrane liquide (O) joue consécutivement le rôle de solvant dans le système (W1-O) et de phase à raffiner dans le système (O-W2). L’extraction et la désExtraction (épuration du solvant et récupération avec ou sans concentration des solutés), réalisées simultanément dans un même appareil, ainsi que les grandes sélectivité et vitesse de diffusion des espèces dans la membrane liquide, rendent cette technique plus compétitive que certaines techniques classiques.
Dans certains domaines, tels que l'hydrométallurgie, l'utilisation de la pertraction à la place de l'extraction liquide-liquide classique permet de réaliser des économies pouvant atteindre jusqu’à 40 % [1]. Ces économies sont réalisées d'une part, grâce à la diminution des pertes de solvants, très sélectifs mais coûteux et d’autre part, grâce à l'utilisation d’appareils dont le nombre d'étages théoriques n’est pas nécessairement élevé.
Mots-clés : Pertraction ; membranes liquides ; ions cuivriques ; pertraction à disques tournants.
Comme technique de séparation et de concentration d’ions métalliques, la pertraction permet d’atteindre simultanément deux objectifs : l’épuration des effluents en réduisant leur toxicité et la valorisation des rejets par la récupération des métaux.
Toutes les techniques peuvent être utilisées pour la pertraction des ions cuivriques : les Doubles Emulsion [2, 3], les Membranes Supportées [4, 5] et les Membranes Volumiques, dont les plus récentes sont les Films Liquides Tombants [6] et les Films Liquides Tournants [7, 8, 9]. Ces deux dernières techniques de pertraction utilisent un volume important de phase membranaire O, qui d’un côté inhibe la cinétique de pertraction, mais de l’autre assure une grande stabilité des systèmes triphasiques.
L’efficacité de la pertraction est fonction de la technique utilisée, mais également du type de solvant. L’expansion de l’industrie hydrométallurgique pendant ces deux dernières décennies a mené au développement d’une large gamme de solvants spécifiques et très sélectifs, tels que les solvants de type LIX®, KELEX® et ACORGA®. Ce sont le plus souvent des solutions d’oximes ou de β-dicétones dans des paraffines. La récupération des ions cuivriques des solutions ammoniacales se fait le plus souvent à l’aide de LIX®54, une solution de β-dicétones (40 %) dans du kérosène [10, 11].
Comme phase réceptrice, on utilise des solutions aqueuses (de 50 à 300 g/l) d’acides minéraux, insolubles dans la membrane organique, telles que les acides sulfurique [9], nitrique [12, 13, 14] et chlorhydrique [13, 15, 16, 17, 18].
L’objectif de cette étude est l’application de la pertraction par films liquides alternatifs tournants pour la récupération et la concentration d’ions cuivriques d’une solution ammoniacale, issue de l’industrie électronique. La membrane liquide utilisée est le LIX®54 pur et la phase réceptrice, une solution aqueuse d’acide sulfurique. L’originalité de cette pertraction réside dans l’utilisation d’un nouveau contacteur, mais aussi dans la concentration des ions cuivriques dans une solution aqueuse sous forme de Cu₂SO₄, matière première pour la production de cuivre par électrolyse.
Un modèle basé sur des bilans de masse, permettant l’estimation des coefficients partiels de transfert de masse entre les phases et des constantes cinétiques des réactions chimiques mises en jeu, est établi.
Mécanisme de pertraction des ions cuivriques
Le mécanisme de transfert du Cu²⁺ intervenant dans ce système est un mécanisme complexe appelé « contre-transport » (figure 2).
Les solutés, principal (Cu²⁺) et auxiliaire (H⁺), présents respectivement dans la phase d’alimentation W1 et la phase réceptrice W2 diffusent vers les interfaces W1/O et O/W2 où ils réagissent avec les substances T de la membrane liquide suivant le schéma réactionnel :
– à l’interface W1/O Cu²⁺ + 2 T ⇌ CuT₂ (1) – à l’interface W2/O H⁺ + T ⇌ HT (2)
Les produits CuT₂ et HT, issus des réactions, diffusent à leur tour à travers la membrane dans des sens opposés et se décomposent à l’interface opposée, libérant les solutés, qui s’accumulent respectivement dans les phases aqueuses W2 et W1. La substance réactive (T), insoluble dans les deux phases aqueuses, reste dans la membrane.
Par ailleurs, un excès en soluté auxiliaire (H⁺) dans la phase réceptrice W2 assure le transfert du soluté principal (Cu²⁺) vers cette phase, même dans des conditions où sa concentration est plus faible dans la phase d’alimentation W1 ([Cu²⁺]W2 < [Cu²⁺]W1). Ce phénomène est appelé « pompage » de soluté. La récupération d’autres ions métalliques, tels que Zn²⁺, Ca²⁺, Pb²⁺, Na⁺, utilise également ce type de mécanisme de pertraction [18, 19, 20, 21, 22]. Dans la majorité des cas, des ions H⁺ composent le soluté auxiliaire.
Les flux de matière sont fonction non seulement de la nature du système triphasique propre, mais également de celle des solutés, de la cinétique des réactions chimiques, de la stabilité des complexes formés et des grandeurs thermodynamiques du système. La complexité de la modélisation des transferts d’espèces dans ce type de mécanisme provient de la présence des réactions chimiques aux deux interfaces et dans les volumes des phases aqueuses. Le mécanisme de pertraction adopté pour les ions Cu²⁺ se déroule suivant un cycle constitué de plusieurs étapes diffusionnelles et réactionnelles :
- Diffusion du soluté (Cu²⁺) du cœur de l’alimentation vers l’interface W1/O.
- Réaction chimique au voisinage de l’interface W1/O, dans une zone réactionnelle située côté phase d’alimentation, entre le soluté principal (Cu²⁺) et le transporteur mobile (T) de la phase membranaire [9]. Celle-ci se déroule en deux étapes suivant le schéma réactionnel suivant :
Cu²⁺ + TH⁻ → CuT⁺ + H⁺ [étape (3)] CuT⁺ + TH⁻ → CuT₂ + H⁺ [étape (4)]
La réalisation de la réaction se fait grâce à la solvatation et la dissociation du transporteur mobile de la membrane liquide (TH⁻) dans la phase aqueuse.
- Diffusion du complexe CuT₂ à travers la membrane liquide vers l’interface O/W2. - Décomposition du complexe CuT₂ au voisinage de l’interface O/W2 dans une zone réactionnelle, située côté phase réceptrice. Celle-ci se déroule aussi en deux étapes :
CuT₂ → CuT⁺ + T⁻ [I étape (5)] CuT⁺ → Cu²⁺ + T⁻ [II étape (6)]
- Diffusion du soluté Cu²⁺ dans la phase réceptrice W2. - Diffusion des ions H⁺ dans la phase réceptrice vers la zone réactionnelle suivie d’une réaction avec le transporteur mobile (T) :
2H⁺ + 2T⁻ → 2TH.
- Diffusion du complexe TH (« transporteur » régénéré) vers l’interface W1/O. - Solvatation et dissociation du complexe auxiliaire TH dans la zone réactionnelle de l’interface W1/O. - Diffusion des ions H⁺, libérés du complexe, dans le volume de la phase W1.
Appareillage
Un contacteur à disques tournants alternatifs d’un volume total de 2,2 l est utilisé pour la pertraction des ions Cu²⁺ (figure 3). Il est constitué de deux compartiments identiques dont la partie inférieure est divisée en deux cellules de volumes égaux de 0,35 l, l’une pour l’alimentation et l’autre pour la phase réceptrice. Les cellules remplies de solutions identiques sont reliées entre elles par des canaux. La partie supérieure des deux compartiments est remplie par la membrane organique O.
Chaque cellule est équipée d’un disque hydrophile de 18 cm de diamètre et d’un millimètre d’épaisseur. L’ensemble des disques tourne autour d’un même axe et dans le même sens. La partie inférieure de chaque disque est immergée dans la solution aqueuse de la cellule correspondante. La rotation des disques assure la formation de films aqueux (sur la surface des disques) à travers lesquels se fait le transfert de masse. Seule la partie du film en contact avec la membrane liquide (O) participe au transfert de masse entre phases. Cette surface représente 80 % de la surface des disques.
Cet appareillage, appelé pertracteur, peut fonctionner en discontinu comme en système ouvert. Dans cette dernière configuration, la membrane liquide reste immobile et l’écoulement des phases aqueuses se fait à co-courant ou à contre-courant.
Modélisation et résultats
Le système triphasique choisi pour la pertraction des ions cuivriques de la solution aqueuse ammoniacale (alimentation) utilise comme membrane liquide un solvant usuel LIX54® pur et comme phase réceptrice une solution aqueuse d’acide sulfurique. L’alimentation de pH = 8,86 contient 4 g/l d’ions cuivriques et 4,5 g/l de Cl⁻. La phase membranaire (LIX54®) est une solution de 40 % de phenyl, alkyl β-dicétones dans du kérosène (Henkel Co.). Les molécules réactives ont la forme brute suivante :
R R' │ │ R—C—CH═C—C—R" ║ ║ O O
où R, R’ et R’’ sont respectivement des groupes fonctionnels : phenyl, alkylphenyl ou chlorophényl (R, R’) ; CN⁻ ou H (R’’). Les molécules actives sont présentées symboliquement par TH. L’excès de soluté auxiliaire (ions H⁺) dans la phase réceptrice, nécessaire pour le contre-transport des ions cuivriques, est assuré par une concentration de l’acide sulfurique de 1,5 mol/l.
Le suivi des concentrations des ions cuivriques et du complexe cuivrique (CuT₂) se fait respectivement par dosage à pH = 4,5 [23] et par spectrophotométrie (λ = 325 nm) [24].
Étude d’équilibre
Les coefficients de partage du complexe cuivrique formé et de la substance réactive (TH) de la membrane sont déterminés expérimentalement dans un domaine de pH de 5,5 à 10 [25]. Les résultats de l’influence du pH sur le coefficient de partage du complexe organique CuT₂ sont représentés sur la figure 4. En dessous de la valeur de 5,5 de pH, la détermination du coefficient de partage n’a pu être réalisée à cause de la destruction du complexe.
Une corrélation entre le coefficient de partage du « transporteur mobile » (TH⁻) de la membrane et le pH de la solution aqueuse établie est du type :
lg mₘ = 6,06 – 0,27 pH (8)
Pertraction en régime discontinu
Le pertracteur contenant les trois phases liquides est un système fermé (figure 3). Des volumes égaux de phases aqueuses W1 et W2 (0,175 V_cellule) assurent des surfaces d’échange S₁,ₘ et Sₘ,ᵣ égales entre les phases. Les équations de transfert de Cu²⁺ dans les phases d’alimentation et réceptrice ont été établies sous les hypothèses suivantes :
1/ le transfert des ions Cu²⁺ est limité par la
cinétique de la seconde étape de la réaction chimique directe (6) ;
2/ il n’y a aucune accumulation des espèces mises en jeu aux interfaces W1/O et O/W2.
Les expressions de l’évolution de la concentration de Cu* dans l’alimentation (W1) et la phase réceptrice obtenues sont les suivantes :
- - pour l’alimentation
- - pour la phase réceptrice :
où, k₁ = k₋₁ = k, et S₁ = S₂ = S
La quantité de CuT₀, TH et H* est déterminée par bilan :
de matière respectivement :
- - dans la membrane organique :
- - dans les phases aqueuses :
- - conditions initiales du système (9) à (14) :
Le modèle est utilisé pour l’identification des constantes de la réaction chimique et les coefficients partiels de transfert de masse k₁ et k₁*, pour le contacteur à disques alternatifs tournants [9]. Les résultats concernant l’influence de la vitesse de rotation des disques et de la température sur ces paramètres sont présentés sur les figures suivantes.
La vitesse de rotation des disques a une influence beaucoup plus nette sur le coefficient partiel de transfert de masse côté phase organique, que sur celui du côté phase aqueuse. Ceci s’explique par le fait que les films aqueux sont limités d’un côté par les surfaces solides des disques, qui ne correspondent pas parfaitement aux hypothèses de la théorie du double film. Quant aux constantes des réactions chimiques mises en jeu, elles sont faiblement influencées par l’hydrodynamique et elles restent sensiblement constantes pour une température du système constante.
Les figures 6 et 7 représentent l’effet de la température du système sur ces mêmes paramètres (k₁, k₋₁, k₁* et K). Pour une vitesse linéaire des disques constante de 0,149 m/s et dans une gamme de température de 20 à 40 °C on note que les constantes cinétiques varient d’une manière assez franche (figure 6), alors que les coefficients de transfert de matière k₁ et k₋₁ varient légèrement (figure 7).
Pertraction en régime continu
Le système triphasique utilisé est le même que celui de la pertraction batch. L’appareil utilisé est une cascade de deux étages, où chaque étage est alimenté en continu, en phases à raffiner et d’extraction. L’écoulement de ces deux phases aqueuses se fait à contre-courant.
Le rapport des débits des deux phases est de 1,5. La membrane liquide est représentée par un volume initial non renouvelé.
aqueuses et en particulier celui de la phase à raffiner sur l’efficacité de la pertraction a été étudiée pour une vitesse de rotation et une température du système fixées.
Le régime stationnaire de la pertraction est atteint au bout de 18 à 22 heures, suivant les conditions opératoires. La vitesse de rotation des disques reste un paramètre peu influent, tel qu’il a été obtenu dans la pertraction batch. En effet, le renouvellement des films aqueux et l’intensité du mélangeage des phases dans l’appareil sont liés directement à ce paramètre.
Par ailleurs, les résultats expérimentaux ont montré que l’efficacité est fortement dépendante de la température (figure 9). Une augmentation de la température du système de 10 °C augmente le taux d’extraction (X) de 25 %. Ceci peut être expliqué par le fait que le transfert de masse est limité par la cinétique de la réaction de formation et de décomposition du complexe CuT₂, qui de son côté est fortement influencée par l’énergie apportée dans le système.
L’influence du temps de séjour des phases, qui correspond à un temps de séjour de la phase d’alimentation respectivement de 35, 27 et 16 min, a été étudiée. Les résultats (figure 10) montrent que l’efficacité est inversement proportionnelle au débit de cette phase, mais l’influence de ce paramètre n’est pas considérable. Il est intéressant de souligner que l’efficacité de pertraction atteinte est de 84 à 95 % pour les débits d’alimentation étudiés. Ces résultats semblent très satisfaisants, puisque le taux d’extraction de la phase W1 est de 85 à 97 %, ce qui correspond à une concentration finale du raffinat de 0,6 à 0,12 g/l. Cette purification du raffinat est couplée avec un enrichissement très net de l’extrait. En effet, le rapport des concentrations du cuivre dans les deux phases est de 15.
Il faut souligner que ce taux de concentration n’a aucune influence sur la cinétique de pertraction et que la concentration de CuSO₄ dans la phase réceptrice est loin de la concentration de saturation.
Conclusion
Les résultats sur la pertraction des ions cuivriques (Cu²⁺) obtenus montrent qu’elle est très efficace.
En régime batch, la récupération peut atteindre 98 % en un temps relativement court (10 min). Le régime continu en contrecourant assure une concentration dans la phase réceptrice de 15 fois par rapport à la phase d’alimentation.
La faible influence de l’hydrodynamique et du temps de séjour des phases aqueuses sur les constantes cinétiques des réactions chimiques mises en jeu et les coefficients partiels de transfert de masse a été mise en évidence.
Un paramètre qui joue un rôle important sur la vitesse de pertraction, c’est la température du système qui influence fortement la cinétique des réactions chimiques.
Un modèle de description de la cinétique de transfert a été élaboré. Les coefficients partiels de transfert de matière et les constantes cinétiques des réactions chimiques intervenant ont été estimés.