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Application de la décharge luminescente dans le traitement des eaux de réfrigération

30 octobre 1984 Paru dans le N°86 à la page 44 ( mots)
Rédigé par : M. DERNAT, H. HOCQUAUX et L. OHANNESSIAN

Le domaine d’application de la spectrométrie d’émission optique utilisant une source à décharge luminescente (GDL : Glow Discharge Lamp) en tant qu’analyseur de surface ne cesse de s’accroître, bien que cette technique nouvelle soit encore peu répandue. La possibilité de déterminer en continu la répartition en profondeur de nombreux éléments dans des couches relativement épaisses (jusqu’à 200 µm) et la grande sensibilité de la méthode en font un outil particulièrement bien adapté à l’étude du comportement des inhibiteurs de corrosion utilisés pour le traitement de l’eau. À notre connaissance, cette technique n’a jamais été employée dans ce domaine. Les informations fournies par cet analyseur de surface aux corrosionnistes préoccupés par ces problèmes sont essentielles, comme nous essaierons de le souligner dans cet article, après avoir rapidement résumé le principe de la technique.

PRINCIPE DE LA GDL ET APPAREILLAGE

La source est constituée d’un tube à décharge mis au point par W. Grimm (1). Le principe de la méthode est basé sur la mesure de l’émission lumineuse, liée au passage d’un courant électrique dans un gaz à basse pression (quelques torrs). L’échantillon à analyser, utilisé comme cathode, est placé en face d’une anode tubulaire. Lors de l’application d’une tension continue entre l’anode et la cathode (500 à 1 000 V le plus souvent) l’échantillon subit un bombardement ionique conduisant à une érosion régulière de sa surface. Les atomes arrachés pénètrent dans le plasma et sont excités par chocs électroniques et collisions de seconde espèce. La composition du plasma et son émission spectrale sont à chaque instant représentatives de la couche pulvérisée. La vitesse d’érosion est constante dans un matériau homogène.

Les phénomènes lumineux à l’intérieur du plasma sont analysés à l’aide d’un spectromètre multicanal (RSV Analymat 2504). Notre installation comporte 83 fentes de sortie, dont 35 sont actuellement équipées de photomultiplicateurs (PM). Le signal électrique prélevé à la sortie de chaque PM peut être amplifié, puis visualisé sur un enregistreur multivoie rapide de type photographique (YEW). Parallèlement, les données sont acquises sur un mini-ordinateur Texas Instruments et peuvent être par la suite restituées après traitement sur une table traçante. On obtient ainsi, en continu, le profil de concentration des éléments dosés. L’adaptation de cette technique à l’analyse des surfaces fait suite aux travaux de R. Berneron (2, 3, 4).

H. HOCQUAUX et L. OHANNESSIANUnirec

Le domaine d’application d’Unirec, filiale d’Usinor, a été décrit lors de divers colloques (5, 6, 7).

UTILISATION DE LA GDL DANS LE TRAITEMENT DES EAUX

La protection contre la corrosion des métaux en contact avec l’eau est obtenue par la création de films protecteurs de différentes natures. La décharge luminescente nous est apparue comme le moyen de connaître avec précision la nature, la répartition des éléments, les anomalies des films protecteurs. L’analyse de centaines de coupons nous a permis, dans un premier temps, de caractériser les profils types des protections correspondant à chaque programme de traitement.

Paramètres analytiques adoptés pour l’étude des plaquettes de corrosion

Les dépôts sur les échantillons ne sont pas homogènes et certaines parties sont attaquées préférentiellement (corrosion par piqûre). Ils sont par ailleurs souvent pulvérulents : il convient donc d’analyser plusieurs zones sur une même plaquette, avec des conditions particulières pour lesquelles la vitesse d’érosion dans l’acier est voisine de 5 µm/mn.

La durée du bombardement peut varier d’un cas à un autre, mais le plus fréquemment elle est inférieure à 5 minutes.

Interprétation de la GDL dans le traitement des eaux

Interface métal-protection

Deux tendances fondamentales se dégagent :

— soit la protection est de type « dépôt » lorsque l’inhibition est assurée par une couche de carbonate de calcium dont la croissance est limitée par des inhibiteurs de cristallisation ; le pH est compris entre 8 et 9 ;

— soit la protection est de type « conversion chimique » lorsque la corrosion est limitée par les inhibiteurs ; le pH se situe alors entre 6,2 et 7,0.

Ces phénomènes sont identifiables par l’évolution de la concentration en fer à l’interface. Si celle-ci est importante (figure 1-a) la protection est assurée par un dépôt. Par contre, si ce gradient est relativement faible (figure 1-b) le fer contribue à assurer la protection de type conversion chimique du métal avec l’inhibiteur.

[Photo : Fig. 1a. — Film « dépôt ».]
[Photo : Fig. 1b. — Film « conversion chimique ».]
[Photo : Fig. 1. — Évolution de la concentration des éléments superficiels en fonction du type de protection.]

Épaisseur du film protecteur

L'abscisse du point d'inflexion du profil du fer nous donne une approximation de l'épaisseur du film protecteur. Les bons films protecteurs présentent une épaisseur variant de 0,8 à 1,6 µm.

Agressivité du milieu et qualité de la protection

Les films de bonne qualité sont caractérisés par une répartition homogène et régulière des éléments (figure 1-a).

La tension de lampe nous donne une estimation qualitative de la protection ; en effet, la différence de résistivité des diverses couches analysées provoque des variations de tension (VG).

L'exemple de la figure 1 illustre ce phénomène :

- dans le cas 1-a, la tension, beaucoup plus faible dans le dépôt, caractérise la bonne homogénéité et le caractère peu conducteur de la couche superficielle ;

- le film de la figure 1-b est moins continu et moins compact que le dépôt précédent ; de ce fait, la variation de la tension est moins marquée.

Le profil du fer est relié à l'agressivité de l'eau, car le gradient de concentration est plus faible lorsque le métal est dépoli (figure 2).

[Photo : Fig. 2. - Évolution du profil du fer en fonction de l'agressivité de la solution.]

Profils caractéristiques des protections

Film protecteur type « dépôt »

Conditions de marche : TH 30 à 60° F ; T.A.C. 20 à 30° F ; pH = 8,5. L’analyse par GDL met en évidence les points suivants (figure 1-a) :

- l'épaisseur du film est de 1,6 µm environ ;

- le zinc est un élément de protection extérieur (interface solide-solution).

Le dépôt est composé de calcium, sous forme de carbonate, dont la cristallisation est limitée par diver-

[Photo : Fig. 3. - Protection de l'acier doux par conditionnement chromate zinc.]

ses molécules organiques (phosphonates, polymère acrylique, etc.) ; l'interface métal-protection est bien définie.

Protection par conversion chimique (chromate zinc)

Condition d’application : pH 6,4 – 6,8 ; TH 80° F.

Les corrosions sont inférieures à 20 µm/an pour la plupart des circuits (figure 3).

Commentaires sur l’analyse de surface :

— le gradient de concentration du fer est faible ; on a donc conversion chimique des atomes superficiels ;

— la concentration en chrome est très importante et pénètre dans le métal sur une grande distance ;

— le zinc n’agit qu’à l'interface solide-solution ;

— l'épaisseur du film est estimée à 0,8 µm.

D'après ces observations, les chromates agissent soit sur le métal, soit sur le fer ferreux pour former des oxydes de chrome et de fer. La composition généralement acceptée consiste en un mélange de γ Fe OOH (lépidocrocite) et d’oxyde chromique. L'épaisseur du film protecteur déterminée par GDL se situe aux environs de 0,8 µm alors qu'elle a été estimée à 50 Å par la théorie de l'absorption moléculaire. Cette disparité pourrait s’expliquer par :

— l'hétérogénéité de la surface ;

— une durée d'immersion beaucoup plus importante ;

— la prise en compte d'une réaction chimique des chromates sur le fer associée à la réaction d’absorption superficielle.

Le zinc, de façon générale, vient en complément de la protection pour limiter les corrosions (localisées).

EXEMPLES D’UTILISATIONS DE LA SDL POUR LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES DE CORROSION

Nous donnons ci-dessous quelques cas d’application de cette technique à la connaissance des inhibiteurs de corrosion.

Exemple 1 : choc d’acide en traitement alcalin (figure 4)

Ce circuit initialement traité en milieu alcalin a subi un choc d’acide (pH = 4) pendant 2 heures. Nous avons effectué une analyse avant et après cet incident. Le faible pH a provoqué la dissolution complète de la couche protectrice de la surface métallique (diminution du gradient de concentration du fer).

[Photo : Fig. 5 — Corrosion de l’acier dans une eau recyclée conditionnée par Zn et antitartre.]

Exemple 2 : corrosion provoquée par une eau résiduaire recyclée (figure 5) (forte salinité)

L'analyse montre :

— l'absence de protection par le calcium ;

— un fort dépôt de zinc sous forme de sulfure et/ou sulfates ;

— la présence de cuivre électrodéposé sur l’acier et le développement d'une corrosion par bimétallisme ;

— la forte teneur en oxydes de fer à la surface.

L'impossibilité d’obtenir une protection par le carbonate de calcium nous a fait opter pour une protection du type « conversion chimique » à base de phosphates. Dans ces conditions, l’inhibiteur de bimétallisme est efficace.

[Photo : Fig. 4 — Incidence d’un choc acide en conditionnement alcalin.]
[Photo : Fig. 6 — Corrosion carbonique après 1 heure d’immersion.]
[Photo : Fig. 7. – Corrosion carbonique après 72 heures d'immersion.]
[Photo : Fig. 8. – Corrosion en fonction du temps d'immersion.]

Exemple 3 : corrosion carbonique d’un coupon phosphaté (cas d’un circuit de réfrigération ouvert)

L'eau d’appoint en provenance d’un puits est directement injectée dans des échangeurs dont la température de peau est voisine de 70 °C. Son analyse met en évidence une faible teneur en oxygène et du gaz carbonique libre (20 mg/l).

Pour limiter la forte corrosion, nous avons filmé des coupons en acier par des phosphates. Les analyses (figures 6 et 7) montrent la destruction progressive de la couche protectrice à base de phosphate de calcium.

Après une heure d’immersion, le film est encore protecteur (figure 6). Par contre, dès qu’il est détruit (figure 7) la vitesse de corrosion augmente considérablement (figure 8). Les mauvais résultats sont directement imputables au CO2 libre (figure 7 – pic du carbone) qui réagit avec le fer pour donner un carbonate de fer.

Dans ce cas, le filmage à base de phosphate n’est pas résistant.

Par contre, l’addition de carbonate pour neutraliser le CO2 libre (CO2 libre + H2O + CO3 → 2HCO3–) s’est révélée efficace, car la corrosion a diminué de moitié.

CONCLUSION

La spectrométrie à décharge luminescente est très bien adaptée à l'étude des inhibiteurs employés dans le traitement de l’eau.

Bien que les spectres de concentration soient relativement complexes, cette méthode apporte une confirmation de la théorie sur la nature du film protecteur en fonction du conditionnement.

De plus, dans l’étude de cas critiques, cette technique constitue un moyen d'investigation relativement complet pour diagnostiquer les origines de la corrosion, et pour quantifier l'efficacité de nos inhibiteurs.

La spectrométrie à décharge luminescente, couplée aux mesures de corrosion (par perte de masse ou par résistance de polarisation) et aux analyses chimiques des dépôts et des eaux, augmente considérablement les moyens d'interprétation des phénomènes complexes intervenant dans ce domaine.

Bibliographie

(1) W. Grimm – Spectrochimica Acta, 23 B, 443 (1968).

(2) R. Berneron – XVIIIe CSI, Grenoble (1975).

(3) R. Berneron et J. Manenc – Mem. Sci. Rev. Met., 1, I-II (1978).

(4) R. Berneron et J.-C. Charbonnier – S.I.A., 3, 134 (1981).

(5) H. Hocquaux et coll. – Colloque Siemens Dortmund (1982).

(6) H. Hocquaux – 4e colloque « Progrès dans les méthodes d’investigation des métaux », Saint-Étienne (82) Mét. Corros. Ind. 1983, 58 (693).

(7) H. Hocquaux – L. Ohannessian – Y. Flandin-Rey – Colloque « Les applications industrielles des analyses de surface » École Centrale de Lyon (nov. 1982).

(8) Slough J.-M. – Right water treatment extends cooling-tower life, saves money power, 98, n° 5, 100-1, 232-8, May 1954.

(9) Pryor J.-M., and Cohen M.-J. – The inhibition of the corrosion of iron by some anodic inhibitors; J. Electrochem. Soc., 100, n° 5, 203-15, May 1953.

(10) Okamoto, G.O., Nagayoma, N., and Mitami, Y. – Corrosion phenomena. IV. Passivation mechanism of iron in chromate solution, J. Electrochem. Soc. Japan (English) 2469, 1956.

(11) Mayne, J.E.O., and Menter, J.W. – The mechanism of inhibition of the corrosion of iron by solutions of sodium phosphate, borate, and carbonate. J. Chem. Soc., 103-1954.

(12) Uhlig, H.H., Triadis, D.N., and Stern, M. – Effect of oxygen, chlorides and calcium ion on corrosion inhibition of iron by polyphosphates. J. Electrochem. Soc., 102, 39-66, 1955.

Nota : cet article a été présenté au 9e Congrès international de corrosion métallique à Toronto (Canada) en juin 1984.

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