L'usine de traitement d'eau d'Annet-sur-Marne, exploitée par la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE DISTRIBUTION D'EAU, est située à l'est de l'agglomération parisienne. Elle prend l'eau de la Marne en amont de la ville de Lagny pour assurer la distribution en eau potable d'une vaste zone allant de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle au nord jusqu'à la ville nouvelle de Marne-la-Vallée au sud.
Mise en service en 1973, la première tranche de l'usine, d'une capacité de production de 25 000 m³/jour d'eau traitée, a rapidement atteint sa pleine capacité, suivie d'une deuxième tranche en 1977 qui a permis de porter la capacité de l'usine à 50 000 m³/jour.
La filière de traitement, sur ces deux premières tranches, comporte les étapes classiques de préchloration/décantation, filtration/ozonation et le fonctionnement en est automatisé à l'aide d'un système de relais électromagnétiques d'une complexité très importante (environ 1 300 relais).
Afin de faire face à l'augmentation des besoins en eau des secteurs alimentés par l'usine, la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE DISTRIBUTION D'EAU a réalisé et mis en service en 1980 une troisième tranche portant la capacité de l'usine à 70 000 m³/jour. Cette nouvelle tranche se distingue des deux précédentes sur deux plans.
D'une part, sur le plan de la filière de traitement, il a été fait appel à la filtration sur filtres aérés de type BIOCARBONE qui permet, avec une préozonation préalable de l'eau, d'obtenir en un seul stade de traitement et pendant plus de six mois de l'année une eau de qualité équivalente à celle de la filière classique (1).
D'autre part, sur le plan de l'automatisme, il a été décidé d'abandonner le système des tranches précédentes dont l'extension, au fur et à mesure des augmentations de capacité de l'usine, aurait conduit à une occupation de place incompatible avec la conception compacte des bâtiments et le caractère centralisé de la commande de l'usine. De ce fait, il a été fait appel à un outil informatique pour réaliser les tâches de conduite automatique de l'usine.
POURQUOI L'OUTIL INFORMATIQUE
La décision d'adopter un outil informatique pour la conduite automatique de l'usine s'est appuyée sur plusieurs considérations différentes.
— D'une part, la complexité toujours plus grande de la filière de traitement d'eau et son évolution rapide dans le temps nécessitait de pouvoir l'adapter ou même la modifier suivant l'évolution des caractéristiques de l'eau brute ou les progrès technologiques en matière de traitement d'eau.
* Société Française de Distribution d'Eau.
Il était donc important d'avoir un système d'automatisme très souple qui permette cette adaptation. Dans cet esprit, l'outil informatique offre des possibilités très importantes, le logiciel d'application pouvant être à tout moment modifié pour tenir compte de tel ou tel élément nouveau dans la filière.
— D'autre part, la volonté de la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE DISTRIBUTION D'EAU était d'éviter, à tout prix, de faire appel à un travail en équipes postées.
L'outil informatique, tout en assurant une surveillance complète du traitement de l'eau à tous les niveaux et 24 heures sur 24, permet d'affranchir le personnel de l'usine de toutes les tâches de surveillance et de contrôle qui sont bien souvent fastidieuses et répétitives, celui-ci pouvant se consacrer aux tâches d'entretien ou même de modification de l'usine avec un horaire normal (8 h 00 - 12 h 00 ; 12 h 30 - 17 h 30) du lundi au vendredi, une personne « d'astreinte » à son domicile assurant la permanence en dehors des heures de travail.
— Pour finir, l'outil informatique devait permettre d'apporter, à moyen terme, une meilleure connaissance des processus de traitement grâce à un archivage sur mémoire de toutes les données transmises à chaque instant sur les différents paramètres suivis.
QUEL SYSTÈME INFORMATIQUE
Deux aspects sont à considérer, l'aspect matériel et l'aspect logiciel.
1. Le matériel (voir Schéma n° 1).
S.F.D.E. a opté pour le calculateur SOLAR 16-40.
La configuration comprend :
• le processeur 16-40 ;
• la mémoire vive de 64 K mots de 16 bits ;
• la mémoire de masse qui comprend 2 disques à têtes mobiles de 5 Méga-octets chacun (1 fixe et 1 amovible) ;
et les périphériques suivants :
• une console de visualisation alphanumérique comprenant un écran de 24 lignes, 80 colonnes et un clavier ;
• deux imprimantes de 30 caractères par seconde ; l'une est utilisée en console de service, l'autre pour l'édition des événements en temps réel ;
• une imprimante de 180 caractères par seconde pour l'édition des différents journaux.
2. Le logiciel.
L'objectif était d'installer un système répondant aux critères suivants :
• langage simple pour effectuer les modifications de programmes par des techniciens automaticiens et non informaticiens ;
• possibilités d'interventions « en ligne » pour l'adjonction ultérieure de programmes spécifiques.
Pour ces raisons, S.F.D.E. a choisi d'adopter le logiciel d'application ICS, qui est un produit-programme conçu pour le contrôle et la commande d'unités industrielles.
4 niveaux de création de programme et de dialogue sont possibles avec ce logiciel.
2 font appel à la technique informatique et ont été utilisés au cours du développement de l'application, ce sont :
• création et intégration de blocs de traitements propres à l'application ; • création de programmes spécifiques.
2 font appel aux procédures ICS et sont utilisés, après la mise en service, par l'exploitant, il s'agit de :
• consultation des différentes variables ainsi que modification des paramètres courants (seuils, temporisations, mises à l'échelle, pourcentages d'action des régulations, etc.) ; • modification de séquences ou d'algorithmes grâce à l'utilisation d'une bibliothèque de blocs de traitement.
ROLE DU CALCULATEUR
Fondamentalement, le calculateur a cinq rôles distincts et complémentaires :
Il assure la conduite séquentielle de la station, c'est-à-dire le fonctionnement tout ou rien de chaque appareil électromécanique de la chaîne de traitement y compris le pompage d'eau brute.
Il assure la surveillance de l'usine et alerte le personnel en cas d'incident.
Il reçoit et analyse les signaux analogiques des capteurs de mesures physico-chimiques de l'eau, du colmatage des filtres, etc., et assure une régulation du traitement.
Il édite des journaux.
Il archive les données éditées sur ces journaux.
1. Conduite séquentielle.
Le logiciel d'application ICS permet le fonctionnement séquentiel de l'usine par l'utilisation de blocs de traitement qui permettent d'effectuer :
a) les fonctions logiques classiques telles que « ET », « OU », « MEMOIRE », « TEMPORISATION », etc. b) les fonctions spécifiques à la commande d'appareils telles que :
• « CHOIX DE MARCHE » pour la reprise en secours automatique d'une pompe sur l'autre, • « DISCORDANCE » pour la génération d'un signal de défaut s'il y a discordance entre l'ordre envoyé et l'état du récepteur.
Bien entendu, il existe d'autres blocs de traitement utilisés, notamment pour les calculs proprement dits.
2. Surveillance de l'usine.
A cet effet, 3 niveaux d'alarme ont été prévus pour la signalisation des défauts pouvant survenir sur la station.
Ces défauts peuvent être du type logique (ex. Marche, Défaut d'une pompe) ou du type analogique (ex. Dépassement d'un seuil haut ou d'un seuil bas d'une mesure de pH ou de turbidité).
Ces 3 niveaux d'alarme sont les suivants :
• Alarme Niveau 1 : alarme non urgente. L'ordinateur signale l'incident à l'exploitant tout en continuant à assurer le fonctionnement de la station (ex. une pompe en défaut est reprise en secours par une autre). • Alarme Niveau 2 : alarme urgente, mais ne nécessitant pas l'arrêt de la production d'eau potable. • Alarme Niveau 3 : alarme urgente, qui provoque l'arrêt immédiat du fonctionnement de la station.
L'ordinateur gère ces défauts, les édite grâce à l'imprimante « au fil de l'eau » qui est une télétype.
où s'inscrivent tous les événements de la station dans l'ordre et avec l'heure de leur apparition.
Un basculement des informations de défaut vers les logements du personnel « d'astreinte » est prévu pour signaler les alarmes de niveaux 2 et 3 la nuit et les jours fériés.
3. Régulations.
L'informatique permet, par l'intermédiaire des capteurs, une surveillance continue de la qualité de l'eau.
Cette surveillance continue permet d'agir immédiatement sur les dosages des réactifs à chaque variation des caractéristiques physico-chimiques de l'eau signalées par les capteurs.
Nous pouvons citer notamment les régulations suivantes :
- — taux de chlore en fonction du résiduel (en post-chloration),
- — production d'ozone en fonction du résiduel et de la mesure de concentration d'ozone dans l'air,
- — taux d'alginate (adjuvant de l'occulation) en fonction de la turbidité d'eau brute,
- — variation du taux de wac et modification des fréquences des purges du décanteur en fonction de la turbidité de l'eau décantée.
Le schéma n° 3 indique le système de régulation adopté pour la variation du taux d'injection de wac autour du taux du Jar-test fixé journellement (variation maximum autorisée de 85 à 125 % du taux du Jar-test).
4. Editions.
L'ordinateur édite 3 types de journaux à des fréquences différentes :
- • journal quotidien,
- • journal hebdomadaire,
- • journal trimestriel.
Le journal quotidien.
On y trouve :
- • les débits d'eau brute, d'eau traitée et le calcul du pourcentage des pertes d'eau par rapport au volume d'eau brute pompée,
- • l'heure du début de lavage de chaque filtre,
- • les caractéristiques physico-chimiques de l'eau en moyenne/jour avec le maximum atteint dans la journée,
- • les taux en moyenne/jour des réactifs mis en œuvre,
- • les taux en moyenne/jour des agents stérilisants tels que ozone, bioxyde et chlore,
- • les consommations d'électricité atteintes en période de nuit, de pointe et de jour avec la puissance instantanée maximum atteinte,
- • le temps de fonctionnement de chaque machine tournante.
Le journal hebdomadaire.
Outre le calcul des débits moyens de chaque pompe d'eau brute et d'eau traitée, on y trouve :
- • les volumes pompés correspondants ainsi que le pourcentage des pertes et le calcul de la consommation en watt heure par mètre cube d'eau traitée,
- • le récapitulatif de la semaine des moyennes des taux appliqués et des turbidités aux différents stades du process,
- • les temps de fonctionnement des machines tournantes.
Le journal trimestriel.
Ce journal reprend au niveau du trimestre :
- • les volumes d'eau brute et d'eau traitée et le pourcentage des pertes par rapport au volume d'eau brute pompée,
- • les taux moyens de réactifs et la consommation trimestrielle en tonnes des produits,
- • le bilan de consommation d'électricité et la consommation en watt heure par mètre cube d'eau traitée,
- • le coût d'exploitation par réactif,
- • le coût d'exploitation en énergie électrique, le tout rapporté au mètre cube d'eau traitée.
5. Archivage.
Toutes les données techniques relatives au traitement de l'eau, tous les volumes et quantités d'électricité édités sur les journaux sont archivés.
Outre la possibilité d'obtenir des graphiques sur la console de visualisation, le but de cet archivage est d'obtenir, à moyen terme, une bibliothèque de données qui présentera une valeur statistique telle qu'il sera possible, par l'intermédiaire d'un centre de calcul, d'affiner les algorithmes de commande des doseurs de réactifs.
6. Fonction télésurveillance.
Cette fonction permet d'assurer la gestion des alarmes des stations de l'ensemble de la S.F.D.E. à partir du réseau téléphonique et leur transmission au personnel « d'astreinte ».
Cette fonction est indépendante de la gestion de l'usine (2).
MISE EN ŒUVRE DU CALCULATEUR
Le succès d'une implantation industrielle d'un système informatique dépendant en grande partie de la qualité et de la fiabilité des mesures qui arrivent au calculateur, la S.F.D.E. a procédé à l'installation de différents capteurs sur les deux premières tranches de l'usine plus d'un an avant l'implantation du calculateur, pour pouvoir étudier et vérifier leur fonctionnement sur une période significative.
Cette étude a permis de sélectionner les types de capteurs à utiliser pour le suivi du traitement par le calculateur, à savoir :
- • 1 turbidimètre eau brute qui agit sur l'algorithme de commande du doseur d'alginate,
- • 1 turbidimètre eau décantée qui agit : a) sur l'algorithme de commande du doseur de wac, b) sur le réglage des fréquences des purges de surface et des purges de fond du décanteur,
- • 1 turbidimètre d'eau filtrée pour le contrôle du traitement et le déclenchement du lavage automatique,
- • 1 turbidimètre d'eau de lavage pour optimiser le lavage des filtres,
- • 1 pH-mètre eau traitée,
- • 1 débitmètre eau brute,
- • 1 débitmètre de sortie d'eau filtrée pour chaque filtre,
- • 1 débitmètre eau traitée,
- • 1 mesure de température d'eau brute,
- • 1 analyseur de chlore résiduel,
- • 1 analyseur d'ozone résiduel,
- • 1 appareil de mesure de concentration d'ozone dans l'air.
- • 1 appareil de mesure de colmatage de chaque filtre pour le déclenchement du lavage automatique.
Par ailleurs, afin d’éliminer un maximum de parasites en entrée et sortie de l'ordinateur, les précautions suivantes ont été prises :
Entrées et sorties logiques (390 environ).
Toutes les entrées et sorties sont découplées pour « isoler » l'ordinateur de la station proprement dite.
Entrées et sorties analogiques (40 environ).
Les entrées et sorties analogiques sont raccordées à l'ordinateur par câbles blindés.
CONCLUSION
La S.F.D.E. a été l'une des premières sociétés de distribution d'eau à informatiser totalement une station de traitement.
La réussite de cette implantation a été due en grande partie à l'adhésion totale du personnel exploitant de l'usine d'Annet-sur-Marne qui a su, malgré sa formation électromécanique initiale, s'adapter à ce nouvel outil qu’est l'informatique.
Pour ce faire, le personnel a été associé, dès le départ, à l'élaboration du projet et à sa mise en œuvre.
Après un an d'exploitation, le risque d'arrêt complet de l'usine sur panne informatique s'avère très minime.
Compte tenu de cette expérience positive, la S.F.D.E. prévoit de poursuivre l’informatisation pour les tranches futures de l'usine.
BIBLIOGRAPHIE
- (1) A. Tiret, J. Sibony : Annet-sur-Marne, filière biologique, filière physico-chimique – Aqua n° 7, 80.
- (2) A. Lepretre : Télésurveillance et ordinateur au service des eaux – Techniques et Sciences Municipales n° 2, fév. 81.