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Analyse rapide du potentiel méthane pour la conduite de méthaniseurs ; application à deux sites industriels

31 octobre 2013 Paru dans le N°365 à la page 40 ( mots)
Rédigé par : N PAUTREMAT, Y DUDAL, P SPANNAGEL et 1 autres personnes

Cette étude présente la pertinence de l'utilisation du kit Envital®, commercialisé par la société Envolure, pour la détermination rapide du Potentiel Méthane. Le kit a été évalué dans le cadre du suivi de deux digesteurs industriels de la société Bionerval, filiale du Groupe Saria, lors d'une campagne de prélèvements d'un mois. Alors que la mesure classique du BMP, trop longue, n?aurait pu être utilisée pour ce suivi de digesteur, le kit Envital® a permis de déterminer en moins de 30h le Potentiel Méthane des intrants et des boues de sortie de méthaniseur. Validé sur la base des productions de méthane observées sur les deux sites, Envital® se révèle pertinent pour le contrôle et le pilotage de digesteur. Son utilisation sur site informe l'exploitant en moins de 48h sur la capacité de biodégradabilité des intrants par l'inoculum de son propre digesteur.

La méthanisation est un procédé de valorisation des déchets, au cours duquel des microorganismes digèrent les matières organiques dans des réacteurs dépourvus d’oxygène pour produire du biogaz (Ahring, 2003). Le biogaz est par la suite exploité sous forme de chaleur ou d’électricité sur le site ou injecté dans les réseaux municipaux. Le résidu de la méthanisation, le digestat, peut être valorisé sous forme de fertilisant agricole notamment. Une politique incitative en France conduit la filière méthanisation à un bel essor industriel avec pour objectif de quadrupler la production d’électricité et de chaleur d'ici 2020 (JO 23/11/2011).

La croissance de cette filière est doublement stimulée par l’obligation des producteurs et détenteurs de biodéchets de valoriser les matières organiques afin de minimiser les émissions de gaz à effet de serre et de favoriser le retour au sol (décret du 12/07/2011). Une grande variété de matières fermentescibles (viandes, produits laitiers, fruits & légumes, graisses...) vient par conséquent se rajouter à la liste déjà longue des substrats possibles de la méthanisation (effluents et déchets agricoles, agroindustriels et ménagers, boues de stations d’épuration, etc.). Cette riche diversité de substrats potentiels génère une première difficulté pour les industriels qui sont confrontés quotidiennement à des variations d’intrants importantes et à des matières qui sont en constante évolution notamment lors du stockage. Une deuxième difficulté, inhérente au procédé de méthanisation, réside dans la complexité du procédé lui-même qui fait appel à une grande diversité de microorganismes anaérobies ayant des fonctions biologiques différentes et complémentaires pour la digestion des matières organiques (Chen et al. 2008). La combinaison de ces deux diversités, des intrants et des acteurs biologiques, au sein de la méthanisation rend le suivi des performances du procédé particulièrement délicat (Lin et al. 2012).

[Figure : Mode opératoire du kit Envital®]

questionnent sur le degré de conversion de la matière, sur l’influence du stockage sur la production de biogaz ou encore sur l’effet possible de certains prétraitements des intrants. Pour apporter des éléments de réponses à ces questions, des outils sont disponibles à différents niveaux d’applicabilité industrielle (Madsen et al., 2011).

La détermination du potentiel méthane s’effectue conventionnellement via l’analyse BMP (Biological Methane Potential) selon la norme NF-EN-ISO 11734. Cette mesure consiste à suivre pendant environ 40 jours la production de méthane émise par l’échantillon dans des flacons en conditions anaérobies contrôlées. Sa mise en œuvre tout comme la durée de cette analyse ne correspond pas aux contraintes opérationnelles des exploitants de méthaniseurs et gestionnaires de déchets.

Idéalement, la méthode alternative de détermination du potentiel méthane devrait être une analyse biologique rapide sur site, alliant ainsi la caractérisation de la matière organique à l’analyse de l’activité bactérienne. S’inspirant des technologies du biomédical, la société Envolure a entrepris le développement d’Envital®, un kit innovant pour la détermination du Potentiel Méthane en moins de deux jours sur site (Pautremat et Dudal, 2012), en mesurant directement l’activité des microorganismes anaérobies à l’aide d’un révélateur fluorescent. Nous avons cherché à valider la pertinence de cet outil pour suivre les performances d’un procédé de méthanisation à l’échelle industrielle. Bionerval, filiale du Groupe SARIA, a pour cœur de métier le traitement des biodéchets, et maîtrise la filière biodéchets de leur collecte à leur valorisation énergétique par méthanisation. Aujourd’hui, Bionerval possède une capacité de traitement de 200 000 t/an de déchets organiques.

Nous avons travaillé avec cette entreprise au suivi de deux digesteurs (capacités de 25 000 et 40 000 tonnes d’effluents et de biodéchets). Cette étude avait ainsi pour objectif commun d’évaluer la pertinence d’utiliser un kit de mesure rapide d’équivalent-BMP directement sur site pour suivre et optimiser un procédé de méthanisation à l’échelle industrielle.

Matériels et méthodes

Campagne d’échantillonnage

La société Bionerval a mis en œuvre une campagne d’échantillonnage pour le suivi de deux digesteurs. Cette campagne consistait au prélèvement d’échantillons en entrée et en sortie de digesteur ainsi que sur la zone de stockage du digestat. Les intrants comportaient des effluents agro-alimentaires ainsi que des biodéchets de grande distribution et de restaurations collectives. Ces deux digesteurs sont alimentés en flux tendus avec des matières en vrac, sans pré-stockage. Les échantillons ont été prélevés sur une période de 7 jours sur le digesteur du site 1 et de 3 semaines sur le site 2, ayant respectivement des capacités de 25 000 t/an et de 40 000 t/an d’effluents et biodéchets. Après prélèvement, environ 250 g d’échantillons étaient transmis congelés et réceptionnés sous 24 h. L’analyse Envital® était mise en œuvre dès réception des échantillons.

Analyse du Potentiel Méthane

L’analyse Envital® s’effectue en microplaque 96 puits, chaque puits étant un milieu réactionnel correspondant à une analyse. Une microplaque permet d’effectuer jusqu’à 40 équivalents-BMP en duplicata. La microplaque, contenant dans chaque puits l’échantillon en suspension, l’inoculum (boue filtrée de digesteur) et le bioréactif de mesure, est ensuite scellée avec de la paraffine afin de répondre à des conditions anaérobies, puis placée dans un lecteur de fluorescence pour microplaque à une température de 35 °C. La fluorescence de chacun des puits est relevée automatiquement toutes les 30 min, pendant 48 h. La détermination du potentiel méthane est effectuée automatiquement via le logiciel de pilotage du lecteur. Le mode opératoire d’Envital® est présenté en figure 1.

Préparation des échantillons

À réception, les échantillons étaient broyés à l’aide d’un broyeur plongeant alimentaire, afin de broyer et d’homogénéiser les échantillons. Chaque échantillon a ensuite été mis en suspension dans de l’eau osmosée, en respectant un rapport massique de dilution de 1/10**. Cette suspension d’échantillon était à nouveau broyée à l’aide du mixeur plongeant, et s’en suivait une dilution de cette suspension à 1/250 pour les échantillons d’entrée et 1/10 pour les échantillons de sortie et aucune dilution successive pour les échantillons de stockage.

Préparation de l’inoculum

L’inoculum utilisé dans le cadre de cette étude était un prélèvement de boue de digesteur de station d’épuration. Le prélèvement s’effectuait via une vanne, dont l’origine était à mi-hauteur du digesteur, dans un flacon en verre avec un couvercle à visser. Suite au prélèvement, le flacon était placé dans un incubateur à 35 °C pour 24 h. Cette opération permettait la décantation des particules et la stabilisation de l’inoculum pour unifier la représentativité communautaire pour chaque date d’analyses. Avant la mise en œuvre du kit Envi-

[Photo : Figure 2 : Évolution du Potentiel Méthane au cours des campagnes d’échantillonnage en comparaison avec les productions réelles mesurées a posteriori.]

Lecture de la fluorescence et acquisition des données

La microplaque était ensuite placée à l’envers dans un lecteur de fluorescence pour microplaques (Biotek FLx800) à une température de 35 °C. Le logiciel Gen5 (Biotek) permet le pilotage du lecteur FLx800, l’incubation et l’agitation de la microplaque ainsi que l’acquisition automatique des intensités de fluorescence et l’analyse de ces données. Le programme d’analyse Envital® consiste en une première lecture des intensités de fluorescence dès insertion de la microplaque puis toutes les 30 min pendant 48 h à une température de 35 °C. La lecture de fluorescence s’effectue par-dessus, aux longueurs d’onde d’excitation de 540 nm et d’émission de 600 nm. Toutes les 30 min, les intensités de fluorescence sont recueillies pour chacun des puits. À chaque temps d’analyse, le coefficient de détermination des Gammes GH et GB est automatiquement calculé. Le Potentiel Méthane est ainsi déterminé au temps optimal de quantification, où le coefficient de détermination est le plus proche de 1, et exprimé en litre de CH₄ par kilogramme de Masse Brute d’échantillon (L CH₄ kg⁻¹ MB).

Le surnageant de la boue était prélevé à l'aide d'une seringue de 5 ml et filtré à 1,2 μm à l'aide d'un filtre-seringue en polyethersulfone. Ce filtrat constituait l'inoculum bactérien.

Remplissage de la microplaque

Un kit Envital® comporte un flacon de réactif A (5 ml), un flacon de réactif B (10 ml), huit points de Gamme Haute pour la quantification des entrées de digesteur et huit points de Gamme Basse pour la quantification des sorties de digesteurs et boues de stockage, un flacon de paraffine, cinq filtres-seringue en polyethersulfone (PES) de maille 1,2 μm, une microplaque 96 puits à fond transparent et un couvercle de microplaque.

La mise en œuvre de l’analyse consistait, après préparation des échantillons et de l’inoculum, à distribuer successivement 50 μl de réactif A dans chacun des puits, 100 μl de réactif B, 100 μl de solution étalon ou échantillons et finalement 30 μl d’inoculum. Le réactif A consiste en un tampon phosphate permettant de maintenir le pH à 7,2 tout au long de l'analyse.

Le réactif B est un bioréactif fluorescent permettant de mesurer en direct in cellulo l'ampleur de la biodégradabilité anaérobie. La cinétique de l'intensité de fluorescence est donc directement corrélée au cumul de matières organiques biodégradées sous conditions anaérobies.

Les deux premières colonnes (A, B) de la microplaque étaient dédiées à la mise en œuvre des points étalons de la Gamme Haute, les colonnes (C, D) à la Gamme Basse pour la quantification BMP des échantillons. Ces points étalons consistent en une série de dilutions d’échantillons au BMP connu, mesuré en laboratoire selon la méthode conventionnelle. La Gamme Haute correspond à un échantillon de type « biodéchets » de grande surface, tandis que la Gamme Basse est une dilution de boue de station d’épuration. Le reste de la plaque était dédié à l'analyse des échantillons.

Les puits étaient par la suite scellés avec de la paraffine afin d’obtenir des conditions anaérobies. De plus, un couvercle de microplaque fourni dans le kit était posé sur la microplaque.

Résultats

L'analyse Envital® a été mise en œuvre pour chacun des échantillons prélevés. La première étape de traitement des données consistait à déterminer la date optimale de détermination du Potentiel Méthane. Pour ce faire, nous avons sélectionné ce temps en fonction du coefficient de détermination le plus proche de 1. Le second critère de sélection de la date de détermination du Potentiel Méthane était l’écart-type observé sur chaque point étalon, qui devait être inférieur à 15 %.

Sur l'ensemble des analyses, la date optimale de prédiction du potentiel était entre

20 h et 25 h d’incubation à 35 °C. Les résultats de Potentiel Méthane obtenus pour les deux sites sont présentés en figure 2 et comparés aux productions réelles de méthane mesurées a posteriori. Ces résultats sont exprimés en litre de CH₄ par kilogramme de masse brute d’échantillon. Les écart-types observés sur la mesure Envital® étaient inférieurs à 15 % pour les échantillons prélevés en entrée de digesteur et inférieurs à 5 % pour les digestats et boues dans les zones de stockage.

La production réelle du Site 1 sur la période de la campagne était en moyenne de 73 m³ de CH₄ t-¹ de matières brutes (MB). Envital® sur la période considérée déterminait une production moyenne de 78 m³ CH₄ t-¹ MB. La production réelle du Site 2 sur la période du 10/05 au 15/05 était en moyenne de 120 m³ CH₄ t-¹ MB et diminuait à 102 m³ CH₄ t-¹ MB du 15/05 au 5/06. À l’identique des observations industrielles, les Potentiels Méthane déterminés par le kit Envital® présentaient deux phases de production de CH₄. La production de méthane déterminée par le kit s’élevait à une moyenne de 85,6 m³ CH₄ t-¹ MB sur la première période et de 60,3 m³ CH₄ t-¹ MB sur la deuxième période. L’exploitant faisait état d'une plus grande variabilité des intrants du digesteur 2, que ce soit en teneur d’eau et en caractérisation physico-chimique. Sur la première période, les intrants étaient caractérisés par un taux de matières sèches très variable de 12,6 % à 16,9 % et de 10,6 % à 16,4 % à partir du 15/05.

Discussion

Envital® a été utilisé sur un ensemble de 25 échantillons correspondant à une variété d’intrants avec différents mélanges, aux échantillons de sortie correspondants ainsi qu’aux stockages de digestats. Les intrants comportaient des effluents agro-alimentaires ainsi que des biodéchets de grande distribution et de restaurations collectives. L’utilisation du kit Envital® a permis d’obtenir en moins de 30 h des mesures d’équivalents-BMP sur l'ensemble des échantillons d’entrée (gamme haute), de sortie et de stockage (gamme basse).

Les résultats obtenus par le kit permettaient de visualiser les fluctuations des intrants et la production de méthane observée sur les deux sites industriels. Les performances des deux digesteurs ont pu ainsi être suivies avec des temps de réponse inférieurs à deux jours. Il est à noter que la mesure classique du BMP (environ 40 jours) n’aurait pas pu être utilisée pour ce suivi de méthaniseur sur un mois. L’exploitant de digesteur a ainsi un outil adapté d’un point de vue délai de mesure et prix, lui permettant de suivre le digesteur quotidiennement si nécessaire et ainsi d’optimiser le temps de séjour pour produire le maximum de biogaz, minimiser les émissions de gaz à effet de serre et vérifier la stabilité du digestat en réponse au décret du 12 juillet 2011. Ces travaux démontrent les deux enjeux majeurs du développement d'outils de diagnostic de procédé :

1) La pertinence d’une analyse tient à sa justesse et à son adéquation avec les exigences opérationnelles des industriels (délais d’analyse, prix…),

2) L’analyse doit devenir accessible aux sites industriels, au plus près du procédé.

Cette deuxième priorité est illustrée par la différence de production de méthane observée entre l’analyse en laboratoire et le site industriel 2. En effet, plusieurs facteurs pourraient expliquer cette différence :

1) un prélèvement ponctuel d’échantillons non représentatif d’intrants très variable,

2) un inoculum laboratoire non adapté aux intrants. Le site 2 est caractérisé par une plus grande variabilité chimique et physique des intrants. Cette variabilité d’intrants a conduit à une adaptation des communautés microbiennes au sein du digesteur optimisant ainsi la biodégradabilité des matières premières, pour un rendement de production de méthane optimal. Or, dans le cadre de l'analyse en laboratoire, l’inoculum utilisé était une boue de digesteur de station d’épuration.

La digestion est un processus microbien complexe intégrant les activités séquentielles de différentes communautés microbiennes. Deux inocula différents peuvent conduire à des productions de méthane différentes. Ces travaux soulignent donc l’intérêt d’utiliser le kit sur site avec pour inoculum la boue du digesteur étudié. Au-delà, l’utilisation de l’inoculum du digesteur pour mesurer sa performance sur différentes matières organiques représente une approche analytique particulièrement pertinente par le fait qu'elle procure des informations intégrées (matières organiques et acteurs biologiques) sur le procédé. Dans cette logique, le kit Envital® a été développé pour une mise en œuvre facile sur site par les exploitants eux-mêmes.

[Encart : Références bibliographiques ~ Ahring 2003, Advances in Biochemical Engineering/ Biotechnology 81 : 1-30. + Chen et al. 2008, Bioresource Technology 99 : 4044-4064. + Lin et al. 2012, Journal of Environmental Sciences 24(7) : 1288-1294. + Madsen et al. 2011, Renewable and Sustainable Energy Reviews 15 : 3141-3155. + Pautremat and Dudal 2012, International Conference ORBIT2012, Rennes, France, 12-15 juin]
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