Your browser does not support JavaScript!

Analyse des pollutions minérales et organiques dans diverses eaux par chromatographies ionique et liquide à hautes performances

30 novembre 1987 Paru dans le N°114 à la page 47 ( mots)
Rédigé par : J.-l. PESCHET et C. TINET

Depuis une trentaine d’années, de très grands progrès ont été réalisés dans l’analyse chimique, aussi bien minérale qu’organique, des eaux. L’une des techniques qui a peut-être le plus rapidement évolué, et qui a révolutionné le concept même de l’analyse, est la chromatographie. En effet, l’avantage et l’intérêt de celle-ci sont tout d’abord de séparer, puis de détecter les différents composants d’un mélange, alors que les techniques classiques caractérisent telle ou telle espèce chimique « noyée » dans le mélange, par une réaction spécifique et ont donc tous les inconvénients liés à la matrice et aux autres composés pouvant interférer.

Si les techniques de chromatographie gazeuse et liquide appliquées aux espèces organiques sont maintenant bien connues et largement répandues, la chromatographie des espèces minérales n’a pas eu encore le développement qu’on pourrait attendre dans le domaine de l’analyse des eaux. Pourtant, cette chromatographie ionique (C.I.) présente des avantages évidents qui vont être développés dans la première partie de cet article. Le second volet de cette présentation abordera les problèmes de dosages de polluants phénoliques avec une détection sensible et très spécifique : l’ampérométrie.

LA CHROMATOGRAPHIE IONIQUE

La chromatographie ionique est une technique de dosage des ions (anions et cations) par couplage échange d’ions–détection conductimétrique. Une description détaillée en est donnée dans la publication de base des inventeurs (1) et dans d’autres publications françaises : Jardy & Rosset (2), Rich (3), Peschet & Tinet (4). Citons également quelques-unes des nombreuses publications américaines : Franklin (5), Johnson (6 et 7), Pohl (8), Slingsby (9). De façon générale et dans sa conception d’origine, cette méthode peut séparer et détecter des anions dont les acides correspondants ont un pKa inférieur à 7 et des cations dont les bases correspondantes ont un pKa supérieur à 7.

La figure 1** montre le schéma de principe de la chromatographie ionique : l’échantillon est introduit, via une boucle d’injection, dans le flux d’éluant ; celui-ci est de composition chimique très simple : carbonate de sodium 2 à 5 mM, soude 5 à 20 mM pour les anions, acide chlorhydrique 3 à 20 mM pour les cations. La réaction classique, décrite à la figure 2, provoque la séparation des anions ou des cations sur la colonne de séparation qui contient une résine dite « pelliculaire », de faible capacité et de stabilité chimique très importante (copolymère styrène-divinylbenzène, stable de pH 0 à pH 14).

Les ions sont donc élués de cette colonne les uns après les autres et vont être détectés par conductimétrie, détection particulièrement bien adaptée aux ions naturellement conducteurs et dont la sensibilité est de l’ordre de 10⁻⁸ g/ml (Scott) (10).

Si cette technique est appliquée telle qu’elle, les résultats ne sont pas excellents ; en effet, l’éluant, du fait de sa propre composition chimique, possède une très grande conductivité, de l’ordre de plusieurs milliers de microsiemens. Les quelques microsiemens correspondant à la sortie d’un pic sont donc « noyés » dans ce bruit de fond important. Conscient de ce problème, le centre de recherches de la société Dow Chemical a développé un système original dit de « suppression » ou de « neutralisation » chimique de l’éluant. Dans une seconde colonne, dite de « suppression », s’opère un échange d’ions qui élimine pratiquement l’éluant. Dans le cas de l’analyse des cations, par exemple, les chlorures de l’éluant (qui est de l’acide chlorhydrique) s’échangent avec des hydroxydes de la résine, lesquels se combinent ensuite avec les ions hydrogène de l’éluant pour former un corps fort peu conducteur : l’eau.

Cette technique de suppression a ainsi permis de diviser de 500 à 1 000 la conductivité de l’éluant. Il est alors aisé de détecter les ions qui circulent dans la cellule de conductimétrie, avec une stabilité de ligne de base excellente, qui autorise l’emploi de sensibilités de mesure très grandes (1 microsiemens, pleine échelle, par exemple).

La figure 3 illustre cette technique de dosage des anions. On peut d’ailleurs remarquer que, dans ce cas d’analyse d’anions, seuls ceux-ci sont détectés. En effet, lors de la neutralisation chimique, tous les cations correspondants (sodium, potassium, calcium...) ont été réellement éliminés et remplacés par des ions hydrogène formant des acides très conducteurs avec les anions correspondants.

Neutralisation chimique — Progrès récents

Cette technique très séduisante présentait au départ un inconvénient : la colonne de suppression se saturait rapidement et il fallait arrêter l’appareil pour régénérer à contre-courant cette colonne. Conscients de ce problème, les chercheurs des sociétés Dow Chemical et Dionex ont mis au point une régénération continue des résines de suppression. La figure 4 explique schématiquement le processus. L’éluant circule entre deux membranes synthétiques échangeuses où se fait l’échange d’ions décrit précédemment ; à l’extérieur de ces membranes circule à contre-courant un liquide régénérant qui a pour rôle de renouveler en permanence les sites d’échanges d’ions et d’évacuer les ions de l’éluant ayant été échangés. Ainsi conçu, l’appareil analytique peut fonctionner en permanence.

Pour terminer, il y a lieu de préciser que ce système à micro-membrane possède une très grande capacité d’échange, ce qui permet de réaliser un gradient d’élution avec une ligne de base pratiquement horizontale, toujours en détection conductimétrique, et d’éluer ainsi des ions de charges très variées.

* Ancien directeur adjoint du Laboratoire national d’analyses des eaux de Côte d’Ivoire.

Application dans l’analyse des eaux

De très nombreux types d’eaux ont été dosés avec succès par cette technique (13). Les figures 5 et 6 montrent le profil anionique d’une eau de rejet. Le premier a été obtenu en isocratique, alors que le second a été obtenu avec gradient. On remarquera l'influence du gradient qui a permis de séparer les corps qui co-éluaient en isocratique. Il faut noter au passage que dans la figure 6 sont détectés des espèces minérales et organiques (acétate, formiate). On peut ainsi caractériser des corps comme les acides organiques avec une très grande spécificité et des seuils de détection souvent inférieurs de 10 à 20 fois aux détections classiques UV.

Le chromatogramme 7 présente le profil cationique d’une eau de boisson et le chromatogramme 8 montre le profil cationique d’un extrait de sol. L’ammonium (NH₄⁺) est dosé par cette méthode avec les autres alcalins et alcalino-terreux.

Ces quelques exemples montrent l’intérêt évident de cette technique :

  • — en une seule injection, et en un temps très court, tous les corps de même polarité sont séparés et mesurés ;
  • — grâce au système de suppression chimique, de l’éluant, les corps de polarité opposée sont extraits ; ce phénomène est très intéressant dans le cas de matrices chargées ;
  • — les lignes de base, grâce à cette suppression chimique, sont parfaitement stables, aussi bien en isocratique qu’en gradient, ce qui autorise l'emploi de sensibilités élevées.

Cependant, certaines familles chimiques ne répondent pas (ou mal) en détection conductimétrique : c’est le cas des sulfures, des cyanures et des métaux ; en conséquence, des détections spécifiques ont été développées à leur sujet.

La détection ampérométrique

Cette technique permet le dosage jusqu’à des niveaux de quelques microgrammes par litre d’espèces chimiques répondant bien en électrochimie oxydante ou réductrice, comme les cyanures, sulfures, hypochlorite, iodures, bromures, hydrazine et, comme il le sera développé en seconde partie, les phénols, les sucres, les glycols.

Le chromatogramme 9 montre une double détermination par couplage conductimétrie/ampérométrie des anions et de l’hypochlorite présente dans une solution oxydante pour la purification de l’eau.

Le chromatogramme 10 montre le dosage de cyanures totaux dans une matrice soude 1 M avec un rapport cyanures/sulfures de 1 sur 10 et correspond au dosage de ces espèces dans des effluents industriels suivant les normes habituelles (distillation).

La détection colorimétrique

Cette détection s'applique essentiellement au dosage des métaux et de la silice.

Dans le cas des métaux, ceux-ci sont révélés, après séparation sur une colonne cationique, par une réaction post-colonne grâce à un corps — le PAR (pyridylazorésorcinol) — formant des complexes colorés avec les métaux. Le dosage est réalisé ensuite en colorimétrie à 520 nm (14).

Le chromatogramme de la figure 11 montre une séparation de 9 métaux en 15 minutes. Il est à noter que les deux états du Fer (Fer II et Fer III) sont parfaitement séparés, comme pourraient l'être le chrome III et le chrome VI, l’étain II et l’étain IV.

Une autre particularité de la CI, très utile pour le dosage des traces, découle de la

[Photo : Fig. 1**]
[Photo : Fig. 2]
[Photo : Fig. 3]
[Photo : Fig. 4]

** Les légendes des figures sont groupées dans l'encadré (page 50)

[Photo : Fig. 5]
[Photo : Fig. 6]
[Photo : Fig. 7]
[Photo : Fig. 8]
[Photo : Fig. 9]
[Photo : Fig. 10]
[Photo : Fig. 11]
[Photo : Fig. 12]
[Photo : Fig. 13]

Possibilité de réaliser très simplement une pré-concentration. Dans ce cas, la boucle d’injection est remplacée par une pré-colonne d’enrichissement ; une fois le volume nécessaire pompé sur cette colonne, l’injection se fait comme avec la boucle et les métaux rentrent dans le circuit d’analyse.

Le chromatogramme 12 a été réalisé en pré-concentrant 180 ml d’eau ultrapure. Les concentrations trouvées rendent cette technique tout à fait compétitive avec la spectrométrie d’absorption atomique, avec ou sans four, ou la spectrométrie d’émission atomique par excitation par plasma.

Une autre application de la colorimétrie post-colonne est réalisée avec le dosage de la silice et des phosphates. La détection est réalisée à 410 nm après addition post-colonne du classique réactif molybdo-lique. On peut atteindre des limites de l’ordre de quelques microgrammes par litre en silice soluble.

LÉGENDES

Fig. 1. — Schéma de principe de la Chromatographie Ionique. Fig. 2. — Schéma analytique de la chromatographie d’anions et de cations. Fig. 3. — Chromatographie Ionique d'un standard anions. Colonne HPIC-AS4A — détection conductimétrique après neutralisation chimique. Sensibilité 10 microsiemens. Éluant : Na₂CO₃/NaHCO₃.

Fig. 4. — Schéma de principe de la Neutralisation Chimique de l'éluant par Micromembrane en matériau synthétique.

Fig. 5. — Chromatographie Ionique d’une eau de rejet urbaine. Colonne HPIC-AS4A, détection conductimétrique après neutralisation chimique. Sensibilité : 10 µS. Éluant : Na₂CO₃/NaHCO₃ (dilution : 3:10).

Fig. 6. — Chromatographie ionique en gradient d'une eau de rejet urbaine. Colonne HPIC-AS5A, détection conductimétrique après neutralisation chimique. Sensibilité 10 µS. Éluant : NaOH de 0,75 à 86 mN en 35 minutes.

Fig. 7. — Chromatographie Ionique d'une eau de boisson. Colonne HPIC-CS1 — détection conductimétrique après neutralisation chimique. Sensibilité 30 microsiemens. Éluant : HCl/P-phénylenediamine, 2HCl.

Fig. 8. — Chromatographie Ionique en gradient par étage d'un extrait de sol. Colonne : HPIC-CS3 — détection conductimétrique après neutralisation chimique. Sensibilité : 30 µS. Éluant : HCl 12 mM/DAP 0,5 mM, 3 minutes, puis HCl 48 mM/DAP 8 mM.

Fig. 9. — Chromatographie Ionique d'une solution oxydante à base d’hypochlorite. Colonne HPIC-AS3 — 2 détections couplées : ampérométrique sensibilité 3 microampères / conductimétrique : sensibilité 30 microsiemens. Éluant : Na₂CO₃. A : détection ampérométrique. B : détection conductimétrique.

Fig. 10. — Chromatographie Ionique d’une eau résiduaire après distillation et condensation dans un barbotteur alcalin. Colonne : HPIC-AS6 — Détection électrochimique, potentiel appliqué : 0 V, électrode d'argent. Éluant : NaOH/CH₃COONa/éthylénediamine.

CN⁻ = 100 µg/l SO₄²⁻ = 1000 µg/l (NaOH = 1 M)

Fig. 11. — Chromatographie Ionique d'un standard de 9 métaux. Colonne HPIC-CS5 — détection colorimétrique après addition de P.A.R. à 520 nm. D.O. = 0,1. Éluant : acide pyridyldicarboxylique (P.D.C.A.)/LiOH.

Fig. 12. — Chromatographie Ionique d’une eau ultrapure après pré-concentration de 180 ml. Colonne HPIC-CS5 — détection colorimétrique après addition de P.A.R. à 520 nm. D.O. = 0,1. Éluant : P.D.C.A.

Fig. 13. — Chromatographie par phase inversée de phénols dans de l’eau. Colonne synthétique MPIC-NS1 — détection ampérométrique avec électrode de carbone vitreux, potentiel appliqué : 1,1 V. Éluant : NaH₂PO₄/acétonitrile/eau.

CHROMATOGRAPHIE LIQUIDE ET DÉTECTION AMPÉROMÉTRIQUE DES ESPÈCES ORGANIQUES

La détection UV employée couramment dans les techniques de chromatographie liquide — dite HPLC — convient à la mesure des espèces organiques telles que phénols, crésols, polynucléaires aromatiques, mais seulement pour des niveaux de l'ordre du mg/l, rarement moins. La détection ampérométrique — oxydante — offre alors une alternative beaucoup plus sensible puisque les seuils atteints sont proches du µg/l. L’utilisation de ce procédé est mise en évidence dans la figure 13 où une électrode de mesure en carbone vitreux, après séparation sur colonne non-fonctionnalisée, neutre, permet d’atteindre les niveaux recherchés en contrôle de pollution (15).

La méthode de préconcentration est d’ailleurs aussi utilisable dans ce cas.

Il est à remarquer que cette détection est essentiellement spécifique, car on se place au potentiel d’oxydation des espèces considérées, qui leur est en général tout à fait caractéristique.

La séparation en gradient est recommandée si l'on cherche à identifier les différents composés phénoliques et dérivés présents dans une eau ; la détection ampérométrique, comme l’UV, s’y prête très bien.

CONCLUSION

La Chromatographie Ionique, grâce aux développements modernes qui lui ont été apportés est donc bien une méthode d’analyse polyvalente des pollutions en milieu aqueux, qu’il soit pur ou chargé en polluants minéraux et organiques. Elle est d’ailleurs déjà largement utilisée par les industries françaises pour leurs contrôles d’effluents et d’eaux techniques, mais aussi par des laboratoires chargés des eaux naturelles et de boisson.

BIBLIOGRAPHIE

(1) Small H., Stevens T. S. & Baumann W. C. — Analytical Chemistry, 1975, 47, n° 11. (2) Puła A., Rosset R. — Analusis, 1979, 7, n° 6. (3) Rich W. E. — L’Actualité Chimique, juin-juillet 1980. (4) Peschel J.-L. & Tinet C. — TSM l’Eau, août 1986, n° 7-8. (5) Francklin C. O. — American Laboratory, juin 1985. (6) Johnson E. L. — Liquid Chromatography in Environmental Analysis 1983, Humana Press. (7) Johnson E. L. — American Laboratory, février 1982. (8) Pohl C. A. — Journal of Chromatography Science, vol. 18, septembre 1980. (9) Slingsby R. W. — Liquid Chromatography Magazine, vol. 1, n° 6, 1983. (10) Scott R. P. — Liquid Chromatography Detectors, Elsevier, Amsterdam, 1977. (11) Stillian J. — Journal of Liquid Chromatography, septembre 1985. (12) Stillian J., Slingsby R. W., Paper III A, 36th Pittsburgh Conference, 1985. (13) Environmental Monitoring with Dionex IC, Document Dionex 32579 4/85. (14) Metals determination by IC, Document Dionex 32631 7/85. (15) Edwards P. & Haak K. — International Laboratory, juin 1983.

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements