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Amenée à l'équilibre calco-carbonique des eaux agressives : une transition maîtrisée

30 novembre 2011 Paru dans le N°346 à la page 105 ( mots)
Rédigé par : Fabrice HARANG, Arnaud PAUL et Yves KERGOAT

Confrontés à la nécessité de trouver des techniques de remplacement en matière d'équilibre calco-carbonique des eaux, industriels et exploitants ont mobilisé leurs compétences et connaissances afin d'apporter des solutions techniques pertinentes. Certains ont opté pour des technologies complexes basées sur l'injection de réactifs type soude NaOH ou lait de chaux CaO,H2O. D?autres ont fait le choix de conserver le principe de la filtration-percolation en mettant en place un nouveau média filtrant. Les cas étudiés montrent que cette voie est, dans de nombreux cas, tout à fait pertinente.

Les eaux brutes destinées à la production d’eaux de consommation requièrent, selon leurs caractéristiques, un traitement adapté afin de répondre aux normes de qualité définies par le ministère de la santé.

Filtration-percolation sur Neutralite : une technique rustique très performante

En effet, en fonction de son origine, des caractéristiques des sols et sous-sols et, de son environnement tout entier, sa minéra-

Reminéralisation par ajout de dioxyde de carbone et neutralisation par des carbonates

La réaction chimique théorique est la suivante :

CO₂ + CaCO₃ + H₂O → Ca(HCO₃)₂  
44 g + 100 g + 18 g → 162 g soit 10 °f

Pour augmenter la minéralisation de 4 °f, il faudra utiliser en théorie : 4,4 mg/L de CO₂ et 10 mg/L de CaCO₃.

Le carbonate de calcium marin qui était utilisé couramment en France (maërl) est une forme particulière de carbonate intéressante pour sa réactivité liée à son état physique. D'autres formes pourraient être utilisées mais les temps de contact devront être adaptés en conséquence car ils conditionnent grandement l'efficacité du procédé.

La constitution chimique des principaux carbonates utilisés fait apparaître un équilibre entre carbonate de calcium CaCO₃ et carbonate de magnésium MgCO₃.

Les réactions de neutralisation sont donc :

CaCO₃ + CO₂ + H₂O → Ca(HCO₃)₂  
MgCO₃ + CO₂ + H₂O → Mg(HCO₃)₂

Ce qui fait qu'en fonction du rapport CaCO₃/MgCO₃ et de la pureté du produit commercial, la consommation de calcaire peut varier de 2,2 à 2,4 g par g de CO₂ neutralisé.

Rappel : en théorie : 100/44 = 2,27 g de carbonate/g de CO₂.

... lité et son pH entre autres varient. Ainsi, l'eau peut être :

agressive : pH bas, minéralité faible, dissolution du calcaire mais aussi des métaux ; entartrante : pH haut, minéralité forte : création de dépôts calcaires.

En France, les eaux brutes de forage ont une tendance naturelle à être agressives sur le Massif central et l'Auvergne, le massif armoricain et l'ouest de la Normandie, l'Est, les Vosges et les Alpes. Ces eaux brutes doivent donc subir un traitement de neutralisation – reminéralisation généralement obtenu par un passage sur un filtre dit à Neutralite (nom usuel du maërl utilisé en traitement des eaux). Les études menées montrent qu'une injection directe dans l'eau de produit pulvérulent conduit à une neutralisation difficilement contrôlable et présente des risques sanitaires graves en cas de mauvaise manipulation (dépassements de pH, non-atteinte de l'équilibre, ...).

Or, le maërl n'est pas un réactif injecté. C'est le CO₂ agressif dissous qui, lors de la neutralisation, solubilise le maërl. Le pouvoir neutralisant du maërl est très important lorsque l'action a lieu par percolation de l'eau à travers un certain volume de matériaux. Les avantages du procédé sont nombreux (« Mémento technique de l'eau », Degrémont, 1990) : – L'eau est amenée à l'équilibre (pH, alcalinité, TAC, Th, correctes) ; – Aucun risque sanitaire d'excès de réactif à redouter (pouvoir tampon) ; – Traitement naturel et simple : pas de produits chimiques utilisés ; – Surveillance et maintenance des installations aisées (prix de revient acceptable).

[Photo : Prise de vue sous-marine d'un banc de maërl au large des îles Glénan]

Une transition chaotique induite par la fin brutale de l'accès à une matière première

Le 17 novembre 2005, l'État français décidait sous la pression d'écologistes liés pour l'occasion à des représentants de la pêche industrielle qui exploitent la coquille, d'accorder aux PME transformatrices de maërl un dernier titre minier pour l'extraction sur la zone dite « concession des Glénan » et ce, avec de hautes conditions restrictives : utilisation de la matière extraite uniquement pour le traitement de potabilisation des eaux, durée d'exécution de 6 ans.

L'arrêt en 2010 de l'extraction du maërl au large des côtes du Finistère sud (gisement des Glénan) a eu pour conséquence principale la fin de la production de Neutralite, produit naturel utilisé pendant des décennies pour la neutralisation et la reminéralisation des eaux agressives.

En effet, ce maërl (mot breton pouvant être traduit par « marne ») est constitué d'un mélange de sable, tests calcaires et de fragments d'une algue marine calcaire : le lithothamne (Lithothamnium calcareum en l'espèce). C'est cette dernière qui, après séchage, broyage, criblage et tamisage, donnait un produit de granulométrie comprise entre 2 et 4 millimètres qui était commercialisé, entre autres, sous l'appellation « Neutralite ».

Devant l'arrêt de la fourniture de ce produit naturel, les exploitants d'unités de traitement des eaux agressives se sont retrouvés avec peu ou pas de solution acceptable. En effet, les unités conçues et dimensionnées pour l'utilisation de la Neutralite pouvaient difficilement fonctionner avec les médias filtrants alors présents sur le marché et les modifications nécessaires représentaient un investissement significatif et parfois même prohibitif.

Si certains exploitants ont fait le choix de passer à des solutions de traitement par des produits de synthèse (traitements par oxydes de calcium hydraté CaO,H₂O ou avec de l'hydroxyde de sodium NaOH), de nombreux syndicats, régies et sociétés d'affermage ont fait le choix de rester sur des techniques plus « douces » de filtration-percolation sur carbonates (CaCO₃, MgCO₃). Ne restait plus alors qu'à trouver le ou les produits de substitution à la Neutralite ad hoc.

Les principaux producteurs de carbonates proposent déjà depuis plusieurs années des produits destinés à la potabilisation des eaux mais ces derniers n'offrent pas la même efficacité que la Neutralite pour l'amenée à l'équilibre calco-carbonique des eaux.

En effet, si d'un point de vue purement chimique les éléments nécessaires à la neutralisation-reminéralisation (carbonates de calcium et de magnésium) sont naturellement présents dans ces produits, la forme sous laquelle ils le sont induit des cinétiques de solubilisation plus faibles que l'utilisation de Neutralite.

[Photo : Maërl des Glénan : structure alvéolaire]
[Photo : Carbonate terrestre : structure cristalline. Vues microscopiques des structures minérales]
[Photo : Unité de production d’eau potable du Nankou - Ville de Douarnenez - Finistère.]
[Photo : Unité de potabilisation du Nankou : arrivée d’eau par surverse : élimination du CO₂ en excès.]

Des exemples de transition réussies

Unité de traitement par filtres ouverts : unité de production d’eau potable du Nankou - Ville de Douarnenez - Finistère

Utilisateur historique de Neutralite pour sa station de traitement d’eau potable du Nankou, la régie municipale de la ville de Douarnenez a retenu en avril 2011 la technologie Algafiltre Ca pour produit de substitution. Après étude de faisabilité réalisée par le fournisseur (diagnostique de l’unité de traitement, analyses des eaux brutes, simulation, ingénierie, …), les résultats positifs ont permis la mise en place dans chacun des filtres ouverts de 5 m³ de carbonate.

L’unité de traitement fonctionne avec 4 filtres ouverts en béton d’une capacité moyenne de 8 m³ de média filtrant chacun. L’eau brute est amenée directement par surverse dans chacun des filtres à un débit d’ensemble allant de 55 à 120 m³/h ; l’utilisation de tout ou partie des filtres étant modulée en fonction du débit demandé en aval.

[Encart : Algafiltre Ca Caractéristiques Carbonate de Calcium (CaCO₃) : 98,5 % Teneur totale en Carbonates (CaCO₃ + MgCO₃) : 99,3 % Résidus insolubles dans HCl : < 5 % Couleur : Blanc cassé – gris Fuseau granulométrique : 1,5 à 2,5 mm Conforme à la norme EN 1018 Qualité Type 1 (CaCO₃ + MgCO₃ > 98 %), niveau 4. HCl (< 2 %) ]

Les eaux brutes qui alimentent cette station du Nankou sont qualifiées d’agressives. En effet, de par leur acidité (pH = 5,5) et leur faible minéralité, elles ne sont pas à l’équilibre calco-carbonique et ont, de fait, une forte propension à la corrosion. Ainsi, au-delà du fait que cette eau brute ne soit pas distribuable directement au consommateur, elle présente un risque d’attaque des ouvrages et des canalisations et donc, en conséquence, de dissolution de leurs constituants : métaux, carbonates de calcium pour les structures en béton, …

Les résultats obtenus avec le produit de substitution depuis plus de 6 mois de fonctionnement de la filière de traitement permettent de conserver une qualité d’eau traitée tout à fait satisfaisante et apte à la distribution pour la consommation humaine. En conditions identiques d’exploitation, les caractéristiques de l'eau traitée sont quasi identiques à celles que l’on obtenait antérieurement avec la Neutralite.

Unité de traitement par filtres fermés : unité de production d’eau potable des Chinières - Le Mesnil-Rinfray - Manche

Cet exemple de passage de la Neutralite à un carbonate d'origine terrestre (Algafiltre Ca) s’est déroulé en avril 2011 sur la station des Chinières située sur la commune du Mesnil Rinfray dans le département de la Manche (50). Cette station de traitement d'eau potable du SIAEP de Saint-Hilaire-du-Harcouët est exploitée par la société STGS située à Avranches dans la Manche. Suivie par l’exploitant avec l’accord et sous le contrôle de l'ARS de la Manche, cette substitution de la Neutralite par le pro—

Caractéristiques des eaux brutes / Station du Nankou

pH5,5 unité pH
Température (T°)18,5 °C
Turbidité Néphélométrique< 0,2 NTU
Conductivité à 25 °C225 µS/cm
Titre Alcalimétrique Complet (TAC)< 1 °f
Titre Hydrotimétrique (TH)8,1 °f
CO₂ libre48 mg/L
CO₂ agressif46,5 mg/L
Calcium (Ca²⁺)10,5 mg/L
Hydrogénocarbonates (HCO₃⁻ | CO₃²⁻)< 12 mg/L
Équilibre Calco-carbonique (Indice de Langelier)eau agressive

Tableau comparatif des résultats de traitement : Neutralite VS Algafiltre Ca

Unité de potabilisation Ville de Douarnenez – Finistère 2011

Eau brute :pH 5,5CO₂ libre 32,2 mg/LTAC < 1 °fTH 8,7 °fI.S. 3,74
Algo Neutralite / résultats :pH 8,1CO₂ libre < 2 mg/LTAC 11,56 °fTH 16,14 °fI.S. 0,08
Algafiltre Ca / résultats :pH 8,05CO₂ libre 2,3 mg/LTAC 11,08 °fTH 15,7 °fI.S. 0,08
[Photo : Unité de potabilisation du Nankou : filtres ouverts en fonctionnement.]
[Photo : Unité de production d’eau potable, filtres fermés.]

L’Algafiltre Ca avait pour objectif d’apporter une réponse pérenne à l’exploitant, tant d’un point de vue qualitatif (équilibre calco-carbonique, neutralisation, minéralisation) que quantitatif (débit, capacité, volumes traités).

Descriptif de la filière :

Les résultats obtenus après substitution de la Neutralité font apparaître une qualité d’eau traitée tout à fait satisfaisante et apte à la distribution pour la consommation humaine. Le suivi sur le long terme montre lui aussi – en conditions normales d’exploitation – une eau parfaitement équilibrée, tant du point de vue du pH (acidité/basicité) que de sa minéralité (alcalino-terreux dissous), et ce, de manière pérenne.

Conclusions techniques : qualité de l’eau traitée

L’équilibre calco-carbonique de l’eau est atteint dans des conditions proches de celles de la Neutralité : les résultats correspondent aux attentes de l’ARS, le TAC et la dureté étant sensiblement supérieurs aux objectifs fixés.

[Photo : Schéma de la filière d’amenée à l’équilibre calco-carbonique des eaux / Mesnil-Rinfray (50).]

Caractéristiques des eaux brutes :

Captage des Chinières

Paramètre Valeur
pH 5,70
Température (°C) 11,0
TAC (°f) < 2
Th (°f) 3,6
Conductivité (µS/cm) 165

Les objectifs fixés par l’ARS de la Manche pour les eaux traitées sont les suivants : pH = 7,8 – Conductivité = 260 µS/cm – TAC ≥ 6 °f – Th ≥ 8 °f.

Les résultats (exploitant et ARS) obtenus après 6 heures de fonctionnement de la filière de traitement en conditions identiques à celles utilisées antérieurement avec la Neutralité sont présentés ci-dessous :

Heure de prélèvement : T0 + 6 h

Échantillon : Suivi exploitant

Paramètre Valeur
pH 7,82
Température (°C) 13,1
Turbidité (NTU) 1,59
TAC (°f) 8,0
Th (°f) 11,2
CO₂ (mg/l) 0,42

Résultats moyens suivis ARS

Paramètre Valeur
pH 7,95
TAC (°f) 7,4
Th (°f) 9,6

Observation : sur ce site, la substitution de la Neutralité par l’Algafiltre Ca n’a pas nécessité de modification structurelle des ouvrages et les conditions d’exploitation antérieures ont été maintenues (temps de contact, vitesse de filtration-percolation, lavages et détassages, …).

[Photo : L’équilibre calco-carbonique de l’eau est atteint dans des conditions proches de celles de la Neutralité : les résultats correspondent aux attentes de l’ARS, le TAC et la dureté étant sensiblement supérieurs aux objectifs fixés.]

Conclusion

À la fin des années 1970, était mis au point le traitement par filtration-percolation des eaux agressives en utilisant le maërl (Neutralité) comme média filtrant. Cette technique rustique mais ô combien efficace et adaptée aux petits et moyens captages a permis pendant de nombreuses années de potabiliser des eaux en les amenant parfaitement à l’équilibre calco-carbonique.

Peu onéreuse et apportant des résultats plus que satisfaisants, la technique aurait pu être maintenue encore longtemps sans les décisions étatiques.

Devant la nécessité de trouver des techniques de remplacement, industriels et exploitants ont mobilisé leurs compétences et connaissances afin d’apporter des solutions techniques pertinentes.

Si certaines unités de traitement ont été remplacées par des technologies plus complexes (basées sur l’injection de réactifs type soude NaOH ou lait de chaux CaO, H₂O), d’autres ont fait le choix de conserver la technique d’amenée à l’équilibre calco-carbonique des eaux de consommation par filtration-percolation en mettant en place un nouveau média filtrant. Les cas étudiés montrent que cette voie est, dans de nombreux cas, tout à fait pertinente.

Il est néanmoins nécessaire de bien analyser les caractéristiques de chaque site et de réaliser une simulation théorique et, si possible, pratique afin d’adapter à la marge l’installation au produit de substitution employé.

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