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Améliorer la décantation des boues activées par l'ajout d'une poudre riche en talc

30 juillet 1997 Paru dans le N°203 à la page 52 ( mots)
Rédigé par : Job GROVENSTEIN, Delphine HéLAINE, Dick EIKELBOOM et 1 autres personnes

En épuration biologique, une mauvaise clarification signifie très souvent une pollution importante du milieu récepteur, mais aussi des difficultés de gestion de la station. Prolongeant une longue période de recherches, un nouveau moyen d'action a été validé à la station d'épuration de Bodegraven (Pays-Bas, 40 000 éq. hab.). Les résultats obtenus indiquent clairement que l'adjonction d'un mélange particulier de talc et de chlorite (Aquatal) est un moyen très efficace pour l'amélioration rapide de la décantabilité : en un jour, l'indice de boue est passé de 900 à environ 250 ml/g puis s'est stabilisé en quelques jours à moins de 150 ml/g. Il existe donc une alternative efficace, rapide, écologique et sans effet toxique à la chloration, trop souvent utilisée pour lutter contre les conséquences du foisonnement filamenteux.

[Photo : Panorama de la carrière de Talc de Luzenac (Ariège)]

L’aptitude d'une boue activée à décanter-sédimenter est un paramètre important pour garantir une bonne qualité de l’effluent en sortie de clarificateur. La prolifération de bactéries filamenteuses au sein de la boue activée affecte rapidement l’aptitude à la sédimentation (quantifiée par la mesure de l’indice de boue) et les boues sont alors qualifiées de “boues légères”. Il devient dès lors difficile, voire impossible d’éviter les pertes de boues, entraînées avec l’effluent traité vers le milieu récepteur...

Début 1995, le TNO - Organisation Néerlandaise pour la recherche appliquée - a réalisé des essais semi-industriels visant à améliorer l'indice de boue via l'utilisation de différentes poudres minérales de granulomé-

[Photo : Figure 1 : Schéma de la station d’épuration de Bodegraven et principaux paramètres de fonctionnement]

La poudre présente une granulométrie comprise entre 0,1 et 150 μm. Il est apparu que les flocs biologiques pouvaient être lestés et structurés par des particules talqueuses adsorbées en surface (Van Buijsen et Eikelboom, 1995).

Cette nouvelle méthode d’amélioration de l’indice de boue a été validée pour la première fois par le TNO (Delft, Pays-Bas) en collaboration avec Luzenac Europe (Toulouse, France), dans la station d’épuration de Bodegraven (Hoogheemraadschap – Autorité de l'eau du Rijnland, Pays-Bas).

[Photo : Figure 2 : Évolution trimestrielle de l’indice de boue]

La station d’épuration de Bodegraven

La station d’épuration de Bodegraven est en service depuis 1977. L’effluent est un mélange d’eaux résiduaires urbaines (50 %) et d’eaux rejetées par des unités de fabrication de shampooings, de détergents, de boissons gazeuses ainsi que par un abattoir. La nitrification était largement influencée par les insuffisances ponctuelles d’aération dues aux fortes variations de charge appliquée. Fin 1991, deux agitateurs de surface supplémentaires (15 kW) ont été installés, mais une extension des ouvrages est tout de même à prévoir.

La limitation en capacité d’aération, le fort brassage imparfait dans le bassin d’aération ont favorisé la prolifération de bactéries filamenteuses au détriment des micro-organismes floculés. La très forte croissance de bactéries filamenteuses explique les pertes régulières de boues en sortie de clarificateur. L’évolution de l’indice de boue (IB) est visiblement saisonnière avec des valeurs maximales en été (Figure 2).

Début 1995, un développement rapide de bactéries filamenteuses de type 021 N (Eikelboom et Van Buijsen, 1981) a fortement dégradé l’IB (Figure 3). Tout d’abord l’exploitant a essayé d’améliorer la sédimentation en ajoutant du sulfate d’alumine Al₂(SO₄)₃. De début avril à fin mai, 1,44 tonne de sels d’aluminium ont été ajoutées, soit environ 6 mg Al par litre d’effluent. L’effet de ce remède était à peine visible. En juin, l’exploitant a tenté une autre action en ajoutant du chlorure ferrique FeCl₃ (environ 15 mg Fe par litre d’effluent). Ceci n’a donné aucune amélioration et, à la fin du mois de juin, l’indice de boue atteignait 1 000 ml/g. Il devenait impératif d’agir immédiatement et efficacement pour arrêter le lessivage de la station.

Essais en laboratoire

Pour la validation de son procédé à Bodegraven, la société Luzenac a sélectionné la poudre minérale désignée Aquatalᵀᴹ (anciennement PE 8418). C’est un mélange naturel de talc et de chlorite (minéral naturel de la famille des talcs) de répartition granulométrique variant d’environ 0,1 à 100 μm.

Des essais de dimensionnement ont été préalablement réalisés en éprouvettes d’un litre : des quantités croissantes d’Aquatalᵀᴹ ont été mélangées à des échantillons de boues activées de la station de Bodegraven. Avant d’être mélangée à la boue, la poudre est dispersée dans de faibles quantités d’eau. Après un mélange rapide, la sédimentation est caractérisée par le volume décanté en 30 min, ramené à 1 g de boue activée ou

[Photo : Figure 3 : Filaments de type 021 N dans la boue activée (*1250)]

Tableau I : indices de boue obtenus par différents rapports Aquatal* : boue

Rapport massique Aquatal* : boue activée IB calculé par rapport à la biomasse seule IB calculé par rapport à l’ensemble des MES (boue + Aquatal*)
0 : 630 630
1:5 : 610 505
1:4 : 560 450
1:3 : 540 410
1:2 : 510 350
1:1 : 280 140

de matières en suspension. Les résultats sont rassemblés dans le tableau I.

L’amélioration de l’indice de boue par ajout d’Aquatal® est très rapide. Pour les boues de Bodegraven, un rapport 1:1 est nécessaire et suffisant pour ramener l’IB à des valeurs normales. Ceci implique tout d’abord d’ajouter rapidement environ 40 tonnes de poudre talqueuse (pour atteindre le rapport Aquatal® : boue activée = 1:1), puis d’un ajout quotidien d’environ 1,5 t pour compenser l’évacuation de l’additif avec les boues en excès (et donc maintenir ce rapport à 1:1).

Utilisation en station d’épuration

Mise en œuvre.

Du 4 au 5 juillet 1995, 37,3 tonnes de Aquatal® préalablement mouillées ont été injectées directement en sortie de camion vrac dans le carrousel de la station de Bodegraven : introduction à un débit d’environ 10 tonnes/heure pendant 2 heures le 4 puis le 5 juillet, à proximité d’un aérateur de surface. Ensuite, pendant toute la période d’utilisation, Luzenac a mis à disposition de la station un déliteur garantissant un bon mouillage de la poudre et permettant un dosage moyen d’environ 1,5 tonne par jour (de 0,5 à 2,5 t/j selon la charge organique et le degré de stabilisation de la station). Début août, la limitation de capacité d’aération a été repoussée par l’installation d’un compresseur et de disques diffuseurs de fines bulles d’air. Comme l’indice de boue était stabilisé à des valeurs très faibles, il nous a semblé que l’on pouvait essayer d’arrêter de doser la poudre en continu vers la mi-août.

Pendant les premiers jours de traitement, quelques difficultés sont temporairement apparues :

  • - Le taux de recirculation des boues du clarificateur vers le carrousel n’étant que de 50 %, on a assisté à une accumulation des boues “talquées” dans le clarificateur. Le lit de boue n’était plus qu’à quelques centimètres de la surface, occasionnant quelques pertes. L’exploitant a rapidement augmenté le taux de recirculation et ce problème a été immédiatement résolu.
  • - Les premiers jours, une couche de mousse (assez épaisse et grasse) s’est formée en surface du carrousel et du clarificateur. Elle n’a pas engendré de problème particulier et a disparu spontanément après quelques jours. L’Aquatal® contient du talc, minéral hydrophobe, et l’influent contient de nombreux tensio-actifs (détergents, shampooing). Or il est bien connu que la combinaison de petites particules hydrophobes et de tensio-actifs peut favoriser la formation de micro-bulles stables, entraînant la flottation des boues activées. Les particules de talc libre (non encore incorporées aux flocs) sont vraisemblablement la cause de la constitution de cette couche de mousse durant les premiers jours d’utilisation.

Il semble qu’il faille un certain temps avant que toute la poudre minérale ne soit complètement utilisée par la boue activée. Trois arguments à cela :

  • - Après quelques semaines, l’indice de boue était meilleur qu’au début malgré un taux d’additif plus faible qu’initialement (voir ci-après),
  • - Le rapport Aquatal® : biomasse, mesuré dans le carrousel, est passé de 113 % le 1er jour d’utilisation, à 60 % le 7e jour. Il a donc fallu attendre une semaine avant de répartir de façon homogène le produit dans toute la station (carrousel + clarificateur),
  • - Les observations indiquent qu’à partir du 13e jour, la totalité de la poudre minérale a été captée/absorbée par les flocs, avec disparition totale de la mousse.

Il faut également remarquer qu’il n’y a pas de sédimentation du produit minéral au fond des ouvrages, ni de pertes par surverse.

Amélioration rapide et durable de la décantabilité des boues

La figure 6 montre l’évolution de l’indice de boue au cours du temps. Pour une meilleure compréhension et une bonne comparaison de l’évolution de la décantabilité des boues au cours des périodes avec et sans Aquatal®, les valeurs d’indice de boue sont exprimées en ml par g de matières en suspension (IB/MES totales), et également en ml par g de biomasse (sans tenir compte des masses de Aquatal® ; IB/MES biomasse).

En 24 heures, l’indice de boue a chuté de 850 à 230 ml/g de biomasse. Après une courte période de faible remontée, l’indice de boue s’est stabilisé à des valeurs inférieures à 150 ml/g. Grâce à l’amélioration continue de la structuration des flocs, un rapport Aquatal® : biomasse d’environ 60 % devenait suffisant pour garantir une bonne séparation solide/liquide. Le dosage a été arrêté mi-août. Après cette période, la fraction minérale a diminué de 52 %, pour atteindre 27 % fin octobre. Durant cette période, l’indice de boue a légèrement augmenté pour atteindre 200 ml/g. Par la suite, celui-ci a retrouvé les valeurs classiques de la période automnale (< 150 ml/g, voir figure 2).

[Photo : Camion vrac délittant et introduisant 25 tonnes de Aquatal® dans la STEP]
[Photo : Évolution du rapport Aquatal : biomasse]
[Photo : Évolution des indices de boue]

L’analyse microscopique de la boue a clairement montré que l’amélioration de la sédimentation n’était pas due à une diminution de la quantité de bactéries filamenteuses : au 30ᵉ jour, l’indice d’abondance des filaments était toujours de 4,0 (échelle de 0 à 5), les bactéries dominantes étant toujours de type 021 N (Eikelboom et Van Buijsen, 1981). Généralement, ce phénomène induit des indices de boue supérieurs à 300 ml/g. En présence de Aquatal, il était toujours maintenu à des valeurs inférieures à 150 ml/g (de biomasse).

Forte augmentation de la vitesse initiale de décantation

Des tests de décantation sous agitation sont menés ponctuellement. Il s’agit de simuler au plus près la phase de décantation initiale, réalisée à partir de boues non diluées soumises à une agitation lente dans des éprouvettes de 50 cm de hauteur (White, 1975). La vitesse initiale de décantation ainsi déterminée présente une excellente corrélation avec celle observée dans le clarificateur. Avant l’utilisation d’Aquatal, cette valeur a été estimée entre 0,8 et 0,9 m/h. La figure 6 reprend une courbe de décantation obtenue en période stabilisée (31ᵉ jour). La partie linéaire de la courbe (entre 2 et 10 mn) représente la vitesse de sédimentation, mesurée à 1,5 m/h.

[Photo : Courbe de décantation de la boue activée filamenteuse en présence d’Aquatal]

Respect de l’activité biologique

Il faut également noter qu’à la station de Bodegraven, les rendements d’élimination de la DCO et de l’azote Kejdahl sont mesurés quotidiennement. Pendant toute la période d’utilisation d’Aquatal, ces rendements d’épuration n’ont absolument pas été affectés. Il est ainsi possible d’affirmer que l’activité épuratrice de la biomasse n’est pas modifiée par la présence de cette poudre minérale.

Déshydratation des boues en excès

À Bodegraven, le traitement des boues se fait via un épaississeur puis un filtre presse. Du Zetag-87 est utilisé pour floculer les boues avant le pressage (3,5 g/kg MS). Il n’a pas été possible de limiter cette quantité aux seules matières sèches apportées par la biomasse. L’augmentation de matières sèches due à la poudre minérale a donc entraîné une augmentation de la consommation quotidienne de polyélectrolyte. Toutefois, le changement du polymère n’a pas été envisagé. Or les essais ultérieurs (Bodegraven était la première validation) indiquent clairement que les floculants doivent être dosés uniquement par rapport aux matières sèches apportées par la biomasse, soit une consommation constante d’additifs de pressage, avec ou sans Aquatal (Clauss et al.). Si les quantités usuelles ne sont pas suffisantes pour une bonne déshydratation, cela signifie que le polymère habituel n’est plus adapté aux nouvelles caractéristiques des boues. Un changement de polymère permet de revenir aux consommations habituelles, sans incidence sur les coûts d’exploitation liés au traitement des boues.

Après ajout de la poudre minérale, la concentration en sortie de silo épaississeur est passée d’environ 10-15 g/l à 30-40 g/l. La concentration de matière sèche dans le filtre presse a, durant cette période, augmenté de 17,5 % à 27,5 % (valeurs moyennes), soit une augmentation de 60 % (27,5/17,5 = 1,6), à relier au rapport Aquatal : biomasse = 0,6 : 1. Ceci signifie que Aquatal n’a pas d’impact sur la production totale de boues pressées, l’augmentation de la quantité de matières sèches (due à la masse de la poudre minérale) étant

contrebalancée par la diminution de la quantité d’eau contenue dans les boues.

Conclusions

L’ajout d’Aquatal®, produit minéral inerte, améliore de façon significative la décantabilité de la boue activée. La première semaine, l'indice de boue est passé de 900 ml/g à 300 ml/g, pour finalement se stabiliser à 150 ml/g. La vitesse de sédimentation qui était inférieure à 1,0 m/h est passée à 1,5 m/h.

Ces excellents résultats ont été obtenus avec un rapport massique Aquatal® : biomasse de 0,6 : 1 en moyenne. Les populations bactériennes (filamenteuses ou non) ne sont pas affectées par le traitement. La dégradation de la pollution soluble n’a pas été modifiée par l'utilisation de cette poudre minérale. Les résultats obtenus sur site (station d’épuration de Bodegraven, Pays-Bas, 40 000 éq. hab.) montrent que l’adjonction de poudre minérale est une solution efficace pour lutter contre les pertes de boue.

Il faut noter qu’il n’a pas été observé de dépôt de poudre minérale dans le carrousel ni dans le clarificateur. Ces observations ont été réalisées pendant et après l'utilisation de cette poudre minérale.

Le seul inconvénient de ce produit relevé lors de cette première validation sur site semble être l’augmentation de la consommation de polyélectrolyte de déshydratation des boues, liée à l'augmentation de matières sèches. Il aurait vraisemblablement fallu modifier le type de polymère pour l’adapter au nouveau type de boues générées, comme les utilisations ultérieures l’ont prouvé.

Il est toujours préférable de mouiller la poudre minérale avant de la mélanger à la boue activée. Les particules minérales sont alors séparées les unes des autres, ce qui évite la formation de “grumeaux”.

Cette opération préalable de délitage permet également de disposer de toute la surface active du minéral, favorisant une adsorption forte sur les flocs bactériens. Bien entendu, Luzenac peut fournir provisoirement une unité compacte de mise en suspension. Jusqu’à présent, seul le chlore était efficace pour lutter contre les problèmes de décantation.

On sait que cette utilisation a des effets négatifs sur l’environnement, tels que la diminution de la nitrification, et plus grave, la formation de composés chlorés rejetés dans le milieu naturel. Aquatal® apparaît donc comme une alternative efficace et écologique à la chloration.

[Encart : Références bibliographiques * Clauss F., Hölder B., Blairovic A. et Bidaut A. (1997) Addition of mineral powder, a benign concept to sludge management : successful case histories. Proc. IAWQ Specialized Conference on Sludge Management : Sludge, Waste & Resource, Czechtown, 26-28 juin. * Eikelboom D.H., Van Buijsen H.J.J. (1981) Microscopic sludge investigation manual. TNO report A940, février 1981, Delft, Pays-Bas. * Van Buijsen H.J.J., Eikelboom D.H. (1995) Improvement of the settling properties of bulking activated sludge by addition of talc : a feasibility study. TNO report R 95/114, mai 1995, Delft, Pays-Bas. * White M.J.D. (1975) Setting of activated sludge. Water Research Centre, TR11, mai 1975, Stevenage, Royaume-Uni.]
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