Le secteur de production primaire a été considéré pour la première fois avec le rapport Hénin de 1980, comme une activité susceptible de causer des nuisances à l'environnement. Les données rassemblées concluaient à une tendance à la dégradation de la qualité des eaux continentales, liée à l'augmentation des teneurs en composés azotés et phosphorés.
Le secteur de production primaire a été considéré, pour la première fois avec le rapport Hénin de 1980, comme une activité susceptible de causer des nuisances à l'environnement. Les données rassemblées concluaient à une tendance à la dégradation de la qualité des eaux continentales, liée à l’augmentation des teneurs en composés azotés et phosphorés. Si les risques afférents à l'emploi des produits phytosanitaires n’étaient pas non plus écartés, la priorité fut accordée aux problèmes posés par la fertilisation des sols et la gestion des effluents d’élevage. Ainsi les deux ministères concernés, l'Agriculture et l'Environnement, ont-ils créé dans cette optique prioritaire, le Copern, Comité d’Orientation pour la Réduction de la Pollution des Eaux par les Nitrates et les Phosphates Provenant des Activités Agricoles.
(1) Avec un CA de plus de 20 milliards de F réalisé par 500 foires et salons accueillant quelque 20 millions de visiteurs, cette grande activité nationale classe notre pays second au monde derrière la RFA.
Si l'on s'interroge sur l'origine des nitrates dans les eaux souterraines, on peut d’abord se référer au bilan de l'azote au niveau national qui fait état d’un apport global de 9 Mt N/an, pour lequel l’épandage des engrais minéraux intervient avec 2 Mt N/an et celui des déjections animales avec 2 Mt N/an également, le cycle naturel limitant l'apport régulier à celui de la minéralisation des matières organiques dans le sol à 3 Mt N/an augmenté de l’apport des précipitations atmosphériques et fixations symbiotiques et non symbiotiques de 1,8 Mt N/an (A. Landreau, BRGM, Revue EIN 02/1983) (2). Les agriculteurs ont recours à la saturation de leur sol à plusieurs reprises dans l'année car les engrais nitriques migrent en profondeur par lessivage, hors la couche de terre arable.
(2) Dans les eaux, l'élément N se présente sous forme tantôt organique, azote protidique des macromolécules organiques, tantôt minérale, azote ammoniacal (NH₄), azote nitreux des nitrites (NO₂) et azote nitrique des nitrates (NO₃). Ce n’est que dans le sol que tout cet azote subira une bioconversion microbienne en azote nitrique, susceptible d’être alors lessivé du fait de son hydrosolubilité.
Monoculture intensive, super-rendement surfacique, érosion due au remembrement, la consommation de fertilisants azotés va croissant : de 2 Mt N/an en 1982 à 2,6 Mt N/an en 1987 avec des doses moyennes de 100 kg N/ha/an passées dans plusieurs départements à 160 kg N/ha/an.
L’eutrophisation
Incontestablement, l'emploi des engrais azotés, qui a permis l’extraordinaire augmentation de la production agricole et le recul de la famine en pays défavorisés, connaît une pause d’interrogations et fait aussi l'objet des critiques les plus vives. Que leur reproche-t-on ?
D’abord, et depuis longtemps, de polluer les milieux récepteurs, rivières et eaux de surface, en les « eutrophisant », c’est-à-dire en les nourrissant trop bien, ce qui entraîne la prolifération d’algues vertes envahissantes du fait de cette fertilisation involontaire.
Il serait injuste d'incriminer uniquement les nitrates dans l'eutrophisation des eaux continentales. Parmi les substances nutritives qui stimulent l’embonpoint végétal, le phosphore occupe la première place d’après l'INRA, la seconde revient à l'azote devant le carbone : les excès de phosphore entraînent des perturbations métaboliques dans le fonctionnement des plans d'eau avec prolifération d'indésirables fleurs d’eau à cyanophycées (anabaena) responsables par désoxygénation des hécatombes massives dans la faune piscicole (G. Barroin, Institut de Limnologie, INRA Thonon, 03/1990).
L'eutrophisation apporte toutes sortes de désagréments : réduction de la trans-
Apparence des eaux (3), désoxygénation et perturbation de la vie piscicole, dégagements d'odeurs putrides, mais aussi difficultés accrues dans la préparation des eaux potables (mauvais goûts communiqués à l'eau par le phytoplancton que les filières ordinaires de traitement n'arrivent pas à ôter, apparition éventuelle de néoproduits cancérigènes par suite des opérations de chloration, comme les THM — trihalométhanes — issus de la chloration des résidus humiques et polychlorophénoliques). Cette tendance à la dégradation des eaux de distribution a été rendue plus sensible ces dernières années avec les déficits successifs de pluviométrie.
Ce n'est pas tout : le phénomène d'eutrophisation se traduit encore dans les zones littorales par une prolifération excessive de certains organismes marins et revêt, de nos jours, un aspect critique.
(3) Une circulaire du 22/06/1988 du Secrétariat d'État à l'Environnement demandait aux Départements d'élaborer des cartes de zones à risque d'eutrophisation. Pour le bassin de la Loire, par exemple, le programme Polupa de l'AFBLB s'est fixé deux objectifs de réduction de l'eutrophisation des cours d'eau :
• à court terme, une teneur limite de 60 mg de chlorophylle a par m³ d'eau ;
• à long terme, une teneur de 15 mg de chlorophylle a/m³ d'eau (L.-C. Oudin, Bulletin AFBLB, 12/1989).
En de nombreux points du littoral ouest français, ce phénomène prend le nom médiatique de « marée verte » quand il s'agit d’algues vertes macrophytes (ulves, fucus, laminaires…) sujettes à des échouages massifs sur les plages, ou le nom « d'eaux colorées », de « marées rouges » quand il s'agit de « blooms » planctoniques (diatomées, dinoflagellés…), espèces capables de synthétiser alors des substances toxiques pour l'homme (Dinophysis, Protogonyaulax) ou pour les animaux (Gyrodinium). Cette eutrophisation du littoral a donc une incidence directe sur le consommateur par le risque d'intoxication avec les fruits de mer contaminés, et indirecte sur le contribuable par la répercussion des frais de ramassage communal (il a été collecté en 1988, 44 000 m³ d’algues sur les plages du Finistère contre seulement 9 000 m³ en 1984, et le coût du ramassage varie de 14 à 630 F/m³ en 1987, avec une moyenne de 50 F/m³) (P. Fera, Bulletin AFBLB – 12/1989).
La méthémoglobinémie
Aujourd’hui, le problème est encore plus délicat. En cette période de surproduction, on redécouvre que les nitrates et les nitrites associés peuvent être considérés comme des produits dangereux capables de provoquer des signes d'intoxication graves, à la fois chez l'animal et chez l'homme, et qu'ils seraient dotés de potentialités cancérigènes. Premier point : la présence de quantités importantes de nitrates dans l'eau de boisson et les légumes que nous ingérons (épinards, carottes…) provoque la « méthémoglobinémie », le blocage de l'hémoglobine du sang et l’asphyxie des cellules dont les conséquences, mineures et réversibles le plus souvent, peuvent cependant devenir graves, voire
Hydrosolubilité et dose létale
Produits | Sol. (ppm) | DL 50 (mg/kg) rat (ingestion) | Commentaires |
---|---|---|---|
Piclorame | 430 | 8 200 | peu dangereux |
Dinoterbe | peu | 62 | très dangereux |
EPTC (Eptan) | 370 | 1 652 | modérément dangereux |
Atrazine | 28 | 3 080 | peu dangereux |
2,4-D | 374 | modérément dangereux | |
2,4-MCPA | 825 | 700 | peu dangereux |
Thiométon | 200 | 120-130 | très dangereux |
Lindane | 10 | 88 | modérément dangereux |
Endosulfan | 50-110 | très dangereux |
Source : Index phytosanitaire — 20ᵉ édition (1984).
Toxicité relative mouche/rat de divers insecticides agricoles
Produits | DL 50 application toxique chez l'insecte (en g/g) | DL 50 orale chez le rat (en g/g) | Rapport DL 50 rat / DL 50 mouche |
---|---|---|---|
DDT | 10,0 | 11,3 | 1,1 |
Parathion | 0,9 | 3,6 à 13 | 4 à 14 |
Malathion | 56,0 | 2 800 | 50 |
Fenitrothion | 5,6 | 250 à 590 | 45 à 89 |
Dimethoate | 0,9 | 320 à 380 | 356 à 422 |
Pyréthrines naturelles | 10,0 | 584 à 900 | 58 à 90 |
Deltaméthrine | 0,025 | 67 à 139 | 2 680 à 5 560 |
Sources : H. Martin et C. R. Worthing, « Pesticide Manual », 4ᵉ édition 1974. — Deltaméthrine : Roussel-Uclaf, Romainville (France).
même fatales (maladie bleue : cyanose mortelle des nourrissons)(4).
Les composés N-nitroso
La crainte vient surtout de la formation dans l'estomac humain de produits cancérigènes dont les nitrates et nitrites seraient les précurseurs chimiques. Il s'agit des composés N-nitroso, nitrosamides et nitrosamines. La création in vivo de nitrosamines procède de la réaction de condensation entre nitrites et amines secondaires (telles que la pyrrolidine et la pipéridine libérées au cours de la préparation culinaire des viandes) :
R > NH + NO → R > N-N = O + H₂O (L. Coin, LHVP, J. Vial, IPL — 1982).
Or, la cancérogénicité de ces composés néoformés N-nitroso pose un redoutable problème d'hygiène publique(5). On démontrera en essais toxicologiques que chaque nitrosamine prend pour cible néoplasmique un organe préférentiel : cancer du poumon, de l'œsophage, des reins, du foie, selon la structure moléculaire, la dose, la voie d’administration et l’espèce animale. Plus d'une centaine de composés N-nitrosés se sont révélés cancérigènes et le groupe chimique toxicophore nitroso ‑N = O leur attribue une place de choix parmi le catalogue des produits cancérigènes, tandis que la tératogénicité de plusieurs composés N-nitroso a été démontrée expérimentalement. Pour l’homme, on observe par exemple au Chili et en Colombie du Sud, grands producteurs d'engrais azotés, une corrélation entre la fréquence d'apparition des cancers de l'estomac chez les agriculteurs et l'emploi de nitrate de sodium. C'est en Angleterre qu'en 1974 une étude épidémiologique rapprochait fréquence des cancers et concentration de nitrates des eaux : par exemple, l'eau de boisson de la ville de Workshop en contient 90 mg/l, ce qui n'est peut-être pas étranger au fait que la fréquence des cancers hépatiques et gastriques dans cette ville est la plus élevée du Royaume-Uni (Pr F. Darnis, Université Paris VI, 1980).
(4) L'oxydation par les nitrites du fer ferreux Fe²⁺ de l'hème de l'hémoglobine en fer ferrique Fe³⁺ transformant alors celle-ci en méthémoglobine, la rend inapte au transfert d’oxygène vers les tissus. En technologie alimentaire, l’emploi des nitrites, raisonnablement limité, présente deux intérêts : l'activité antibactérienne (prévention des toxico-infections) et le conditionnement attractif (couleur rouge permanente des viandes). Si bien que les coutumes alimentaires restent prédominantes dans l’évaluation des consommations individuelles de nitrates (légumes) et nitrites (charcuterie, viandes et poissons salés).
(5) La présence permanente de N-nitrosamines dans l'environnement humain apporte des sujétions sérieuses. Ainsi en atmosphère polluée, les amines primaires, qui ne forment pas de nitrosamines stables, peuvent réagir avec l'aldéhyde formique pour donner une amine secondaire, précurseur de nitrosamine en présence de vapeurs nitreuses NO, selon le schéma réactionnel :
RNH₂ + HCHO + H₂O → RNHCH₂NO₂ R-NH-CH₂O NO (A. M. Siouffi, ECM — 1985).
Malaises au robinet
La Mission Eau-Nitrates du Secrétariat de l'Environnement constatait qu'en France, en 1987 (figure 1) une population de 1 716 000 personnes avait été desservie avec une eau du robinet dont la teneur avait dépassé, au moins une fois dans l'année, la norme européenne de 50 mg/litre en nitrates, teneur-limite introduite dans la réglementation française (qualités des eaux destinées à la consommation humaine définies par CEE n° 80/778 du 15 juillet 1980, n° 89/3 du 5 janvier 1989, circulaire du 10 juillet 1981). Les régions les plus atteintes sont le Nord-Pas-de-Calais, la Bretagne, le Bassin Parisien, les Pays de Loire, le Poitou-Charente et la Champagne-Ardennes, partout où se développe la production céréalière et maraîchère, partout où se pratique l'élevage intensif. Si les régions de l'agro-élevage sont les premières touchées comme la Beauce et la Bretagne où, dans plusieurs communes, les eaux testées du robinet excèdent 80 mg/l, les grandes villes ne sont pas épargnées non plus et l'eau des villes de Caen et Valence approche du seuil des 50 mg/l en nitrates alors que celle de Lens recèle 105 mg/l, selon la récente enquête de la revue « Que choisir ? » (A.-M. Pieux-Gilède, M.-P. Tassin, Revue « Que choisir ? », 01/1990). La Bretagne est placée au premier rang des régions azotées : la Mission interministérielle admet que pour 75 % des points d'eau testés sur l'ensemble de la région, la teneur a été multipliée par 5 en 15 ans et que la progression de la teneur globale des nitrates des eaux de surface s'évalue à 1,8 mg/an/l (H. Nallet, Ministère de l'Agriculture, BIMA, 08/03/1990). Maintenant, il faut ajouter que le dépassement du seuil des 50 mg/l en nitrates n'entraîne pas inexorablement un état pathologique quelconque chez l'adulte.
Les recommandations FAO/OMS fixent, pour un adulte s'entend, la DJA, la Dose Journalière Admissible, à 3,65 mg NO₃/kg/j, compte tenu des apports alimentaires par les légumes et la charcuterie. Une étude française de 1978 évaluait la consommation moyenne, hors apport hydrique, à environ 280 mg NO₃/hb/j (M. Paris et coll., DDASS, Revue TSM 04/1988). Rappelons que les hygiénistes ne se trouvent pas démunis de techniques de dénitrification des eaux à potabiliser. Les principaux procédés d'élimination des nitrates appliqués à la préparation des eaux de distribution relèvent :
- de la voie physico-chimique, à l'aide de résines échangeuses d'ions ; procédés Nitracycle de la SAUR (exemple Crépy-en-Valois), Ecodenit d'OTV, Azurion de Degrémont, NCC de SOGEA ;
- ou de la voie biologique qui provoque une bioconversion des nitrates en azote gazeux, soit in situ avec le procédé CTGREF d'enrichissement de la nappe et dilution (réduction bactérienne en aquifère profond), ou avec le procédé BRGM de dénitrification hétérotrophe sur substrat de paille hachée (G. Martin, ENSC Rennes, A. Landreau, BRGM, Revue TSM 04/1988), soit en station sur lits immergés avec les procédés Biodenit d'OTV, Nitrazur de Degrémont, de SOGEA, et sur lit fluide granulaire OSBG d'INSAT-IDE (B. Capdeville, INSAT, J.-C. Seropian, IDE et coll., Revue TSM 10/1989).
Plaidoyer pour un cochon propre
La Bretagne ? 2,7 millions de Bretons + 6 millions de cochons... Le cheptel porcin breton a doublé en moins de vingt ans et la région assure aujourd'hui plus de 50 % de la production de viande porcine nationale, tout en ne disposant seulement que de 7 % de la surface utile agricole française (agro-élevage intensif qui assure encore 43 % de la production nationale de volailles et 12 % de la production bovine, non compris la culture maraîchère). Quelque 15 millions de m³/an de lisiers de porc sont déversés en France, et leur azote protidique et ammoniacal va se transformer en azote nitrique qui viendra s'ajouter aux nitrates des engrais minéraux. La résorption des déjections porcines constitue donc un objectif crucial.
L'INRA de Rennes s'ingénie à apprendre au cochon à vivre proprement. Dure leçon, qui consiste à intervenir sur
son alimentation : réduire la fraction de l'azote indigeste rejeté dans les fèces par une meilleure connaissance de la digestibilité des protéines du régime et de la biodisponibilité des acides aminés, et réduire la fraction de l'azote excrété dans l'urine par une meilleure adéquation des apports aux besoins azotés des animaux selon leur stade physiologique de croissance (M. Brunel, INRA de Rennes, Bulletin 12/1989).
Parallèlement à la conquête de cette maîtrise des rejets azotés dans les élevages porcins, une autre directive du programme Copern repose sur la complémentarité des lisiers pris en compte dans l'estimation des bilans d'azote (figure 2). Les déjections animales seront dès lors valorisées et l'emploi d'engrais minéraux réduit au minimum dans le calcul de la fumure azotée, calcul facilité par les nouveaux appareillages de mesure présentés au Salon de l'Agriculture : analyseur d'azote Agros pour lisier, Nitromètre pour terre et eaux, Agros par exemple d'AS Analyses. Dans cette recherche de l'optimisation de la fertilisation des sols, le Copern met en œuvre tout un train de mesures visant à limiter les fuites d’azote (cultures dérobées hivernales, emploi d’engrais verts pour éviter le lessivage des sols, gestion des résidus de récolte, des boues et composts et des effluents d'élevage), ainsi qu’à préserver les points de captage d'eau alimentaire (R. Foulhouze, GREF-Copern, Revue TSM 04/1988).
Faut-il pestercontre les pesticides ?
L'enquête « Que choisir ? » sur l'eau potable ne révèle pas que des excès ponctuels de nitrates. Elle fait aussi état de résidus de pesticides présents à des teneurs limites relativement élevées vis-à-vis des tolérances légales, qu'il s’agisse de pesticides organochlorés comme le lindane (7 villes défaillantes sur 16 testées), d'haloformes type THM (dans 10 des 13 villes testées) et d'herbicides comme l'atrazine et la simazine (4 villes sur 16 testées). Depuis 1970 pourtant, des contrôles analytiques de l'IRCHA, de l'INSERM et de l'IPL, de l'ENSC de Rennes et des INRA, réalisés sur des eaux de surface françaises, mettaient en évidence des concentrations très faibles mais persistantes de différents pesticides organochlorés. Aujourd’hui, et bien que l'usage des produits phytosanitaires soit soumis à des procédures strictes d’autorisation, l'atrazine, herbicide pour maïs, et le lindane, insecticide à large spectre d’activité, tous deux employés directement sur le sol, commencent à être régulièrement décelés dans les nappes phréatiques (J. Thiault, Ministère de l'Agriculture, 06/1989). Comment en est-on arrivé là ?
D'abord, justifier leur emploi : la lutte chimique reste le moyen le plus sûr et le plus économique dont dispose l'agriculture pour protéger ses cultures. Annuellement, les 31 millions d'hectares de surfaces agricoles utilisées, dites SAU, reçoivent environ 100 kt de matières actives organiques de synthèse entrant dans la composition des spécialités employées en France pendant l'exercice 1986, chiffre auquel il faut ajouter 60 kt de soufre et 7,5 kt de cuivre. De ce fait, la France se situe en tête des consommateurs mondiaux, en seconde ou troisième position derrière les USA et le Japon, avec quelque 450 matières actives homologuées qui entrent dans la composition de plus de 3 500 spécialités commerciales (figures 3 et 4).
L'évaluation du risque présenté par les produits phytosanitaires pour l'environnement dépend de leur biodégradabilité, de leur mobilité et de leur rémanence (figure 5). Le danger envers l'espèce humaine sera fonction de la toxicité spécifique de l’agent actif et de sa capacité de bioaccumulation par caractère lipophile. En résumant à l’extrême, on dira que les pesticides liposolubles, rémanents et toxiques pour l’homme sont les plus redoutables, comme le DDT, interdit depuis 1972, mais détecté constamment avec ses deux métabolites toxiques DDD et DDE dans les mollusques des eaux littorales (M. Marchand, Ifremer, Revue TSM 10/1989) (6). Si le lindane, le seul organochloré toléré en France, présente les défauts d'une grande mobilité et de bioaccumulation, tempérés par une toxicité réduite, semble-t-il, chez l'homme, la substitution progressive des pyréthrinoïdes, du type deltaméthrine (actuellement : 12 g/ha/an), au lindane (actuellement : 1,5 kg/ha/an) est une bonne alternative. Quant à l’atrazine, qui reste le pesticide le plus fréquemment identifié dans les eaux superficielles et souterraines (à raison de quelques dizaines de µg/l à quelques µg/l), persistant par le complexe humique dans les sols, peu mobile et peu bioaccumulable, il est accusé de participer au « bruit de fond » en pesticides dont les incidences biologiques demeurent assez mal connues (7).
S’éloignant peu à peu de l'agrochimie primitive qui faisait usage d'une chimiothérapie brutale, le choix de pesticides exerçant une action répulsive sur les prédateurs potentiels, une action d’anti-appétence, d’antimétaboliques, d’inhibition d'hormones de mue, dans un plan de lutte biologique intégré, paraît un développement judicieux de voies originales pour la protection des plantes cultivées (J. Martel, Sandoz, Revue Informations Chimie 03/1985).
L’agrochimie moderne nous fait oublier ses péchés de jeunesse en relevant le défi, car, selon l’expression de Georges Bernanos : « On ne subit pas l’avenir, on le fait ».
(6) L'indéniable impact écotoxicologique mondial des pesticides dits de « première génération », à très large spectre d’activité biocide, a été mis en évidence en France par F. Ramade (« Les catastrophes écologiques », Ed. Mac Graw-Hill 12/1986) et M. L. Bouguerra (articles dans la Revue « La Recherche » des 04/1986 et 11/1987).
(7) La base de données toxicologiques appliquée aux produits phytosanitaires, l’Agritox de l'INRA de Versailles, est un outil très intéressant de gestion de l'information toxicologique (P. Jamet, INRA 04/1988).
Une 3e catégorie de « poisons agro-alimentaires » est à inscrire dans cette énumération rapide : les mycotoxines : il s'agit de redoutables toxines, hépatocancérogènes et tératogènes, élaborées par des moisissures vivant sur des substrats agricoles : céréales, fruits, tourteaux d’arachides altérés et composts végétaux (une cinquantaine de produits sont connus dont les aflatoxines, patuline, ergotamine, stérigmatocystine...).