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Aides aux industriels : l'exemple de l'industrie textile

30 octobre 1998 Paru dans le N°215 à la page 137 ( mots)
Rédigé par : Pascale PEIGNEN-SéRALINE

Il y a un an, souligne Philippe Guillard, directeur de l’Agence de l'eau Artois-Picardie, nous n’aurions jamais pensé réunir autant de monde. Mais avec la reprise économique, les industriels sont venus au rendez-vous”. L’ex-ingénieur des Mines aux commandes de l’Agence de l'eau nordiste a de quoi être satisfait. Sur les 85 industriels de l’ennoblissement textile que compte le bassin Artois-Picardie, plus de 60 d’entre eux s’étaient déplacés pour venir écouter les propositions de l’Agence de l'eau. L’enjeu d'une telle mobilisation était de taille, puisque l’Agence a décidé de leur proposer des aides spécifiques, jusqu’à 90 % pour certaines d’entre elles, en vue de réduire les derniers points noirs du bassin, avec le traitement de surface.

Dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse (RMC), la situation est certes meilleure, notamment grâce aux 55 MF apportés par l’Agence de l’eau RMC entre 1982 et 1997 (soit 55 % des 189 travaux présentés).

Il reste cependant des points noirs. « Sur la Turdine par exemple, la pollution due à cette activité industrielle représente 80 % des matières oxydables en pollution nette », cite en exemple Anne-Marie Levraut, sous-directrice de la mission pollution industrielle à l’Agence de l'eau RMC.

Dans le bassin RMC, le nombre d’établissements est passé de 130 à 99 entre 1981 et 1996. Mais dans ce même laps de temps, la quantité rejetée de matières oxydables a augmenté de 33 %, avec une pollution moyenne sortie usine de 4 622 équivalents-habitants, soit près du double de la valeur quinze ans plus tôt.

Dans le bassin Artois-Picardie, la situation est pire.

De 134 en 1974, les PME de l’ennoblissement textile étaient 22 ans plus tard, au nombre de 85. Cette diminution du nombre d’industries s’est elle aussi accompagnée d'une proportion croissante des flux rejetés dans les cours d'eau par rapport à l’ensemble des établissements industriels.

« Et de 1978 à 1996, rappelle Régis Mathian, responsable de la mission industrie à l’Agence de l’eau Artois-Picardie, on observe pour les matières oxydables par exemple, des ratios de pollution produite quasiment identiques, indiquant une très faible mise en œuvre des techniques propres ».

En clair, quasiment aucun investissement de technologie propre n’a été fait dans ce secteur en vingt ans.

Et aujourd’hui, la menace d'un déraccordement des réseaux d’assainissement urbains plane sur les sites localisés en zone urbaine, notamment pour ceux situés au sein de la communauté urbaine de Lille. Les services techniques des collectivités se plaignent non seulement de la charge apportée par les eaux usées (DCO, MES, ...), mais surtout du problème visuel pour le public de la coloration des eaux traitées et rejetées. Or le déraccordement implique pour l'industriel

[Encart : Exemple de récupération des eaux de refroidissement Teinture fil (30 autoclaves de teinture de 200 à 4 000 l) Tonnage de matière traitée Rejet journalier : 460 m³/j Fonctionnement en 3x8 h : 220 jours/an Consommation d'eau pour le refroidissement des machines : 500 m³/j Récupération de 600 m³/j d’eau adoucie à 25 °C pour la préparation des bains de teinture et suppression de l'eau à 14 °C pour alimenter les machines de teinture ÉCONOMIE D’ÉNERGIE 460 m³/j d’eau à 25 °C au lieu de 14 °C, soit : 7 430 kWh d’énergie primaire/jour – 734 F/jour 1 614 MWh d’énergie primaire/an – 150 kF/an ÉCONOMIE D’EAU 600 m³/j d’eau – 3 000 F/jour 130 000 m³/an – 600 kF/an** GAIN DE TEMPS Exemple : gain de temps sur le chauffage de la teinture du polyester en colorants dispersés Eau initialement à 14 °C – durée du chauffage 2 h 05 Eau initialement à 25 °C – durée du chauffage 1 h 50 Gain de temps : 9 % Source : Institut Textile de France * rendement 80 % – 1 kWh PCS = 0,10 F 1 m³ d’eau = 5 F]

L’obligation immédiate de traiter ses eaux usées sous peine d’arrêt d’exploitation à la demande de la DRIRE. À la clé, c’est la fermeture programmée pour nombre d’entreprises qui n’auront pas voulu prendre en compte les obligations de dépollution. Et le chantage à l’emploi, souvent évoqué par le passé, ne fait plus recette. Devant la réticence des industriels, nombre d’organismes, Agence, DRIRE, Régions entre autres, ont dû prendre leur bâton de pèlerin pour les convaincre du bien-fondé de leurs arguments.

Pour ce secteur industriel, c’est la dernière chance de continuer à exister tout en satisfaisant la législation. Pourtant, les rangs de l’industrie textile renâclent encore. Certains arguent que les investissements à réaliser, de 10 à 20 MF, entament la capacité d’endettement de l’entreprise, ce qui ne plaît pas à leurs partenaires financiers. La majorité d’entre eux demande à l’Agence de l’eau de les aider pour moderniser leur outil industriel, ce que l’organisme public refuse, ceci ne rentrant pas dans ses missions. Entre les aides proposées par l’Agence de l’eau Artois-Picardie, celles mises en place par la région Nord-Pas-de-Calais, et celles de l’ADEME ou de l’Europe, l’amortissement se fait pourtant en douceur sur une dizaine d’années. « Il faut aussi compter avec la diminution, jusqu’à 90 %, des redevances pollution de l’Agence de l’eau, qui pour certains se monte aujourd’hui à plusieurs centaines de milliers de francs », souligne Jean-Marc Granier, du service redevances de l’Agence de l’eau. L’impact d’une image de pollueur sur la clientèle étrangère peut aussi jouer, les exportations dans le textile français représentant tout de même 73 milliards de francs. « Pour l’instant, nos clients allemands ne nous ont pas posé de problème. Mais cela va arriver bientôt », prédit Paul Alixant, de la direction de GTN (Groupement Textile du Nord), l’entreprise par laquelle tout est arrivé. Située non loin des sources de l’Escaut, cette PME de 90 personnes rejetait en effet des eaux colorées dans un site cher aux Belges et Néerlandais. Cette situation, qui ne contribuait pas à améliorer les relations avec les deux pays, a mis GTN sur la liste prioritaire des « points noirs » de l’Agence de l’eau Artois-Picardie. L’entreprise dont le chiffre d’affaires est de 56 MF, a donc démarré un programme d’investissement d’environ 1 MF en technologies propres (automatisation de la teinture pour optimiser le rinçage auparavant réalisé par surverse, recyclage des eaux de lavage d’impression). GTN a par ailleurs investi 5 MF sur un total de 10 MF, dans une station d’épuration industrielle dotée d’une ozonation à pouvoir décolorant. « Notre capacité d’endettement nous interdit de mettre en œuvre tout de suite toutes les technologies propres, souligne Paul Alixant. Mais la simple prise en compte du problème par l’entreprise, longtemps cataloguée comme réfractaire, ouvre aujourd’hui une lueur d’espoir pour la dépollution d’eaux usées issues de l’ensemble de la profession. »

Maîtrise de l’eau et de l’énergie sont indissociables

« Le poste eau des entreprises françaises du textile est le double de la moyenne de six pays européens », souligne Jacques Dufour, secrétaire général de l’Union des Industries Textiles du Nord. Les industriels français, en retard sur leurs confrères européens, assument de fait une dépense importante, qui peut cependant être maîtrisée. Pour l’Institut Textile de France, fort de plusieurs études diagnostiques, une gestion rationnelle de l’énergie passe par une bonne gestion de l’eau. « L’eau est un vecteur énergétique incontournable », rappellent Alain Bart et Jean-Christophe Boclet, deux représentants de l’ITF. La limitation des consommations d’eau – estimées entre 40 m³/tonne de matière traitée

[Encart : texte : Les couleurs que rejettent les industries de l’ennoblissement textile ne sont pas traitées par les stations d’épuration urbaine. “La nuisance esthétique peut paraître secondaire, elle constitue pourtant l’impact principal, du moins dans l’opinion publique”, rappelle Gilles Poussard, du service études de l’Agence de l’eau RMC. La “couleur anormale” est immédiatement associée à la notion de pollution, le changement de couleur entre l’amont et l’aval étant de même mal ressenti. La couleur a aussi un effet sur la végétation en perturbant la photosynthèse du couvert végétal, et en favorisant la croissance d’algues, de bactéries et de champignons, beaucoup moins intéressants sur le plan de la chaîne alimentaire et de l’habitat. La faune risque par voie de conséquence de subir un impact indirect s’il y a modification de la nourriture disponible et de l’habitat. Les poissons pour leur part sont directement affectés dans leur alimentation, du fait d’une pénétration moindre de la lumière. La couleur pose aussi problème en matière de qualité des eaux. La directive concernant la qualité des eaux destinées à la production d’eau potable fixe des limites de coloration pour chacune des trois catégories de traitement sur la base de l’échelle platine/cobalt. Au-delà de 200 mg de platine, l’eau est inutilisable pour la fabrication d’eau potable. Les eaux de baignade ne doivent pas quant à elles présenter de changement anormal de la couleur. Enfin, les eaux colorées peuvent également être une gêne pour certaines eaux de process industriel, “notamment des activités comme l’ennoblissement textile”, souligne malicieusement Gilles Poussard.]

À 500 m³/T selon les secteurs textiles – passe tout d’abord par la réalisation de campagnes de mesure grâce à la pose de compteurs. Il faut ensuite identifier les potentiels d’économie d’énergie à partir des données issues de la comptabilité énergétique des fluides.

“Notre expérience nous a montré que l’on observait systématiquement des dérives par le biais du comptage”, constate Jean-Christophe Boclet, du département Expertise Énergétique de l’I.T.F.. Dernière étape : faire une évaluation de l’impact de la solution retenue sur la productivité et les consommations d’énergie de l’entreprise. La réutilisation de bains de traitement chauds, bien que peu utilisée, est par exemple une technique intéressante : trois réutilisations de bains de blanchiment sans azurants optiques permettent ainsi d’économiser près de 10 % d’eau, et réduisent la DCO d’environ 30 %. Le remplacement de rinçages en surverse par des rinçages statiques ou séquencés permet pour sa part de diminuer de moitié la consommation d’eau dans des opérations comme le rinçage après dégraissage.

“La réduction de la pollution et des consommations d’eau à la source implique aussi la maîtrise des produits utilisés, remarque Alain Bart, du département Expertise environnementale, il faut éviter les produits trop toxiques, et favoriser à l’inverse ceux qui présentent une bonne biodégradabilité”. Entre les techniques de récupération et de réutilisation d’eau, l’utilisation d’outils de production plus performants et moins gourmands en eau et en énergie, le choix des bons produits ou l’utilisation des techniques propres, l’industriel dispose aujourd’hui d’une large palette de choix. Il ne lui reste qu’à faire le premier pas de ce que Gérard Damon, de la mission pollutions industrielles de l’Agence de l’eau RMC appelle, “l’étude du schéma directeur d’assainissement de l’entreprise”.

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