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Aider les ménages démunis à payer leur eau potable

28 novembre 2008 Paru dans le N°316 à la page 171 ( mots)
Rédigé par : Henri SMETS

La France est l'un des rares pays qui ont mis en place un système départemental d'aide aux usagers incapables de payer leurs factures d'eau. Si le système de prise en charge des dettes d'eau instauré au niveau de chaque département a permis de répondre à de multiples situations de précarité et d'éviter les coupures d'eau toujours mal vécues, de graves disparités demeurent selon les départements.

Bien que le prix de l’eau en France ne soit pas particulièrement élevé, plus il augmente et plus il y a des impayés d’eau dans la population (figure 1). Ceci démontre que les factures d’eau comptent réellement pour les ménages démunis principalement lorsque l’eau est plutôt chère.

S’il est vrai que les dépenses d’eau des ménages sont faibles par rapport aux dépenses de logement ou d’énergie, elles sont du même ordre de grandeur que les dépenses d’électricité (chauffage non compris) (tableau 1). Du fait que beaucoup de ménages n’ont pas de compteur individuel d’eau, les dépenses d’eau sont noyées dans d’autres dépenses et ne sont pas perçues comme étant élevées. Mais il faut néanmoins les payer.

Bien que chacun ait, en principe, accès à l’eau, la situation n’est pas pleinement satisfaisante car il subsiste une petite frange de la population qui ne peut pas ou plus payer son eau. Plus de 20 000 ménages démunis ont des factures d’eau impayées tellement importantes qu’ils se retrouvent dans des logements privés d’eau. Parmi eux, 2 000 ménages ont été privés d’eau pendant plus de 24 h. Ces 2 000 coupures auraient pu être évitées. Elles prouvent l’existence d’un problème de prix abordable de l’eau.

Pour les ménages démunis, l’eau payée en direct ou à travers les charges représente désormais une partie significative du budget familial. Pour les personnes qui n’ont que 40 % du revenu médian pour vivre, les dépenses d’eau représentent 3,65 % du revenu disponible, soit 2,5 fois plus que pour les ménages médians (1,46 %). La facture moyenne d’eau à la fin du semestre est de 180 €, ce qui est beaucoup pour ceux qui n’ont rien devant eux pour vivre, par exemple les 1 200 000 titulaires du RMI.

[Figure : Taux d’impayés en fonction du prix de l’eau (proportion de ménages avec impayés d’eau parmi les ménages ayant des impayés s’adressant au Secours catholique. Données : Secours catholique, 2006). Chaque croix représente une région en France ; plus l’eau est chère, plus le taux d’impayés d’eau augmente dans la masse des ménages.]

Tableau 1 : Consommations en milieu urbain (2004)

Électricité* :52,1 M12,8 Md€/an246 €/an/hab.Tarif réduit : Oui
Gaz :47,4 M8,1 Md€/an171 €/an/hab.Tarif réduit : Oui
Transports collectifs :45,4 M9,0 Md€/an295 €/an/hab.Tarif réduit : Non
Eaux et assainis. :52,1 M6,0 Md€/an114 €/an/hab.Tarif réduit : Oui (c)
Déchets urbains :52,1 M1,4 Md€/an27 €/an/hab.Tarif réduit : Oui

Notes :

* non compris les utilisations de l’électricité pour le chauffage.

1) Les tarifs réduits sont des tarifs moins élevés pour les personnes démunies.

2) La taxe pour les ordures (TEOM) est liée à la valeur cadastrale.

4) Le chiffre d’affaires des transports collectifs comporte une subvention de 3,1 Md€ /an. Les dépenses nettes pour les transports collectifs sont donc de 193 €/an/habitant.

Source : Min. Equip., Dir. Aff. éco. intern. : « Les opérateurs privés et publics de services urbains en France », 2006.

La gravité de la situation se mesure par le fait que les impayés d'eau atteignent plus de 10 % et parfois même 25 % des ménages dans les HLM où les compteurs d'eau individualisés ont été récemment installés. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que le prix de l’eau peut dépasser de façon importante le prix moyen et atteindre, par exemple, 5 €/m³, pour une moyenne nationale de 3 €/m³.

Les problèmes d'impayés d’eau au niveau des départements varient en fonction du prix de l’eau, des revenus des usagers et des caractéristiques de l’habitat, notamment la proportion des abonnés individuels dans la population démunie. L’individualisation des factures d’eau (obligatoire dans les nouveaux logements et progressivement mise en œuvre dans certains HLM) et l’augmentation inexorable du prix de l'eau auront pour effet d’augmenter le nombre des impayés et de révéler les problèmes d’inaccessibilité économique de l’eau.

La France fait partie des rares pays qui ont mis en place un système départemental d'aide aux usagers incapables de payer leurs factures d'eau. Les fonds de solidarité pour le logement (FSL) ont notamment pour vocation de fournir une aide pour que les plus démunis puissent honorer leurs factures d’eau. Ces fonds contribuent à éviter les coupures d'eau qui frappent les abonnés en retard de paiement. À défaut, l’usager peut s’adresser au CCAS au niveau municipal, voire aux divers organismes de bienfaisance. Grâce à ces divers systèmes de solidarité, il y a finalement peu d’impayés d’eau pour cause de précarité.

Le système d'aide pour l'eau instauré en France dès 1996 a été rénové en 2004 par une loi qui le rend obligatoire dans chaque département (loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales). Après plus de trois ans de fonctionnement, il paraît utile d’en évaluer l’efficacité car il s’agit du seul système de solidarité qui permet à ce jour de mettre en œuvre le droit à l'eau. Aussi, l'Académie de l'eau a-t-elle effectué une analyse de la situation dans les différents départements et publié ce travail aux Éditions Johanet.

L’étude commence par une évaluation du nombre total de ménages démunis qui devraient recevoir une aide pour maintenir leur accès à l’eau, se poursuit par un examen statistique des performances du volet eau des FSL en 2005 dans les divers départements et se conclut par une évaluation des problèmes de financement et de fonctionnement des FSL. Elle est complétée par une comparaison avec les systèmes de solidarité pour l’énergie. Cette première enquête pourrait servir à nourrir une réflexion sur les améliorations à apporter au “volet eau” des Fonds de solidarité pour le logement.

L’aide pour l’eau des FSL

Les fonds départementaux de solidarité pour le logement ont de nombreuses fonctions au plan social telles que le maintien dans le logement (loyer et charges) et la prise en charge des factures impayées d’électricité ou d'eau des usagers endettés. L'eau ne représente toutefois qu’un aspect très mineur de l’action des FSL (figure 2). Alors que 45 % des ménages avec dettes d’électricité ont aussi des dettes d’eau (statistiques du Secours catholique), les FSL n'interviennent pour l’eau que dans 19 % du nombre de cas où ils interviennent pour l’électricité. Cette différence dénote un certain désintérêt pour le volet eau au niveau des départements.

[Photo : Figure 2 : Aides des FSL pour payer le loyer et les charges, l'électricité ou l'eau (2005).]

La contribution des volets eau des FSL s'est considérablement améliorée au cours des dernières années (figure 3). En termes globaux, les ménages endettés pour l'eau ont reçu en 2005 des aides pour environ 7,5 M€ sur un chiffre d'affaires du secteur de l'eau de plus de 11 000 M€, soit moins de 0,7 ‰. En 2005, les volets eau des FSL ont accordé 47 296 aides pour un total de plus de 6,28 M€. En 2006, il y a eu 52 249 aides pour un total de plus de 7,37 M€. Cette croissance démontre l’existence d’une demande insatisfaite d’aide. Par ailleurs, les FSL interviennent aussi pour couvrir une partie des charges impayées dont une partie concerne l'eau.

[Photo : Figure 3 : Evolution des aides. Les données FP2E correspondent aux abandons de créances des opérateurs privés, c'est-à-dire la partie d'aides qu'ils prennent en charge chez leurs clients démunis.]

Les bénéficiaires potentiels de l’aide pour l’eau

Alors qu’il y a en France plus de 1 600 000 ménages démunis (revenu inférieur à 50 % du revenu disponible médian), seule une partie de ces ménages sont susceptibles d'avoir des dettes d’eau car beaucoup d’entre eux sont sans abonnement à l'eau, soit que le mode d’hébergement ne s’y prête pas, soit qu’ils partagent avec d’autres un abonnement collectif (par exemple, les locataires d'un HLM avec compteur collectif). On estime que seuls 475 000 ménages sont démunis et ont un compteur individuel d'eau et sont donc susceptibles de se voir couper l'eau s’ils ne paient pas leur eau. En fait, seuls 11 % de ces ménages ont reçu une aide des FSL pour payer l'eau car la plupart des ménages démunis préfèrent se priver que de ne pas honorer leurs dettes d'eau et beaucoup d’entre eux hésitent à solliciter une aide pour l'eau en plus des autres aides qu’ils reçoivent (logement, électricité, etc.).

Pour évaluer le nombre de ménages susceptibles d'être trop démunis pour payer leur eau, on a recensé le nombre de ménages ayant des revenus faibles, des dépenses élevées pour l'eau, des retards de paiement ou des dettes d’eau, ainsi que le nombre de ménages ayant subi une coupure d'eau ou reçu une aide pour l’eau. Il ressort

Tableau 2 : Statistiques sur les volets eau et électricité des FSL

(2005) (au 31/12/2007)

Observations :

1) 30 départements ont donné des aides pour l'électricité en 2005 mais aucune aide pour l'eau, ce qui dénote une discrimination non prévue par la loi.

2) Ce chiffre n'inclut pas un certain nombre d'abandons de créances faits par les distributeurs mais que les FSL n'ont pas répertoriés alors qu'ils font partie des aides attribuées. Pour 2006, le total des aides complétées en tenant des abandons de créances à charge des distributeurs atteindrait 8,9 M€.

3) Le volume des aides pour l'énergie est 7,4 fois le volume des aides pour l'eau et le nombre de ménages aidés pour l'électricité est 5,25 fois celui pour l'eau.

4) La non-transmission d’informations est symptomatique d'une situation anormale.

De la confrontation de ces différentes estimations, plus de cent mille ménages devraient bénéficier d’une aide pour payer leurs dépenses d'eau, soit environ le double de ce qui s'est produit en 2005. Le bien-fondé de cette estimation est attesté par le fait qu’en 2006, il y a eu une croissance du nombre de ménages aidés de 10 % et que le chiffre de 100 000 aides pour dettes d'eau serait atteint si la totalité des départements donnait une aide en rapport avec celle donnée par les 50 départements qui ont pris à cœur le problème des dettes d'eau.

Le doublement de l'action des volets eau des FSL est parfaitement réaliste car cela correspondrait à fixer comme objectif national la proportion de ménages aidés déjà dépassée dans 22 départements en 2005 (tableau 2). D’un point de vue économique, il suffirait que chacun d'entre nous donne chaque jour la valeur d’un petit verre d'eau pour améliorer considérablement l’accès à l'eau des plus démunis en France.

Tableau 3 : Proportion des ménages bénéficiant d’une aide pour l’eau en 2005

Notes

1) Ces données concernent 54 départements qui versent une aide pour l'eau.

b) Estimation fondée sur 50 000 ménages aidés (7,5 M€) parmi 25 millions d'abonnés domestiques.

c) Corse-du-Sud, Gers, Landes, Lot-et-Garonne, Seine-Maritime, Vaucluse.

d) Le montant moyen des aides pour l'eau est assez proche du montant moyen des aides pour l'électricité, ce qui montre que les problèmes des factures eau ne sont pas mineurs.

Source : DGUHL, Secrétariat au logement. Voir D. Galicher : Les aides des FSL aux ménages, Séminaire sur l’accès équitable à l’eau, juillet 2007 (site de la CEE-ONU, Protocole eau et santé)

Les aides accordées par les FSL en 2005

Les statistiques sur les aides pour l'eau par département en 2005 montrent que les performances des volets eau ont dépassé les objectifs initiaux (50 000 aides, 2 aides pour 1 000 ménages) dans près d'une quarantaine de départements (tableau 3). En revanche, aucune aide n’a été accordée par les volets eau des FSL dans au moins 30 départements. En 2006, 63 départements ont donné une aide pour l'eau alors que 90 départements avaient donné une aide pour l’électricité (écart 27 départements). On note que 12 départements ne donnent aucune aide pour l'eau et 16 départements ne fournissent pas d'informations sur ce sujet, probablement car il n'y a pas d’aide.

De grandes disparités entre les départements dans les aides aux plus démunis

Pour un même niveau de pauvreté, certains départements aident une proportion élevée de ménages démunis à payer leur eau et d'autres sont apparemment peu intéressés par les problèmes de dettes d'eau (figure 4 et tableau 3). Certains vont jusqu'à affirmer que les plus démunis aidés par ailleurs devraient être en mesure de payer au moins leur eau. Quel que soit le sentiment que l'on peut avoir sur l'aide à apporter aux plus démunis, la disparité entre des départements semblables soumis aux mêmes lois et ayant une même proportion de ménages démunis abonnés directs semble excessive et indiquerait que certains départements ne mettent pas en œuvre le minimum de solidarité que la loi a voulu instaurer au niveau départemental.

De nombreux départements ont consacré des moyens très supérieurs à la moyenne nationale pour aider les plus démunis à payer leur eau. Plus de 21 départements ont même donné plus du double de cette moyenne (0,12 €/hab.) (tableau 4). En Corse-du-Sud, l’aide pour l’eau atteint 1,08 €/hab. Les départements les plus généreux apparaissent au tableau 5.

Tableau 4 : Montant des aides pour l’eau financée en 2005

S'il est normal que les départements mènent des politiques sociales plus ou moins généreuses, il serait contraire aux principes fondamentaux de la République que certains départements s’abstiennent d’agir dans un domaine où, de par la loi, ils sont tenus d’agir. Que penser des FSL qui n’aident pas même un ménage sur dix mille ? Est-ce souhaitable que les habitants d'un département ne consacrent pas même un centime par an pour aider les plus démunis à payer leur eau, bien essentiel auquel chacun a juridiquement droit ? L'eau n’est-elle plus le bien de tous en partage entre tous et pourrait-elle être refusée au nom d'exigences purement comptables ?

La parcimonie avec laquelle les aides pour l'eau ont été attribuées en 2005 a été corrigée en 2006 dans certains départements qui ont rendu le volet eau accessible à une catégorie plus importante de personnes

[Photo : Ménages aidés en fonction du degré de pauvreté. Chaque cercle représente un département. Les départements du groupe A aident beaucoup plus de ménages que les départements du groupe B. Notez les départements de groupe C (démunis) avec relativement peu de ménages aidés.]
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Tableau 5 : Les départements ayant attribué d’importantes aides pour l’eau(Données 2002-2006)

Corse-du-Sud108 c€/hab.1,29 mén./100 mén.6,6 CMUC/100 hab.192 €/mén.
Seine-Maritime78 c€/hab.0,63 mén./100 mén.6,8 CMUC/100 hab.254 €/mén.
Haute-Corse69 c€/hab.0,47 mén./100 mén.6,1 CMUC/100 hab.146 €/mén.
Landes68 c€/hab.1,57 mén./100 mén.4,7 CMUC/100 hab.106 €/mén.
Lot-et-Garonne66 c€/hab.1,06 mén./100 mén.3,9 CMUC/100 hab.97 €/mén.
Gers60 c€/hab.1,06 mén./100 mén.3,9 CMUC/100 hab.131 €/mén.

Notes :

a) Contribution en solidarité des habitants du département au bénéfice des ménages bénéficiant d’une aide pour l’eau.

b) Nombre de ménages aidés par rapport au nombre total de ménages.

c) Proportion de personnes bénéficiaires de la couverture médicale universelle complémentaire à titre gratuit du fait de leur situation de précarité (ce taux mesure le degré de précarité de la population).

d) Montant de l’aide pour l’eau reçue par ménage aidé.

endettées. D’autres ont finalement modifié leur règlement intérieur des FSL pour rendre possible le versement d’une aide au titre du volet eau. Mais il reste encore en 2008 des FSL qui ne versent pas de telles aides.

Bien que la loi ait formellement créé le droit à une aide pour l’eau, les bénéficiaires potentiels de ce droit dans certains départements se sont vus privés de toute possibilité de l’exercer. Les FSL n’ont donc pas aidé pour les dettes d’eau tous ceux ayant des « difficultés particulières » selon les termes de la loi. Dans certaines municipalités, il a fallu que les CCAS se substituent aux FSL défaillants qui ignoraient la loi (loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement).

Une aide plus importante

Les dettes d’eau d’un plus grand nombre de ménages démunis pourraient être prises en charge car il y a beaucoup plus de ménages démunis ayant des difficultés à payer l’eau que les 50 000 ménages aidés actuellement. Cette observation se fonde sur l’étendue de la pauvreté en France et non sur les performances décevantes de certains FSL qui ne consomment même pas les crédits qui leur sont ouverts par les distributeurs privés pour les dettes d’eau. En effet, alors que les ménages recevant une aide des FSL ont bénéficié d’abandons de créance des distributeurs privés (2,06 M€ en 2006 pour 12,7 millions de ménages desservis), une partie des crédits ouverts aux FSL (21 %) est restée inutilisée (0,5 M€). Dans les départements qui attribuent actuellement relativement peu d’aides, une attitude plus généreuse envers les ménages démunis ne poserait pas de problèmes puisque les crédits sont disponibles.

Le tableau 6 fait apparaître dans 47 départements sur 67, les crédits des opérateurs privés pour les aides pour l’eau n’ont pas été entièrement consommés par les FSL. La cause de cette situation est liée pour partie à un manque d’information du public et pour partie à une certaine réticence des FSL à utiliser le volet eau autant que le volet électricité et à distribuer des aides pour l’eau plus coûteuses à gérer. Une première mesure à mettre en œuvre au niveau des départements consisterait à promouvoir une plus grande utilisation des crédits disponibles pour le volet eau des FSL et à améliorer l’information des ménages démunis sur le rôle des FSL dans ce domaine. Cette sous-consommation des crédits disponibles ne signifie pas qu’il y a peu de ménages qui ont besoin d’une aide pour l’eau. En effet, dans 20 départements sur 67, les aides des opérateurs privés pour 2007 ont été supérieures aux montants prévus, ce qui prouve qu’il existe en parallèle une demande d’aides pour l’eau plus grande que ce qui était prévu.

Pour augmenter le rôle des FSL et aider plus de ménages démunis, il faudrait augmenter les crédits disponibles par des engagements plus importants des conseils généraux, des opérateurs et de l’État. Vu le montant relativement faible des diverses contributions, ceci ne devrait pas créer de difficultés. D’ailleurs, les départements qui pratiquent une aide particulièrement généreuse pour l’eau n’ont pas éprouvé de difficultés particulières pour financer cette aide et les opérateurs privés ont pris en charge des abandons de créances bien supérieurs à ceux initialement prévus.

Si le doublement de l’aide pour l’eau était intégralement pris en charge au titre de la solidarité par les usagers domestiques, ceux-ci subiraient un accroissement de dépenses inférieur à 0,1 %, ce qui est dérisoire compte tenu des augmentations du prix de l’eau (plus de 20 %) qui sont programmées pour mieux respecter les lois d’environnement dans les domaines de la qualité de l’eau et de l’assainissement collectif.

[Encart : Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d’eau dans son logement », Code de l’action sociale et des familles, art. L. 115-3. Le texte ne dit pas que toute personne peut recevoir une aide mais qu’elle y a droit. Il s’agit d’un véritable droit, pas d’une charité à titre compassionnel. On notera aussi que ce texte ne se limite pas aux personnes ayant des dettes d’eau.]

Tableau 6 : Abandons de créances par les délégataires en 2007

Fraction consommée de la dotation (%) Nbre. de départements
De 1 à 10 ......................................................1
De 10 à 40 ....................................................26
De 40 à 70 ....................................................12
De 70 à 100 ..................................................10
De 100 à 130 ...............................................12
De 130 à 200 ...............................................3
Plus de 200 ..................................................3

NB : Les abandons de créance sont en moyenne de 67 € par ménage aidé (29 000 ménages dans 62 départements en 2006).

Une diversité d’approches institutionnelles

La France dispose de plusieurs systèmes d’aides pour les dettes d’eau puisqu’en plus du système légal du volet eau du FSL en vigueur dans la majorité des départements, il existe des systèmes plus anciens fondés sur les aides non obligatoires des CCAS municipaux. À la fin de 2007, trois approches sont mises en œuvre :

a) une majorité de départements (66) a mis en place le volet eau des FSL et a signé une convention avec les délégataires pour financer les aides pour l’eau comme prévu dans la loi de 2004. Cette solution devrait se généraliser si les départements recevaient la compétence exclusive des actions sociales dans ce domaine ;

b) une minorité de départements a mis en place le volet eau des FSL mais n’a pas encore signé de convention avec les délégataires (une vingtaine de départements) ou n’a pas du tout l’intention de le faire car ils considèrent préférable d’agir de manière indépendante (ce qui est contraire à la loi) ;

c) certains départements n’ont même pas l’intention de mettre en œuvre la loi de 2004 relative au volet eau des FSL ; ils continuent de faire uniquement appel aux CCAS comme par le passé afin de régler les problèmes de dettes d’eau.

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tion est celle mise en œuvre à titre exclusif en Belgique).

Les usagers qui auraient pu bénéficier d'une aide des FSL pour leur dette d'eau et ne l’ont pas reçue faute de création ou de mise en œuvre du volet eau du FSL ne bénéficient pas non plus de l’interdiction des coupures d'eau des usagers aidés par le FSL (même lorsqu’une aide a été attribuée par le CCAS). Cette interdiction des coupures d'eau instaurée en 2007 (loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit opposable au logement, art. 36) reste inopérante faute d’une intervention du FSL. Par ailleurs, en l’absence d'une convention départementale avec les délégataires, les usagers démunis ne bénéficieront pas de l’abandon des pénalités prévues dans les conventions et le Conseil général ne bénéficiera pas de l’abandon de créance à charge du délégataire.

Des déséquilibres dans les financements

Le système de financement inscrit dans la loi en 2004 se caractérise par le flou sur les responsabilités financières des uns et des autres, hormis pour les conseils généraux qui sont devenus en principe responsables de l'ensemble du système.

Selon la loi, les départements (FSL) doivent signer une convention avec chacun de ces 12 400 distributeurs afin de recueillir leur accord et leurs contributions éventuelles au financement des FSL. Pour les 4 800 distributeurs privés, il existe un modèle de convention mais pour les 7 600 distributeurs publics (régies), il n'y a rien de semblable. En particulier, la part de financement des FSL prise en charge par les régies est mal connue. Le minimum consisterait à répertorier les contributions des régies (obligatoires) et des collectivités territoriales (volontaires) dans les mécanismes d'aide départementaux.

Le système actuel de financement des aides pour l'eau est d'une rare complexité car il fait intervenir de multiples acteurs ; il aurait été plus simple de financer les mesures de solidarité pour l'eau par une contribution sur l'eau payée par les usagers sous réserve que le montant de cette contribution ne serve qu’à financer les aides pour l'eau (et non les dettes d’énergie qui ont fortement augmenté).

Une autre possibilité serait de réserver cette contribution sur l'eau aux seuls opérateurs qui n’ont pas signé de conventions départementales relatives aux FSL et ne payent pas leur part dans l’effort de solidarité. Dans les deux cas, de nouvelles dispositions législatives seraient nécessaires.

* La loi n° 90-49 du 31 mai 1990 visant la mise en œuvre du droit au logement fait obligation à tous les opérateurs sans exception de financer les volets eau des FSL. L’intention du texte de l’art. 6.3 est parfaitement claire : « Une convention est passée entre le département, d'une part, et les représentants de chaque distributeur d’eau, d'autre part, afin de définir le montant et les modalités de leur concours financier au fonds de solidarité pour le logement. Les autres collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale peuvent également participer au financement du fonds de solidarité pour le logement. » Ce texte crée une obligation de concours pour les distributeurs dont le montant n’est pas encadré et une simple possibilité de participation pour d’autres intervenants. Mais la convention peut être très longue à négocier… et il n’y a pas de date butoir. Par ailleurs, dans le cas des petites régies, le nombre de bénéficiaires de l’aide sera si faible qu'il pourra être traité en direct par le maire.

Des frais de gestion élevés

Le système d’aide pour l'eau mis en place est coûteux en frais de gestion (recueil des contributions des distributeurs, constitution des dossiers individuels des demandeurs, vérifications et évaluation des demandes selon des critères propres à chaque FSL, démarches diverses, réunions de commission, comptabilité, contrôles divers, etc.). Vu le nombre élevé d’intervenants (FSL, services sociaux et distributeurs) et le montant relativement faible des aides par personne aidée dans le cas de l’eau (130 €/an en moyenne par bénéficiaire mais environ 40 € par an par bénéficiaire et par intervenant), il conviendrait de rechercher les modalités les plus simples pour la gestion des aides car le risque est grand que les coûts de gestion pour les divers intervenants soient proches du montant des aides attribuées. Une liaison étroite avec les aides pour l’électricité aurait des avantages.

En 1993-95, le FNCCR avait proposé que le financement de cette aide soit couvert par une cotisation obligatoire des services d’eau et d’assainissement. Cette proposition a été rejetée à l’époque par les services de l’État mais, depuis lors, ces services ont favorisé la création de la CSPE pour financer l’aide pour l’électricité, la mise en place de la contribution des distributeurs de gaz pour les aides pour le gaz et de la contribution des sociétés pétrolières pour la prime à la cuve de fioul ainsi que de la contribution des opérateurs de téléphones pour les aides pour le phone. On comprend mal pourquoi ce qui est possible pour l’électricité, le fioul, le gaz ou le téléphone est interdit pour l’eau.

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[Encart : texte : Une nouvelle convention nationale “solidarité eau” ? L’AME, l’ADF et les distributeurs d’eau publics et privés conscients du problème des impayés d'eau vont prochainement actualiser la convention signée en avril 2000 qui était devenue obsolète depuis la loi de 2004 attribuant aux FSL la compétence de fournir une aide aux plus démunis pour payer leur eau. Cette convention nationale est destinée à encourager des actions au niveau départemental en faveur des plus démunis ; elle ne comporte pas d'engagements substantiels des parties et sa mise en œuvre est laissée à l’initiative des parties au niveau départemental. Elle favorise la mise en œuvre de plusieurs avantages pour les ménages bénéficiaires qui ne sont pas inscrits dans la loi. En revanche, les plafonds des interventions des distributeurs (abandons de créance) dans les années à venir risquent de rester inchangés au niveau de 2000 alors que le prix de l’eau a déjà augmenté de 38 % depuis la convention de 2000. Lorsque le texte sera finalisé, on saura si cette convention constitue un progrès ou une régression pour les ménages démunis.]

Une aide préventive à créer

Les volets eau des FSL ont été créés essentiellement pour mener des actions ponctuelles non récurrentes en faveur d’usagers démunis ayant des dettes d'eau et pas pour prendre en charge une partie des factures d’eau des personnes identifiées comme étant en permanence très démunies. En fait, les FSL pourraient agrandir leur domaine d'action et donner des aides préventives pour éviter la création de situations d'impayés. Cette extension aux aides dites “préventives” est mise en œuvre pour l'électricité dans certains FSL. Elle pourrait être mise en œuvre dans le cadre du Plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées sans qu'il soit nécessaire d’adopter une nouvelle disposition législative. Mais il faudrait en prévoir le financement, ce qui pourrait impliquer une contribution des distributeurs comme pour l’électricité.

Une transparence à améliorer

Les Conseils généraux ont la responsabilité des volets eau des FSL mais sont assez peu informés sur les conditions de fonctionnement de ce nouveau mécanisme social. Ils ne savent pas qu'il existe des écarts considérables entre départements en matière d’allocation d’aides pour l’eau dans des situations similaires. Ils ne savent pas non plus s'ils attribuent beaucoup plus ou beaucoup moins d’aides que d’autres départements et ne disposent pas d’analyses comparatives des critères d’attribution d’aides, de l’ampleur de l'aide attribuée par habitant, de la proportion des ménages aidés parmi les abonnés et du montant moyen des aides en fonction des niveaux de pauvreté. Pour encourager un meilleur fonctionnement des FSL, il faudrait mettre fin à l’opacité sur son fonctionnement et publier des statistiques comparatives sur l’action de solidarité eau dans chaque département, faciliter l’accès aux règlements internes des FSL, rapports d’activité et autres informations utiles relatives aux volets eau des FSL. Il faudrait préciser et quantifier les contributions des divers organismes qui interviennent dans ce domaine et présenter en plus les aspects de l’action des FSL que les statistiques reflètent mal.

Un système de solidarité à évaluer

Les insuffisances des FSL dans le domaine de l'eau ont été mises en avant à l’Assemblée nationale (voir notamment les propositions de MM. Dord, Flajolet, Marcovitch, Salles). Des suggestions précises ont été faites par de nombreux députés pour que ces fonds de solidarité remplissent mieux leur rôle, mais aucun débat sérieux n’a eu lieu et aucune mesure n’a été prise.

Du point de vue de l’égalité républicaine, il peut paraître anormal que des départements ayant la même proportion de ménages démunis mettent en œuvre des politiques d’aides pour l'eau très dissemblables. En particulier, il n’est sûrement pas acceptable que les ménages démunis de certains départements soient totalement privés d'aide des FSL alors que la loi a créé un droit à une aide.

D’autre part, il paraît peu satisfaisant que le nombre de personnes aidées soit aussi faible. Dans les pays voisins comme la Belgique (Wallonie) et le Royaume-Uni (figure 5), l’aide pour l’eau bénéficie à une plus grande proportion de personnes. À Bruxelles (1 million d’habitants), les aides de solidarité pour l'eau sont de 0,60 €/habitant, soit près de 5 fois la moyenne française.

Le problème en France n’est pas tant le manque de moyens financiers pour la solidarité que la parcimonie dans les actions de répartition des aides. À cet égard, il faudrait déterminer si l'absence et l’insuffisance des aides distribuées relèvent d'une décision consciente des conseils généraux ou de difficultés d’administration interne des FSL (dont les responsabilités ont crû rapidement). Comme les volets eau des FSL départementaux fonctionnent depuis plus de 3 ans, il faudrait procéder à un examen de ces systèmes et d’identifier les points forts et les dysfonctionnements éventuels. Dans un contexte de préoccupation croissante pour le pouvoir d’achat, les conseils généraux pourraient entamer une réflexion sur le rôle des FSL dans le secteur de l’eau concernant des personnes en grande précarité. Il s’agit d’une question d’humanité car le coût des mesures à prendre est très faible : à peine un centime par mois et par personne pour que chacun ait accès à l'eau potable.

Le rapport sur les dettes d’eau propose de prendre les actions suivantes :

  1. 1) Analyser et faire connaître les performances du volet eau des FSL dans chaque département (publier les statistiques d’aides pour l'eau) ;
  2. 2) Examiner la mise en œuvre de la loi concernant le volet eau des FSL, les difficultés rencontrées et les améliorations à envisager ;
  3. 3) Mieux informer le public et les décideurs sur la disponibilité des aides pour l'eau ;
  4. 4) Améliorer les attributions d’aides dans la trentaine de départements où les aides sont encore rares ou insuffisantes ;
  5. 5) Faire participer tous les distributeurs au financement des aides (et pas seulement une partie d’entre eux) ;
  6. 6) Prévoir une augmentation éventuelle du volume total des aides pour l'eau ;
  7. 7) Envisager une extension éventuelle du rôle du volet eau des FSL (Conseil général et municipalités) en créant des aides préventives pour aider les personnes très démunies.

De telles propositions concernent en premier lieu les Conseils généraux qui assurent le financement du Fonds de solidarité pour le logement. Les montants en jeu pour apporter des améliorations substantielles sont assez faibles car les FSL consacrent relativement peu de moyens à la couverture des dépenses d’eau.

[Photo : Figure 5 : Comparaison des aides pour l'eau (France, Région wallonne (Belgique), département des Landes (France))]
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