Qui veut investir sur le continent africain dans le domaine de l'eau et de l'assainissement doit pouvoir apporter une expertise certaine (technicité), savoir prendre en compte la demande et les réalités locales (ingénierie sociale) et vouloir nouer des alliances à différents niveaux, y compris avec ses concurrents de toujours (partenariats). Les problématiques africaines, très différentes selon les pays, avec un Nord (le Maghreb), un extrême sud (Afrique du Sud) et certaines grandes villes de l'Ouest plus développées, appellent des réponses techniques et organisationnelles différentes. Du robinet à domicile au porteur d'eau ambulant, et du tout-à-l'égout aux latrines, voici un tour de l'eau et de l'assainissement en Afrique au travers d'actions réalisées avec des opérateurs français : grands groupes privés, bureaux d'études, fournisseurs, bailleurs de fonds, administrations publiques et ONG.
EIN INTERNATIONAL
EAU ET ASSAINISSEMENT
Africa, the keys to success: technical expertise, social engineering and partnerships
Qui veut investir sur le continent africain dans le domaine de l'eau et de l’assainissement doit pouvoir apporter une expertise certaine (technicité), savoir prendre en compte la demande et les réalités locales (ingénierie sociale) et vouloir nouer des alliances à différents niveaux, y compris avec ses concurrents de toujours (partenariats).
Les problématiques africaines, très différentes selon les pays, avec un Nord (le Maghreb), un extrême sud (Afrique du Sud) et certaines grandes villes de l’Ouest plus développées, appellent des réponses techniques et organisationnelles différentes.
Du robinet à domicile au porteur d’eau ambulant, et du tout-à-l’égout aux latrines, voici un tour de l’eau et de l'assainissement en Afrique au travers d’actions réalisées avec des opérateurs français : grands groupes privés, bureaux d’études, fournisseurs, bailleurs de fonds, administrations publiques et ONG.
Certains s’en tirent toujours mieux que d'autres… En Afrique, comme partout ailleurs, les disparités politiques, sociologiques et économiques entre les 53 différents pays sont très fortes. Et, sur ce continent plus qu’ailleurs, les solutions à mettre en œuvre doivent s'adapter étroitement au contexte local et régional. Les réponses que les pays occidentaux ont apportées chez eux à leurs propres problèmes ne peuvent être plaquées partout sans réflexion ni sans aménagements.
En Afrique du Sud, par exemple, pays qui rayonne sur toute la région australe et qui accueille en février le Xe congrès de l'Union africaine des distributeurs d’eau (UADE), les trois majors français de la distribution et du traitement de l'eau sont présents. Et, bien que ce pays soit un des plus avancés du continent noir, ils ont dû imaginer des solutions novatrices pour faire face aux besoins exprimés par le gouvernement et les populations.
Ainsi Water and Sanitation Services South Africa (WSSA), filiale de Suez-Lyonnaise des Eaux, a signé un contrat avec le ministère de l’Eau et de la Forêt (DWAF) d'Afrique du Sud pour rattraper rapidement et de façon durable le retard des contrées rurales et semi-urbaines en matière d’eau et d’assainissement. Il s'agit d'approvisionner en eau les 8 millions d’habitants des homelands de l’Eastern Cape et les 5 millions de Northern Province. La centaine de projets prévus vise à fournir un standard de 25 litres d'eau par jour et par personne à moins de 200 mètres des habitations.
Le DWAF a conçu une démarche originale pour parvenir à ses fins : le Bott (build, operate, train and transfer – construire, exploiter, former et transférer). Il ne s'agit pas d'une privatisation puisque le financement reste public. Les pouvoirs publics, d’ailleurs, s'engagent auprès de l'opérateur privé : sa rémunération est assurée bien qu'il intervienne pour des populations qui peuvent difficilement payer. Après leur mise en service, en cinq ans, par le consortium privé, les installations deviendront la propriété des autorités locales. Entre-temps, les populations et les pouvoirs locaux auront été préparés et formés à leur gestion et leur entretien futurs, ainsi qu’au recouvrement des factures. Grâce à ce transfert du savoir-faire privé, la durabilité des infrastructures est garantie.
Un important travail de préparation a été préalablement effectué par des ONG spécialisées pour éduquer les communautés à la santé et à l'hygiène.
« Selon l'UADE, plus de la moitié de la population africaine n'a pas accès à l’eau potable et les 23 % (en moyenne) ne disposent pas d’installations d’assainissement. »
et pour les sensibiliser à l’intérêt qu’elles ont de régler les factures du service qu’on leur fournit.
Desservir les populations défavorisées
Autre approche originale, celle entreprise par la Compagnie générale des eaux. « À Durban, explique Robert Pierce, directeur de la zone Afrique, Moyen-Orient, Océan Indien de Vivendi Water Municipal, nous recueillons des eaux usées, nous les retraitons et nous revendons au secteur industriel une eau appropriée à leurs utilisations. La revente permet de financer l’installation et son exploitation. Au passage, elle permet à la ville de réaliser une économie, en lui évitant l’achat d’une certaine quantité d'eau potable, puisqu’elle achète une eau déjà traitée. Ainsi, nous intervenons à la fois sur la pollution et sur la ressource. Je suis convaincu que cette démarche sera de plus en plus utilisée au fur et à mesure que le prix de l’eau va augmenter. »
Mais c’est surtout la nécessité sociale et politique de desservir les populations les plus défavorisées qui oblige les pouvoirs publics et les acteurs privés à réfléchir plus profondément ensemble et à faire preuve d'imagination. OTV (filiale Vivendi) est ainsi engagé dans un projet pilote du groupe eau et assainissement du PPD (Partenaires Professionnels pour le Développement), qui est un réseau informel d'entreprises (dont font également partie Suez-Lyonnaise des eaux et Hydro Conseil), d’organisations de la société civile et d'administrations.
Ce genre de partenariat entre les sociétés privées, la société civile et les États est appelé à faire flores. Il permet de construire des programmes équilibrés où les populations urbaines et périurbaines peuvent trouver leur compte. En effet, et cela est particulièrement vrai pour l'eau potable, les problèmes sont désormais moins tech-
niques qu’institutionnels et organisationnels.
Le projet sud-africain du PPD, qui concerne Durban et Pietermaritzburg, cherche à définir quels services faut-il fournir à quelles populations, comment impliquer ces populations dans le choix du type de services, comment impliquer les communautés dans la réalisation des travaux, comment faire de l'eau usée de façon décentralisée pour éviter les grandes canalisations, comment associer les petites entreprises du secteur, etc.
« C'est une approche technique et sociale très instructive pour nous, note Robert Pierce. En la croisant avec nos expériences du Gabon et bientôt du Tchad, nous aurons un champ de réflexions très fertile. Car nous comptons bien continuer à investir sur ce continent, du Maghreb à l'Afrique du Sud ».
Un concept prometteur : le contrat multiservices
Autre concept prometteur sur le continent africain, et plus généralement dans les pays émergents, le contrat multiservices, qui confie à une même société privée à la fois la production de l'eau potable, le traitement des eaux usées et la fourniture de l'électricité. « Cela permet de rationaliser des services qui ont beaucoup de choses en
Les aides des collectivités locales
Le champ des populations périurbaines et rurales est également investi par les collectivités locales, leurs fédérations et leurs réseaux ou leurs syndicats intercommunaux, ainsi que par certaines Agences de l'eau, comme celle de Seine-Normandie, dans le cadre de la coopération décentralisée. Le Syndicat des eaux d'Île-de-France a ainsi consacré environ 40 MF depuis 1986 à la mise en œuvre de 100 projets dans les pays francophones d'Afrique et d’Asie. Le budget qu'il consacre chaque année à l'action solidarité eau est calculé ainsi : il équivaut à 1 centime par mètre cube d'eau prélevé sur son territoire, ce qui correspond en moyenne à 4 F par an et par foyer. Les techniques promues vont des plus traditionnelles (réhabilitation de vieux puits) aux plus modernes (le Sedif a ainsi aidé un laboratoire à étudier les possibilités d'utilisation de la graine de moringa dans le traitement de l'eau, pour son pouvoir floculant).
commun, indique Jacques Labre, directeur délégué aux ressources en eau à Suez-Lyonnaise : « même clients, relève des compteurs identique, etc. Ce nouveau concept a été développé en Afrique, pour la première fois dans le monde, et c'est significatif pour nous ».
C'est en effet à Casablanca, au Maroc, que Lyonnaise des Eaux, associée à un consortium de partenaires (Elyo, EDF, Endesa, Aguas de Barcelona), a pris en charge pour 30 ans la gestion de l'eau, de l’assainissement et de l’électricité. Sous le nom de Lydec, elle doit investir plusieurs milliards de francs pour réduire les pertes sur les réseaux, mettre en place une politique de gestion de la clientèle, assurer la desserte en eau et assainissement sur toute la ville (y compris dans les quartiers défavorisés alimentés par des bornes-fontaines), favoriser des branchements sociaux (à tarifs réduits), mettre en œuvre un plan de lutte contre les inondations, etc.
Mais en Afrique, l’entreprise française pionnière est la Saur qui a signé, il y a tout juste trente ans, le premier contrat pour la privatisation de l’exploitation des réseaux d’eau d’Abidjan, en Côte d'Ivoire. L’électricité y est devenue, pour Saur International, un atout majeur. La part du chiffre d'affaires généré par l'eau (860 MF en 1998 ; 1,1 MDF en 1999) est largement dépassée par celui engendré par la production et la distribution de l’énergie (1,7 MDF en 1998) : « Quand on a bien réussi dans l’eau, on fait appel à nous pour d'autres services », dit Thierry Lentz, chargé des relations publiques.
L’entreprise, dont la politique est « d'allier les exigences de gestion d'une entreprise moderne aux valeurs culturelles africaines », s'efforce de s’adapter aux sensibilités de ses partenaires locaux : « Lorsque nous prenons la responsabilité d'un service, nous tenons à envoyer des techniciens qui forment les Africains à tous les aspects de la maintenance, puis reviennent rapidement en France. À la Sodeci (Côte d'Ivoire), par exemple, il n’y a que quatre Européens sur 1 300 salariés. Et s’agissant de l'encadrement, seul le directeur général est français ; le président, le directeur général adjoint et les autres directeurs sont tous des nationaux. La situation est pratiquement la même à Sénégalaise des Eaux, où le capital est d’ailleurs détenu en partie par l’État, des entreprises locales et le personnel ».
déclare Thierry Lentz, chargé de la communication.
La société, dont la politique est d’« allier les exigences du management d'une entreprise moderne aux valeurs culturelles africaines », a cherché à s'adapter à la sensibilité de ses partenaires locaux : « Nous avons pour principe, quand nous prenons un service, d'expatrier des techniciens qui forment les Africains aux disciplines de la maintenance et qui reviennent très vite en France. Ainsi, à la Sodeci (Côte d'Ivoire), il n’y a que quatre Européens sur les 1 300 employés. Aux postes de direction, seul le directeur général est français ; le président, le directeur général adjoint et les autres directeurs sont des nationaux. Il en va pratiquement de même à la Sénégalaise des eaux dont le capital est d’ailleurs détenu en partie par l’État, des sociétés locales et le personnel. »
Les principes managériaux mis en place à la Sodeci ont ainsi permis, « non seulement d'obtenir de bons résultats de gestion, note Michel Maruenda, directeur relations institutionnelles et méthodes, mais aussi de dépasser le dialogue traditionnel Nord-Sud, d’établir un dialogue Sud-Sud (intervention de la Sodeci dans d'autres pays africains) et un dialogue Sud-Nord (développement de produits informatiques par la Sodeci pour une utilisation par le groupe Saur en France) ».
Saur International intervient également à Rabat (Maroc), en Guinée, Centrafrique (Sodeca), Mozambique (EDM) et Afrique du Sud (Siza).
Ingénierie-conseil :
montée de la concurrence locale
Les autorités africaines, sous la pression du Fonds monétaire international et de son programme d’ajustement structurel, ont été invitées à se consacrer sur des missions essentielles et à déléguer progressivement la gestion de leurs services d’eau. Sans aller jusqu’à la privatisation, puisqu’elles conservent généralement la propriété de leur patrimoine, elles délèguent de plus en plus l'exploitation de ces services au secteur privé, encore peu présent. Mais cette récente
Ouverture aiguise des appétits nouveaux.
Certaines sociétés voient là l'occasion d'évoluer et d'afficher de nouvelles ambitions. Ainsi la Société des eaux de Marseille, qui entretient des relations de conseil avec différentes villes du Bassin méditerranéen, est résolue à passer de son rôle, à l'international, d’assistance à celui d’exploitant.
« À cela, deux raisons, commente Alain Meyssonnier, directeur des affaires internationales du groupe. Premièrement, le rôle de conseil a ses limites. Les bailleurs de fonds internationaux l’ont bien compris qui commencent à transformer les missions d’assistance technique en contrats de management (voir le contrat de Gaza). Dans un projet comme celui d’Alger, que nous espérons bien enlever, on demande à l’opérateur privé de prendre la responsabilité des recommandations qu’il fait. Il sera responsable de l’affaire pendant quatre ans sous contrat de gérance. Il vient avec ses experts mais aura le pouvoir de décider et d’investir. C’est clairement le type de contrats qui peut déboucher à terme sur l’affermage, vers lesquels nous voulons nous positionner aujourd’hui. L’autre raison est que le marché de l’ingénierie-conseil est de plus en plus difficile, avec une concurrence locale moins chère et compétente qui croît vite. »
La SEM, dont le capital est détenu à 48,5 % par la CGE, 48,5 % par SLE et 3 % par le personnel, possède notamment une filiale tunisienne, la Someden, qui effectue depuis 1997 la maintenance d’une partie du réseau d’eaux usées de Tunis. Elle intervient aussi pour différentes missions au Maroc. Elle lorgne maintenant sur l'Égypte, la Syrie et l’Afrique de l’Ouest où un accord avec le Maroc et la Tunisie leur permettra de prospecter en commun.
Mais si de grandes sociétés commencent à s’intéresser au marché africain, il est clair que le mouvement de privatisation reste encore très marginal. La ressource financière étant rare, ce sont essentiellement les niches les plus rentables et les plus solvables qui sont et seront exploitées : quelques grandes agglomérations dans les régions les plus structurées et les plus actives. Souvent avec des subventions.
While large firms begin to show an interest in the African market, the trend for privatisation still remains marginal.
L’hydraulique villageoise se professionnalise
« Le champ est donc large pour des gens comme nous qui nous inté… »
Interview
François Ombanda
Président de l’UADE*
Comment analysez-vous la situation actuelle dans le domaine de l'eau ?
En Afrique, la question essentielle, en matière d'eau potable et d’assainissement, se trouve aujourd'hui être celle de l’accès d'un nombre de plus en plus grand de populations à un service de qualité et, ce, à des conditions financièrement supportables. Cela suppose des ressources que ne peuvent plus dégager les États, occupés qu'ils sont à d'autres missions. Il reste donc les ressources que peuvent dégager les sociétés qui assurent la gestion des services, c'est-à-dire le produit de la facturation aux usagers. Bon nombre d'entre elles, souvent des entreprises publiques, sont confrontées, de plus en plus depuis le début des années 90, au problème de leur efficacité. Sous la pression des bailleurs de fonds, les gouvernements s'interrogent sur la participation du secteur privé à la gestion de ces entreprises dont l'importance n'échappe à personne.
Or, quelques sociétés membres de l'UADE sont aujourd'hui privées ou ont été récemment privatisées. Cela offre la possibilité aux autres de s'informer et d'être en mesure, chacun dans son pays et dans son contexte propre, de contribuer au choix de la solution la plus appropriée.
- Attendez-vous des améliorations dans vos relations avec les entreprises françaises et les bailleurs de fonds ?
Certaines entreprises françaises jouent un rôle de premier plan dans le secteur de l'eau et de l'assainissement au plan mondial et sont très actives en Afrique dans le cadre des changements en cours. Je crois qu'elles ne demandent qu'à prendre part à ces évolutions, autant que les conditions soient réunies pour assurer la viabilité de leur investissement. Quant aux bailleurs de fonds, leurs interlocuteurs privilégiés sont les décideurs politiques.
Aujourd'hui, leurs discussions portent sur le désengagement des États de la gestion directe des services publics marchands en général, d'eau et d'assainissement en particulier. Les fonds seront accordés en priorité à ceux qui auront évolué dans le sens de l'efficacité, même s'ils n'ont dû faire appel pour cela au secteur privé.
*L'UADE, Union africaine des distributeurs d'eau, a été créée en 1980 à Abidjan, Côte d'Ivoire, où se trouve son siège. Elle compte, à ce jour, 33 membres effectifs (des sociétés en charge de la distribution de l'eau et de la gestion de l'assainissement dans un pays d'Afrique), une cinquantaine de membres affiliés (fournisseurs de services et matériels d'Afrique et d'Europe). Elle tient un congrès tous les 2 ans, en alternance avec UAISE devenue AIE. Le 10e a eu lieu à Durban du 20 au 25 février 2000.
Propos recueillis par Jean-Luc Martin Lagardette
Laissons à tout le reste, remarque Jean-Claude Andréini, Pdg de Burgéap, bureau d'études indépendant, spécialisé dans l'eau et l'environnement. 80 % de la population africaine sont concernés par les services marchands non urbains, dans des zones périurbaines, des petites villes, des zones rurales, hors réseaux d'eau ou d’assainissement. Il y a de la place, dans ces niches, pour des PME locales ou de l'étranger et pour des ONG. Trouver une rentabilité et des économies dans ces zones, c'est notre savoir-faire. Nous développons par exemple des opérations d’hydraulique villageoise, qui sont des projets quasi professionnels à grande échelle, puisqu’ils peuvent concerner 1000 villages d’un coup, comme au Ghana. Dans ce projet de 77 MF, Burgéap a été maître d'œuvre pour la création de 700 points d’eau, accompagnée de sensibilisation et de formation des communautés villageoises. Un système de maintenance privé et décentralisé a été mis en place pour assurer un approvisionnement en eau potable économique, simple et durable (norme de desserte : un point d’eau pour 300 personnes). Tout l'art est de rapprocher les technologies des moyens existants, de concevoir des solutions qui fassent essentiellement appel à des ressources locales. Il faut éviter autant que possible des produits et des techniques dont la maintenance ou le renouvellement dépendraient d'importations. L'équipement prévu doit aussi être adapté aux modes de financement, aux capacités professionnelles, ainsi qu'aux réalités sociales et politiques locales.
nance ou le renouvellement dépendraient de l’importation. Il faut également adapter l’équipement envisagé aux modes de financement, aux capacités professionnelles, aux réalités sociales et politiques qu’on peut trouver sur place.
Selon pS-Eau, en Afrique de l’Ouest, à part le Bénin, la Mauritanie et le Mali, qui prévoient explicitement un rôle pour les collectivités locales dans la gestion de l’eau, partout ailleurs, l’acteur-clé privilégié par l’État semble être l’association des usagers de l’eau et le comité de gestion des points d’eau.
D'où l'importance de la phase d'évaluation : des enquêtes sont nécessaires pour connaître, d'une part, l'état de l'ensemble des supports locaux (humains, techniques, financiers, etc.) et, d'autre part, le contexte géophysique.
"Nous réfléchissons alors sur la meilleure offre technique, explique M. Andréini, sachant que nous aurons à combler les écarts entre la technologie et son insertion dans le contexte, par exemple en construisant un réseau d'entreprises, en facilitant la mise en œuvre de formations, en organisant l'approvisionnement des pièces détachées et la gestion financière des fonds destinés à la maintenance, etc."
Les projets d'hydraulique villageoise doivent être accompagnés de campagnes d'animation pour présenter les avantages et les contraintes des projets, sélectionner les communautés candidates, responsabiliser et engager les acteurs concernés. Burgéap a également mené ce type de campagnes au Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d'Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie et Tchad.
Ces interventions extérieures sont encore nécessaires pour pallier le manque de poids politique et financier des collectivités locales, qui existent depuis trop peu de temps juridiquement (la décentralisation n'a qu'une quinzaine d'années en Afrique de l'Ouest). Elles n'ont pas suffisamment de moyens pour gérer de façon autonome les compétences qui leur ont été transférées.
"Des solutions économiques existent, encore faut-il favoriser leur développement, fait observer Jean-Pierre Légeron, PDG de Irepolia, centre d'études et d'analyses spécialisé en environnement. C'est le résultat d'une mission effectuée en Tunisie par cette société indépendante de services qui a constaté l'abondance des eaux souterraines mais leur fréquente inadéquation aux usages domestiques et agricoles. Des systèmes simples, rustiques et fiables sont envisageables afin de traiter spécifiquement les eaux : Irepolia qui a effectué des propositions dans ce sens souligne l'avantage de faire participer les acteurs locaux à de tels projets avant réalisation ; cela implique la mise en place de cofinancements démontrant et préservant les intérêts de chacun des partenaires."
Certes, les fonds internationaux existent. Mais une grande partie des crédits mis à disposition par les bailleurs n'est pas consommée, les pays en développement hésitant de plus en plus à contracter des emprunts. En outre, l'aide publique au développement décline d'année en année. Ainsi, pour les pays de l'OCDE, comme le relève
- En 1996, l'aide publique française au secteur de l'eau a représenté 2,24 MDF, orientée majoritairement vers l'Afrique.
Les migrants maliens aident leurs villages d’origine
Depuis la fin des années 70, les investissements dans des projets d’approvisionnement en eau dans leur pays par une quarantaine d'associations de migrants de la région de Kayes (Mali) s’élèvent à 17 MF. C’est ce qui ressort d’une étude menée en 1998 par le GRDR et le pS-Eau sur ce sujet. L’objectif était de mieux cerner le type de projets que les villageois conduisent, ainsi que les problèmes rencontrés dans la conduite de ces projets.
L’eau est le secteur le plus aidé par la migration. Après avoir surtout investi dans l’hydraulique villageoise (puits, pompes à motricité humaine), les migrants souhaitent de plus en plus réaliser des infrastructures d’alimentation en eau potable, plus coûteuses. Depuis le début des années 80, les 42 associations étudiées ont dépensé 14,60 MF dans des AEP.
Les cofinancements, obtenus de différents bailleurs du Nord, se sont montés à près de 4 MF. L’essentiel de ces sommes étant assuré par les migrants, ceux-ci s’impliquent fortement dans les projets qu’ils aident. Ils peuvent simplement soutenir financièrement un projet à partir de cotisations réunies au Nord, ou s’impliquer totalement dans la gestion des installations, avec une caisse domiciliée en France et des décisions prises de ce pays.
La grande difficulté réside dans le recouvrement des coûts. Les migrants le savent. Ils préfèrent malgré tout investir d’emblée, et tant qu’ils en ont les moyens, sur le long terme : pourront-ils mobiliser autant de financements sur dix ou vingt ans ? Ils apportent même un soutien complémentaire pour faire face aux coûts de l’eau que les villageois ne peuvent rarement supporter intégralement…
Sur le Cercle de Yélimané, les migrants prennent en charge tous les coûts liés au renouvellement des installations. Ils contribuent aussi aux charges de fonctionnement jusqu’à 70 % dans certains cas.
Souvent ambitieuses, les réalisations d’associations de migrants doivent cependant être accompagnées, car elles imposent des exigences de gestion qui ne peuvent pas toujours être satisfaites par les populations locales. La nouvelle stratégie de l’État malien adoptée en 1997 pour le développement des adductions d’eau encourage une large concertation des différents acteurs : organisations villageoises, comités de gestion, opérateurs privés, directions nationale et régionales de l’Hydraulique, bailleurs de fonds, ONG, professionnels de l’eau, etc.
Lors d’une rencontre, organisée par pS-Eau avec les acteurs de l’hydraulique de cette région, les participants ont proposé la mise en œuvre de nouveaux concepts :
- Instance de concertation communale représentative de tous les acteurs de l’eau, qui aurait un rôle consultatif pour la fixation du prix de l’eau, dans le choix éventuel d’un exploitant, dans la programmation des équipements.
- Contrat tripartite (usagers, communes, migrants) qui délimite les rôles et les responsabilités de chacun, notamment en matière d’exploitation et de gestion du service de l’eau.
- Création de commissions de marchés au niveau communal, pour faire respecter les règles de transparence et d’équité dans l’attribution des marchés.
Autant de mesures qui faciliteraient la pérennité du service.
Pierre-Marie Grondin, secrétaire exécutif du pS-Eau, cette aide ne représente plus en 1998 que 0,22 % de leur PNB, contre 0,35 % en 1990 (alors qu’ils s’étaient engagés sur le taux de 0,7 %). De même, les flux nets des marchés vers la plupart des pays en développement emprunteurs ont diminué. Les investissements privés ne prennent pas la relève de l’aide publique. Et, s’ils restent vraisemblablement la principale source de financement des pays les plus pauvres, ils devraient se ralentir dans les années qui viennent.
Or, les entreprises qui veulent intervenir dans les pays africains doivent pratiquement toujours compter avec une subvention, qu’elle soit nationale ou internationale.
La Banque mondiale est le plus important des bailleurs de fonds. Outre ses aides directes, elle soutient d’autres organismes comme le Pnue, le Pnud, l’Unicef, l’OMS, qui interviennent aussi dans le domaine de l’eau. La Banque européenne d’investissement a conclu des accords avec une douzaine de pays méditerranéens. De nombreuses lignes de la Commission européenne sont également accessibles aux porteurs de projets.
En France, le groupe Agence française de développement (AFD) et, créée en 1984 sous l’impulsion du Conseil européen des ministres des affaires étrangères, le programme Solidarité Eau (pS-Eau) facilite les initiatives locales de coopération intercommunale. Il rassemble des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, des associations de solidarité internationale et des organismes professionnels de l’eau. Le pS-Eau assure notamment le secrétariat d’un nouveau programme de recherche-action sur l’assainissement urbain des eaux usées dans les PVD.
La lutte contre la sédimentation des retenues d’eau nigériennes
Dans le cadre de la politique d’autosuffisance alimentaire, le Niger avait réalisé des ouvrages de retenues d’eau sur les bassins versants de la Maggia, afin de développer des cultures irriguées. Le bassin de Galmi, dans le département de Tahoua, a été mis en eau en 1981. La surface environnante irrigable est de 245 hectares. Mais quatre ans plus tard, seuls 25 hectares de terre peuvent bénéficier de l'irrigation. La cause se trouve dans un processus de sédimentation de la retenue, ce qui génère une insuffisance en eau stockée. En 1987 démarre le projet de réduction du taux de sédimentation du réservoir de captage du bassin de Galmi, mené par l’organisation non gouvernementale Care. Au total, 30 000 hommes seront nécessaires pour édifier 481 kilomètres de murets, plus de 3 000 seuils en pierre et en gabion, et plus de 600 000 plants brise-vent. Aujourd’hui, malgré un manque de ressources financières et institutionnelles, le bassin de Galmi est le seul de la région, parmi les six bassins initiaux, à être toujours en activité. Sa superficie a quasiment doublé pour atteindre 46,5 km². Grâce aux seuils et aux murets, le taux de sédimentation a baissé de 0,75 % en 1974 à 0,3 % en 1995. La végétation a permis une diminution de l’érosion. La population est formée, et dispose d’une production de plants nécessaire à l’entretien d’une pépinière. Et la réhabilitation du bassin de Galmi a limité l’exode rural en offrant du travail à 854 exploitants. Aujourd’hui, le bassin de Galmi peut même se targuer d’exporter dans toute l’Afrique un produit célèbre pour sa valeur gustative : l’oignon de Galmi.
Pascale Peignen-Séraline
Proparco (sa filiale secteur privé) a consacré, au cours de ces dix dernières années, plus de 10 MDF dans le secteur de l’eau (dont 60 % pour l’eau potable).
Le poids croissant des petits opérateurs
Henri Coisne, PDG de Feljas et Masson, une société qui vend des stations de pompage, est assez optimiste sur les financements : “C’est vrai qu’il y a beaucoup de projets dans chaque pays et qu’il est difficile de les concrétiser s’il n’y a pas de bailleurs. Nous, nous réalisons 30 % de notre chiffre d’affaires sur des financements BAD. Mais il existe d’autres sources possibles, comme les Allemands avec KFW ou GTZ, les Hollandais, les Britanniques, les Italiens. Ou les Arabes, qui ont constitué un Fonds de développement économique et social”.
Une autre catégorie d’acteurs intervient sur le marché de l’eau. Longtemps ignorés des statistiques et des pouvoirs publics, ils prennent de plus en plus de poids : il s’agit de la multitude d’opérateurs privés qui viennent combler les insuffisances des services des eaux nationaux ou municipaux. Face à l’explosion urbaine et à l’accroissement anarchique des quartiers périphériques, les services d’eau sont démunis : ils ne peuvent assurer correctement la desserte de tout un ensemble de populations qui pourtant ne peuvent se passer d’eau. Toute une série d’acteurs, évoluant dans un cadre informel, non institutionnel et parfois illégal, s’est peu à peu constituée dans les quartiers défavorisés pour répondre rapidement à la demande : exploitant de forage, transporteur d’eau par camion, concessionnaire de réseau, entreprise de construction, fontainier, propriétaire de citerne de stockage, artisan réparateur, vendeur d’eau au détail, charretier.
“Voir également USAid américaine, la Jica japonaise, l’Acdi canadienne ou le Sida suédois, agences de coopération structurées et qui peuvent avoir plus d’impact que les efforts déployés en ordre dispersé par Actin, l’Ademe ou l’Oieau (rapport du député LP Fuchs, juin 1997).”
etc.
Ces personnes forment aujourd’hui, dans les grandes villes africaines, un secteur économique réel. Le bureau d’études Hydro Conseil, qui a mené une recherche dans six pays du Sud et trois grandes capitales, a découvert avec surprise l’importance de leur poids macro-économique. Ces entrepreneurs privés peuvent réaliser jusqu’à plus des quatre cinquièmes de la valeur ajoutée totale de la filière eau potable. Et les emplois dans ce secteur peuvent représenter de trois à quinze fois ceux du secteur public !
« C’est intéressant de constater, dit Alain Morel de l’Huissier, qui a effectué différentes recherches sur ces thèmes (Cergne ENPC), que, contrairement à nos contrées, même les plus pauvres achètent de l’eau traitée. Ils continuent à utiliser les puits pour leur lessive ou la douche. Mais, pour leur boisson, ils sont prêts maintenant à faire un effort financier. Les programmes de sensibilisation à l’hygiène commencent à porter des fruits. En revanche, la qualité de cette eau, au final, n’est pas suffisante. Elle se dégrade… »
pendant le transport et le stockage”.
La solution des bornes-fontaines, qui peuvent alimenter tout un quartier, et des revendeurs, si elles sont de plus en plus reconnues par les pouvoirs publics, ne constituent donc pas encore des solutions satisfaisantes. On avait cru pouvoir développer la méthode de traitement à domicile par des filtres rustiques ou industriels, mais les quelques expériences tentées ont échoué. Sans compter que ces solutions alternatives peuvent revenir au consommateur final 10 à 30 fois plus cher qu’à l'abonné du réseau.
Autre inquiétude, les retards pris en matière d’assainissement. Même si de nouveaux programmes sont lancés pour prendre en compte cette partie essentielle du cycle de l'eau, la maîtrise des eaux de pluie est la plupart du temps ignorée. Or les dommages domestiques, matériels et en termes de vies humaines sont importants chaque année à la suite des inondations. C’est un problème complexe, touchant à la voirie, à la qualité des réseaux d’évacuation (souvent encombrés de déchets), aux techniques de traitement, à la présence ou non d'une réflexion sur l'urbanisme.
Mais au total, quand il fait le bilan des évolutions en cours sur le Continent, le chercheur Alain Morel-à-l'Huissier se dit confiant : “D’abord parce que l'entrée en lice des grands groupes privés apporte une garantie de qualité au niveau de services qu'auparavant les gens payaient cher sans être satisfaits. Même si leur arrivée va renchérir le prix de l'eau, ils vont rationaliser l'exploitation technique et commerciale et se poser en professionnels face aux responsables nationaux de la gestion de l'eau. Ce dialogue ne peut qu’être fructueux. Ensuite, parce que, dans la planification des systèmes de gestion, on prend de plus en plus en compte la demande réelle des gens. On comprend enfin qu’il y a un niveau de service à offrir pour un prix donné, et un autre niveau pour un prix différent. Analyser les caractéristiques du service à créer en fonction de la capacité et de la volonté des gens à payer constitue une avancée concrète”.
Nos vifs remerciements au Centre français du commerce extérieur (CFCE) dont les ressources documentaires et humaines ont été précieuses pour la réalisation de notre enquête, ainsi qu’au pS-Eau, qui nous a guidés avec efficacité.
On parle beaucoup en ce moment du lagunage extensif.