L'alimentation en eau potable de l'agglomération rouennaise — qui regroupe vingt-neuf communes totalisant actuellement près de 450 000 habitants qui seront, selon les prévisions du Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme (S.D.A.U.), 520 000 en 1985 — aurait posé à moyen terme de sérieux problèmes si, dès à présent, les mesures appropriées n'avaient été prises.
Le Syndicat intercommunal des eaux de la banlieue sud de Rouen, regroupant les communes de Sotteville-lès-Rouen, Saint-Étienne-du-Rouvray, Petit-Quevilly et Petit-Couronne, groupant environ 100 000 habitants, déjà alimenté par les forages du champ captant de « La Chapelle », situé à Saint-Étienne-du-Rouvray, a décidé, devant la dégradation des eaux exhaurées, de réaliser une usine d'affinage d'un débit de 50 000 m³/j, avec possibilité d'extension à 100 000 m³/j.
Cette usine entre, par ailleurs, dans le cadre des opérations de développement et d'amélioration des ressources existantes de la région rouennaise.
Les trois forages actuels, d'un mètre de diamètre, atteignent la nappe de la craie. Ils ont été créés entre 1962 et 1964.
La bonne qualité de l'eau s'est maintenue jusqu'en 1967, date à laquelle sont devenues sensibles des imperfections dont l'importance s'est accentuée.
Il s'agit d'abord de micropolluants organiques présents, soit en permanence, comme les détergents, les substances extractibles au chloroforme (hydrocarbures et corps gras) ou oxydables (D.C.O.), soit par intermittence, comme les phénols.
Outre ces micropolluants, l'eau contient d'autres éléments indésirables :
- — de l'AMMONIAC PRÉSENT EN PERMANENCE à des taux qui n'ont cessé de croître au cours des dernières années,
- — du FER ET SURTOUT DU MANGANÈSE, observés à des taux variables,
Enfin, cette eau est DÉPOURVUE D'OXYGÈNE DISSOUS. Elle est donc réductrice au point que l'on observe parfois des traces de nitrites.
De plus, il a été constaté de temps en temps, et à des intervalles de plus en plus rapprochés, l'apparition de goûts « terreux » ou « de moisi » d'origine variable.
Toutes ces imperfections cumulées ont contribué à dégrader sérieusement sa qualité, la rendant désagréable pour l'usager au point de vue du goût, de la couleur et de la saveur.
L'origine des pollutions est diverse ; au principal, elle provient de la surexploitation de la nappe par les industries voisines, ainsi que du phénomène général de pollution des sols par des causes diverses (rejets de résidus, retombées de fumées, etc.).
DÉFINITION DE LA FILIÈRE DE TRAITEMENT ET D’AFFINAGE
Le Syndicat Intercommunal des Eaux de la Banlieue Sud de Rouen a demandé à son concessionnaire, la Compagnie Générale des Eaux, de lui proposer un traitement de l'eau des forages de La Chapelle.
À cette fin, la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX et la S.E.T.U.D.E. ont procédé à des essais continus en station pilote. Une première série d'essais s'est déroulée d'avril 1968 à avril 1970, une autre de mai à novembre 1971, à la suite desquels une filière de traitement a été retenue définitivement. Ces essais ont néanmoins été poursuivis jusqu'en octobre 1972.
RÉSULTATS DES ESSAIS
Les concentrations des éléments indésirables contenus dans l'eau brute durant les essais se sont maintenues dans les valeurs suivantes :
Éléments | Valeur minimale | Valeur maximale | Fourchette de valeurs les plus fréquentes |
---|---|---|---|
Détergents (µg/l) | 85 | 139 | 95 — 115 |
Phénols (µg/l) | 0 | 0 | 0 |
S.E.C. (mg/l) | 0,10 | 0,38 | 0,15 — 0,25 |
D.C.O. (mg/l O₂) | 0,15 | 2,55 | 1,5 — 2,0 |
Ammoniac (mg/l NH₃⁺) | 0,09 | 2,20 | 1,30 — 1,60 |
Manganèse (mg/l Mn²⁺) | 0,085 | 0,203 | 0,160 — 0,170 |
La filière la plus performante permettrait d’obtenir les résultats suivants :
Éléments | Teneurs | Pourcentage d'abattement par rapport à l'eau brute (fourchette) |
---|---|---|
Détergents (g/l) | 0 à 0,27 | 72 à 100 |
Phénols (g/l) | 0 | — |
S.E.C. (mg/l) | 0,02 à 0,3 | 30 à 90 |
D.C.O. (mg/l O₂) | 0 à 0,35 | 78 à 100 |
Ammoniac (mg/l NH₃⁺) | 0 à 0,30 | 75 à 100 |
Manganèse (mg/l Mn²⁺) | 0 à 0,014 | 85 à 100 |
De plus, on a constaté une élimination totale des goûts, couleur et odeurs au cours du traitement.
SOLUTION RETENUE
La conclusion de ces essais a permis de dégager une filière de traitement présentant plusieurs caractères originaux et inédits.
Elle comporte en effet :
- — une OZONATION DE L'EAU BRUTE (préozonation),
- — une FILTRATION SUR SABLE DE QUARTZ suivie d'une percolation sur CHARBON ACTIF GRANULÉ,
- — une OZONATION DE L’EAU FILTRÉE (postozonation).
Les raisons du choix ont été les suivantes :
- — Le charbon actif n’a pas à y assurer la rétention des différents précipités résultant de la préozonation de l'eau brute ; le volume de charbon à mettre en œuvre s’en trouve réduit de moitié.
- — La durée de vie du charbon actif y est également sensiblement allongée, les propriétés adsorbantes spécifiques au charbon, en particulier celles des couches supérieures, n’étant plus obérées par la rétention des précipités d'oxydes.
- — En raison du coût du charbon actif, la filière « sable + charbon » est sensiblement plus économique, en investissement et en exploitation, que la filière « charbon seul », malgré l'apparente complication qui en résulte au niveau du génie civil et de l’équipement des filtres, surtout lorsqu'elle est réalisée simultanément.
CARACTÉRISTIQUES DE L'USINE
DÉBIT DE L'USINE : 50 000 m³/jour – EXTENSIBLE ULTÉRIEUREMENT
I – EXHAURE
a) Forages :
— 3 forages dans la nappe de la tête de la craie : © Profondeur : 35 m environ.
b) Pompage d’exhaure :
— 3 pompes à vitesse variable : © Débit unitaire : de 750 à 1 100 m³/h. © H.M.T. : de 9,65 m à 16,55 m. © Vitesse : de 1 080 à 1 470 tr/mn. © Moteur à courant continu, variation de vitesse par variation statique à thyristors.
II – PRÉOZONATION
Débit total maxi : 2 200 m³/h sur 3 files (750 m³/h par file). Contact eau et air ozoné : réalisé en 2 compartiments successifs. Injection d’air ozoné par électroturbine. Récupération et réinjection de l’air ozoné résiduel (pré et postozonation).
III – FILTRATION SUR SABLE
— 6 filtres en parallèle : © Surface totale : 454,8 m². © Vitesse de filtration : 84 m/h. © Charge filtrante : H = 100 cm sable quartzite. © Faux-fonds crépinés.
IV – PERCOLATION SUR CHARBON ACTIF
— 6 filtres en parallèle situés sous les filtres à sable et de mêmes dimensions ; © Charge filtrante : H = 75 cm. © Faux-fonds béton poreux.
V – RÉGULATION DES FILTRES
Par polhydras type centrifuge.
VI – LAVAGE ET AÉRATION DES FILTRES
Commandés à partir de pupitres situés dans une galerie de commande.
VII – POSTOZONATION
— 3 files de 750 m³/h chacune. — Injection d’air ozoné par tubes poreux. — Analyse du résiduel ozone en continu.
VIII – STOCKAGE EAU TRAITÉE
— 2 réservoirs semi-enterrés de 1 250 m³. — 1 bâche de pompage de 250 m³.
IX – PRODUCTION D’OZONE
© Conditionnement de l’air : — 1 échangeur de température à circulation d’eau. — 1 échangeur frigorifique. — 2 dessiccateurs d’air à alumine activée. © Production d’ozone : — 3 générateurs TRAILIGAZ comprenant chacun 126 tubes diélectriques.
X – REFOULEMENT DE L’EAU TRAITÉE
© Pompage bas service : — 3 groupes électro-pompes verticaux (un en secours) : © Débit unitaire : 1 100 m³/h. © H.M.T. : 47 m. © Pompage haut service : — 2 groupes électro-pompes verticaux : © Débit unitaire : 500 m³/h. © H.M.T. : 90 m. — Amorçage des pompes par dispositif de mise sous vide. — Protection antibélier par ballons d’air.
XI – FONCTIONNEMENT DE L’USINE
Entièrement automatique en fonction des niveaux dans les différents réservoirs d’eau traitée.
Le rôle de la préozonation est également très important. Sous l’effet de l’ozone, le fer et le manganèse sont oxydés et précipitent sous forme d’hydroxydes insolubles. Les matières organiques sont oxydées et les molécules complexes sont soit détruites, comme les phénols, soit rompues, comme les détergents et les corps gras, ce qui les rend plus aisément adsorbables par le charbon actif. Enfin, l’eau se charge en oxygène dissous et favorise ainsi le développement des bactéries nitrifiantes sur les filtres.
La préozonation se fait à un taux modéré (de l’ordre du gramme/m³ d’ozone) avec un temps de contact entre l’eau et l’ozone de quelques minutes.
L’eau préozonée subit ensuite deux traitements successifs :
— une FILTRATION SUR COUCHE DE SABLE DE QUARTZ dont le rôle est de retenir les précipités d’hydroxydes de fer et de manganèse et d’assurer, par première action bactérienne, une nitrification partielle de l’ammoniac,
— une PERCOLATION SUR CHARBON ACTIF GRANULÉ pour obtenir, d’une part, une quasi-élimination des micro-polluants organiques de toute sorte, d’autre part une seconde action bactérienne qui permet la nitrification finale de l’ammoniac.
La postozonation assure la stérilisation bactéricide et virulicide de l’eau, l’achèvement de son affinage notamment par amélioration de ses qualités organoleptiques (absence de goût, de couleur et d’odeur), et sa saturation en oxygène dissous.
CARACTÉRISTIQUES DES CELLULES CHARGÉES DE QUARTZ ET DE CHARBON ACTIF
Chaque cellule est constituée de deux étages superposés travaillant en série, sans plancher étanche intermédiaire.
L’étage supérieur contient une couche de sable de quartz d’un mètre d’épaisseur travaillant en filtre ; l’étage inférieur, une couche de charbon actif granulé de 0,75 m d’épaisseur, agissant en adsorbant.
Elle est, en outre, divisée verticalement en deux demi-filtres identiques séparés par deux goulottes collectant respectivement les eaux de lavage du sable et celles du charbon actif.
PLANCHERS DRAINANTS
Chaque masse (sable et charbon actif) est supportée par un plancher drainant approprié.
Le plancher drainant qui supporte le sable est constitué de plaques en amiante-ciment équipées de buselures en polystyrène de type spécial.
Le plancher drainant qui supporte le charbon est, pour l’essentiel, constitué de dalles alvéolées en béton poreux, posées suivant un quadrillage de poutres qui portent elles-mêmes une série de tuyaux perforés pour répartition de l’air, utilisé pour le détassage périodique.
LAVAGE DU SABLE DE QUARTZ ET DÉTASSAGE DU CHARBON ACTIF
Les filtres à sable de quartz sont nettoyés par injection à contre-courant d’un débit d’eau traitée associé à une insufflation d’air.
Le lavage des cellules à charbon actif se fait seulement par envoi d’un contre-courant d’eau produit par les électro-pompes de lavage des filtres à sable.
La fréquence de lavage des filtres à charbon actif est très inférieure à celle des filtres à sable : il ne s’agit en fait que de détasser la masse adsorbante.
RÉALISATION DES TRAVAUX ET RÉSULTATS DE FONCTIONNEMENT
La construction de l’usine a débuté en mai 1974 et la mise en service a pu intervenir dès la mi-février 1976.
Après la période normale de mise au point, les résultats obtenus ont confirmé ceux de la station pilote et justifient donc parfaitement l’option qui avait été prise par le Syndicat.
On constate ainsi :
— que le fer, le manganèse et l’ammoniaque ont totalement disparu,
- — que l'abattement des phénols est de 100 %, que celui du S.E.C. est de 70 à 80 %, ainsi que celui des détergents (ces phénols sont apparus depuis la période des essais) ;
- — que l'eau distribuée est saturée en oxygène dissous.
De plus, les goûts et odeurs ont été totalement éliminés.
La nouvelle filière mise en œuvre à l'usine de La Chapelle est donc, avec le maximum de souplesse, parfaitement adaptée à l'élimination des micropollutions spécifiques, du fer et du manganèse, à l'oxydation biologique de l'ammoniac, des nitrites et l'élimination des goûts et des odeurs.
En résumé, ce traitement présente, par rapport aux procédés utilisés jusqu'alors, les éléments originaux et exhaustifs suivants :
- — double ozonation (pré et postozonation) ;
- — double « filtration » (filtration sur sable et percolation sur charbon actif), l'ensemble en fonctionnement gravitaire dans une conception monobloc ;
- — imbrication étroite de la chimie et de la biologie par l'utilisation rationnelle des propriétés d'action de ce type de l'ozone et du charbon actif.
Par ses caractéristiques très complètes, cette filière est une des plus efficaces utilisées en France actuellement.
D. Versanne – Ph. Reinmann.