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Activités agricoles et lutte contre les nitrates dans les eaux souterraines

30 mars 1987 Paru dans le N°108 à la page 53 ( mots)
Rédigé par : René DELOUVEE

Bien souvent les élus ne se préoccupent de la qualité des eaux distribuées dans leurs communes que lorsque le laboratoire de contrôle conclut son bulletin de résultats d’analyses par des mentions telles que « eau suspecte », « eaux contaminées bactériologiquement », « eau dont la teneur en nitrates est excessive pour les femmes enceintes et les nourrissons ». À ce moment, toute quiétude disparaît : à des années de tranquillité succèdent des moments d’activité fébrile avec, le plus souvent, recherche de solutions « définitives » et « immédiates ». Pour éviter ces désagréments il est possible, dès aujourd’hui, de prévenir ces aléas en prenant les mesures qui maintiendront, à terme, la qualité des eaux captées et des eaux distribuées.

La première de ces actions consiste à exhumer les bulletins d’analyses, à les classer par ordre chronologique et à établir une courbe des teneurs en nitrates et, éventuellement, d’autres paramètres. Ce classement et ces courbes faits, il faudra alors inviter l’ingénieur sanitaire du département à venir expliquer pourquoi les différents éléments analysés le sont et comment, à partir des résultats, on peut passer, éventuellement, à la deuxième phase : le diagnostic des causes de pollution dans un ouvrage de captage.

REMARQUE 1. Il y a deux points qu’il faut vérifier pour que les graphiques soient « parlants » :

  • — le premier est de s’assurer auprès de ceux qui ont rédigé les bulletins que ni les laboratoires, ni les méthodes d’analyse n’ont changé ; si c’est le cas, le mentionner sur le graphique. Faire attention aussi à l’expression des résultats : « azote nitrique » ne signifie pas la même chose que « nitrate » et N₂O₃ est différent de NO₃⁻ ;
  • — le second consiste à vérifier que c’est bien la même eau qui a été analysée, sortant du même puits sans mélange ou prise sur un réseau toujours alimenté de la même façon, à partir de la même source.

Le diagnostic de cause de pollution d’un captage

Pour cette seconde phase, il est nécessaire de faire participer à la fois la population et les « experts » pour conjuguer leurs efforts.

En premier, on visitera le captage d’eau potable à l’intérieur et à l’extérieur. C’est une visite qui devrait se faire tous les deux ans avec consignation des résultats sous forme de compte rendu.

La visite intérieure consistera en la recherche des traces d’introduction rapide d’eaux de surfaces plus ou moins contaminées, en la recherche des défauts de jointoiements, d’assemblage ou de continuité des revêtements intérieurs et de liaison entre puits et avant-puits. Si l’ouvrage est de petite taille, non visitable par l’homme, on pourra avoir recours à la visite vidéo. Les directions de l’Agriculture et de la Forêt, de l’Équipement et de la Santé peuvent renseigner les intéressés.

La visite extérieure aura pour but de rechercher :

  • — si des eaux polluées (eaux de ruissellements, rejets de fosses, de fumières, de décharges, eaux ménagères, eaux dites « pluviales » etc.) sont dirigées vers l’ouvrage de captage ;
  • — si les joints entre le sol avoisinant et l’ouvrage sont en bon état ;
  • — si des margelles existent bien (on ne compte plus les fermetures de puits à ras du sol, voire sous celui-ci par une plaque d’égout) ;
  • — si les fermetures existent ;
  • — si les clôtures sont entretenues etc.

REMARQUE 2. Pour des raisons le plus souvent historiques, les ouvrages de captage, sources, puits ou forages, sont peu visités et peu ou pas entretenus. Dans certains villages, on ne sait même plus où ils se trouvent.

Bien souvent, les captages sont confondus avec les réservoirs ou les stations de pompage. On peut schématiser ainsi un réseau simple :

Captage

  • — source
  • — puits
  • — forage
  • — prise d’eau de surface

Station de pompage Absent si le captage est plus élevé que les réservoirs Ce peut être un surpresseur

Traitements

  • — simples : désinfection
  • — complets : déferrisation, aération, décantation, filtration, etc.

Réservoir en pression et réseau Châteaux d’eau aériens ou enterrés Bulbes surpressés

Ces deux comptes rendus de visites intérieure et extérieure éclaireront, pour partie, les résultats des analyses d’eau.

Après l’ouvrage de captage, première étape du diagnostic, il est utile de chercher à savoir comment l’eau captée parvient au captage, et à l’aquifère sollicité ! Cette phase est la recherche des points singuliers. La figure 1 donne une image condensée des circulations d’eaux ; celles-ci, après leur arrivée au sol par des pluies, des condensations, brouillards, brumes et rosées, des apports solides, neiges, glaces et givres, sont absorbées par le sol. Le supplément ruisselle ; ces ruissellements peuvent rejoindre des gouffres ou des puisards.

[Photo : Figure 1]
[Photo : Processus de contamination des eaux superficielles.]

zones d'engouffrement et... se contaminer sur leur parcours (figure 2).

La recherche des points singuliers consistera à inventorier toutes les zones d’engouffrement dont on peut établir la liste suivante :

  • — fossés toujours secs,
  • — ruisseaux temporaires,
  • — bétoires, bimes, bois-tout etc., suivant les lieux de France et les parlers locaux,
  • — puits anciennement utilisés pour l’alimentation des fermes et des habitations et transformés en égout après adduction d’eau potable publique,
  • — puisards aménagés pour les rejets des égouts des toits dans lesquels on ajoute des eaux usées,
  • — plateaux telluriens d’assainissements individuels, plus ou moins défoncés pour éviter leur entretien régulier,
  • — puits ou puisards de rejets de réseaux de drainage des terres agricoles,
  • — puits de cours de ferme ou de cours d’usine, mal protégés contre les eaux de ruissellement ou servant, simplement, d’exutoire aux eaux usées « domestiques » provenant des locaux d’élevage, des ateliers de lavage des véhicules et des citernes,
  • — anciennes carrières (sablières, marnières etc.) converties en dépôts plus ou moins contrôlés de matières polluantes.

On pourrait, hélas, allonger la liste, les pollueurs, comme la nature, ayant horreur du vide et cherchant à combler tous les hiatus avec ce qui leur tombe sous la main…

Cette liste faite, on cherchera, pour chaque point inventorié localisé précisément sur la carte, à établir le risque couru en précisant les rejets possibles situés à proximité de ces points. Voilà une phase où l’aide des habitants est déterminante. Eux, mieux que tous les intervenants extérieurs, connaissent le site, eux seuls, peuvent préciser les risques. C’est aussi et surtout un moyen de faire participer toute la population à la protection des eaux captées en faisant prendre, à chacun, ses responsabilités. C’est, enfin, pour les élus locaux, un moyen de montrer aux agriculteurs qu’ils ne sont pas les seuls à être incriminés et que, puisque tous les habitants ont pris en charge la suppression des risques de pollution qu’ils créaient, les agriculteurs ont, eux aussi, et pour les sols qu’ils cultivent, à réduire leurs émissions de pollution.

C’est le troisième volet du triptyque : captage, voies privilégiées, sols cultivés.

Comment pollue-t-on en cultivant ?

Nous laisserons de côté les pollutions par effluents d’élevage (fumier, lisier, fientes, jus d’ensilages) dont on a beaucoup parlé. La rationalisation de l’emploi de ces effluents pourrait améliorer les choses et, en amont, l’implantation rationnelle des ateliers d’élevage serait encore plus importante.

[Encart : REMARQUE 3. Pour l’implantation ou l’extension des ateliers d’élevage hors-sol, l’avis du Conseil Départemental de l’Hygiène est sollicité. Cet avis, émis en toute bonne foi souffre de trois faiblesses : 1) ce sont les partisans de l’implantation qui présentent le dossier, lequel n’est que très rarement remis à l’avance aux autres membres du Conseil ; 2) les membres des Conseils n’ont aucune information sur le nombre d’ateliers déjà existants et sur l’emploi des sols qui doivent supporter les épandages d’eaux résiduaires ; 3) le Conseil d’hygiène ne dispose d’aucun moyen lui permettant de faire sanctionner des abus. Donc une décision est sollicitée partialement, sans informations préalables et sans possibilité de suivi.]

Nous laisserons de côté, également, les surdosages d’engrais plus ou moins « volontaires ». Dans bien des zones maraîchères, ou florales, il n’est pas rare de couvrir par des fumures organiques plus que les besoins des cultures et d’apporter, en outre, la fertilisation minérale. On a affaire là à l’expression de l’ignorance et à la croyance, dénuée de fondement, que « si ça ne fait pas de bien, cela ne peut faire de mal ». Nous nous attacherons aux « erreurs » de cultures susceptibles d’entraîner les plus fortes concentrations de nitrates dans les sols avant les lessivages hivernaux (climats français).

En premier lieu, il y a la découverte hivernale du sol, c’est-à-dire le choix de rotations qui laissent les sols dénudés en hiver. En deuxième lieu, il y a les fertilisations azotées d’automne dont l’inutilité a été démontrée depuis longtemps et dont la nuisibilité pour la qualité des eaux a été chiffrée depuis. On peut estimer que 90 à 95 % de l’azote nitrique apporté avant le 15 octobre et 80 % de l’azote ammoniacal apporté jusqu’au 15 novembre sont disponibles à la percolation. En troisième lieu, il y a les calculs d’apports d’azote qui ne tiennent compte ni du reliquat post-hivernal, ni des minéralisations des déchets de la culture précédente, ni des minéralisations de printemps, ni d’une fixation réellement raisonnable des objectifs de rendement. En dernier lieu, il y a, pour les cultures se récoltant en été, tout ce qui se passe entre la moisson et la mise en place de la culture suivante. Si les pailles et chaumes sont à décomposition rapide et riches en azote (pois et autres légumineuses) il conviendra de les exporter. Si les pailles et chaumes sont pauvres en azote, riches en carbone et à décomposition plus lente, on s’en servira comme paillis temporaire avec enfouissement tardif.

Toutes ces « erreurs » sont autant de « pistes » pour analyser calmement les origines agricoles des pollutions et pour chercher des remèdes. Un guide des améliorations possibles a été élaboré par le CORPEN, des triptyques de conseils existent et sont disponibles auprès des Agences de Bassin.

Pour résumer en un guide d’actions, l’élu local décidé à résoudre, pour longtemps, les problèmes de nitrates pourra se faire aider :

  • — par les services de la santé : pour la première phase qui concerne l’ouvrage de captage.
  • — par ses services et ceux de l’agriculture : pour la deuxième phase qui concerne les voies privilégiées. Les hydrogéologues et les Agences de Bassin apporteront là aussi leurs compétences et permettront de gagner du temps… et de l’argent.
  • — par les exploitants et leurs conseillers : pour ce qui est de la phase « sols cultivés ».

Enfin il est bon de savoir que certaines méthodes analytiques permettent d’identifier les types de pollution (domestiques, élevages, sols ou engrais azotés) et que les techniciens sont à même de les choisir pour éclairer l’action de protection.

De toute façon, l’abandon d’un ouvrage de captage peu protégeable se soldera, pour la collectivité, par des frais de mise en défense pour que cet ouvrage abandonné ne soit pas un chemin privilégié pour la pollution. Et ces frais doivent entrer en ligne de compte au moment des choix.

« On n’a que l’eau que l’on mérite » et la prévention, en ce domaine, coûte considérablement moins cher que la cure qui, elle, introduit une autre question de droit fondamental : « si l’on fait payer aux consommateurs le traitement d’une eau polluée par d’autres auprès desquels on n’intervient pas, peut-on dire que les pollueurs sont les payeurs ? »

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