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Action de l'ozone sur les kystes et les trophozoïtes d'amibes libres susceptibles d'être rencontrés dans l'environnement

30 juillet 1985 Paru dans le N°93 à la page 41 ( mots)

B. LANGLAIS Trailigaz – Compagnie Générale de l’ozone

D. PERRINE U.E.R. des Sciences Pharmaceutiques de Caen

De nombreuses études, citées par Simitzis (1) et ses propres travaux, démontrent que les amibes libres sont apparemment capables de coloniser de très nombreux milieux. De plus, la présence de ces organismes dans des réseaux de distribution d’eau potable (2) et, plus particulièrement, l’isolement dans des piscines (3) ou des lieux de baignade (4) de souches pathogènes pour l’homme ont conduit, ces dernières années, à relancer les travaux sur le comportement de ces protozoaires vis-à-vis des traitements de désinfection utilisés classiquement. C’est dans ce cadre que nous avons déjà présenté les résultats obtenus sur 11 souches d’amibes dont les kystes ont été exposés à différentes conditions d’ozonation (5). Toutes les souches testées ayant été parfaitement inactivées lors de nos essais – même pour des conditions d’application de l’ozone assez éloignées des critères d’« ozonation vraie » (maintien d’un résiduel d’ozone dissous pendant 4 minutes minimum) – à l’exception cependant de Acanthamoeba polyphaga (1501), nous nous sommes intéressés au comportement de ces kystes soumis à des ozonations moins « sévères ». Nous avons parallèlement testé l’action de l’ozone sur les trophozoïtes qui, dans des conditions favorables au développement des amibes, accompagnent nécessairement les kystes.

Cultures et caractères des souches

Le tableau 1 regroupe l’identité des souches utilisées lors de diverses expérimentations sur les kystes et les trophozoïtes.

Ces amibes sont cultivées sur milieu gélosé, en présence d’une espèce bactérienne (Aerobacter aerogenes) servant de substrat, dans des flacons stériles pour cultures de tissus. Après ensemencement par les kystes, les flacons sont bouchés et mis à incuber à 30 °C. Au bout de 24 à 48 heures, les trophozoïtes sont recueillis dans quelques millilitres d’eau distillée stérile. L’obtention de kystes nécessite, selon les souches, une durée d’incubation de 15 jours à 3 semaines. Ceux-ci sont également récupérés dans de l’eau distillée stérile. La richesse de ces suspensions mères de trophozoïtes ou de kystes est évaluée par un comptage dans une cellule de Malassez.

Numération des trophozoïtes ou des kystes soumis à l’ozonation

Les suspensions témoins ou ozonées (600 000 trophozoïtes l⁻¹) sont chacune réparties (échantillon de 100 ml) en totalité dans des tubes de centrifugation. Une première centrifugation est réalisée à 800 tours min⁻¹ et la majeure partie du surnageant est éliminée avec précaution, à l’aide d’une pipette Pasteur. Les quelques millilitres restants dans chaque tube sont agités, rassemblés dans un unique tube et soumis à une seconde centrifugation identique à la première. Le surnageant est de nouveau évacué, de façon à ramener le volume de l’échantillon très exactement à 1 millilitre. Sur ce culot de centrifugation, quatre numérations successives sont effectuées dans une cellule de Nageotte de 50 µl.

Les suspensions de kystes (10 000 kystes l⁻¹) sont incubées dans les conditions décrites précédemment, après distribution dans des boîtes de Petri contenant le milieu de culture. Le système de répartition des différents volumes de suspension, déposés sur les boîtes avant incubation, correspond à celui utilisé classiquement pour l’évaluation du nombre de germes par la méthode du nombre le plus probable (6) et a été décrit antérieurement (5).

Nous avons vérifié que cette méthode statistique présentait, pour ce type de dénombrement, une précision et une fiabilité suffisantes. De même, le protocole retenu pour compter les trophozoïtes permet de retrouver, dans les solutions témoins, un nombre de protozoaires parfaitement en accord avec le nombre théoriquement présent dans les suspensions initiales.

TABLEAU 1

Identité des souches utilisées lors des expérimentations

Identité des souches Origine Caractères Essais d’ozonation sur les kystes Essais d’ozonation sur les trophozoïtes
Naegleria gruberi 1518/1a CCAP Eau douce Th* Path* x x
Naegleria gruberi (piscine d’Échirolles traitée) Piscine Th* Path* x x
Naegleria gruberi NOS wabain Réservoir Th* Path* x x
Naegleria fowleri 0359 (liquide céphalo-rachidien) Liquide céphalo-rachidien Path* x x
Acanthamoeba polyphaga 1501/3a CCAP Eau douce Th* Path* x x
Acanthamoeba species ewi wabain Réservoir Th* Path* x
Acanthamoeba culbertsoni AT (culture de reins de singe) Culture de reins de singe Path* x
Hartmannella vermiformis Eau douce Th* Path* x x
Vahlkampfia avara (thermophile pathogène) Eau douce Th* Path* x

Th* = non pathogène Path* = pathogène

[Photo : Kystes de Naegleria (volumineux nucléolé).]
[Photo : Trophozoïtes de Naegleria (pseudopodes lobés).]

Protocole d’ozonation

L’ozone est synthétisé à partir d’air sec dans un ozoneur de laboratoire Trailigaz, Labo 76, la concentration d’ozone dans l’air ozoné utilisé étant de 16,8 mg O₃/Nl.

Les suspensions de kystes, constamment agitées, sont soumises à une ozonation correspondant à la phase d’oxydation (période de diffusion de l’ozone dans l’eau qui doit permettre d’atteindre une certaine valeur d’ozone résiduel dissous). Le bullage a été maintenu (débit 150 Nl/h) dans les suspensions (110 ml) pendant 15, 30, 60 ou 120 secondes.

Par ailleurs, une seconde série de tests permet de simuler la phase de désinfection (maintien d’un résiduel d’ozone stable pendant une période déterminée). Dans ce cas, l’eau distillée est ozonée préalablement, de façon à obtenir une solution contenant de l’ozone résiduel dissous. Pour un résiduel fixé (0,2 ou 0,4 mg/l), les kystes sont alors injectés dans l’eau et laissés au contact de ce résiduel pendant 30 secondes, 4 ou 8 minutes.

Les suspensions de trophozoïtes ont toujours été injectées dans une eau contenant de l’ozone résiduel dissous (simulation de la phase de désinfection), la valeur de ce résiduel et la durée de mise en contact des trophozoïtes avec ce résiduel étant les deux paramètres étudiés.

Pour tous ces tests, le pH a été maintenu à une valeur de 7, la température étant de 25 °C. Les résiduels d’ozone dissous ont systématiquement été contrôlés en début et fin d’expérimentation par la méthode colorimétrique de Palin (7). La destruction de ce résiduel permettant d’arrêter les phases d’oxydation ou de désinfection a été réalisée par addition de thiosulfate de sodium.

Résultats et discussions

Le tableau 2 résume quelques-uns des résultats concernant le comportement des kystes lors de la phase de bullage.

Tableau 2

Efficacité de la phase d’oxydation sur les kystes d’amibes libres testés

N.P.P./l de kystes viables
Souches expérimentéesAvant bullage (témoins)Après bullage pendant : 15 s30 s60 s120 s
N. gruberi (1518)
12 0007 0001 700200
11 0008 5001 510200
9 200200
9 200100
N. species (M05)
14 0007 0002 3001 300
12 0009 0002 1501 100
9 200100
9 200200
N. gruberi Echirolles
12 0003 0005002 300
11 0009 0007 0002 450
9 200200
9 200200
N. fowleri (0359)
14 0006 5001 300100
12 0007 0001 100200
9 200100
9 200100
A. polyphaga (1501)
12 0009 0004 7001 700
12 0009 0006 5001 510
9 200100
9 200600
A. sp. MR4
11 0005007 000400
12 0009 0005 500700
9 200200
9 200100
A. culbertsoni A1
12 0009 000400100
12 0007 500400200
9 200100
9 200100

L’inactivation des kystes lors du bullage est effective, comme nous l’avions déjà montré, et le seuil de 1 000 kystes/l fixé par Hermanne (8) pour l’eau de piscine est souvent atteint au bout de 60 secondes. Les souches pathogènes (N. fowleri et A. culbertsoni A1) sont très sensibles ; l’inactivation de A. polyphaga est nettement moins bonne, phénomène déjà connu, mais nous pouvons également observer que N. gruberi Echirolles résiste bien aux 60 secondes de bullage, de même que N. species M05 et A. species MR4, qui présentent une sensibilité intermédiaire.

Le tableau 3 permet d’observer le comportement des kystes mis en présence d’un résiduel d’ozone dissous de 0,2 à 0,4 mg/l pour différents temps de contact.

Tableau 3

Efficacité de la phase de désinfection sur les kystes d'amibes libres testés

N.P.P./L de kystes viables
Souches expérimentées O₃ dissous : 0,2 mg/L O₃ dissous : 0,4 mg/L
Témoin 30 s 4 min 4 min
N. gruberi (1518)
12 0005 500100<100
9 200<100
N. sp. (M05)
14 0006 500<100<100
12 0005 500<100100
9 200<100
N. gruberi Echirolles
12 0003 000700500
11 0009 0006 5002 150
9 100<100
N. fowleri (0359)
14 000<100<100
12 000<100<100
9 200100
H. vermiformis
14 000100<100
14 000200<100
9 200<100
A. polyphaga (1501)
12 0001 700400
12 0001 700200
9 200500
11 0001 100600
12 0001 300400
9 200100
12 000100120
12 000100100
A. species MR4
A. culbertsoni A1
12 000<100

Ces essais, effectués à différentes concentrations en ozone dissous, permettent d'observer une sensibilité différente en fonction des souches d’amibes, ce que nous n’avions pas pu constater en simulant une phase de désinfection classique puisque pour toutes les souches étudiées, à l’exception d'A. polyphaga, ces dernières conditions conduisaient systématiquement à une très bonne inactivation.

Certaines souches sont très sensibles puisqu’un résiduel de 0,2 mg O₃/L suffit pour induire l’inactivation en 4 minutes (N. gruberi 1518, N. species M05, N. fowleri 0359, H. vermiformis, A. culbertsoni A1).

On retrouve également, dans cette série d’essais, que N. gruberi Echirolles est beaucoup moins sensible, de même que A. species MR4.

On peut également remarquer que l’inactivation est plus efficace lors de la phase de bullage. Ainsi, pour 30 secondes de bullage à la fin desquelles on retrouve un résiduel d’ozone dans l’eau de 0,2 mg/L, les 3 souches de Naegleria testées voient leur nombre chuter d’environ 85 % (46 % seulement pour N. gruberi Echirolles), alors que 30 secondes de contact avec ce même résiduel conduisent à une chute de 55 % seulement (17 % pour N. gruberi Echirolles). Ceci corrobore les résultats obtenus antérieurement. Il semble donc très important d’assurer, lors d’un traitement amibicide,

[Photo : Kyste de Naegleria après ozonation vraie (coloration P.A.T.). Les pores kystiques ont disparu. Le kyste est beaucoup plus perméable à la coloration.]
[Photo : Kyste de Naegleria (coloration C.G.T.). On distingue parfaitement les pores kystiques.]

un contact intime entre l’air ozoné et les amibes présentes dans l’eau.

Le tableau 4 présente l’ensemble des résultats obtenus lors de la mise en présence des trophozoïtes d’amibes avec différents résiduels d’ozone dissous pendant des périodes déterminées. L’examen microscopique nécessaire à la numération dans les cellules de Nageotte permet de distinguer :

— des trophozoïtes vivants, à morphologie et mobilité intactes (V) ; — des trophozoïtes morts immobiles, comme fixés mais à morphologie intacte (F) ; — une absence totale de trophozoïtes résultant (après vérification) d’un éclatement de la structure, sous l’effet du résiduel d’ozone.

Le protocole simulant l’ozonation vraie assure une destruction totale des trophozoïtes de toutes les souches étudiées. Ces conditions d’ozonation sont nécessaires pour les deux souches N. gruberi Echirolles et H. vermiformis.

Pour toutes les autres souches, dans nos conditions d’expérimentation, un contact de 30 secondes, le résiduel restant maintenu à 0,4 mg/L, serait suffisant. De même, un temps de contact de 15 secondes permet l’inactivation de toutes les autres souches de Naegleria, contrairement à Acanthamoeba.

Tableau 4

Efficacité de la phase de désinfection sur les trophozoïtes d’amibes libres testées

A. polyphaga et H. vermiformis qui, dans ces conditions, ne sont pas totalement détruites. Vahlkampfia avara, Naegleria fowleri et Naegleria gruberi 1518 sont très sensibles puisque l’on ne retrouve aucun trophozoïte vivant pour les conditions d’ozonation les plus douces (0,2 mg O₃/l pendant 30 secondes). Acanthamoeba polyphaga est également sensible.

Il est très intéressant de noter que les souches les moins sensibles à l’ozone (kystes ou trophozoïtes), lorsque l’on travaille dans des conditions d’ozonation douces, sont : A. polyphaga, amibe mal connue du point de vue de la systématique, A. species MR4, N. gruberi Echirolles, N. species MO5, N. gruberi LHPV, H. vermiformis. Or, on remarque qu’à l’exception de A. polyphaga et H. vermiformis, toutes les autres souches ont été isolées d’eaux ayant subi un traitement de désinfection. Cette perte relative de sensibilité pour des amibes dont les souches originelles ont pu être en contact avec des doses sublétales de désinfectants n’est pas sans rappeler le phénomène de résistance acquise par certains virus ou bactéries dans des conditions similaires (8, 9).

Nos travaux en cours, qui doivent cependant être approfondis, semblent confirmer ce phénomène qui est d’une importance capitale pour les traiteurs d’eau puisqu’un procédé de traitement, qui se révèle parfaitement efficace quand il est employé dans de bonnes conditions, pourrait à l’inverse conduire à la sélection d’organismes devenus résistants au traitement si les conditions amibicides ne sont pas respectées.

Conclusion

Étant donné nos essais en laboratoire, l’ozonation semble à l’heure actuelle le traitement le mieux approprié pour l’inactivation des amibes lorsque celle-ci est appliquée dans des conditions de type « bactéricide et virulicide », le contact des amibes présentes dans le milieu avec l’ozone en phase gazeuse étant prépondérant.

Afin d’éviter tout risque, on ne pourra sans doute pas s’affranchir de cette « ozonation vraie » malgré l’existence de très nombreuses souches pour lesquelles une ozonation plus douce pourrait être suffisante.

Bibliographie

1. Simitzis, Le Flohic A.M. — Thèse de docteur d’État ès Sciences naturelles : recherches sur les populations d’amibes libres en Bretagne. 26 juin 1984. Université de Bretagne occidentale, Brest.

2. Dive D., Picard J.P., Leclerc H. — Les amibes dans les eaux d’alimentation : évaluation du risque. Ann. Microbiol. (I.P.) 130 A, 487-498 (1979).

3. De Jonckheere J. — Pathogenic free-living amoeba in swimming pools: survey in Belgium. Ann. Microbiol. (I.P.) 130 B, 205-212 (1979).

4. Brown T.J., Cursons T.M.R. — Pathogenic free-living amoeba from frozen swimming areas in Oslo, Norway. Scand. J. Infect. Dis. 9, 237-240 (1977).

5. Perrine D., Barbier D., Georges P., Langlais B. — Efficacité du procédé d’ozonation des eaux recyclées de piscine dans la destruction des kystes d’amibes libres pathogènes ou non. L’Eau, l’Industrie, les Nuisances, n° 82, 29-32 (1984).

6. Standard methods for examination of water and wastewater. Am. J. Pub. Health Assoc., 13ᵉ édition, 673 (1971).

7. Palin A.T. — Analytical control of water disinfection with special reference to differential DPD methods for chlorine, chlorine dioxide, bromine, iodine and ozone. J. Inst. Water Eng., 28, 139-154 (1974).

8. Bates R.C., Schaffer P.T.P., Sutherland S.M. — Development of poliovirus having increased resistance to chlorine inactivation. Appl. Environ. Microbiol., 34, 849-853 (1977).

9. Falla J., Block J.C., Rizet M. — Résistance des bactéries à l’ozone : importance d’ozonations successives et des polysaccharides. Symposium I.O.A. Ozone et Biologie, Rennes (1984).

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