Cet article présente un nouveau mode de décarbonatation par décantation lamellaire à floc lesté, acceptant des teneurs en MES dans l'eau brute supérieures à 150 mg/l, et basé sur une nouvelle configuration des étapes de traitement et une modification des points d'injection des divers réactifs utilisés. Le procédé Actiflo®Softening (procédé breveté) combine dans le même ouvrage, l'élimination d'une forte turbidité de l'eau brute avec la décarbonatation, tout en fonctionnant à une vitesse au miroir se situant entre 60 -80 m/h.
Philippe Sauvignet, Kader Gaid, Direction technique Veolia eau
La dureté élevée de certaines eaux présente des problèmes d’ordre pratique pour les utilisateurs, qu’ils soient domestiques ou industriels. On peut citer à titre d’exemple :
- l’entartrage des chaudières, chauffe-eau et circuits d’eau chaude,
- l’entartrage à long terme des canalisations d’eau potable,
- la surconsommation de savons et lessives,
- la difficulté de cuisson des légumes,
Mots clés : décarbonatation - actiflo - décantation à floc lesté - matières organiques.
• le surdimensionnement des installations de déminéralisation. En Île-de-France par exemple, les sols crayeux ou calcaires donnent une eau dure entraînant une gêne pour le consommateur et qui a engagé certaines collectivités à mettre en place un traitement d’adoucissement de leurs eaux. Il s’agit ainsi d'une amélioration du confort de l’usager mais également un investissement à long terme pour assurer la protection des réseaux. De plus, les objectifs de qualité de l'eau (limite de qualité de 10 µg/L pour le plomb, en vigueur en fin 2013) au point de mise en distribution nécessitent une forte diminution de cette teneur en CaCO₃ par des traitements de décarbonatation. La figure 1 illustre la répartition de la dureté de l'eau dans différentes régions en France. La figure 2 présente un exemple de canalisation entartrée par un dépôt de CaCO₃. Les procédés d’adoucissement existant sur le marché comprennent :
• Les procédés par décantation lamellaire avec injection de soude ou de chaux.
• Les procédés de décarbonatation catalytique en lit fluidisé avec injection de soude ou de chaux.
• Les procédés utilisant des résines échangeuses d'ions.
• Les procédés électrolytiques.
• Les procédés membranaires à haute pression (nanofiltration ou osmose inverse).
Les techniques de décarbonatation utilisant les membranes haute pression ou les résines nécessitent d’avoir une eau à traiter pratiquement dépourvue de matières en suspension alors que les techniques de décarbonatation catalytique ou électrolytique nécessitent une turbidité de l’eau à traiter < 5 NTU en continu. Le procédé par décantation lamellaire est souvent limité à une turbidité d'eau brute autour de 25 NTU afin d'éviter que l’addition d'un coagulant à forte dose n’induise par son effet d'acidification, une modification des caractéristiques de l'eau à traiter et, par conséquent, une diminution de l’efficacité de la décarbonatation.
Cet article présente un nouveau mode de décarbonatation par décantation lamellaire, acceptant des teneurs en MES dans l’eau brute supérieures à 150 mg/L, et basé sur une nouvelle configuration des étapes de traitement et une modification des points d'injection des divers réactifs utilisés. Le procédé Actiflo® Softening (procédé breveté) combine dans le même ouvrage l’élimination d'une forte turbidité de l’eau brute avec la décarbonatation, tout en fonctionnant à une vitesse au miroir supérieure à 60 m/h.
Actiflo® Softening
Principe de fonctionnement
Le procédé Actiflo® Softening permet de traiter aussi bien la turbidité de l'eau brute que la décarbonatation. L’objectif de la décarbonatation est d’adoucir l'eau par précipitation du calcium et des carbonates sous forme de carbonate de calcium, ce qui se traduit également par une diminution de l'alcalinité et de la dureté. Toutefois, la précipitation du carbonate de calcium est possible lorsque l'indice de saturation (indice de Langelier) est positif :
Indice de saturation (IS) = log (Ca²⁺)(CO₃²⁻)/Ks = pH – pHs Ks = −171.9065 − 0.077993 T + (2839.319/T) + 71.595 log T²
Cet indice de saturation, lié à la température, traduit la concentration en ions à partir de laquelle la réaction de précipitation va s’initier. Pour des eaux dites entartrantes et à des températures usuelles (proches de 12 °C), l'indice de Langelier est positif.
Pour assurer une précipitation optimale, la solubilité du CaCO₃ doit être prise en compte ainsi que diverses réactions impliquant notamment la dissociation de l'acide carbonique :
CO₂ + H₂O ↔ H₂O + HCO₃⁻ HCO₃⁻ + H₂O ↔ H₂O + CO₃²⁻ H₂O + OH⁻ ↔ 2 H₂O Ca²⁺ + CO₃²⁻ ↔ CaCO₃
Par exemple, l’adoucissement à la chaux permet d’éliminer la dureté temporaire, en particulier celle liée au calcium. Le simple adoucissement à la chaux n’a pas d'impact sur la dureté permanente (non carbonatée) comme le montrent les réactions ci-dessous :
(1) Ca(OH)₂ + Ca(HCO₃)₂ → 2 CaCO₃ + 2 H₂O (2) Ca(OH)₂ + Mg(HCO₃)₂ → MgCO₃ + CaCO₃ + 2 H₂O
Il est à noter que le carbonate de magnésium ne précipite que si les conditions de pH sont au-dessus de 9,5. Cette réaction se poursuit (avec ajout de chaux) jusqu’à une alcalinité résiduelle de l’ordre de 1 à 3 °F (15 à 30 mg/L de CaCO₃). On voit ainsi que la précipitation des carbonates sous forme de CaCO₃ est réalisée à partir des ions CO₃²⁻, espèce basique. La précipitation sera donc toujours conduite en milieu basique.
Le traitement de la turbidité par l’Actiflo est déjà bien connu. Actiflo® est un procédé compact de clarification utilisant un coagulant et un polymère associés à du microsable.
Le microsable offre une surface de contact importante qui initie et améliore la formation des flocs et accélère leur vitesse de décantation en agissant comme un lest vis-à-vis de ces flocs.
Cette nouvelle structuration coagulant-polymère-microsable permet de concevoir des clarificateurs dimensionnés sur des vitesses au miroir très élevées et des temps de séjour très courts.
Le principe de fonctionnement du procédé Actiflo® Softening (figure 3) est basé sur une séparation des réactions chimiques de décarbonatation et de celle liée à l’élimination des matières colloïdales.
Actiflo Turbo® Décarbonatation
À ce titre, ce procédé comprend :
• Une première étape liée à la décarbonatation (à la soude ou à la chaux) qui permet de traiter l'eau brute par rapport à sa dureté et sans tenir compte de la présence de MES. En fonction des objectifs assignés à la décarbonatation, les dosages en réactif alcalin sont adaptés au traitement. Une recirculation des boues, constituées essentiellement de carbonates précipités, permet un apport permanent en germes de précipitation et permet ainsi d’accroître les cinétiques de réaction.
• Une seconde étape liée à l’élimination de la turbidité par addition du coagulant (Fe ou Al) et de polymère. Un polymère naturel ou synthétique peut être utilisé. Cette étape s'inscrit dans le schéma classique de traitement de la turbidité par floc lesté. Un turbomix incorporé dans la cuve de floculation permet d’optimiser l’efficacité de la floculation en homogénéisant le mélange et en assurant une meilleure distribution des temps de séjour.
• Une troisième étape liée à la décantation du CaCO₃ et des boues hydroxyles/colloïdes et du système de recirculation associé à un hydrocyclone.
Le chlorure ferrique est le coagulant le mieux adapté pour ce type d’application. Son dosage est directement relié à la turbidité de l'eau brute. Divers tests effectués sur différentes eaux brutes ont démontré que les doses en FeCl₃ (con. 41 %) peuvent se situer entre 10 et 100 g/m³ dépendant de la turbidité à éliminer. Les dosages en polymère de synthèse se situent entre 0,1 – 0,4 mg/l.
Performances et résultats
Essais sur la rivière Moselle
Une unité de 100 à 120 m³/h a été installée sur une usine alimentée par la rivière Moselle. Cette eau de surface est caractérisée par une dureté totale (TH)
de 50 à 65 °F, une alcalinité de 15 à 20 °F, de fortes variations de température (4 à 22 °C), de turbidité (5 à 150 NTU) et de matière organique (4 à 8 mg/l de COT).
Les résultats obtenus pendant les 12 mois d'essais montrent, pour un fonctionnement à des vitesses au miroir variant entre 60 et 80 m/h :
- • Un abattement constant (figure 6) de l’alcalinité d’environ 15-18 °F pour un dosage en chaux de l’ordre de 140 g/m³ (chaux à 96 % de pureté).
- • Un résiduel de turbidité (figure 7) se situant entre 1 et 3 NTU est obtenu pour un dosage en FeCl₃ (41 % com.) de l’ordre de 10-30 g/m³. La turbidité de l'eau décantée reste pratiquement stable malgré une brusque variation de la qualité de l'eau brute pour laquelle une turbidité de 95 NTU a été enregistrée. Cette variation n’a pas provoqué de dysfonctionnement des performances ni de la décarbonatation ni de la turbidité. Une modification du dosage en FeCl₃ a été effectuée lors de l'augmentation de la turbidité dans l’eau brute. La température de l’eau pendant cette période était autour de 8 °C. Grâce à la recirculation d'une partie des boues de CaCO₃, aucune interférence des particules colloïdales n’a été observée vis-à-vis de la décarbonatation. Les deux étapes de traitement ont présenté des performances conformes à celles attendues.
Performances de l’Actiflo®Softening sur une eau de forage (Ille-et-Vilaine)
L'eau brute qui alimente l’installation de Gahard provient de trois forages caractérisés par des concentrations en COD pouvant s'élever jusqu’à 5 mg/l, dépendantes des épisodes pluvieux.
Durant l'année 2012, l’unité Actiflo®Softening a traité plus de 560 000 m³ pour une production journalière d’environ 1 400 m³. Les conditions de fonctionnement ont été les suivantes :
- • Temps de contact en décarbonatation : 5 minutes ;
- • Charge en carbonates dans le réacteur : 3-5 g/l ;
- • pH de décarbonatation : 9,5 ;
- • Temps de contact global dans l’unité Actiflo®Softening : 15 minutes ;
- • Vitesse de clarification : 80 m/h ;
- • Chaux hydratée (96 % de pureté) : 120 g/m³ ;
- • Utilisation d’un sel de fer : 30 g/m³ de produit commercial FeCl₃ (41 %) ;
- • Utilisation d’un polymère de synthèse : 0,3 g/m³.
La turbidité (figure 8) en sortie Actiflo’Softening se situe entre 1 et 2 NTU. Un abattement constant (figure 9) de la dureté totale d’environ 10-12 °F a été obtenu pour un dosage en chaux de l’ordre de 120 g/m³ (chaux à 96 % de pureté). Ces résultats confirment ceux précédemment obtenus sur la rivière Moselle.
Élimination du carbone organique dissous
Une élimination de la matière organique naturelle (COT) de l’ordre de 30 à 40 % a été observée, contrairement à ce qui était attendu pour un fonctionnement à un pH de 8,5-9,5 (tableau 1). L’élimination du COD par co-précipitation sur le CaCO₃ ou sur Mg(OH)₂ est connue. Les substances organiques de type acides humiques peuvent s’adsorber sur les cristaux de CaCO₃, associées à une précipitation sous forme d’humates de calcium. Ceci s’explique par l’affinité de certains groupes fonctionnels (particulièrement les acides carboxyliques) pour le carbonate de calcium.
Tableau 1 : Élimination du COT avec l’Actiflo® Softening sur l’UEP de Gahard
Eau brute | Sortie Actiflo® Softening | ||
---|---|---|---|
COT (mgC/L) | Abs UV₂₅₄ₙₘ (m⁻¹) | COT (mgC/L) | Abs UV₂₅₄ₙₘ (m⁻¹) |
Moyenne 4,5 | 12,8 | 3,1 | 9,5 |
Max 5 | 14,7 | 3,5 | 10,5 |
Min 3,6 | 10,3 | 2,3 | 5,4 |
95 %ile 4,8 | 14,3 | 3,3 | 10,3 |
Les ions Ca²⁺. Mais c’est surtout Mg(OH)₂ qui est le plus efficace car il se présente sous forme de solide hydraté ayant une surface d’échange élevée, une structure amorphe et une charge positive. Mg(OH)₂ agit comme un coagulant, ce qui en fait un très bon adsorbant vis-à-vis de substances organiques à haut poids moléculaire.
Sur l’installation de Gahard (figure 10), nous avons mis en évidence qu’une partie de la matière organique pouvait effectivement être éliminée lors de la précipitation de CaCO₃. En effet, à dose égale de chlorure ferrique (30 ppm de produit commercial) le COT éliminé par l’Actiflo® Softening est plus important que pour une clarification simple, c’est-à-dire sans décarbonatation.
Élimination du sélénium et manganèse
Parallèlement, il a été également observé une élimination du sélénium et du manganèse.
En effet, autour de 40 à 50 % de sélénium (sous forme de séléniates) ont été éliminés lors de la décarbonatation par Actiflo® Softening (figure 11) et des valeurs de l’ordre de 10 µg/L en Mn²⁺ ont été obtenues en sortie d’Actiflo® Softening pour une concentration d’entrée de 60 µg/L (figure 12).
De la même manière, pour le manganèse présent dans l’eau brute, nous constatons une bonne élimination de ce dernier sur l’étape de décarbonatation (figure 12).
Les terres de décantation
Les observations microscopiques (figure 13) du mélange représenté par le CaCO₃ précipité et les terres de décantation montrent une nette distinction entre les grains de microsable et les grains de carbonates. La taille du microsable n’augmente pas, signifiant qu’il n’y a pas d’enrobage progressif de ces grains avec du CaCO₃, comme cela est obtenu lors de la décarbonatation catalytique. Cela signifie également que, lorsque la réaction de décarbonatation s’est achevée lors de la première étape de traitement, il n’y a plus
De risque d'une précipitation ultérieure. De plus, les granulométries réalisées en sortie d'hydrocyclone montrent qu'il y a bien une séparation entre le microsable (sous-verse) qui est recyclé dans la cuve de floculation et le CaCO₃ (surverse) dont une partie est recyclée dans la cuve de décarbonatation (première étape de traitement).
Les grains de CaCO₃ précipités ont une taille moyenne de l’ordre de 18 µm (taille comprise entre 4 et 40 µm) alors que les grains de microsable ont une taille qui se situe autour de 100 µm. Les boues extraites présentent des vitesses de décantation élevées (de l’ordre de 20 m/h) et leur concentration après épaississement dépasse largement 150 g/L.
Conclusion
L'Actiflo®Softening permet de combiner au sein d'un même ouvrage une clarification et une décarbonatation. Avec plus de 750 références, ce procédé bénéficie du savoir-faire Veolia en termes de décantation à grande vitesse (Actiflo) associé à une grande maîtrise de la décarbonatation des eaux à travers les diverses techniques développées par Veolia. Ce procédé permet d'améliorer toute une série de paramètres physico-chimiques tels que décrits ci-dessous :
- • Réduction des problématiques d’entartrage des réseaux ;
- • Diminution des dosages de chlore et des risques de reviviscence bactérienne en fonction du pH et du temps de séjour ;
- • Excellente clarification permettant d'obtenir de très bonnes durées de cycle de filtration ;
- • Augmentation de la transmittance UV permettant une désinfection plus aisée en aval avec ce type de technologie ;
- • Forte réduction des besoins en systèmes individuels d’adoucissement pour les particuliers (protection lave-vaisselle ou lave-linge) ;
- • Réduction des problématiques d’eczéma chez les enfants ;
- • Réduction des coûts de maintenance des organes de régulation de débit et des instruments de mesure de la qualité de l'eau ;
- • Élimination du manganèse et de nombreux éléments (arsenic, silice, sélénium, etc.) ;
- • Diminution des pertes thermiques dans les échangeurs de chaleur ;
- • Réduction du risque de développement de légionnelles dans les réseaux d'eau chaude ;
- • Élimination de certains micropolluants par effet de précipitation avec les carbonates ;
- • Piégeage de certains radionucléides.
La démarche d’OTV-Veolia Eau est de proposer à ses clients des solutions d’ensemble les plus flexibles possibles, en recherchant autant que faire se peut les conditions de fonctionnement les plus optimales. Ainsi, chaque situation est examinée au cas par cas à partir des données d’eau à traiter et des objectifs à atteindre.
Il n’y a pas de solution absolue, mais autant de cas particuliers que de projets auxquels OTV-Veolia Eau est apte à répondre par le biais des procédés dont elle dispose. L'Actiflo®Softening étant le petit dernier d’une longue liste d’innovations techniques dont on a pu voir que les champs d’applications sont nombreux et de toutes natures.