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A propos des algues toxiques (1ère partie)

30 mars 1979 Paru dans le N°33 à la page 36 ( mots)
Rédigé par : P. MOUCHET

La toxicité des algues est-elle un sujet conforme aux objectifs de cette revue ? Sans aucun doute, car nous allons voir les incidences que ces organismes de « l'Eau » peuvent exercer sur certains secteurs de « l'Industrie » : pêche, conchyliculture, élevage, contrôle des rejets urbains et industriels, traitement des eaux potables, tourisme et même développement des centrales nucléaires. Un tel problème présente donc un impact sur l'économie tout autant que sur l'hygiène publique ou le simple intérêt biologique...

Les algues ne sont pas des inconnues pour les lecteurs de « L'Eau et l'Industrie » ; en tout cas, elles ne le sont plus depuis l'article de P. BOURRELLY qui a su, en peu de pages, résumer magistralement leurs relations avec l'hydrologie et brosser les grandes lignes de leur classification (1) : le lecteur pourra s’y reporter en cas de besoin, pour voir comment les organismes dont nous allons parler se placent dans la systématique des algues en général*.

Dans la publication précitée (1), l'auteur rappelle les principaux inconvénients que les algues microscopiques peuvent causer aux industriels de l'eau :

— difficultés de filtration ; — goûts et odeurs, phénomènes ayant récemment donné lieu à une étude bibliographique (2) et à des publications sur leur incidence dans les eaux superficielles du Bassin Parisien (3) ; — toxicité envers les animaux et l'homme.

* Voir « L'EAU ET L'INDUSTRIE », n° 26, juin-juillet 1978 : « Les algues d'eau douce, esquisse de leur systématique », par P. BOURRELLY, pages 41 et suiv.

[Photo : Péridinien d'eau douce (Péridinium sp.) (Photo A. Couté : Microscope Électronique à Balayage (M.E.B.) - Muséum National d’Histoire Naturelle ou Muséum N.H.N.)]

LES ALGUES ET LA TOXICITÉ

C'est ce dernier point que nous tenterons de préciser ici ; il apparaît en effet que la toxicité des algues, après avoir connu des évocations périodiques comme beaucoup d'autres sujets, retrouve maintenant une certaine actualité pour diverses raisons :

— on peut être intoxiqué en ingérant des mollusques contaminés par certaines algues marines ; on connaît nombre de cas mortels dans le monde entier ; en France, l'opinion publique a été particulièrement sensibilisée sur ce sujet en 1978, au moins à deux reprises (mi-juin et début septembre) ;

— à la suite de la sécheresse de 1976, des mauvais goûts se sont manifestés dans de nombreuses eaux de surface, ce qui a rendu célèbre la « petite algue bleue » que l'on rendait responsable (conjointement avec les actinomycètes) d'une partie au moins de ces phénomènes ; en fait, on incriminait ainsi diverses espèces d'algues appartenant à la classe des cyanophycées, dont le développement est souvent favorisé par l’eutrophisation ; or, certaines de ces algues bleues (« blue-green algae » en anglais) sont réputées toxiques pour les animaux et même parfois pour l'homme, ce qui amène fréquemment les spécialistes du traitement de l'eau à entendre deux types de questions :

— les substances provoquant des goûts et des odeurs dans l'eau potable sont-elles aussi toxiques ? — même si tel n’est pas le cas, le réchauffement des eaux fluviales par les centrales nucléaires peut-il, s'il favorise le développement des cyanophycées, affecter la potabilité des eaux de surface ?

Ces deux questions peuvent, en outre, être assorties d'une troisième concernant la comestibilité des algues cultivées en vue de la production de protéines, car on sait que certaines d'entre elles, comme la spiruline, sont des cyanophycées.

À ces problèmes d'hygiène publique s’ajoutent ceux causés par des morts massives de poissons et de vertébrés terrestres, sauvages ou domestiques. Ce qui va suivre ne prétend pas répondre à toutes les questions que l’on peut se poser à ce sujet, mais simplement rappeler les grandes lignes de ce que l'on en sait actuellement ; bien entendu, les recherches se poursuivent et de nouvelles publications viendront continuellement actualiser la question.

À part de rares exceptions, qui seront évoquées plus loin à propos des algues d'eau douce, on ne trouve des algues toxiques que dans trois classes :

  • — les dinophycées, encore appelées Dinoflagellés ou Péridiniens (embranchement des pyrrophytes), en milieu marin ; ce sont en particulier les responsables des intoxications alimentaires par l'intermédiaire de mollusques divers, que nous avons évoquées plus haut ; ces algues sont voisines des péridiniens d’eau douce que nous trouvons dans nos lacs et nos rivières (voir fig. 1), mais ces derniers n'ont en général pas été impliqués dans des cas de toxicité, à part une exception : Peridinium polonicum, accusé d'avoir tué des poissons ;
  • — les chrysophycées (embranchement des chrysophytes), essentiellement de l’espèce Prymnesium parvum qui peut causer des hécatombes de poissons, dans les eaux saumâtres en général ;
  • — les cyanophycées d’eau douce qui peuvent connaître, sous certaines conditions, des proliférations considérables (« fleurs d'eau »).

Leurs actions vont donc être envisagées suivant les trois types de milieux où elles se développent respectivement.

LA TOXICITÉ DES ALGUES MARINES

Il s'agit dans tous les cas de dinoflagellés, algues planctoniques dont le développement en masse donne lieu au phénomène de « marée rouge » (de l'anglais « red tide »), encore appelé « rubéfaction » ; l'aspect brun-rouge donné alors à l’eau provient d'un pigment renfermé par ces organismes.

1. En premier lieu, ces algues peuvent provoquer des hécatombes de poissons.

De nombreux genres ont été cités à ce propos : Ceratium (dont des espèces analogues d'eau douce sont représentées sur la fig. 2), Cochlodinium, Gonyaulax (G. monilata), Gymnodinium (G. breve, G. veneficum), Oodinium, Peridinium (voir fig. 1), Plectodinium, Prorocentrum, etc. Des invertébrés peuvent également être atteints :

[Photo : Ceratium cornutum, vue en M.E.B. (Photo A. COUTE - Muséum N.H.N.)]
[Photo : (Photo P. MOUCHET.)]
[Photo : (Photo A. COUTE - Muséum N.H.N.)]

annélides, mollusques, crustacés. Enfin, des oiseaux sont parfois intoxiqués en absorbant des mollusques contaminés.

La pêche, la conchyliculture et même le tourisme risquent déjà de se trouver tous directement affectés par ces morts massives d'animaux marins. Mais les dinoflagellés sont surtout connus pour leurs effets toxiques indirects sur l'homme, que nous allons maintenant examiner plus particulièrement.

2. Les cas d’empoisonnements paralytiques par des mollusques, en particulier des moules, sont connus depuis plus d'un siècle (les premiers cas répertoriés remonteraient à 1827) et ont été signalés dans différentes parties du monde, surtout en Amérique du Nord et en Europe ; on peut citer par exemple :

  • 1908 : France (Le Havre) : 12 cas, 4 morts (33 %) ;
  • 1927 : San Francisco (U.S.A.) : 102 cas, 6 morts (6 %) ;
  • 1928 & 1938 : Californie (U.S.A.) : 243 cas, 41 morts (17 %) ;
  • 1938 : Belgique (canal maritime Bruges-Zeebrugge) : 11 cas, 4 morts (36 %) ;
  • 1942 : Japon : 114 morts ;
  • 1970 : France (le cas tristement célèbre des moules espagnoles) : 15 morts.

On peut voir que la mortalité dépasse souvent 10 % des cas répertoriés ; il y aurait eu au total 1 600 personnes intoxiquées, dont 300 cas mortels environ, répartis entre les pays suivants :

— En Amérique du Nord : les U.S.A. (côtes atlantique et pacifique), le Canada ; en Amérique du Sud : le Venezuela (en particulier en 1977) ; en Europe : Allemagne, Belgique, Îles Britanniques, France, Norvège, Péninsule Ibérique ; en Afrique du Sud ; en Nouvelle-Zélande ; au Japon.

Mais on mit longtemps à découvrir la cause exacte de ces empoisonnements paralytiques : déjà pressentie par Kofoid en 1917, leur corrélation avec les marées rouges à dinoflagellés fut prouvée presque simultanément :

  • — en Amérique du Nord, par Sommer et al., 1937, qui ont montré que les effets toxiques des moules élevées dans des eaux riches en dinoflagellés disparaissaient si on filtrait l'eau ; ils ont établi une corrélation entre le degré de toxicité des moules et la quantité de ces organismes (en l’occurrence de l’espèce Gonyaulax catenella) dans l'eau, et ils ont isolé de cette algue une substance qui, comparée avec le poison extrait des moules toxiques, provoquait sur la souris des symptômes identiques ;
  • — en Europe, par Koch, 1939, qui a réalisé en Belgique une série d’expériences probatoires des résultats américains en démontrant :
    • • la périodicité des phénomènes ;
    • • leur corrélation avec la présence massive d'un dinoflagellé, qui appartenait cette fois à l’espèce Pyrodinium phoneus, déterminée au même moment par Woloszynska et Conrad, 1939 ;
    • • la toxicité due uniquement aux dinoflagellés, isolés des autres éléments du phytoplancton grâce à leur phototropisme positif ;
    • • l'identité des symptômes provoqués par des extraits des moules toxiques et des dinoflagellés.

Enfin, la preuve définitive de la source des empoisonnements paralytiques par les mollusques a été donnée par Burke et al., 1960, et par Prakash, 1963, qui ont isolé la toxine à partir de Gonyaulax catenella et Gonyaulax tamarensis cultivées en laboratoire.

La connaissance de ces phénomènes implique donc celle des algues toxiques, d'une part, celle des mollusques qui les ingèrent et accumulent leurs toxines, d'autre part :

  • — Dinoflagellés toxiques : on a jusqu'à présent cité les genres et espèces suivants :
    • • Gonyaulax : G. tamarensis ou G. excavata (côte atlantique des U.S.A. et du Canada, Europe), G. catenella (côte pacifique des U.S.A. et du Canada), G. acatenella (Canada : Colombie-Britannique), G. polyedra (côte pacifique des U.S.A.), G. digitalis (France : côte normande) ;
    • • Gymnodinium : G. breve (côte de Floride) ;
    • • Pyrodinium : P. phoneus (Europe) ;
    • • Prorocentrum sp. (Japon).
[Photo : Fig. 3. Gonyaulax tamarensis, var excavata (d'après Loeblich et Loeblich, in Lo Cicero, 1975, réf. 12). Taille habituelle : 25 à 40 µm.]
  • — Mollusques vecteurs : il s'agit essentiellement
    • • des moules (Mytilus edulis, M. californianus, etc.) : elles accumulent des toxines dans leurs organes digestifs, en particulier l’hépatopancréas, et redeviennent rapidement saines lorsque les dinoflagellés disparaissent, car les toxines sont alors facilement éliminées par voie digestive ;

des pitares (« Alaska Butter Clam »), des « clams » en général, des coquilles Saint-Jacques, des peignes, des coques, des palourdes : la plupart d’entre eux peuvent être plus dangereux que les moules, car ils stockent les toxines dans leurs siphons et peut-être leurs muscles adducteurs, où elles persisteront beaucoup plus longtemps ; les bigorneaux et les clovisses peuvent aussi accumuler parfois des toxines.

Il n’est pas inutile de rappeler les symptômes qui traduisent une intoxication alimentaire de ce type ; ils commencent à apparaître une demi-heure environ après l’ingestion des mollusques contaminés et comportent successivement tout ou partie des phénomènes suivants :

  • — des chatouillements dans les extrémités, des sensations de brûlures au visage et de faiblesse ; un engourdissement des lèvres, de la langue, puis des membres et du cou ;
  • — des troubles gastro-intestinaux accompagnés de vomissements, de diarrhée, etc. ; une faiblesse généralisée ;
  • — des maux de tête ; une sensation de sécheresse dans la bouche et la gorge ;
  • — une chute de pression sanguine, des éruptions du type urticaire et des troubles de la coordination ; de la tachycardie ;
  • — des difficultés respiratoires et une paralysie progressive des membres ;
  • — enfin, la mort par asphyxie (lorsque la paralysie gagne les centres respiratoires) ou parfois par arrêt direct du cœur ; elle peut survenir 12 à 24 heures après l’ingestion, ou même parfois moins (selon la quantité de toxine ingérée). Dans certains cas, la pratique de la respiration artificielle pourrait maintenir le patient en vie jusqu’à l’arrivée du médecin.

Les rescapés mettent plusieurs jours à se remettre de cette intoxication.

La force de la toxine en cause a été comparée à celle du curare, des toxines du botulisme ou du tétanos, etc. ; elle ne semble pas incommoder les mollusques, alors que chez l’homme, il peut suffire de consommer une dizaine de mollusques contaminés (ce qui correspond à une quantité de substance toxique de l’ordre du milligramme) pour entraîner la mort ; le mécanisme d’action consisterait en un blocage des échanges de sodium à travers les membranes des cellules nerveuses.

En outre, cette toxine est thermostable : elle n’est donc pas détruite par la cuisson, du moins pas dans sa totalité ; en effet, Medcof et al., 1947 (10), ont montré une atténuation des effets toxiques par les pratiques culinaires, mais ce résultat n’a pas toujours été confirmé (ces contradictions apparentes pourraient provenir des différences de nature entre les toxines des divers dinoflagellés, en particulier entre G. catenella et G. tamarensis). La contamination des mollusques est indétectable à l’observation directe : il faut, pour la mettre en évidence, procéder à des analyses chimiques et/ou des tests toxicologiques (sur la souris).

En ce qui concerne la composition chimique de la toxine, on a d’abord pensé qu’il s’agissait d’une substance unique, apparemment dérivée d’un nucléotide, de poids moléculaire 372 et de formule globale C10H17O4N3·2 HCl ; mais sa structure exacte était inconnue. Sa toxicité était d’environ 5 500 unités-souris/mg (l’unité-souris étant la quantité de toxine qui tue une souris de 20 g en 15 min).

Par la suite, on s’est aperçu que cette substance n’était pas l’unique toxine élaborée par Gonyaulax catenella ; baptisée saxitoxine, elle a été identifiée comme étant la 3,4,6-trialkyl-tétrahydropurine.

Par contre, Gonyaulax tamarensis réalise la synthèse de plusieurs toxines : on retrouve la saxitoxine, mais aussi une néosaxitoxine et quatre gonyautoxines, numérotées de I à IV. Une gonyautoxine V a été découverte au Japon, à partir d’une espèce de Gonyaulax encore non précisée.

Quant à Gymnodinium breve, il élabore, lui aussi, au moins cinq toxines différentes, généralement à effet neurotoxique, mais elles sont moins connues ; on sait seulement que l’une d’entre elles a un poids moléculaire de 725 et répond à la formule globale C53H74N2O12. Ces substances présentent aussi des effets irritants (toux, dermatoses, conjonctivites) et pourraient posséder, en outre, un effet hémolytique et anticoagulant.

La figure 4 montre la formule développée des deux principales substances que nous venons d’évoquer, la saxitoxine et la gonyautoxine II (la gonyautoxine III étant par ailleurs un épimère de la II). De nombreux chercheurs travaillent encore sur la composition chimique (la nature de la gonyautoxine IV est encore inconnue) et la toxicité relative de ces différentes toxines.

[Photo : Formule développée de la saxitoxine et de la gonyautoxine II (figure 4)]

métabolites. D’ailleurs, le problème est probablement rendu encore plus compliqué par des phénomènes de synergie, une substance peu toxique par elle-même pouvant devenir très toxique en présence d'autres composés.

Une meilleure compréhension de ces phénomènes réside évidemment aussi, et peut-être même surtout, dans la connaissance des causes des marées rouges, afin d’essayer de les prévoir et éventuellement les supprimer. Ces phénomènes se produisent en général le long des côtes, ce qui a conduit tout naturellement à incriminer une action des eaux de ruissellement terrestre et des rivières. En fait, il semble qu'on puisse distinguer deux phases dans le développement d'une marée rouge :

— Un stade de démarrage, qui peut être lui-même parfois précédé d'une phase d’ensemencement à partir d’une zone où les dinoflagellés existent déjà en quantité notable et auraient été transportés grâce à des facteurs météorologiques favorables (vents, courants) ; ce démarrage peut être induit par l’action conjuguée de deux types de facteurs :

• locaux : phénomènes de retournement, amenant en surface l’eau des couches profondes, qui contient des principes nutritifs et éventuellement des kystes de dinoflagellés ; facteurs hydrographiques ; température ; présence de substances stimulantes d'origine bactérienne ;

• exogènes : influence des eaux d'origine terrestre, qui peuvent modifier dans un sens favorable la salinité et la température et aussi apporter des principes nutritifs et/ou stimulants ; en ce qui concerne ce dernier point cependant, il n’a pas toujours été possible de trouver une corrélation parfaite entre les apports de phosphates, nitrates ou vitamine B₁, et les marées rouges ; par ailleurs, certains auteurs ont pensé que leur développement pouvait être aidé par les acides humiques et peut-être encore davantage par le fer qui leur est complexé ; on a même proposé, pour certains cas, un « indice de fer » prévisionnel (11), à partir de la quantité de fer déversée en mer par les rivières. Les rejets urbains peuvent aussi intervenir, par les matières organiques et les substances stimulantes qu'ils contiennent : il existe donc une probabilité d’influence indirecte de la pollution urbaine sur la production des coquillages comestibles, en plus de la contamination bactérienne directe qui est souvent évoquée.

— Un stade de transport et concentration des organismes, favorisé :

• par le phototactisme positif des dinoflagellés ;

• par divers facteurs hydrographiques et météorologiques : vents, marées, courants marins, stratification due à la salinité, etc.

En fait, les causes exactes du développement d'une marée rouge peuvent différer d'une espèce de dinoflagellés à l’autre, mais on peut néanmoins avancer déjà quelques principes de prévision et éventuellement de prévention à l’égard des marées rouges dans les zones de conchyliculture ; il faut en particulier éviter :

— les rejets d'eaux résiduaires ;

— les apports d'eaux de rivières susceptibles de contenir, outre des principes nutritifs, des acides humiques et/ou des métaux complexés (fer, molybdène...) ;

— la constitution de sédiments sur une forte épaisseur.

Une telle zone devrait être, en outre, isolée des courants marins, s'il en existe à proximité, et protégée des vents venant du large, si possible.

Au total, pour lutter contre ces phénomènes, les mesures à prendre sont de divers ordres :

a) Prévention, en prenant les mesures que nous avons déduites plus haut des causes des marées rouges (protection des parcs) ; une autre mesure préventive consisterait dans la destruction des dinoflagellés (en particulier, des tests sont actuellement axés sur les phtalates) ; mais en supposant qu’on mette au point une méthode efficace et spécifique de ces algues, il faut être sûr que leur destruction n'aurait pas de conséquences défavorables, car elles participent à la production primaire et à l'équilibre biologique du milieu.

b) Prévision, par une observation systématique de la surface de la mer (afin d’y déceler la présence de taches suspectes de couleur brun-rouge) et par la recherche d'organismes indicateurs d'un développement d’algues toxiques (morts suspectes d’oiseaux marins ou de poissons, par exemple) : COLLINS et GRICE, in LO CICERO, 1975 (12).

Contrôle des mollusques dans les zones de production. Aux U.S.A., on a fixé une teneur limite de 80 μg de toxine pour 100 g de chair de mollusques. Si ce seuil est dépassé, il faut fermer les parcs de production (mise en quarantaine), puis repérer et détruire les stocks de mollusques déjà parvenus dans les magasins et les restaurants : BICKNELL et CHAPMAN WALSH, in LO CICERO, 1975 (12). Pour exercer une surveillance efficace, il faut pouvoir disposer d'une méthode analytique appropriée puisque, nous l’avons vu, on ne peut pas distinguer mollusques sains et contaminés : au classique test biologique sur la souris, qui est utilisé depuis plus de 20 ans mais qui ne donne parfois un résultat qu’après plusieurs jours, on cherche maintenant des substituts physico-chimiques ; c’est ainsi que BUCKLEY et al., 1978 (13) ont mis au point un analyseur en continu, par chromatographie en phase liquide et fluorimétrie (la).

d) Diffusion d'informations auprès du public (affiches, pancartes, journaux, radio, télévision), pour faire son éducation sur ce sujet et l'avertir en période critique (un exemple en est donné sur la figure n° 5). Dissuasion de pratiquer des récoltes « sauvages » de mollusques.

[Photo : Exemple d’avertissement diffusé par la presse française.]

e) Pratiques de traitement, inspirées de 2 principes de base :

  • — une eau à marée rouge perd sa toxicité lorsqu'elle est filtrée (car il s'agit d’endotoxines) : SOMMER et al., 1937 (5) ; ce fait est toutefois moins certain avec Gymnodinium qu'avec Gonyaulax, car les cellules du premier sont plus fragiles et éclatent facilement ;
  • — toutes ces toxines peuvent être inactivées par l'ozone : STEWART et BLOGOSLAWSKI, 1978 (14).

On peut alors imaginer 2 possibilités d'application :

  • — traitement de l'eau par filtration et/ou ozonation, lorsqu'on peut alimenter des bassins isolés dans une aquaculture contrôlée, mais ce n'est malheureusement pas le cas pour la plupart des coquillages comestibles ;
  • — décontamination des lots de coquillages par une circulation d'eau de mer ozonée ; mais il faudrait encore de nombreuses études pour vérifier que la dose d'ozone nécessaire n'a pas d'incidence sur les qualités organoleptiques des mollusques, dont les branchies peuvent en outre être irritées par cet oxydant, comme le signale FAUVEL, 1978 (15).

Il y a encore un gros travail pluridisciplinaire à effectuer avant de venir à bout de ce problème, qui ne représente d’ailleurs pas le pire des dangers pour les consommateurs des produits de la mer : la tetrodotoxine du poisson-lune (ou tetrodon, encore appelé « fugu » au Japon) est un poison encore plus violent que la saxitoxine des Dinoflagellés ; la mortalité serait de 50 à 60 % des cas (contre 15 à 20 % pour la saxitoxine) et il y a déjà eu plus de 10 000 morts au Japon depuis la fin du siècle dernier. Mais il n'empêche que les toxines des Dinoflagellés représentent un problème très sérieux, qui suscite maintenant des congrès internationaux réguliers : le compte-rendu de celui qui s'est tenu à Boston, en novembre 1974 (12), a constitué une première mise au point ; un nouveau congrès a eu lieu en novembre 1978, à Key Biscayne (Floride), et il ne fait pas de doute que la publication des travaux présentés permettra un nouveau pas en avant dans la connaissance des toxines et des organismes qui les élaborent.

3. Autres cas de toxicité par algues marines.

Dans le Pacifique et la mer des Caraïbes, plus particulièrement, sévit la « ciguatera », qui est un

[Photo : Euryalida n.sp.]

empoisonnement par différentes espèces de poissons tropicaux (on en a cité jusqu’à 400 espèces, dont le mérou et la carangue) qui deviennent subitement toxiques après avoir ingéré certaines espèces d’algues, d’invertébrés ou d’autres poissons. Deux toxines sont en cause : la ciguatoxine et la maitotoxine, assez voisines. Bagnis et al., 1977 (16) ont montré que, dans certains cas au moins, c’était un Dinoflagellé (du genre Diplopsalis) qui était à l’origine de la ciguatera. Cette découverte peut expliquer pourquoi certains naufrages de bateaux ont été suivis de cas de ciguatera : nous avons en effet vu plus haut que les marées rouges à Dinoflagellés pouvaient être favorisées en particulier par des apports massifs de fer.

La mortalité ne serait ici que de 1 à 2 % des cas d’intoxication, laquelle se manifeste en général quelques heures après l’ingestion et dont les symptômes sont assez voisins de ceux que nous avons énoncés plus haut à propos des empoisonnements paralytiques par les mollusques.

Il faut encore citer des cas d’empoisonnements par des huîtres japonaises ayant ingéré une algue marine, qui appartient elle aussi au groupe des Dinoflagellés : il s’agit cette fois de l’espèce Exuviaella mariae-lebouriae (voir fig. 6).

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1. Bourrelly P. (1978) : « Les algues d’eau douce : esquisse de leur systématique ». — L’Eau et l’Industrie, 26 (juin-juillet), 41-43.

2. Mouchet P. (1978) : « Recherches bibliographiques sur les goûts et les odeurs d’origine biologique dans les eaux potables. Identification des organismes et de leurs métabolites ; remèdes possibles ». — TSM-L’eau, n° spécial « Hydrologie », mars, 145-153.

3. Mouchet J. et al. (1978) : « Etude sur la Seine — Relations entre la qualité de l’eau et la présence des micro-organismes, et de leurs métabolites sapides ». — T.S.M.-L’eau, n° spécial « Hydrologie », mars, 171-180.

4. Gorham P.R. (1964) : « Toxic Algae as a public health hazard ». — Jour. A.W.W.A., 56, 11, 1481-1488.

5. Sommer H., Whedon W.F., Kofoid C.A. et Stohler R. (1937) : « Relation of paralytic shellfish poison to certain plankton organisms of the genus Gonyaulax ». — Arch. Path., 24, 537-559.

6. Koch H.J. (1939) : « La cause des empoisonnements paralytiques provoqués par les moules ». — Assoc. Française pour l’Avance. des Sciences, Liège 1939, 654-657.

7. Woloszynska J. et al. (1960) : « Agent de la toxicité des moules du canal maritime de Bruges à Zeebrugge ». — Bull. Mus. Roy. Hist. Nat. Belg., 15, 1-5.

8. Burke J.M. et al. (1960) : « Analysis of the toxin produced by Gonyaulax catenella in axenic culture ». — Ann. N. Acad. Sci., 90, 3, 472-478.

9. Prakash A. (1963) : « Source of paralytic shellfish toxin in the Bay of Fundy ». — Bull. Fisheries Res. Board Can., 20, 4, 983-997.

10. Medcof J.C. et al. (1947) : « Paralytic shellfish poisoning on the Canadian Atlantic Coast ».

+ En résumé, les conséquences des marées rouges sont donc multiples ; elles sont d’ordre :

  • - sanitaire, par les empoisonnements paralytiques dont nous venons de parler, mais aussi par des affections plus bénignes que l’on peut contracter par baignade en eau polluée ou par respiration d’aérosols (amenés par les embruns) sur la côte, surtout dans le cas de Gymnodinium breve : toux violente, dermatose, conjonctivite ;
  • - économique, par les répercussions inévitablement engendrées sur la conchyliculture, la pêche et le tourisme, à la suite de ces phénomènes ;
  • - écologique, à cause des poissons et des oiseaux aquatiques qu’elles empoisonnent également, comme nous l’avons vu au début.

Par contre, une connaissance approfondie des toxines en cause pourrait conduire à des applications thérapeutiques : anesthésie, traitement de l’asthme, etc.

P. Mouchet.

La seconde partie de cette étude sera publiée dans un prochain numéro.

11. Ingle R.M. et Martin D.F. (1971) : « Prediction of the Florida red tide par means of the iron index ». — Environ. Lett., 1, 55-59.

12. LoCicero V.R., éditeur (1975) : « Proc. of the 1st International Conference on toxic Dinoflagellate Blooms » tenue à Boston en nov. 1974, Massach. Science et Technol. Found., 541 pages.

13. Buckley L.J. et al. (1978) : « Construction of a paralytic shellfish toxin analyzer and its application ». — Analytical Biochemistry, 85, 157-164.

14. Stewart M.E. et Blogoslawski W.J. (1978) : « Detoxification of marine poisons par ozone gas ». — 3e Congrès Int. Ozone Inst., Paris, 5 mai.

15. Fauvel Y. (1978) : « Utilisation de l’ozone en ostréiculture et dans les industries connexes ». — 3e Congrès Int. Ozone Inst., Paris, 5 mai.

16. Bagnis R., Chanteau S. et Yasumoto T. (1977) : « Mise en évidence d’un Dinoflagellé responsable en puissance de la ciguatera ». — Rev. Int. Oceanogr. Méd., n° 45-46, 29-34.

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