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A partir des boues rouges faire de l'eau propre... 1ère partie : le bioxyde de titane

28 février 1977 Paru dans le N°13 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : André SAUVADET, Jacques SALAMITOU et Paul SCHAEFLE

L’action de l’A.F. du Bassin Seine-Normandie pour la réduction de la pollution de la fabrication de bioxyde de titane à l'usine THANN ET MULHOUSE du Havre.

[Photo : Thann et Mulhouse — Usine du Havre.]

1ʳᵉ PARTIE

Le bioxyde de titane et ses co-produits :le sulfate ferreux et le chlorosulfate ferrique

par Jacques SALAMITOUet Paul SCHAEFLE,THANN ET MULHOUSE.

L’action de l’A.F. du Bassin Seine-Normandie pourla réduction de la pollution de la fabrication de bioxydede titane à l'usine THANN ET MULHOUSE du Havre.

par André SAUVADET,Agence Financière du Bassin Seine-Normandie.

LE BIOXYDE DE TITANE

Le bioxyde de titane : TiO₂ (on dit aussi dioxyde de titane) estun pigment blanc commercialisé sous forme de poudre fine impal­pable, dont la propriété essentielle est de posséder un indice deréfraction incomparable :

— 2,55 pour les variétés « TiO₂ ANATASE »,— 2,71 pour les variétés « TiO₂ RUTILE »,

alors que celui de l'alumine n’est que de 1,76.

Cet indice de réfraction, l’un des plus élevés dans la chimie miné­rale, lui confère un pouvoir opacifiant exceptionnellement élevé.

Les propriétés pigmentaires des solides sont liées en effet aucomportement complexe de la lumière sur les particules finementdivisées de ce solide, dispersées au sein des milieux de compositionvariable.

Tous les phénomènes optiques : diffraction, dispersion, réfraction,polarisation, etc., sont mis en jeu à des degrés plus ou moins impor­tants lorsqu’un rayon lumineux traverse un film de peinture ou deplastique. On admet aujourd’hui que le caractère opacifiant d’unproduit est avant tout lié à son indice de réfraction.

FICHE TECHNIQUE

(Qualité : « TITAFRANCE »)

Variétés
« ANATASE » (quatre qualités)
« RUTILE » (quinze qualités)
Densité
3,7/3,8
3,8/4,2
Prise d’huile pour empâter 100 g de TiO₂
20 à 22
16 à 38
Pouvoir colorant selon Reynolds
1,250 à 1,270
1,650 à 1,950
Tenue au farinage
Faible à moyenne
Bonne à excellente
% TiO₂ minimum
95,0 à 98,0
86,0 à 98,0
Principaux agents additionnels
Al, Si
Zn, Al, Si

Le bioxyde de titane, livré en sacs de 25 kg (ou 25 lbs au choix) est un pigment blanc parfaitement inoffensif, irremplaçable dans ses applications, et dont l'emploi se développe constamment. Son taux de croissance mondial est de l'ordre de 6 % par an, soit un doublement en 10 ans environ.

Ses principales applications se répartissent ainsi :

— Peintures : 60 %.

— Plastiques : 15 %.

— Papeterie et divers : 25 % :

— encres, cosmétiques, pharmacie (plâtrage d'estomac), revêtements de sols, caoutchouc, encres d’imprimerie, textiles, émaux...

On a pu dire que sa consommation dans un pays industrialisé était une caractéristique du niveau de développement de ce pays.

LA PRODUCTION DU BIOXYDE DE TITANE

En 1976, la capacité de production mondiale annuelle est estimée à environ 2,4 millions de tonnes, dont :

— Europe de l'Ouest : 1 000 000

— Europe de l'Est : 150 000

— Amériques du Nord et du Sud : 1 000 000

— Australie : 50 000

— Afrique : 20 000

— Asie : 200 000

La capacité de production française est de 165 000 tonnes, réalisée en trois usines :

Société THANN ET MULHOUSE

Deux usines : usine du Havre : 80 000 tonnes

usine de Thann : 25 000 tonnes

Société TIOXIDE

Une usine : usine de Calais : 60 000 tonnes.

La France est donc bien placée dans cette industrie.

PROCÉDÉS DE FABRICATION

Deux minerais principaux au départ :

— le rutile contenant plus de 95 % de TiO₂, provenant de certaines plages australiennes ou américaines et aussi de rochers primaires (recherches en cours en Bretagne). Les réserves mondiales de rutile sont très faibles ;

— l'ilménite (titanate de fer) qui contient environ 50 % d'oxydes de fer (sous forme moitié ferreux, moitié ferrique), 50 % d’oxyde de titane et des traces d’oxydes métalliques divers. Elle provient des sables de plage (Australie) ou de roches primaires (Norvège).

Selon l'origine, sa composition peut varier légèrement : par exemple, l'ilménite australienne contient 45 % d'oxydes de fer et l'ilménite norvégienne 55 % environ.

La présence de fer dans l'ilménite a incité les producteurs canadiens à mettre sur le marché des ilménites concentrées en TiO₂ ou « slags » contenant 70 à 85 % de TiO₂. Cependant, la concentration est compliquée techniquement et nécessite de lourds investissements. Actuellement, la demande pour les slags est largement supérieure à l'offre, mais la construction d’une nouvelle usine vient d'être décidée en Afrique du Sud, qui produira 400 000 tonnes de slags par an vers 1979.

Il est même possible de pousser plus loin la concentration en oxyde de titane pour obtenir pratiquement un « rutile artificiel » (plus de 95 % de TiO₂) attaquable par le procédé au chlore (voir ci-dessous). Cependant, les quantités disponibles sur le marché sont encore très faibles.

LE PROCÉDÉ « AU CHLORE »

Ce procédé consiste à obtenir le bioxyde de titane par l'intermédiaire du tétrachlorure. Dans un premier temps le minerai est soumis à haute température (800-1 000 °C) à l’action du chlore ; la plupart des oxydes métalliques sont transformés en chlorures, tandis que l'addition de carbone permet la fixation de l'oxygène selon la réaction :

TiO₂ + 2 Cl₂ + 2 C → TiCl₄ + 2 CO

La réaction se fait en lit fluide et nécessite une technologie très compliquée. De plus, certains chlorures (chlorure ferreux par exemple) ne sont pas sublimables à la température de réaction. C’est pourquoi, pour l’instant, les producteurs européens ne pratiquent que la chloration de rutile naturel ou artificiel.

Les gaz à haute température sortant du réacteur sont refroidis en deux stades : d'abord le mélange est ramené à une température de 150 °C pour débarrasser le chlorure de titane gazeux de la majorité des autres chlorures métalliques qui sont ensuite éliminés sous forme de boues ; pour terminer, le tétrachlorure de titane est condensé sous forme liquide puis distillé pour lui assurer une pureté maximale.

Dans un deuxième temps, le tétrachlorure très pur est transformé en oxyde par action de l’oxygène à très haute température (1 500 °C),

TiCl₄ + O₂ → TiO₂ + 2 Cl₂

La réaction se fait soit dans une flamme d’oxyde de carbone, soit après réchauffage des deux gaz réactifs — le chlore obtenu.

Localisation et références des unités Européennes de production de TiO2

24 unités de TiO2

REF. 1.

PAYS : R.F.A. Société : KRONOS TITAN Localisation : LEVERKUSEN – Sur le Rhin Capacité annuelle : (1974) 70 000 tonnes (TiO2)

REF. 2.

PAYS : R.F.A. Société : KRONOS TITAN Localisation : NORDENHAM – Sur l’estuaire de la Weser Capacité annuelle : 36 000 tonnes (TiO2)

REF. 3.

PAYS : R.F.A. Société : BAYER S.A. Localisation : UERDINGEN Capacité annuelle : 70 000 tonnes (TiO2)

REF. 4.

PAYS : R.F.A. Société : PIGMENT CHEMIE Localisation : HOMBERG – Sur le Rhin Capacité annuelle : 50 000 tonnes (TiO2)

REF. 5.

PAYS : BELGIQUE Société : KRONOS TITAN Localisation : LANGERBRUGGE – En bord de mer Capacité annuelle : 40 000 tonnes (TiO2)

REF. 6.

PAYS : BELGIQUE Société : N.V. BAYER S.A. Localisation : ANVERS Capacité annuelle : 25 000 tonnes (TiO2)

REF. 7.

PAYS : FRANCE Société : THANN ET MULHOUSE Localisation : THANN (Haut-Rhin) – Dans la vallée de la Thur Capacité annuelle : 20 000 tonnes (TiO2)

REF. 8.

PAYS : FRANCE Société : THANN ET MULHOUSE Localisation : LE HAVRE – Estuaire de la Seine Capacité annuelle : 80 000 tonnes (TiO2)

REF. 9.

PAYS : FRANCE Société : TIOXIDE S.A. Localisation : CALAIS – En bord de mer (Pas-de-Calais) Capacité annuelle : 60 000 tonnes (TiO2)

REF. 10.

PAYS : PAYS-BAS Société : TIOFINE Localisation : ROZENBURG – Sur la rivière Maas Capacité annuelle : 35 000 tonnes (TiO2)

REF. 11.

PAYS : ITALIE Société : MONTEDISON Localisation : SPINETTA MARENGO Capacité annuelle : 43 000 tonnes (TiO2)

REF. 12.

PAYS : ITALIE Société : MONTEDISON Localisation : SCARLINO Capacité annuelle : 60 000 tonnes (TiO2)

REF. 13.

PAYS : GRANDE-BRETAGNE Société : BRITISH TITAN PRODUCTS Localisation : GREATHAM Capacité annuelle : moins de 25 000 tonnes (TiO2)

REF. 14.

PAYS : GRANDE-BRETAGNE Société : BRITISH TITAN PRODUCTS (B.T.P.) Localisation : BILLINGHAM (Teesside) – Estuaire de la rivière Tees Capacité annuelle : 27 000 tonnes (TiO2)

REF. 15.

PAYS : GRANDE-BRETAGNE Société : BRITISH TITAN PRODUCTS Localisation : GRIMSBY – Sur l’estuaire de la rivière Humber Capacité annuelle : 90 000 tonnes (TiO2)

REF. 16.

PAYS : GRANDE-BRETAGNE Société : LAPORTE TITANIUM Localisation : LINCS – Sur l’estuaire de la rivière Humber Capacité annuelle : 65 000 tonnes (TiO2)

REF. 17.

PAYS : GRANDE-BRETAGNE Société : LAPORTE TITANIUM Localisation : STALLINGBOROUGH Capacité annuelle : 28 000 tonnes (TiO2) (40 000 tonnes à pleine capacité)

REF. 18.

PAYS : ESPAGNE Société : DOW UNQUINESA Localisation : ASTURIAS Capacité annuelle : 22 000 tonnes (TiO2)

REF. 19.

PAYS : ESPAGNE Société : RIO TINTO Localisation : HUELVA Capacité annuelle : 40 000 tonnes (TiO2)

REF. 20.

PAYS : FINLANDE Société : VUORIKEMIA OY Localisation : PORI Capacité annuelle : 35 000 tonnes/an – Chiffre certainement trop bas : 60 000 ou peut-être même 80 000 tonnes

REF. 21.

PAYS : NORVÈGE Société : TITAN CO A/S Localisation : FREDRIKSTAD Capacité annuelle : 20 000 tonnes (TiO2)

REF. 22.

PAYS : YOUGOSLAVIE Société : CINKARNA COMBINE Localisation : CELJE Capacité annuelle : 20 000 tonnes (TiO2)

REF. 23.

PAYS : TCHECOSLOVAQUIE Société : PREROVSKE CHEMICKE ZADOVY Localisation : PREROV Capacité annuelle : 30 000 tonnes (TiO2)

REF. 24.

PAYS : POLOGNE Société : Usine de l’État Localisation : POLICE Capacité annuelle : 30 000 tonnes (TiO2)

[Carte : Localisation des unités européennes de production de TiO2]

peut être renvoyé à la chloration tandis que l'oxyde de titane est obtenu directement sous forme cristalline et pigmentaire.

Ce procédé fonctionnant au rutile ne produit pratiquement aucune pollution ; le problème des déchets de fer est abandonné à l’usine productrice de concentré de fer dans le cas de rutile artificiel. Par contre, la chloration d'ilménite donne des quantités importantes de chlorure de fer.

LE PROCÉDÉ « AU SULFATE » (à partir d'ilménite)

C'est le plus répandu en Europe (90 % des capacités de production). Après broyage poussé, l'ilménite est attaquée par de l'acide sulfurique dont la concentration est ramenée aux environs de 89 % par addition d’acide dilué qui peut être recyclé à partir d’opérations précédentes.

La réaction est très violente et conduit à une forte augmentation de température ; la masse d’attaque « mûrit » ensuite pendant quelques heures et finalement aboutit à une solution contenant un mélange de sulfate ferreux, sulfate ferrique, sulfate de titane et de sulfates annexes provenant des traces de métaux contenus dans l'ilménite (Mn, V, Cr, Ca, Mg). Cette solution est débarrassée par décantation des résidus du minerai inattaqués puis le sulfate ferrique est transformé par addition de fer métallique en sulfate ferreux qu'il est facile de séparer par cristallisation. La solution est ensuite refroidie et le sulfate ferreux qui cristallise est extrait par essorage ; les eaux mères sont lavées de façon à récupérer le maximum de sel de titane.

Les eaux mères, qui contiennent encore du fer, en proportion qui n’est toutefois pas gênante pour la réalisation des opérations ultérieures, sont alors filtrées et concentrées avant d’être hydrolysées pour précipiter un hydroxyde de titane. Cette opération est essentielle car elle conditionne la structure finale de l'oxyde de titane pigmentaire.

La suspension résultante est filtrée ; le gel d'oxyde de titane bien lavé est additionné de sels de pigmentation qui lui conféreront ses qualités pigmentaires spéciales. Le gel ainsi traité est introduit dans un four tournant pour y être calciné pendant plusieurs heures. Le produit sortant du four est formé de fines particules blanches cristallines. Un broyage final améliore encore la finesse des particules de façon à leur conférer des dimensions de l’ordre de grandeur de la longueur d’onde de la lumière. Grâce à cette finesse et à son très haut indice de réfraction, le bioxyde de titane possède un très haut pouvoir opacifiant.

Un traitement de surface approprié permet ultérieurement d’augmenter sa résistance aux agents extérieurs et de l’adapter à ses applications spécifiques (peintures, plastique, papier, textile, etc.). Il faut également noter que, selon les conditions d’hydrolyse et de calcination, il est possible d’obtenir deux variétés cristallines différentes : l'anatase et le rutile (à ne pas confondre avec le minéral) dont les propriétés pigmentaires sont légèrement différentes et qui trouvent donc des applications différentes. Par exemple, l'anatase, plus blanche et moins opacifiante, convient mieux en papeterie et textiles alors que le rutile est préférable en peintures.

Les eaux mères dont le gel d’hydroxyde de titane a été extrait par filtration contiennent de 20 à 23 % d’acide sulfurique libre mélangé aux sulfates métalliques subsistants. En raison de leur faible concentration et de l'enrichissement en impuretés métalliques, une partie seulement de ces eaux mères peut être recyclée pour attaquer le minerai. Le reste est rejeté avec les eaux de lavage du gel, encore moins riches en acide.

[Photo : Procédé de fabrication du Bioxyde de Titane (extrait d'un document « Thann et Mulhouse »)]
[Photo : Ensemble des tours d’attaque sulfurique des deux premières branches de l’usine du Havre.]

LES « BOUES ROUGES »

La fabrication du bioxyde de titane par la voie sulfurique pose un problème préoccupant lié à la coproduction inévitable d’effluents en quantités importantes. L'attention de l’opinion publique mondiale a été attirée en 1972 sur cette question par les déversements au large de la Corse de la Société MONTEDISON qui fabrique entre autres du bioxyde de titane. C'est en raison de la coloration rougeâtre donnée alors à la mer autour du bateau déverseur que désormais les effluents de fabrication du bioxyde de titane furent connus dans l'opinion publique sous le nom de « boues rouges » à tort d’ailleurs puisque les véritables « boues rouges » sont issues de la fabrication de l'alumine à partir de bauxite.

[Photo : Vue générale de l'unité constituant la troisième tranche de l'usine du Havre.]

En effet, ces effluents sont liquides, ne comportent pas de boues et sont plutôt de couleur verdâtre en raison de leur teneur en sulfate ferreux. Par exemple, à l'usine du Havre de la Société THANN ET MULHOUSE, les effluents de fabrication contiennent par tonne de bioxyde de titane fabriqué :

  • 1,5 tonne d’acide sulfurique libre,
  • 1,7 tonne d’ions sulfates liés à :
    • 0,85 tonne de fer et environ 82 kilogrammes de métaux divers, essentiellement titane et manganèse, les autres métaux figurant à l'état de traces. Il n'y a toutefois ni arsenic, ni mercure, ni chrome toxique.

La quasi-totalité des producteurs mondiaux de bioxyde de titane rejetant en mer leurs effluents dilués dans l'eau, soit par l'intermédiaire d’émissaires (cas de THANN ET MULHOUSE, de TIOXYDE Calais et des producteurs anglais), soit à partir de bateaux spécialisés (cas de MONTEDISON et des producteurs allemands).

Composition de l'effluent de Thann et Mulhouse (au Havre)

Par tonne TiO₂ (t) %
Eau ....................................... 78 95,1
Fer ........................................ 0,850 1
Acide sulfurique libre ............. 1,5 1,8
Ions sulfates .......................... 1,7 2
Titane .................................... 0,047 0,06
Manganèse ............................. 0,031 0,03
Métaux divers ........................ 0,004 0,01
TOTAL ................................... 82,13 100

Dans le milieu marin, les effluents de dioxyde de titane n’ont aucun effet toxique significatif à condition que les déversements soient effectués dans des conditions propres à leur assurer une bonne dilution et une bonne dispersion.

En effet, si l'étude faite par le Ministère de la Qualité de la Vie dans « le livre blanc consacré aux rejets en Méditerranée des résidus industriels de la Société MONTEDISON » avait pu mettre en évidence au cours d’essais in vitro, le caractère potentiellement nocif de ces effluents, il rappelait que « la toxicité chronique des substances contenues dans les résidus industriels de la MONTEDISON n’a pu jusqu’ici être démontrée même au laboratoire ». Une étude entreprise par « l'Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes sur le rejet en baie de Seine des eaux résiduaires de l'usine du Havre de THANN ET MULHOUSE » confirmait que « les observations ne montrent aucun abaissement numérique des populations ou de la biomasse des zones polluées par rapport à des zones témoins » et qu’il n’a pas été « mis en évidence, dans les conditions expérimentales, une quelconque toxicité indirecte le long d'une chaîne pélagique ». Des études poursuivies depuis près de 30 ans dans diverses mers du globe ont abouti aux mêmes conclusions. Cette question a d’ailleurs été évoquée dans cette revue (voir n° 10 d’octobre 1976) qui citait un communiqué du Ministère de la Qualité de la Vie :

M. Vincent ANSQUER vient de rendre publics les résultats des missions en Italie de M. JAMME, Inspecteur Général de l’Environnement, qui a étudié les modalités de déversement en mer par la Société Montedison des résidus de fabrication d’oxyde de titane de l'usine de Scarlino.

Ces déversements avaient été à l'origine de l'affaire des boues rouges observées au large de la Corse en 1973 ; le Gouvernement français était à l’époque intervenu auprès des autorités italiennes afin que des mesures soient prises pour sauvegarder les intérêts des populations et des pêcheurs riverains de la zone de déversement.

Les missions effectuées en Italie ont permis de constater que la Société Montedison avait d'une part procédé à différents aménagements à l'intérieur de l'usine afin de traiter les rejets acides et d'autre part avait adopté une procédure de déversement en profondeur, rendue nécessaire par les particularités du milieu marin méditerranéen, dans une zone plus éloignée du Cap Corse. Ces dispositions constituent un progrès très sensible par rapport à la situation antérieure.

De telles mesures ne sont toutefois pas transposables au cas des usines françaises qui rejettent leurs effluents dans des milieux entièrement différents. En effet, toutes les études conduites sur le sujet seront rendues publiques très prochainement par le Ministre de la Qualité de la Vie.

On peut cependant retenir de ces rapports que le facteur « dilution initiale » des effluents est l’un des paramètres les plus importants à prendre en compte en ce qui concerne les effets à court terme de ces déversements.

Or, cette dilution est a priori différente dans les mers à marées et les mers sans marées. Dans les premières (Manche, Mer du Nord, Atlantique), où l'on peut noter l'existence de courants de marée importants, les effluents se diluent de façon admissible.

Les organismes scientifiques internationaux considèrent donc actuellement comme tolérables à court terme des immersions dans les mers à marées, sous réserve de les effectuer en des sites et selon des modalités et des contrôles adéquats. En revanche, les mêmes organismes scientifiques soulignent les dangers présentés par les mêmes pratiques dans les mers sans marées.

Les Conventions internationales (Convention d’Oslo, Convention de Barcelone) ont implicitement repris ces distinctions.

Les rejets des usines françaises sont soumis aux procédures instituées par la loi sur l'eau de 1964 et ses textes d'application. En outre, le Gouvernement français poursuit ses efforts au plan international, notamment au sein de la Communauté Européenne, pour aboutir à une solution concertée qui n’introduise pas de distorsions de concurrence entre les usines intéressées.

UTILISATION DU SULFATE FERREUX

Co-produit inévitable du bioxyde de titane dans la fabrication par la voie sulfurique à partir d'ilménite, le sulfate ferreux qui correspond à la formule chimique FeSO₄, 7 H₂O (heptahydrate) se présente sous forme de fins cristaux verts contenant environ 5 à 6 % d'humidité. Son mode d'obtention par cristallisation, essorage et lavage lui confère une grande pureté et une grande constance de composition.

[Photo : légende : Superstructures des hydrolyseurs de la troisième tranche.]

Il faut noter que la production de bioxyde à partir de « slags » appauvris en oxydes de fer, ne conduit pas à l'obtention de sulfate de fer cristallisable.

Que faire de ce sulfate ferreux dont on se trouve disposer ainsi de quantités considérables?

  • — on peut le stocker à terre à condition d’assurer une bonne protection de la nappe phréatique contre les infiltrations d’eaux de ruissellement. Cette technique est réalisée dans l'usine de THANN de la Société THANN ET MULHOUSE et est envisagée pour une partie du sulfate produit du HAVRE. Elle présente cependant l'inconvénient d'immobiliser de grandes étendues de terrain sauf si on peut l’utiliser comme remblais ;
  • — il a été mis au point des procédés de grillage en lit fluidisé qui peuvent constituer une solution lorsque des pyrites sont grillées simultanément de façon à récupérer de l’anhydride sulfureux dans des conditions économiques tolérables. Ce procédé a été adopté en Yougoslavie (usine de CINKARNA). Cette solution implique d’énormes investissements et dépenses de fonctionnement ;
  • — des emplois directs de sulfate ferreux existent mais ne constituent que des débouchés faibles que l’on tente activement de développer :
    • • fabrication de pigments de fer,
    • • emploi en agriculture et viticulture, notamment lutte contre la chlorose, destruction des mousses, apport d’oligo-éléments, amendement des sols (apport de fer) anti-cryptogamique ;
  • — dans l'industrie :
    • • déchromatation et décyanuration,
    • • décoloration,
    • • déshuilage.
[Photo : légende : Four de calcination (troisième tranche).]

D'autre part, et c'est ce qui retiendra surtout notre attention, des débouchés existent, et semblent constituer les meilleurs espoirs, dans le traitement des eaux.

Essentiellement, au départ pour le traitement des eaux usées urbaines et de certaines eaux industrielles, où le sulfate ferreux peut intervenir comme :

  • — coagulant de décantation,
  • — agent de déphosphatation,
  • — coagulant en traitement des boues,
  • — agent réducteur.

LE SULFATE FERREUX POUR L’ÉLIMINATION DES PHOSPHATES DANS LE TRAITEMENT DES EAUX USÉES URBAINES

C'est ainsi que le sulfate ferreux (sulfate ferreux heptahydraté) est déjà utilisé pour éliminer les phosphates dans de nombreuses stations d’épuration en FINLANDE, en SUÈDE et aux ETATS-UNIS. En FINLANDE, le sulfate ferreux est utilisé depuis 1970, entre autres dans les stations d’HELSINGFORS (TALI), JÄRVEPÄÄ, HYVINGE et TVÄRMINNE. Aux ETATS-UNIS des expériences à échelle industrielle avec le sulfate ferreux comme agent précipitant ont été conduites par la Environmental Protection Agency (E.P.A.), entre autres dans les stations d’épuration de Détroit et de Jones Island à MILWAUKEE.

En SUÈDE, la station d’épuration de KAPPALA, au nord de Stockholm (capacité de 450 000 équivalents-habitants, charge actuelle de 380 000 équivalents-habitants) utilise actuellement le sulfate ferreux.

Les premières recherches ont été menées aux U.S.A. par les soins de l'Environmental Protection Agency (E.P.A.) en vue d’étudier les possibilités d’élimination des phosphates par le sulfate ferreux.

De ces expériences, tant au stade laboratoire qu’à l'échelle industrielle, il ressort que les sels ferreux sont très aptes à éliminer les phosphates, les ions ferreux étant plus efficaces que les ions ferriques.

La mise en œuvre est conseillée au stade de la décantation primaire plutôt qu’à l’entrée du bassin d'aération. Le précipité se forme d’abord difficilement. Il atteint la forme biologique à l’état de phosphate ferreux. Dans les bassins d’aération, les ions ferreux sont oxydés en ions ferriques, après quoi le précipité se forme de façon satisfaisante.

[Photo : Station d'épuration des fumées du four de calcination (troisième tranche).]

Le précipité de phosphate ferrique réalisé dans le bassin d’aération est réduit à nouveau à l’état de phosphate ferreux dans les digesteurs, mais il reste plus de 95 % du phosphate dans la phase solide.

La boue digérée (boue primaire, secondaire et de déphosphatation) présente de bonnes propriétés d’épaississement : jusqu’à une siccité de 5 à 6 %, alors qu’avec des sels d’aluminium pour éliminer les phosphates, la siccité est d’environ 2,5 %.

Selon les expériences E.P.A., l’emploi des sels ferreux pour l’élimination des phosphates des eaux usées n’entraîne pas d’effets négatifs, ni sur l’activité de la phase biologique, ni sur l’aptitude à la sédimentation de la boue activée (1).

USINE DU HAVRE DE LA SOCIÉTÉ THANN ET MULHOUSE

La Société « THANN ET MULHOUSE », ancienne filiale à 67 % de PECHINEY-SAINT-GOBAIN, devenue ensuite filiale de RHONE-PROGIL, puis de RHONE-POULENC S.A., a pour activité essentielle la fabrication des oxydes de titane pigmentaires commercialisés en deux variétés cristallines « Anastase » et « Rutile ».

Ses deux usines à THANN (Haut-Rhin) et LE HAVRE (Seine-Maritime) peuvent fabriquer les deux variétés. Cependant, l’usine du HAVRE produit principalement le Rutile, les capacités de production globales étant de l’ordre de :

- 25 000 tonnes/an pour THANN - 80 000 tonnes/an pour LE HAVRE.

L’usine du HAVRE, située dans la zone industrielle Ouest de la ville, a été construite en 1956-1957 :

- une première tranche a été mise en production en décembre 1957, et a atteint sa production maximale de 18 000 tonnes en 1961,

- une deuxième tranche, mise en chantier fin 1960, a été mise en production en décembre 1962 et a atteint également la capacité de 18 000 tonnes,

- la troisième tranche, menée de 1968 à 1970, a permis de saturer complètement l’installation pour atteindre 60 000 tonnes de capacité avant 1971,

- la nouvelle unité, mise en chantier courant 1973, a été terminée dans l’année 1975. Sa capacité actuelle est de 22 000 tonnes et peut être portée rapidement à 50 000 tonnes/an. Cette unité n’a cependant pas encore été mise en route pour des raisons judiciaires.

L’usine du HAVRE produit son acide sulfurique ; elle dispose pour cela de trois unités mises respectivement en service en 1957, 1958 et 1962. Il est prévu de développer la capacité de production d’acide à la demande, à partir d’unités classiques à double catalyse, ou éventuellement à partir d’unités recyclant le sulfate ferreux et les eaux mères (sous-produits de fabrication de l’oxyde de titane).

LE PROBLÈME DES « BOUES ROUGES » AU HAVRE

Le choix du site du HAVRE a résulté d’études approfondies menées par divers services administratifs et par l’Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes (voir arrêté préfectoral du 19 juin 1957). Les divers organismes ont d’ailleurs de nouveau été consultés au moment de l’extension de l’usine autorisée en 1973. Les courants particulièrement rapides (30 000 m³ d’eau/s) et turbulents de la baie de la Seine permettent d’assurer les conditions d’une bonne dispersion et dilution de l’effluent empêchant l’apparition d’effets toxiques pour le milieu marin. Ces effluents sont envoyés en mer par une conduite à environ 1 km de la côte et le déversement est interrompu pendant l’étale de basse mer.

Le même problème s’est posé à tous les producteurs d’oxyde de titane par voie sulfurique à partir d’ilménite, et c’est pourquoi les principales usines ont été construites en bordure de mer ou de grands cours d’eau pour y déverser leurs effluents de fabrication.

L’usine de THANN (Haut-Rhin) est une des exceptions à cette règle, mais c’est une exception onéreuse (6 millions de francs par an soit l’équivalent du bénéfice de la Société tout entière) puisqu’il a été nécessaire d’y traiter par voie chimique la totalité des effluents de façon à stocker le sulfate ferreux en terril et à neutraliser les eaux résiduaires, avec précipitation et séparation des solides qui sont eux-mêmes stockés à terre.

Il est à noter que cette usine de THANN écoule déjà 10 000 tonnes/an environ de sulfate ferreux vers la SUISSE, notamment à ...

[Photo : Laveurs décanteurs (en construction) pour le traitement final, en vue de préparer les qualités élaborées de Bioxyde de Titane.]

(1) Documentation KRONOS TITAN GmbH de LEVERKUSEN (F.R.A.), article de KJELL IVAR DAHLQUIST « Élimination des phosphates par le sulfate ferreux à la station d’épuration de la ville de KAPALA (Suède) ».

[Photo : Atelier de conditionnement, avec palettisation automatique.]

Destination de la Société UETIKON qui, à son usine de Uetikon (près du lac de Constance), transforme ce sulfate ferreux en chlorosulfate ferrique utilisé comme réactif de déphosphatation dans des stations d’épuration d’eaux urbaines en Suisse.

L'usine de Thann a aussi construit une unité de transformation de sulfate ferreux en chlorosulfate ferrique (capacité 10 000 tonnes/an) ; cette forme ferrique du réactif semblant donner de meilleurs résultats à l'application au traitement d’eau, comme on le verra plus loin.

Au Havre, les rejets dans l'estuaire de la Seine constituent une préoccupation permanente pour le ministère de la Qualité de la Vie (Environnement) et pour l’Agence de bassin Seine-Normandie. Mais, compte tenu des coûts très élevés de toutes les solutions de traitement au sol, cette solution de rejet en mer semble devoir être maintenue si l’on veut conserver à la France sa position compétitive sur le marché international et donc la survie de l'industrie du TiO₂, tout au moins en attendant qu'une législation européenne soit établie et imposée à tous les producteurs.

Il serait souhaitable que cette législation intervienne le plus tôt possible et soit imposée en même temps à tous les producteurs, pour éviter tout risque de distorsion de concurrence, car on peut estimer que la suppression des rejets fera augmenter le coût de fabrication de 20 %.

En attendant, Thann et Mulhouse poursuivent un important programme de recherches destiné à trouver des solutions économiques au réemploi, telles quelles ou après transformation, de leurs divers sous-produits. Ce programme est aidé par le Fonds interministériel pour l’aménagement de la nature et de l'environnement (FIANE).

Parallèlement, des efforts sont déployés pour trouver des débouchés directs au sulfate ferreux. C’est ainsi que, pendant l'année 1976, environ 10 000 tonnes ont été expédiées à partir de l'usine du Havre pour l’agriculture et le traitement des eaux.

L’année 1977 verra la mise en route au Havre d'un atelier de fabrication de chlorosulfate ferrique d'une capacité de 15 000 tonnes/an, dont le financement bénéficie d'une aide de l’Agence financière de bassin Seine-Normandie. D’autres projets sont à l'étude qui devraient permettre, dans un proche avenir, de réduire considérablement les rejets en mer.

J. Salamitou et P. Schaefle

L’action de l’Agence Financière du Bassin Seine-Normandie pour la réduction de la pollution de la fabrication de bioxyde de titane de l’usine Thann et Mulhouse du Havre

La loi-cadre du 16 décembre 1964 « sur le régime et la répartition des eaux et la lutte contre la pollution » a divisé le territoire national en six grands bassins hydrographiques.

L’Agence financière de bassin Seine-Normandie, établissement public de l'État à caractère administratif doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, est régie par le décret du 14 septembre 1966. Sa mission s’exerce dans les domaines de l’amélioration de la ressource en eaux et de la lutte contre leurs pollutions.

Son domaine s’étend sur 25 départements, pour une superficie de 100 000 km², comprenant environ 15 millions d’habitants et 40 % de la capacité économique de la France.

L’Agence perçoit des redevances sur les prélèvements et consommations d’eaux, ainsi que sur les pollutions qui y sont rejetées. Elle contribue, notamment par des aides financières versées aux collectivités locales et aux industriels, aux études et à la réalisation des ouvrages nécessaires à l'amélioration de la ressource et de la qualité des eaux.

La région de la Basse-Seine et l'estuaire se situent naturellement dans son territoire.

Dans le cadre de sa mission, l’Agence Seine-Normandie se préoccupe du problème posé par les effluents de la fabrication du bioxyde de titane, couramment désignés par le terme de « boues rouges ».

par André Sauvadet, A.F. Bassin Seine-Normandie.

[Photo : M. Pinoit (à gauche) et M. Sauvadet, de l’A.F. du Bassin Seine-Normandie.]
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