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1990, l'apanage du recyclage

28 février 1990 Paru dans le N°134 à la page 23 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

Un livre amusant (1), une offensive des Transformeurs (2), un salon prestigieux de professionnels (3), il n’en faut pas moins pour relancer la pratique du recyclage. La course à la récupération est ouverte. Sur « l’anneau de vitesse », les matériaux recyclés sont désormais appelés matières brutes secondaires. Les techniques de détournement des choses à leur fatal abandon entrent dans l’âge d’or. Il ne s’agit plus de réparer, à perte, l’Environnement par des épurations problématiques, mais bien de recycler les matériaux.

Les enjeux de la production

Une nouvelle mode ? Pas vraiment.

La première raison, de l’incitation constante au recyclage, de la part des pouvoirs publics, tient au fait que la France est un pays relativement pauvre en ressources naturelles minières et énergétiques, et que notre industrie est tributaire de l’extérieur pour son approvisionnement et son activité. C’est connu : les matières premières constituent une charge importante pour la balance commerciale de la France et contribuent fortement à sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. Cette vulnérabilité, cette dépendance seront atténuées par un recyclage systématique et intelligent.

Seconde raison, l’économie d’énergie réalisée. Les concepts « matières premières » et « énergie » sont intimement liés. Pour un produit déterminé, sa demande énergétique (énergie nécessaire pour l’extraction, la purification, la concentration, le conditionnement…) est un élément non négligeable de la constitution de son prix de revient. La variation des coûts de l’énergie a une incidence notable, sans toutefois être prépondérante, sur le coût des produits commercialisables.

(1) « Rien ne se perd, tout se récupère » de X. Fauche, Éditions Balland, 09/1988. (2) Les Transformateurs, Agence Nationale pour la Récupération et l’Élimination des Déchets ANRED, dirigée par C. Mettelet depuis 1985. (3) Salon mondial de l’Environnement Envitec 89 en RFA, avec K 89-Matériaux en RFA également, auxquels il faut ajouter le fameux salon Interchimie 89 en France.

Troisième raison, l’épuisement des réserves mondiales. Nous savons, avec le célèbre Rapport Meadows sur la croissance, que les réserves mondiales en matières premières de haute valeur sont limitées. L’hypothèse d’un épuisement du gisement minier de la planète ne relève pas d’un scénario de science-fiction. Les estimations publiées aujourd’hui, en 1989, par l’Observatoire des Matières Premières Minérales du Ministère de l’Industrie, recoupent celles fournies par l’OCDE, il y a dix ans.

Le recyclage de nos déchets industriels s’impose donc à notre société par la double nécessité :

  • — d’économiser l’énergie par la valorisation de l’énergie interne des résidus combustibles, sous forme de thermies ou de kilowatts, et celle des produits chimiques en tant qu’intermédiaires de synthèse ;
  • — de limiter le gaspillage des matières premières neuves par la réutilisation des métaux, des fibres cellulosiques, des verres, des matières plastiques, ainsi que par la régénération des solvants, des huiles, des pneumatiques.

La récupération en vue du recyclage des déchets doit intervenir très largement au cours de la vie des produits, depuis le stade d’extraction et de transformation des matières premières jusqu’à l’usage des produits finis, puis leur abandon sous forme usée, obsolète ou résiduaire. Pour cela, le quidam est réquisitionné : il va porter, avec les 6,5 millions d’usagers, dans l’une des 250 « déchetteries » en service sur le territoire national, gratuitement, ses déchets recyclables. C’est-à-dire sa « bicyclette bleue » d’avant-guerre, l’électroménager fatigué, les batteries définitivement « à plat », les huiles de friture rancies, les médicaments périmés, les solvants saturés, les vêtements défraîchis, les piles-boutons, les pneumatiques non rechapables, le matelas éventré, les bidons suintants, les poutres en bois vermoulu, les lots de papiers-cartons, des encombrants, des « monstres »… pour lesquels il effectue lui-même le tri dans des conteneurs à disposition (figure 1).

Et ça marche ! Le ratio d’apport souligne que si les 2/3 des déchets laissés sont constitués de tout-venant, le 1/3 restant est fait de matériaux récupérables à raison de : 2 à 4 kg/hb/an de ferraille, 0,5 à 2 kg/hb/an en papier-carton, 1 à 10 kg/hb/an en verre selon que la collecte est sélective ou non, et 0,1 l/hb/an en huile usagée. Cette contribution du particulier vient s’ajouter à l’imposante récupération des circuits des professionnels du recyclage. Car « Peaux d’lapin, chiffons, papiers, ferrailles à vendre !… », ces cris des petits métiers, ne résonnent plus dans les cours. Les réseaux se sont structurés. Et la récupération semble un processus bien enclenché : 55 % de l’acier, 40 % du cuivre, 50 % du plomb, 30 % de l’aluminium sont fabriqués en France à partir de matériaux de récupération, alors que 30 % de la production de papiers-cartons sont assurés à base de fibres cellulosiques de récupération FCR.

Métaux de récup’

Les matières premières utilisées en métallurgie pour la préparation d’alliages fer-carbone, fontes et aciers, sont principalement les minerais (oxydes, carbonates et silicates complexes de fer) et les ferrailles. Quels que

[Photo : Le recyclage des matériaux en déchetterie (Fig. 1, d’après F. N. Lefaucheux, C. Mettelet, ANRED « Les monstres et les déchetteries », 10/1985)]
[Encart : De la simple aire aménagée aux quais surélevés, les coûts d’investissement correspondants peuvent varier de 50 000 F à 800 000 F. Par son fonctionnement réduit en main-d’œuvre (transport, sélection faite par l’utilisateur), le coût d’une déchetterie peut être évalué à environ 8 F par habitant et par an. Il est à noter que des économies substantielles peuvent être dégagées par l’installation d’une déchetterie : — économies sur le coût de résorption des dépôts sauvages (enlèvement, remise en état des sites…), — économies sur les coûts d’élimination et de transport des déchets dès lors valorisables.]

OVERBANDS électromagnétiques

Les séparateurs électromagnétiques suspendus, type Overbands ou aimants fixes de triage, sont destinés à éliminer les corps ferromagnétiques contenus dans des matières diverses, transportées par bande, alimentateurs vibrants ou plans inclinés.

Ces appareils peuvent être installés soit en bout de bande au-dessus du tambour de tête (A), soit transversalement au transporteur (B). Dans les deux cas, il est nécessaire de prévoir en dessous de la surface de l’aimant des pièces amagnétiques (1-2).

[Photo : Recyclage des pièces ferreuses par triage magnétique, suivant le procédé Overband de R. Lenoir de Longwy (Fig. 2)]

Quel que soit le procédé mis en œuvre (pneumatique) et la finalité du produit (Thomas, Bessemer ou Martin pour la conversion des fontes phosphoreuses, LD pour la conversion des fontes hématites, ou encore Kaldo), les ferrailles enfournées pour ajuster la température idoine sont employées dans des proportions de 10 à 45 %. On peut même opérer une valorisation intégrale de la ferraille en four Martin ou en four électrique à arc, mais les sidérurgistes demeurent réticents à accroître la quantité de ferrailles dans leur cycle de fabrication, surtout en hauts-fourneaux.

Les vieilles ferrailles (rebuts de fabrication, épaves automobiles, matériels ferroviaires, charpentes métalliques…) ont toujours fait l’objet d’une active récupération, à l’image de la Federec en France (4). Le taux actuel de récupération de métaux ferreux est de l’ordre de 95 %, grâce à une profession dynamique et bien organisée. Les 34 unités de broyage-déchiquetage-séparation magnétique offrent une ferraille de qualité aux fonderies et aux aciéries par les performances des broyeurs, presse-cisailles et Overbands de marque Dragon, Lindemann, Hazemag ou Lenoir.

La conjoncture s’avère bonne depuis 1987 car on assiste en un an à un accroissement de 60 % des tonnages de ferrailles traitées, passant de 2 à 3,2 Mt/an, à l’essor de l’exportation se montant à 4 Mt sur 12 Mt/an de ferrailles récupérées, les besoins de la sidérurgie nationale satisfaits, tandis que le chiffre d’affaires du groupe CFF, Compagnie Française des Ferrailles, doublait dans le même temps, passant de 1,8 à 3,6 MF 1988.

Pour les métaux non ferreux, la récupération du plomb, du cuivre, de l’aluminium et du zinc relève d’une activité très ancienne, qui est restée longtemps basée sur le tri manuel, croquée par l’imagerie populaire, « à la Daumier ». Aujourd’hui, les circuits de demi-grossistes à affineurs de métaux ont été quelque peu écourtés et les procédés d’affinage perfectionnés fournissent des lingots de qualité garantie pour les différents utilisateurs, en fonderie et en industrie chimique.

L’aluminium mérite une mention spéciale. L’incitation est motivée par un prix de récupération élevé, de l’ordre de 500 F/t, du fait que la production d’aluminium de seconde fusion nécessite 20 fois moins d’énergie que l’extraction à partir de bauxite (14 000 kWh/t de métal). Léger, incassable, l’alu entre dans la composition de 4 boîtes de boisson sur 5 de par le monde, et le gisement énergétique de ces « cans » connaît déjà en France un recyclage de 50 % qu’on désirerait améliorer.

Ainsi, Addax, constructeur de machines spécialisées dans le traitement des câbles pour l’industrie de la récupération, préconise une cisaille rotative à grande cadence de coupe des câbles électriques aluminium-acier qui effectue une séparation lucrative. De son côté, la Société de Constructions Mécaniques Hazemag installe des postes de récupération de crasses d’aluminium (figure 3).

La tumultueuse seconde vie des polymères

Matières plastiques

Contrairement à celui des ferrailles, le recyclage des matières plastiques dévoile en France les caractéristiques d’un certain sous-développement. Chez nous, l’industrie de la régénération des matières plastiques n’occupe qu’une place marginale, avec une activité juvénile ayant pourtant déjà essuyé de par le…

(4) Federec : Syndicat national des industriels et commerces de la récupération des ferrailles.

Concassage à percussion

Les fusions d’aluminium ou autres alliages exigent en surface, comme protection contre l’oxygène de l’air, une couche de sels isolants qui se mélangent lors des turbulences de la fusion. Ce mélange produit une croûte que l’on appelle des crasses.

Les crasses comportent, suivant le type de métal, la température de fusion et autres facteurs, entre 20 et 60 % de métal et sont fortement hygroscopiques, ce qui entraîne nécessairement un stockage au sec et si possible un traitement immédiat.

Il importe de maintenir des vitesses élevées pour éviter tout dépôt. Un réchauffage de l’air de rinçage empêche également un colmatage du dépoussiéreur.

Le concassage par percussion sépare les constituants et une sélection magnétique les retient ensuite.

[Photo : Recyclage des déchets d’aluminium, suivant le procédé Hazemag de Sarreguemines.]
[Photo : Recyclage du PVC (d'après J. Claerbout, Solvay & Cie, Revue RIA 12/1988).]

Passé bien des déboires (Cahier N° 4, Aprede-Ance-Ministère de l’Environnement — 10/1985). Ainsi, lorsque le Grepp, groupement français pour le traitement des bouteilles usagées en PVC, créé par les principaux fournisseurs de résines et primix de PVC, arrêta ses activités en 1984 (après 6 ans d'exercice en usines de recyclage du Havre et du Roussillon : 3,7 kt/an de PVC recyclé en 1980, et quelque 25 MF de pertes), cette décision fut amèrement ressentie par d’aucuns comme la fin du recyclage des bouteilles usagées en PVC. Or, après l’échec des grandes sociétés, l’initiative des PMI allait contredire les pessimistes. Le Gecom, Groupe d’Études pour le Conditionnement Moderne, relevait vite le flambeau (J. Claerbout, Solvay & Cie, Revue « Caoutchoucs & Plastiques » 10/1988).

La consommation croissante de matières plastiques en France, nécessitant une production de 4 Mt/an en 1990, et la faiblesse du taux de récupération de l'ordre de 150 kt/an, vis-à-vis d'une disposition de plus de 1 Mt de déchets en flux annuel, font assurément du recyclage des matières plastiques une réelle activité d'avenir (figure 4). Mais le recyclage des objets plastiques après leur utilisation se trouve étroitement lié au problème de l'approvisionnement en déchets. En effet, les déchets de plastiques ont pour origine :

  • * les procédés industriels de transformation (chutes de production, de filage, déchets de nettoyage des moules, emballages de transport...), qui délivrent des déchets relativement concentrés, peu souillés, bien exploitables, faciles à récupérer mais ne représentant que 7 % du total des déchets,
  • * les activités agricoles (sacs, serres maraîchères, tunnels, films de paillage, ensilage...) conduisant à des déchets plus souillés mais tout autant récupérables, à concurrence de 21 % du tonnage global,
  • * les collectes d’ordures ménagères où aboutissent environ 72 % de la totalité des déchets plastiques et s'y concentrent à 3-7 % en poids des déchets urbains (5), participant pour 30 % environ à leur valeur de PCI (valeur calorifique du PVC : 18,9 MJ/kg).

Deux filières s’ouvrent au plastique de récupération ; le recyclage direct, c’est-à-dire la réinjection du polymère dans le circuit de production, et la valorisation par action thermique ou chimique. Le recyclage pourrait, a priori, exclure la plupart des composites métalliques ou des films colaminés, ainsi que les plastiques thermodurcissables (bakélite, résines époxydes) dont la transformation

(5) En Europe, les différents plastiques composant les détritus domestiques se répartissent comme suit ; 65 % de polyoléfines, 15 % de polystyrène PS, 10 % de polychlorure de vinyle, 5 % de polyéthylène téréphtalique PET, et 5 % d'autres polymères dont les polyesters.

[Photo : Recyclage géotechnique des vieux pneumatiques « Pneusol » (d’après Nguyen-Thanh-Long, LCPC, Bulletin 05/1989).]
[Photo : Recyclage par cryobroyage (d’après C. Schoutteten, P. Girardon, L’Air Liquide, Revue RGF, 10/1986).]

Semble irréversible, mais l’évolution des techniques de broyage des plastiques et de préparation de granulés, via la reformulation des composants du polymère par addition d’adjuvants judicieux, apporte un second souffle de vie. Aussi, les récipients pour boissons et eaux minérales, les pare-chocs et certains éléments de carrosserie automobile, très peu dégradés par la refusion, connaîtraient-ils un recyclage en cascade : un matériau pour l’automobile serait ainsi successivement recyclé dans un capotage de micro-ordinateur, puis, chargé de verre, dans un socle de machine à laver, ensuite dans une palette de manutention pour finir ses jours dans un incinérateur à ordures communales ! (P. Laperrousaz, Revue UN 05/1989).

Parmi les régénérateurs de plastiques, il convient de citer, pour le PVC les entreprises Micronyl et Axia que le Gecom alimente ; pour les films PE agricoles, la Sopave de Decazeville ; et pour les déchets mélangés, Jet’Sac, leader français des sacs poubelle, ainsi que Cep Adour à Bayonne, qui arrive à fabriquer des poteaux en matériaux composite à partir d’ordures ménagères (papier + textiles + films plastiques + fragments de plastiques), alors que la Sté ART Industrie, Applications en Recyclage et Transfert, produit des profilés pleins par extrusion adiabatique de thermoplastiques mélangés (P.L. Godron, ART Industrie, Colloque CEE-ANRED, 03/1988).

Quant au recyclage en génie civil, il faut encore signaler l’utilisation de déchets de PVC en techniques de construction routière avec diverses formulations d’enrobés armés (goudrons, bitumes, brais) préconisée par le Laboratoire Central des Ponts & Chaussées (LCPC) ; la commercialisation par la Screg d’un enrobé spécial à base de polyéthylène de récupération, de bitume et de granulats de graves ; sans oublier le procédé Plasterre de renforcement des qualités mécaniques des sols par incorporation de déchets plastiques mélangés, épargnant sables et graviers.

Élastomères

Sans quitter les techniques routières, on recycle aussi les vieux pneus sur les ouvrages de soutènement et piliers amortisseurs, par le procédé Pneusol (Nguyen-Thanh-Long, LCPC 07/1985 et 05/1989) (figure 5). Faible débouché, plus de 50 % du gisement élastomères se retrouvent dans les décharges et alimentent les incinérateurs de résidus urbains (PCI appréciable d’un vieux pneu : 7,2 th/kg).

Les déchets de caoutchouc sont essentiellement constitués de résidus de fabrication, crus ou vulcanisés et recyclés directement, les objets de consommation courante qui rejoignent après usage les ordures ménagères, et surtout les pneumatiques au rebut chez les distributeurs. Le réemploi correspond au rechapage du pneumatique par collage d’une nouvelle bande de roulement sur la carcasse du pneumatique usagé, encore peu pratiqué, tandis que la régénération, qui nécessite des traitements thermo-chimiques de dévulcanisation, conduit à un élastomère utilisable en revêtement de sol et en confection de la chaussure (16-20 kt/an). La production de poudrette par broyage des pneus non rechapables (15 kt/an), comme celle de la Sté Epure de Doullens, n’est pas optimisée.

Deux procédés de réutilisation se distinguent par leur originalité : la pyrolyse et le cryobroyage. La pyrolyse des déchets de caoutchouc délivre une huile combustible, analogue à un fioul lourd, ainsi que des fractions gazeuses légères qui alimentent le four : l’unité pilote de Solaize, conduite par l’IFP, l’UT de Compiègne et Michelin (pyrolyse à 300-400 °C, sous une pression inférieure à 20 bars, de déchets délités dans une huile usagée non régénérable) en démontrait dès 1979 toute la fiabilité. La méthode cryogénique de la Sté américaine RW Technologies consiste d’abord à plonger les pneumatiques dans de l’air liquide pour les fragiliser, puis à les broyer pour faciliter la séparation des élastomères avec les armatures métalliques de renforcement. En France, ce cryobroyage est préconisé par l’Air Liquide depuis une bonne dizaine d’années (consommation de 0,3 l de LN₂/kg de produit broyé) (figure 6). L’innovation se tient dans la deuxième phase du procédé qui incorpore des déchets de polyéthylène de façon à provoquer la réticulation d’un élastopolymère, thermoplastique moulable pour la réalisation de toute une gamme d’applications allant du casier à bouteilles aux éléments de pare-choc.

Ainsi, aux matières premières ordinairement perdues après emploi, le recyclage accorde son billet de retour, comme un second rôle sur la scène de la production.

Le recyclage européen ?… une affaire qui tourne rond.

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