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Actualités France

Plan Ecophyto : « Le rôle de l’agence de l’eau n’est ni réglementaire, ni contraignant. Il est incitatif »

23 janvier 2020 Paru dans le N°428 à la page 10 ( mots)

Le plan de réduction des produits phytosanitaires a été l'une des promesses du Grenelle de l’Environnement en 2007. Il devait permettre d’impliquer des mutations profondes des systèmes de production agricoles. À l'issue du comité d'orientation stratégique, le bilan du plan Ecophyto 2 montre que les objectifs n’ont pas été atteints. Le Bassin Loire Bretagne regroupe plus de 2200 masses d’eau. L’enjeu principal de l’agence de l’Eau Loire Bretagne est de reconquérir la qualité de chacune de ces masses d’eaux dont les sources de pollution proviennent en particulier de l’agriculture. Martin Gutton, son directeur général réagit au bilan du plan Ecophyto 2.

Revue L’eau, L’Industrie, Les Nuisances : Comment réagissez-vous au bilan du plan Ecophyto 2 ? L’indicateur NODU révèle une augmentation de 24 % du nombre de doses utilisées entre 2017 et 2018 à l’échelle nationale. Quels sont les résultats du bassin ?

Martin Gutton : Nous ne disposons pas encore des chiffres de NODU sur le bassin, mais on dispose d’un indicateur qui est la redevance pollution diffuse. Celui-ci confirme qu’il y a eu une période de sur-achat de produits phytosanitaires en 2018 sur notre territoire, et donc une augmentation (+5%) des recettes pour l’agence de l’eau Loire Bretagne en 2019. Elle est moindre que dans d’autres bassins hydrographiques.

Un des métiers de l’agence de l’eau, c’est la surveillance de la qualité de l’eau. Notre regard porte d’abord sur ce qui se passe dans l’eau, plus que sur la réduction des ventes, voire la réduction de l’utilisation de pesticides. Actuellement, seulement 31 % des masses d’eau superficielles du bassin sont en bon état ou potentiel écologique, et 62 % des nappes souterraines en bon état chimique (89 % en bon état quantitatif).

Douze ans après la mise en œuvre du plan Ecophyto, on constate malheureusement peu d’évolution sur notre territoire qui a une activité agricole et agro-alimentaire prépondérante, y compris dans des secteurs où on accompagne un certain nombre d’actions. L’agriculture a évidemment une responsabilité, d’autant, qu’elle compte près du tiers des exploitations agricoles du pays, mais tous les acteurs du bassin doivent être associés.

Il faut admettre qu’une erreur s’est produite dans notre raisonnement de réduction des produits phytosanitaires. Les accompagnements financiers du premier programme Ecophyto n’ont pas eu dans la pratique les effets incitatifs escomptés ; les vraies réussites du plan Ecophyto résultent surtout de l’application de la norme réglementaire : la suppression de certains produits et de certaines molécules en agriculture ou l’interdiction totale dans les collectivités, puis chez les particuliers notamment. Cela pose l'éternel débat entre incitatif et réglementaire. 

Revue EIN : L’Agence consacre 281 M€ pour lutter contre les pollutions agricoles dans son 11ème programme. Dans quelles mesures les aides de l’agence Loire Bretagne peuvent-elles peser dans la réduction de l’usage, des risques et des impacts des produits phytosanitaires ? 

M.G : Contre toute attente, il faut relativiser les moyens que peuvent apporter les agences de l’eau sur l’agriculture. Comparé au budget annuel de plus de 9 milliards d’euros de la PAC, les agences ont peu de chance de renverser la tendance avec un budget global de 280 millions d’euros par an. Le vrai sujet pour l’accompagnement de l’agriculture, c’est la PAC !

Un débat public sur la nouvelle PAC post-2020 sera organisé par la CNDP à compter du salon de l'Agriculture qui se tiendra fin février à Paris. Il introduit une thématique autour de l’eau et de l’impact environnemental de l’agriculture.

Alors que les représentants agricoles ont du mal à accepter que d’autres acteurs s’expriment sur la politique agricole, ce débat doit être l’occasion de rappeler que les enjeux de la politique agricole commune sont déterminants du fait de la place importante que les agriculteurs occupent dans l’espace. Financée par l’ensemble des contribuables européens, la politique agricole qui consistait, au départ, à garantir une alimentation de qualité aux consommateurs européens doit devenir une politique de préservation de l’environnement et de la santé.

Revue EIN : L’encouragement et plus encore le soutien financier de ces pratiques posent la question du contrôle. Sur quels critères se concentrent les aides ?

M.G : L’agence de l’eau Loire Bretagne veut concentrer ses aides sur des territoires à enjeux très forts sur l’eau. La profession agricole a en outre intérêt à montrer des résultats. En nous appuyant sur les travaux de l’Inrae qui montrent qu’il faut agir sur tout le système de production, nous ne travaillons pas simplement sur la réduction des phytosanitaires mais accompagnons une évolution vers l’agroécologie, plus respectueuse de l’environnement (diversification des cultures, maintien de prairies permanentes et préservation de zones d’intérêt écologique). L’agence mobilise des crédits pour soutenir les exploitations qui réalisent des investissements agro-environnementaux (matériel de désherbage alternatif, de lutte biologique et mécanique contre les ravageurs et les maladies, de réalisation de diagnostics phytosanitaires) et pour se convertir à l’agriculture biologique.

Les agences de l’eau, à côté des crédits de l’union européenne, sont à ce titre les premiers financeurs à la conversion à l’agriculture écologique.

Revue E.I.N. : Comment pouvez-vous faire progresser les pratiques agronomiques ? 

M.G : Parce que ce qui rend difficile notre action, c’est le nombre important d’exploitants sur le bassin (111000 exploitations au total sur le bassin), on travaille donc avec des structures intermédiaires, des chambres d’agriculture, des prescripteurs. On a aussi pris la voie de financer des groupes d’agriculteurs actifs, de façon à démultiplier les effets de changement de pratiques. Idée force du plan Ecophyto, la politique ambitieuse des groupes dits « 3 000 » limitant l’usage des produits phytopharmaceutiques, piétine malheureusement aujourd’hui.

On a aussi une démarche de travail sur les filières car sans être intégrés pour autant, les agriculteurs sont relativement dépendants de leurs acheteurs et se calent sur les besoins de leurs coopératives, de la filière avec lesquels ils travaillent. Il faut donc qu’on emmène la filière sur des pratiques dites bénéfiques pour l’environnement, qui nécessitent moins de phytosanitaires.

Revue E.I.N. : Les objectifs de réduction des produits phytosanitaires par culture sont-ils contraignants ? 

M.G : Si nous axons fortement nos objectifs autour de la mutation des systèmes de production, le rôle des agences de l’eau n’est toutefois ni réglementaire, ni contraignant. Il est incitatif.

Pour renforcer le suivi de l’exécution des réformes, il faut qu’il y ait une pression des services de l’Etat, en charge de la police de l’eau. Il faut aussi que les collectivités, qui sont en charge de la production et la desserte en eau potable jouent leur rôle. Les maires ont des pouvoirs de police et des leviers pour préserver des espaces de protection. En Bretagne, par exemple, si nous avons progressé sur la concentration en nitrates en vingt ans, c’est grâce à la pression des citoyens sur les acteurs publics. Il n’est pas légitime en effet que les charges de dépollution soient supportées par le consommateur d’eau. La simplification des systèmes agricoles (monoculture, agrandissement des parcelles, suppression de haies) est responsable de l’appauvrissement du milieu et de la biodiversité. Chose improbable, les villes attirent la biodiversité et sont mises en avant comme étant pour certaines plus riches en biodiversité que certains espaces agricoles !

Revue E.I.N. : Faut-il récompenser des systèmes plus vertueux ?

M.G : France Stratégie, préconise de changer l’architecture de la PAC et d’introduire un système de bonus/ malus indexé sur la durabilité des pratiques agricoles menées sur l'exploitation. Concrètement, le maintien d'une prairie permanente, l'agro-foresterie ou la diversification des cultures donneraient droit à un versement bonifié. Au contraire, l'utilisation de pesticides ou l'émission de gaz à effet de serre seraient taxées. Du côté des agences de l’eau, nous travaillons sur une bonification des aides aux agriculteurs pour services environnementaux rendus. Le dispositif devrait se déployer en 2020.

Propos recueillis par Pascale Meeschaert