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Actualités France

L'eau, un frein au développement pour l’industrie française ?

03 octobre 2017 Paru dans le N°404 à la page 12 ( mots)

Les questions d’accès à la ressource ne sont plus limitées aux seuls pays en développement. Les défis de l’eau tels qu’ils se présentent aujourd’hui imposent aux décisionnaires, tous horizons confondus, de faire évoluer leurs outils de pilotage. La notion d’intendance de l’eau permet de diminuer l’exposition aux risques de l’ensemble des usagers et donc d’en accroître le bénéfice pour tous à l’échelle du bassin. Dans le prochain numéro, nous approfondirons les méthodes qui permettent de mesurer précisément chacun des risques liés à l’eau. À partir d’exemples réalisés par des entreprises, nous verrons comment diminuer stratégiquement l’exposition aux risques. Puis nous passerons en revue des cas concrets d’action collective afin de comprendre ce que ces projets ont apportés.

D’après un sondage réalisé lors du sommet de Davos auprès d’un panel d’industriels représentatif de l’économie mondiale, l’eau arrive en tête des risques économiques et sociaux de la décennie à venir, loin devant les préoccupations énergétiques ou les crises monétaires [1].

Protégée par la qualité de ses infrastructures et par son modèle de gouvernance de l’eau, l’Europe s’est longtemps crue à l’abri de ces risques. Mais certaines études montrent que la France serait déjà en prise avec des bouleversements profonds, exacerbés par les changements climatiques.

En 2003, des centrales thermiques et nucléaires françaises ont dû partiellement interrompre leur activité en raison d’un manque d’eau. En 2017, la possibilité d’un blackout énergétique dans notre pays s’est à nouveau présentée. Cet été plus de 20 départements ont été classés en état de stress hydrique et 80 départements ont pris des arrêtés préfectoraux de restriction d’accès à la ressource.

On distingue trois classes de risques liées à l’eau affectant l’industrie : les risques de disponibilité, de régulation et de réputation.   

Les inondations du printemps 2016 en France auraient engendré un coût proche de 1,4 milliards d’euros. Plus loin de chez nous, en Californie, pour la seule année 2015, le coût de la sécheresse aura été de 2,2 milliards d’euros et 21,000 emplois perdus [2]. Aux enjeux du manque d’eau s’ajoutent en Europe ceux de la qualité. En tête de liste, l’eutrophisation des eaux de surface entraîne des coûts croissants irrémédiablement refacturés à l’ensemble des usagers, industriels compris.

Ces derniers exemples, nous rappellent parfois brutalement que les questions d’accès à la ressource ne sont plus limitées aux seuls pays en développement. Ce qui se déroule ailleurs sur fond de cataclysme environnemental serait déjà en cours chez nous sous une forme qui échappe à nos instruments de mesure. Les défis de l’eau tels qu’ils se présentent aujourd’hui imposent aux décisionnaires, tous horizons confondus, de faire évoluer leurs outils de pilotage.

 

Comment catégoriser les risques liés à l’eau ?

On distingue trois classes de risques liées à l’eau affectant l’industrie : les risques de disponibilité, de régulation et de réputation.   

Les risques de disponibilité sont d’ordre physique et tiennent à la continuité de l’accès à l’eau en quantité et en qualité. Ils influencent la capacité d’un site à obtenir suffisamment d’eau au moment désiré. Ce risque peut affecter la production si la quantité et la qualité d’eau reçue sont insuffisantes pour soutenir la production espérée.

Les risques de régulation correspondent aux conséquences de l’évolution des normes et des lois qui poussent le secteur industriel à s’adapter à des niveaux de réglementations plus contraignants. Ces derniers peuvent entraîner des ajustements parfois coûteux. 

Enfin, le risque de réputation est la perception que l’opinion publique aura de la responsabilité d’un industriel sur sa gestion de l’eau. Globalement, les risques de réputation peuvent mener à une altération de l’image de marque. Localement ils peuvent provoquer une diminution de l’acceptabilité par la population de la présence d’un industriel sur un site de production. Leurs effets peuvent conduire à la fermeture pure et simple de l’unité de production... L’exemple des fermetures d’usine de Coca-Cola en Inde constitue à cet égard un cas d’école. L’année dernière, Ségolène Royal alors Ministre de l’Environnement avait exigé la fermeture d’une usine dans les Bouches du Rhône. En cause, les rejets excessifs de boues rouges issues de la production d’alumine.  

 

 

Vers une nouvelle intelligence collective

La gestion intégrée des ressources en eau institue le bassin versant comme le cadre adéquat d’administration territoriale de l’eau. La France fut parmi les premiers pays à construire sa gouvernance de la ressource sur ce modèle. Théoriquement, il devait permettre une gestion durable de la ressource par une coordination des actions des usagers.

En pratique, certains principes perpétuent l’individualisation des réponses aux enjeux environnementaux et aux défis de l’eau. A titre d’exemple, le principe du « pollueur-payeur » demande des comptes individuellement à chaque entreprise sans prendre convenablement en compte le contexte général. Résultat, la somme des réponses individuelles aura tout lieu d’être moins efficaces et plus coûteuse qu’une action d’ampleur commune et concertée.

Une autre preuve de ce constat ressort lorsque l’on regarde la pratique du secteur privé dans la stratégie de réponses aux enjeux de l’eau. Ordinairement, les entreprises s’attachent aux perfectionnements opérationnels tels qu’une meilleure efficacité d’usage de la ressource ou une réduction des rejets. Ces actions individuelles menées dans le périmètre confiné des usines sont généralement motivées par une stratégie de réduction des coûts ou par une adaptation aux normes.

C’est indispensable mais loin d’être suffisant. En matière d’eau, les comportements individuels ont des conséquences sur tout le bassin et donc sur la collectivité partageant la même ressource. Trouver des solutions à ces risques partagés requiert en réalité des actions concertées entre les acteurs de la ressource.

 L’intendance de l’eau

Conscientes que les pratiques actuelles n’ont eu pour effet que de contenir les symptômes des risques liés à l’eau, certaines entreprises cherchent aujourd’hui à promouvoir de nouveaux modes d’action dans leur portefeuille de réponses.

Ouvrir le champ des possibles à des réponses portées par les entreprises, est l’objet de l’intendance de l’eau (Water Stewardship en anglais). Cette notion consacre le principe suivant : l’usage de la ressource doit être socialement équitable, environnementalement durable et économiquement bénéfique.

Cet équilibre est obtenu par la mise en œuvre de méthodes éprouvées ces dix dernières années. L’intendance de l’eau conserve en point de mire la recherche d’une action concertée avec l’ensemble des acteurs de l’eau au niveau du bassin versant. Encore balbutiantes, ces actions démontrent que conjointement aux évolutions techniques, les principes de l’intendance de l’eau permettent de diminuer l’exposition aux risques de l’ensemble des usagers et donc d’en accroitre le bénéfice pour tous à l’échelle du bassin.

L’évaluation des risques permet aux entreprises de chiffrer le coût de l’inaction et de motiver ainsi leur degré de contribution à ces actions collectives. L’objectif est d’aller au-devant des enjeux qui se profilent, pour une préservation accrue de la ressource et une baisse des coûts au niveau de l’unité de production.

Alors que les restrictions d’eau deviennent la norme, il est grand temps de repenser l’action collective de la gestion de la ressource en impliquant véritablement l’ensemble des acteurs dans un processus de décision concertée.

 

 Alexandre Le Vernoy – Directeur Associé chez BIGLO Conseil

 

 

[1] World Economic Forum (WEF). 2016. “The Global Risks Report 2016”.

[2 USA Today, le 19 août 2015.