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Entreprises

Il y a tout juste un an, les chantiers s’arrêtaient…

18 mars 2021 Paru dans le N°440 à la page 20 ( mots)
© Tanguy-de-Montesson-Oblique

Entretien avec Jean-Luc Ventura, président de l’Union nationale des Industries et entreprises de l’eau et de l’environnement (UIE). Pour faire face à de nouvelles crises, le président de l’UIE rappelle l’évidence de deux mots d’ordre : dialogue et retour d’expérience…Et le potentiel sous-employé des informations contenues dans les eaux usées pour un suivi épidémiologique local.

L’eau, l’industrie, les nuisances : Un an après l’apparition du SARS CoV-2, qu’est-ce-que la pandémie de Covid-19 signifie pour l’UIE et les syndicats professionnels qu’elle représente ?

Jean-Luc Ventura : Incontestablement, si nous devons retenir quelque chose de cette année 2020, c’est que l’on a démontré notre résilience. Au cœur même du premier confinement, la semaine du 17 mars a brutalement arrêté toute activité, le phénomène en a provoqué un second par effet domino. Celui de l’arrêt des chantiers et de la fermeture d’usines de fabrication, il a touché l’ensemble de la chaîne de valeur des constructeurs, des équipementiers, des industriels pendant deux mois. Autant dire une situation exceptionnelle et surtout du jamais vu dans le domaine de l’eau !

La reprise de la production était non seulement incertaine partout, mais surtout on se demandait comment on allait redémarrer les usines, et retrouver les capacités de production avec les nouvelles règles sanitaires. Le pays n’était pas du tout prêt pour faire face à une pandémie de cette ampleur, on se souvient des ruptures d’approvisionnement, de la pénurie de masques et de gel hydroalcoolique… Au cours de ces semaines, un travail énorme a été accompli avec la Fédération nationale des travaux publics et l’OPPBTP pour définir un cadre sanitaire, nous permettant de reprendre progressivement l’activité sans exposer nos salariés.  

Outre l’arrêt de l’activité, ce qui caractérise aussi l’année 2020, c’est l’année d’élections municipales qui s’est prolongée jusqu’au mois de juin. Pour notre secteur d’activité, qui dépend à plus de 80% de la commande publique, l’année a donc été extrêmement compliquée. Mais, nous avons réussi à approvisionner tous les chantiers, à nous adapter à tous les donneurs d’ordre, malgré les nombreuses contraintes qui pesaient sur la reprise des chantiers en cours.

In fine, nous n’avons pas eu les rendements de production prévus dans les marchés publics et présentons un chiffre d’affaires en repli par rapport à l’année 2019. Deux phénomènes nous préoccupent tout particulièrement. Les effets de la reprise ne se font toujours pas sentir et les prises de commande de nos entreprises sont en repli de 23% comparé à 2019 qui est l’année de référence pour notre secteur. Et, nous n’avons pas réussi à fixer un cadre général avec les donneurs d’ordre et les autorités de tutelle pour prendre en compte les surcoûts liés aux pertes de productivité, tout s’est joué au cas par cas. C’est sans aucun doute un grand regret.

EIN : L’apparition du SARS CoV-2 a boosté ce qu’on pourrait appeler un suivi épidémiologique local des eaux usées qui permet de suivre de près l’évolution géographique du virus et de ses variants. A tel point que plusieurs solutions analytiques de quantification sont d’ores et déjà proposées aux exploitants. Pensez-vous que ces solutions de monitoring qui concourent à conférer un nouveau statut aux eaux usées puissent être élargies à d’autres types d’indicateurs sanitaires ?

JL.V :  C’est une question très intéressante et essentielle parce qu’on voit à quel point cet outil est puissant. On savait qu’il y avait énormément d’informations dans les eaux usées, qu’elles révèlent des données précieuses pour le suivi épidémiologique local. L’extension à d’autres indicateurs clé comme les microorganismes, MES, pesticides, etc. pour assurer une meilleure résilience aux crises sanitaires relève clairement selon moi, d’une autorité indépendante de santé publique, comme la Haute Autorité de santé par exemple.

Parce que l’outil est moins invasif que des campagnes de dépistage, il constitue sans aucun doute une méthode alternative d’émission d'alertes rapide en cas de détection d'une contamination locale, qui mérite d’être poursuivie. Présenté comme un service de veille sanitaire à destination des collectivités, se pose toutefois la question du modèle économique. Si aujourd’hui en période de crise sanitaire, la municipalité se dit prête à payer un peu plus pour rassurer sa population, prendre des mesures de confinement ou pour alerter les autorités sanitaires, demain, si la situation sanitaire ne l’exige plus, saura-t-elle engager des dépenses locales et s’affranchir de toute considération de rentabilité pour maintenir ce type de veille ? 

EIN : ITEA, le syndicat des Industriels du Transport de l’eau potable et de l’assainissement a demandé de reconnaitre les équipementiers comme opérateurs d’intérêts vitaux, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni. Comment le ministère de la Transition écologique a-t-il accueilli cette proposition ? Quels soutiens le secteur reçoit-il des maitres d’ouvrage ?

JL.V : Dans la lutte contre la pandémie, on a beaucoup parlé de la première ligne dans le domaine des déchets et de l’eau, des équipes mobilisées pour assurer la continuité de service public. Bien que le défi ait été de taille pour les exploitants et les équipes de terrain, c’est toute la chaine de valeur, depuis la fabrication jusqu’au chantier en passant par la partie logistique qui s’est mobilisée, et qui n’a pas été considérée dans cette crise comme prioritaire par les autorités publiques.

La Covid-19 a montré à quel point il était, du point de vue opérationnel, indispensable de s’équiper de masques, de protéger les voies respiratoires. Cela ne concernait pas exclusivement certaines activités de l’assainissement exposées aux aérosols d’eaux usées et boues d’aération, mais bien toute la chaîne de valeur. Nous avons fait en sorte de limiter au maximum les interventions mais nous fonctionnions dans une situation extrêmement dégradée.

Nous avons donc partagé ceci avec les autorités. Nous proposons de formaliser les retours d’expérience sur la résilience du modèle pour voir jusqu’où on était prêt à tenir, et ce pour se préparer pour la prochaine crise.

EIN : Depuis 2 ans, au-delà de la loi NOTRe, les déconvenues enregistrées par le secteur de l’eau sont nombreuses. Absence du volet eau dans le plan climat, sous-investissements chroniques dans les services publics d'eau et d'assainissement, normes et projets de décret lourds de conséquence pour des filières de l’économie circulaire. L’UIE est notamment signataire de la motion déposée par la FNCCR pour défendre ces filières. Quelle a été la réaction des autorités de tutelle ? Comment envisagez-vous d’améliorer la concertation entre les autorités de tutelle et les syndicats professionnels de l’UIE ?

JL.V:  Il y a un double discours. L'échéance de 2030 approchant, il y a la volonté politique de relancer l’activité à un moment critique, où il est crucial d'agir rapidement et avec audace sur les engagements mondiaux en matière de climat. Or, en cette année décisive, le plan de relance octroie 200 millions d’euros fléchés pour l’eau sur une enveloppe annuelle de 13 milliards.  Ainsi les arbitrages interministériels, les tendances récentes sur l’absence de « l’eau » dans le plan climat, montrent que l’écart entre ce qui a été fait et ce qui reste à faire dans le domaine de l’eau ne diminue pas : il s’élargit même.

Alors que l’état doit être en mesure de montrer la voie à suivre en mettant en œuvre des politiques de conversion des déchets en gaz vert, favorables à un système énergétique sans danger pour le climat, on observe actuellement des politiques publiques extrêmement prudentes et des révisions de réglementation qui ont un impact défavorable sur la Filière française de l’eau.

C’est un paradoxe. La filière dont l’ambition est de méthaniser 50 % des boues d’épuration en France, qui a vocation à favoriser des projets territoriaux, à produire localement de l’énergie renouvelable, à créer des emplois locaux non délocalisables, dans une logique d’économie circulaire et durable, se heurte à un possible changement de modèle. De peur de générer un effet d’aubaine….

Or, à partir du moment où l’on accepte que les entreprises qui interviennent dans le domaine de l’environnement soient hybrides (public-privé), il faut accepter qu’en mettant leur R&D au service d’enjeux porteurs de sens, elles dégagent de la rentabilité et ne soient pas considérées comme des associations à but non lucratif.  

EIN : Selon vous, les industriels doivent-ils progressivement réduire leur dépendance vis-à-vis des marchés publics ?  Comment ?

JL.V:  On est très fortement dépendant de la commande publique. Les industriels représentent à peine 20 % de notre chiffre d’affaires.

Au moment même où les industriels développent des réflexions, dans le sillage des technologies de zéro rejet liquide (ZLD) qui font flores en Allemagne et en Europe du sud notamment pour être plus résilient dans leur modèle de production, la REUT en France fait toujours l’objet de beaucoup de prudence, voire d’oppositions assez dogmatiques. Parmi les sujets qui inquiètent : le fait de rentabiliser le modèle économique. 

A l’inverse dans le monde les choses évoluent. Des nouveaux modèles économiques, privatisant la ressource, se mettent en place, notamment en Californie.

Aussi, parce que ce qui est bon pour nos entreprises est bon pour les maitres d’ouvrages, les infrastructures, qualitativement et quantitativement, l’emploi, les territoires, nous voulons donc mettre en évidence que la solution réside avant tout dans le dialogue, en alignant les enjeux de toutes les parties prenantes. C’est compliqué, ça prend du temps, mais nous sommes résolus à le démontrer.   

EIN : La Filière Française de l’Eau vient de publier sa première étude sur l’emploi, les compétences et la formation à horizon 2025. Quelle réflexion portez-vous sur les nouveaux besoins de compétences qui sont fortement corrélés à une forme de planification des investissements dans les infrastructures ? 

JL.V:  Les besoins en compétence sont aussi importants aujourd’hui aux deux bouts de la chaine : les entreprises de chantier ont du mal à recruter. Certaines prennent l’initiative d’organiser leur formation professionnelle. Il apparaît par ailleurs, de plus en plus, que les maitres d’ouvrage expriment un manque de ressources pour porter les projets de la relance. C’est l’une des causes premières des freins, selon une étude récente que nous avons menée auprès des maitres d’ouvrage.

D’ici 2025, le secteur de l’eau a un besoin de recrutement de 13000 ETP dont 7000 sont liés à des besoins de renouvellement d’effectifs dus à des départs en retraite. Cette étude démontre que le secteur de l’eau a beaucoup de sens. Il offre une centaine de métiers, fait émerger huit profils en tension sur lesquels nous devons concentrer nos efforts, et révèle de très beaux parcours professionnels.

Plus l’investissement sera fort, plus les besoins en compétence seront importants. La loi NOTRe a nécessité des besoins de professionnalisation forts, dû à des regroupements.

C’est donc un secteur qui embauche, qui est essentiel pour la santé publique, pour l’activité industrielle, pour la biodiversité pour répondre aux engagements 2030 de réduction de notre empreinte carbone. C’est un patrimoine, un trésor d’après-guerre à défendre, dont le renouvellement ne peut se faire à l’identique et donc qui nécessite de gros efforts d’investissement. 

EIN : Dixième épisode du podcast Idées Eau plus tard, quel bilan tirez-vous de cette série lancée par l’UIE ? Qu’est ce qui a prévalu aux choix des sujets ? Envisagez-vous une saison 2 ?  

JL.V : Après 10 épisodes de la série Idées Eau, qui a été conçue pour accompagner les nouveaux élus dans leurs prises de fonctions sur les compétences eau et assainissement, nous nous sommes aperçus au fur et à mesure des sujets, qu’elle balayait beaucoup plus large et touché des profils assez variés . Nous allons prochainement compléter la série par deux sujets : les eaux pluviales et la réciprocité dans les marchés publics à laquelle les maîtres d’ouvrage sont très peu acculturés.
Nous allons par ailleurs continuer nos actions de communication en direction du grand public avec un double axe de communication : l’attractivité des métiers l’eau et la rareté de la ressource.

 Propos recueillis par Pascale Meeschaert